Colombie - Rapport annuel 2020

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République de Colombie
Chef de l’État et du gouvernement : Iván Duque Márquez

Les crimes de droit international et les atteintes aux droits humains liés au conflit armé interne persistant ont augmenté dans les zones rurales où divers acteurs se disputaient le contrôle des territoires auparavant aux mains des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP). Les principales victimes étaient toujours les membres des communautés rurales. Les violences sexuelles contre les femmes et les filles perduraient, tout comme l’impunité dont jouissaient les auteurs de ces actes. La Colombie était considérée par de très nombreux observateurs comme étant le pays le plus dangereux au monde pour les personnes qui défendent les droits humains. Les mesures de protection des défenseur·e·s du droit à la terre, des territoires et de l’environnement restaient limitées et inefficaces, et les crimes contre ces personnes demeuraient impunis. Les assassinats de responsables de la société civile ont atteint un niveau effarant en 2020. La suppression de dispositifs de protection de défenseur·e·s des droits humains suscitait des préoccupations, tout comme le recours excessif à la force par les autorités pour faire respecter les mesures de confinement et le manque de détermination du gouvernement pour garantir le droit à la santé des populations indigènes d’Amazonie dans le contexte de la pandémie de COVID-19. La police a commis des actes de torture et fait un usage excessif de la force meurtrière en intervenant contre des manifestations organisées à l’échelle nationale en septembre, provoquant la mort de 10 personnes. Dans une décision historique rendue ce même mois, la Cour suprême a ordonné la mise en place de mesures pour garantir l’exercice du droit de manifester pacifiquement et a reconnu que les services de sécurité de l’État avaient eu recours à une force excessive.

Contexte de la situation des droits humains en Colombie

Le gouvernement a décrété le 17 mars l’état d’urgence économique, sociale et environnementale pour freiner la propagation du COVID-19. L’exécutif a adopté 164 décrets-lois – un chiffre sans précédent –, dont certains ont été jugés inconstitutionnels par la Cour constitutionnelle.

En août, la Cour suprême a ordonné le placement en résidence surveillée préventive de l’ancien président Álvaro Uribe Vélez, dans le cadre de poursuites intentées contre lui pour corruption, fraude et subornation de témoin. La mesure a été levée en octobre, mais la procédure judiciaire était toujours en cours.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé le mandat de la Mission de vérification des Nations unies en Colombie jusqu’en 2021.

En octobre, des dissidents des FARC-EP ont intercepté une mission humanitaire du HCDH et du Bureau du médiateur dans le département du Caquetá, avant de mettre le feu à leur véhicule.

D’après le Kroc Institute, qui vérifiait que les dispositions de l’accord de paix de 2016 entre les FARC-EP et l’État colombien étaient respectées, la mise en œuvre de l’accord était lente. La Commission nationale des garanties de sécurité (CNGS) n’a pas progressé dans le démantèlement des organisations criminelles ni fait en sorte que l’État soit présent dans les territoires les plus durement touchés par le conflit armé, malgré les pressions exercées par la société civile pour qu’elle redouble d’efforts en ce sens.

Aucune avancée notable n’a été observée cette année concernant la mise en œuvre d’une réforme rurale intégrale et de programmes de remplacement volontaire de cultures pour résoudre le problème des stupéfiants illicites, deux points essentiels de l’accord de paix. Au contraire, le gouvernement s’est fixé comme objectif d’éradiquer de force la production de coca sur plus de 130 000 hectares à l’aide de l’armée. Malgré l’état d’urgence sanitaire, économique, social et écologique, ces opérations se sont poursuivies dans au moins sept départements.

Droits des peuples autochtones

Les mesures adoptées par le gouvernement pour freiner la propagation du COVID-19 ne garantissaient pas suffisamment les droits fondamentaux des populations indigènes. Avant la pandémie, les communautés avaient déjà peu accès à la santé, à l’eau et à la nourriture. Elles ne bénéficiaient donc pas des conditions sanitaires et sociales nécessaires pour faire face au virus. Les mesures de confinement les ont en outre privées d’accès à leurs moyens de subsistance1.

