La pandémie de COVID-19 a mis en lumière les défaillances en matière de réalisation du droit à la santé dans le pays. Sous les effets conjugués de l’inégalité d’accès à un système de santé fragmenté et sous-financé et de l’absence de protection des membres du personnel soignant, le Pérou figurait parmi les 10 pays au monde enregistrant les plus forts taux de mortalité par habitant. Des personnes et des communautés exposées à des métaux et d’autres substances toxiques ont continué de réclamer des politiques publiques garantissant l’accès à des soins médicaux. L’État n’a pas adopté de moyens d’action efficaces contre les nombreuses violences faites aux femmes et aux filles. Les défenseur·e·s des droits humains continuaient d’encourir de graves risques, faute de bénéficier d’une protection effective de la part des pouvoirs publics et faute d’enquêtes pénales fructueuses sur les attaques et les menaces dont ils faisaient l’objet. Le pays a traversé une crise politique, sociale et des droits humains à la suite de la destitution du président Martín Vizcarra en novembre.
Contexte de la situation des droits humains au Perou
Un nouveau Congrès a été élu en janvier. Le pays a signalé ses premiers cas de COVID-19 en mars ; le chef de l’État a décrété l’état d’urgence le même mois. Des mesures de confinement obligatoire, ainsi que des dispositions économiques et sociales destinées à faire face aux conséquences de la pandémie, ont été instaurées par décret suprême et par des textes de loi. Au 31 décembre, le ministère de la Santé avait enregistré 1 017 199 cas confirmés de COVID-19 et 37 724 décès liés à cette maladie.
Selon l’Institut national de statistiques et d’informatique, le taux d’emploi informel s’élevait dans le pays à 72,6 %. Dans ce contexte, les mesures imposées face à la pandémie ont eu des répercussions particulièrement fortes sur les moyens de subsistance.
Le Congrès a voté le 9 novembre la destitution du président Martín Vizcarra, sur la base d’allégations de corruption. Plusieurs manifestations ont été organisées contre les mesures prises par le Congrès. La contestation s’est intensifiée le 10 novembre, pendant l’investiture à la présidence de Manuel Merino, et s’est poursuivie jusqu’à la démission de ce dernier, le 15 novembre. Le 17 novembre, le député Francisco Sagasti a pris officiellement ses fonctions de président de la République.
Recours excessif à la force
Le Congrès a adopté en mars la Loi de protection policière qui, entre autres dispositions, établissait en faveur de la police une présomption de recours raisonnable à la force meurtrière. Des voix se sont élevées, en particulier après les manifestations de novembre, pour demander au chef de l’État d’abroger ce texte qui était contraire au droit international relatif aux droits humains et ouvrait la voie à l’impunité et à l’utilisation par la police nationale d’une force excessive1.
Face aux manifestations organisées en novembre contre la destitution du président Vizcarra, la police nationale est intervenue en faisant usage d’une force excessive et injustifiée. Deux jeunes hommes, Jack Bryan Pintado Sánchez et Jordan Inti Sotelo Camargo, sont morts des suites de ces interventions le 14 novembre, et plus de 200 autres personnes ont été blessées. Des organisations de défense des droits humains ont indiqué que les policiers avaient tiré des munitions et des gaz lacrymogènes contre des manifestant·e·s pacifiques, et infligé des violences, notamment des coups, à d’autres personnes pour les maîtriser. Des fonctionnaires de police en civil qui ont refusé de s’identifier ont arrêté arbitrairement des personnes, dont un militant des droits humains. Des mauvais traitements imputables aux forces de sécurité ont également été signalés, en particulier au sujet de personnes portées disparues. Les enquêtes pénales ouvertes sur les homicides et les actes ayant entraîné des blessures se poursuivaient à la fin de l’année.
Liberté d’expression et de réunion
Les travailleuses et travailleurs du secteur de l’exportation de produits agricoles ont organisé des manifestations en décembre pour réclamer une augmentation de salaire, un renforcement des avantages et de meilleures conditions de travail. Ils ont bloqué de grands axes de circulation routière, demandant au gouvernement d’abroger la Loi pour la promotion de l’agriculture et de mettre en place une nouvelle réglementation. Le Bureau du médiateur a signalé des cas de violences commises pendant les manifestations. Selon des organisations de défense des droits humains, la répression des manifestations par la police a fait trois morts et plusieurs blessés. Le ministre de l’Intérieur a annoncé qu’une enquête interne allait être menée sur ces faits et affirmé qu’il était déterminé à coopérer avec les organes chargés des enquêtes judiciaires.
Défenseures et défenseurs des droits humains
Les défenseur·e·s des droits humains encouraient toujours de graves risques pour leur intégrité physique et leur vie. Malgré l’existence d’un protocole pour la protection de ces personnes, les mesures visant à les protéger demeuraient insuffisantes et des défenseur·e·s ont cette année encore été attaqués et tués.