Atteintes aux droits humains dans le contexte du conflit armé interne

Les crimes de droit international et les atteintes aux droits humains liés au conflit armé interne ont continué de faire des victimes, notamment dans les zones rurales faisant l’objet de conflits territoriaux entre différents groupes armés. Des milliers de personnes ont été déplacées de force, confinées, soumises à des violences sexuelles ou victimes d’homicides ciblés.

Tant les groupes de guérilla – l’Armée de libération nationale (ELN) et l’Armée populaire de libération (EPL) – que les forces de sécurité de l’État et les groupes paramilitaires, comme les Forces d’autodéfenses gaïtanistes de Colombie (AGC), ont commis des violences.

Un rapport de 500 organisations de la société civile a fait état d’une recrudescence notable des groupes paramilitaires réarmés et estimé que les AGC étaient présentes dans 22 des 32 départements du pays, soit environ 90 % du territoire colombien. Dans le sud des départements de Córdoba et d’Antioquia, un litige territorial concernant des zones de trafic de stupéfiants et d’extraction minière a déclenché des affrontements entre deux sous-groupes des AGC.

Le conflit territorial armé entre l’ELN et l’EPL perdurait dans la région du Catatumbo. Dans les départements du Cauca, de Nariño et du Meta, des groupes dissidents des FARC-EP se sont affrontés avec d’autres acteurs armés. L’ELN et des groupes paramilitaires se disputaient toujours le contrôle d’exploitations minières illégales dans le département du Chocó.

Dans ce département, 23 128 personnes appartenant à des communautés indigènes et afro-colombiennes sont restées confinées tout au long de l’année en raison des affrontements armés.

Au moins 69 personnes, principalement des civil·e·s, ont été blessées par des mines terrestres. D’après certaines communautés, des groupes armés continuaient de poser des mines antipersonnel. Les zones les plus touchées étaient les départements de Nariño, d’Antioquia, du Norte de Santander, d’Arauca, du Guaviare, du Cauca, du Chocó et de Córdoba.

Personnes déplacées

Selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), on dénombrait en juin 16 190 personnes déplacées de force dans le pays. Le département le plus touché était celui de Nariño, suivi du Chocó, d’Antioquia, du Cauca, du Caquetá et du Norte de Santander. Les affrontements entre groupes armés et les menaces pesant sur les personnes civiles en étaient les principales causes. Une centaine d’ex-membres des FARC ont dû quitter l’Espace territorial de formation et de réinsertion (ETCR) d’Ituango pour aller s’installer à Mutatá, dans le département d’Antioquia. Deux déplacements massifs de plus de 1 590 membres du peuple indigène Embera Dobida ont été signalés.

Homicides illégaux

Au 15 décembre, le HCDH avait confirmé la réalité de 66 massacres, terme désignant l’assassinat d’au moins trois victimes au même moment, au même endroit et par une même personne. L’organisation de la société civile Indepaz a fait état de 51 massacres de personnes protégées par le droit international humanitaire entre janvier et septembre.

Le 16 juillet, les Emberas de la communauté indigène de Geandó ont signalé qu’une fillette de neuf ans avait été tuée par balle lors d’un affrontement armé entre l’ELN et les AGC.

Selon la Mission de vérification des Nations unies, 41 ex-membres des FARC-EP en cours de réinsertion au titre de l’accord de paix ont été tués durant les six premiers mois de l’année.

Certaines avancées ont été observées en matière de justice et concernant les droits des victimes. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a indiqué que, selon le bilan que lui avait communiqué la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), celle-ci avait rendu plus de 29 000 décisions en juillet 2020. Sept procédures de grande ampleur ont été engagées, notamment pour des homicides illégaux présentés par des représentants de l’État comme des morts au combat.

Droits à la santé, à l’eau et à l’alimentation

Dans certaines zones, les opérations de pulvérisation visant à éradiquer les cultures de coca risquaient de détruire des cultures licites dont les communautés paysannes dépendaient pour se nourrir. Ces opérations exposaient par ailleurs au COVID-19 une population ayant peu accès aux services de santé. Les autorités colombiennes ont été appelées à plusieurs reprises à prendre d’urgence des mesures adaptées pour garantir les droits des communautés rurales, notamment à la santé, à l’eau et à la nourriture, et à mettre un terme aux opérations d’éradication forcée2.

Recours excessif à la force et exécutions extrajudiciaires

Dans les sous-régions du Bajo Cauca, du Nordeste de Antioquia et du Catatumbo, ainsi que dans le sud du département de Bolívar, les forces gouvernementales ont employé la force de manière excessive pour faire appliquer les mesures de confinement visant à freiner la pandémie de COVID-19.

La population indigène awá de la réserve de Pialapí, dans le département de Nariño, a dénoncé l’assassinat de l’un des siens lors d’une manifestation contre l’éradication forcée de la coca dans la région.

Le 19 mai, Anderson Arboleda, un jeune Afro-colombien, est mort à Puerto Tejada, dans le département du Cauca. Il aurait été frappé par un membre de la police nationale.

L’Association des autorités traditionnelles et des conseils u’was (ASOU’WAS) a fait état de l’assassinat d’un dirigeant indigène par l’armée nationale dans le cadre d’opérations militaires à Chitagá, dans le département du Norte de Santander. La communauté a démenti les propos de l’armée nationale, qui affirmait qu’il avait été tué au combat.

En mai, l’Association des paysans du Catatumbo (ASCAMCAT) a signalé deux épisodes de violences dans la région, au cours desquels des membres des forces de sécurité qui mettaient en œuvre des opérations d’éradication forcée de cultures de coca ont ouvert le feu sans discernement sur des paysans, faisant deux morts dans la municipalité de Teorama.

Le 9 septembre, l’avocat Javier Ordóñez est mort des suites d’actes de torture et d’un recours excessif à la force meurtrière par la police nationale à Bogotá3. Le 10 septembre, le ministre de la Défense, autorité de tutelle de la police nationale, a fait état de 403 personnes blessées (dont 194 membres des forces de sécurité) et 10 autres tuées (sept à Bogotá et trois à Soacha) au cours des manifestations qui se sont déroulées les 9 et 10 septembre pour protester contre la mort de Javier Ordóñez. Une enquête interne sur cet homicide était en cours.

Défenseures et défenseurs des droits humains

Selon l’ONG Global Witness, la Colombie était le pays du monde où défendre les droits de l’environnement était le plus dangereux. Le 17 août, le HCDH a indiqué avoir recueilli des informations sur 97 meurtres de défenseur·e·s des droits humains. Il avait à cette date établi les faits pour 45 homicides. Les personnes ciblées étaient des membres de communautés indigènes ou afro-colombiennes, des hommes et des femmes qui militaient pour le droit à la terre et l’environnement ou des personnes participant à la mise en œuvre de l’accord de paix. Le programme Somos Defensores a fait état de 135 défenseur·e·s des droits humains tués au cours de l’année en raison de leurs activités ; en outre, les éléments concernant 65 homicides étaient en attente de vérification.

En mars, le Bureau du procureur général a indiqué que 173 des 317 affaires de meurtre de défenseur·e·s des droits humains avaient progressé. Ces efforts demeuraient toutefois insuffisants pour combattre l’impunité dont jouissaient les responsables d’attaques contre des défenseur·e·s des droits humains.

Selon le mouvement Ríos Vivos, les mesures de protection collective des personnes qui défendaient les droits humains étaient inadaptées et ne garantissaient pas le droit à la vie et l’intégrité physique de ses membres, car elles ne traitaient pas les causes structurelles de la violence et parce que les autorités ne respectaient pas leurs engagements.

Le Processus des communautés noires (PCN) de Buenaventura a réaffirmé que le fait de laisser des menaces impunies encourageait les attaques. Le Comité d’intégration sociale du Catatumbo (CISCA) a dénoncé les nombreuses violences subies par les agriculteurs et agricultrices qui défendaient les droits liés à la terre, ainsi que l’absence de protection de l’État.