Le Bureau du médiateur a signalé en septembre que cinq défenseurs des droits liés à la terre, au territoire et à l’environnement avaient été tués au cours des neuf premiers mois de l’année.
Le 11 septembre, le défenseur des droits humains Roberto Carlos Pacheco a été tué par balle par des individus non identifiés. Il recevait depuis 2012 des menaces de mort liées à ses activités militantes de lutte contre l’exploitation minière illégale dans la Réserve de Tambopata (région de Madre de Dios, en Amazonie péruvienne). À la fin de l’année, personne n’avait été déféré à la justice pour répondre de cet homicide, et les mesures de protection de la famille Pacheco restaient insuffisantes2.
Le Pérou n’avait pas encore ratifié l’Accord régional sur l’accès à l’information, la participation publique et l’accès à la justice à propos des questions environnementales en Amérique latine et dans les Caraïbes (Accord d’Escazú).
Droit à la santé
À la fin de l’année, l’Association des médecins péruviens avait fait état de 11 856 cas confirmés de médecins ayant contracté le COVID-19 et de 256 décès liés à cette maladie. En décembre, l’Association des infirmières et infirmiers péruviens a signalé 87 décès liés à ce virus. Pour les syndicats de travailleuses et travailleurs de la santé, un grand nombre de contaminations étaient dues au manque d’équipements de protection individuelle.
L’élaboration d’un plan spécial multisectoriel pour les personnes exposées aux métaux toxiques a bien progressé, mais la Plateforme nationale des personnes touchées par une exposition aux métaux toxiques continuait de réclamer des politiques publiques garantissant l’accès des habitant·e·s concernés à des soins médicaux.
Droits des peuples autochtones
L’État n’a pas réagi comme il l’aurait dû face à la propagation rapide du COVID-19 jusqu’aux territoires des peuples indigènes ; il a beaucoup tardé à mettre en place des protocoles sanitaires et, s’abstenant de toute démarche interculturelle, n’a pas associé les populations indigènes à leur élaboration ou leur application. Le ministère de la Santé avait recensé au 31 décembre 28 592 cas confirmés de COVID-19 et 159 décès liés à cette maladie parmi les populations indigènes.
Droits des femmes
La Loi no 31030, qui garantissait la parité et l’alternance hommes-femmes sur les listes des candidat·e·s pour les élections générales, a été adoptée en juillet. Le texte disposait que chaque parti devait présenter pour les élections au Congrès une liste de candidat·e·s comprenant au moins 50 % de femmes.
Violences faites aux femmes et aux filles
Selon les chiffres du registre des personnes disparues du ministère de l’Intérieur, 10 685 disparitions de femmes ont été signalées entre janvier et novembre. Les lignes téléphoniques d’assistance pour les violences liées au genre ont reçu 171 631 appels de femmes entre janvier et novembre, a indiqué le ministère de la Femme et des Populations vulnérables, contre 88 399 pendant la même période en 2019. En outre, 121 femmes ont été victimes de féminicides pendant ces mêmes mois.
Le Bureau du médiateur a fait état en juin de cas dans lesquels les kits d’urgence, approuvés par le ministère de la Santé, qui étaient destinés aux victimes de violences sexuelles et qui contenaient des tests et des médicaments d’urgence, n’avaient pas été distribués aux femmes et aux filles pendant la pandémie.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Plus de deux ans après son dépôt au Congrès, une proposition de loi visant à la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe n’avait toujours pas été approuvée.
Les personnes transgenres restaient privées de la reconnaissance de leur identité de genre sur le plan social et juridique, ce qui portait atteinte à leurs droits à la santé, au travail, au logement, à la liberté de circulation et à l’éducation, entre autres.
Le ministère de la Justice a émis une résolution reconnaissant les couples de même sexe aux fins du versement d’une indemnisation aux partenaires survivants de professionnel·le·s de santé morts des suites du COVID-19.
Droits des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes
La fermeture des frontières décrétée dans le cadre des mesures destinées à freiner la propagation de la pandémie de COVID-19 a contraint les personnes migrantes ou demandeuses d’asile à emprunter des voies illégales pour entrer dans le pays, ce qui les exposait – en particulier les femmes et les enfants – à des violences et à la traite des êtres humains. Tout dépôt de demande d’asile a été impossible pendant plusieurs mois en raison de la fermeture du service concerné et de la suspension de la procédure en ligne.
Pendant la pandémie, les migrant·e·s, réfugié·e·s et demandeurs ou demandeuses d’asile, qui venaient principalement du Venezuela, n’ont reçu aucune aide financière leur permettant de se conformer aux mesures de confinement. Certaines de ces personnes ont été expulsées de leurs habitations dans des circonstances portant atteinte à leurs droits à la santé et au logement.
1« Pérou. L’État doit abroger immédiatement la loi envoyant un message d’impunité pour les possibles violences policières commises dans le cadre de l’urgence du COVID-19 » (article, 30 mars)
2Pérou. La famille d’un défenseur assassiné est toujours en danger (AMR 46/3303/2020)