Dans le département du Meta, la communauté indigène ancestrale kubeo-sikuani a condamné la non-reconnaissance des droits territoriaux des peuples autochtones et souligné que cette défaillance était la principale cause des violences dont ils étaient victimes.

L’Association pour le développement intégral et durable de La Perla Amazónica (ADISPA) a mis en évidence les menaces que représentent les nouveaux groupes armés depuis la signature de l’accord de paix4.

Les forces de sécurité ont continué de surveiller illégalement des responsables de la société civile, des journalistes et des opposant·e·s au gouvernement et de mener des campagnes de dénigrement à leur encontre. La Commission Justice et paix a dénoncé en mai la surveillance illégale dont deux défenseures des droits humains, Luz Marina Cuchumbe et Jani Rita Silva, faisaient l’objet de la part de l’armée. Le même mois, plusieurs médias et organisations de défense des droits humains ont révélé que l’armée surveillait illégalement plus de 130 personnes, notamment des journalistes colombiens et étrangers, des défenseur·e·s des droits humains et des responsables politiques.

Droits des femmes et des filles

Les signalements de violences liées au genre ont augmenté pendant le confinement imposé pour freiner la propagation du COVID-19. D’après l’Observatoire des féminicides en Colombie, 568 féminicides ont été signalés entre janvier et novembre, dont des cas de femmes empalées, brûlées vives, agressées sexuellement, torturées ou démembrées.

Les migrantes vénézuéliennes en situation irrégulière se heurtaient à des obstacles dans l’accès aux services de santé.

Selon des organisations de défense des droits des femmes, les entraves à l’accès aux services d’avortement légaux se sont multipliées pendant l’année. Le 16 septembre, 91 organisations de la société civile et 134 militant·e·s ont présenté une requête à la Cour constitutionnelle demandant que l’avortement ne soit plus considéré comme une infraction pénale. La Cour ne s’était pas prononcée à la fin de l’année.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

L’organisation Colombia Diversa a fait état de 71 personnes LGBTI tuées pendant l’année 2020. Les organisations de défense des droits des personnes LGBTI ont dénoncé la mort de Juliana Giraldo, une femme transgenre tuée par balle par un soldat à Miranda, dans le département du Cauca, en septembre.

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

La Plateforme de coordination pour les personnes réfugiées ou migrantes du Venezuela (R4V) dénombrait, en mai, 1 764 883 personnes réfugiées ou migrantes vénézuéliennes vivant en Colombie, dont 8 824 avaient demandé le statut de réfugié·e.

Des réfugié·e·s et des migrant·e·s ont été expulsés de force de leur logement pendant des périodes de confinement, alors que le gouvernement avait interdit toute mesure de ce type durant l’état d’urgence. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont retournés au Venezuela en raison de l’absence de perspectives en Colombie, et ce malgré les risques que cela impliquait pour leur vie. Des personnes réfugiées ou migrantes ont par ailleurs été placées en détention arbitraire. L’ONG Dejusticia a signalé que, dans les départements de La Guajira, du Norte de Santander et d’Arauca, à la frontière du Venezuela, des groupes armés illégaux mettaient en péril la vie et l’intégrité physique des personnes qui avaient fui le Venezuela pour se réfugier en Colombie.

1« Colombie. Les peuples indigènes vont mourir du COVID-19 ou de faim si l’État ne réagit pas immédiatement » (communiqué de presse, 17 avril)
2« Colombie. La décision d’éradiquer de force des cultures illicites risque de causer des violations des droits humains » (communiqué de presse, 22 juillet)
3« Colombie. Amnesty International condamne les actes de torture et le recours excessif à la force dont se rend coupable la police » (communiqué de presse, 11 septembre)
4Why do they want to kill us ? : Lack of safe space to defend human rights in Colombia (AMR 23/3009/2020) ; Pourquoi veulent-ils nous tuer ? Il manque un espace sûr pour défendre les droits humains en Colombie – Extraits (AMR 23/3009/2020)

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