Myanmar - Rapport annuel 2020

carte Myanmar rapport annuel amnesty

République de l’Union du Myanmar
Chef de l’État et du gouvernement : Win Myint

Le conflit armé interne s’est poursuivi entre les forces militaires et des groupes armés issus de différents groupes ethniques, donnant lieu à de graves atteintes aux droits humains à travers tout le pays. Les forces armées ont mené des frappes aériennes et des bombardements aveugles dans les États chin et d’Arakan, entraînant le déplacement de milliers de civil·e·s. Les activités des organisations humanitaires étaient sévèrement restreintes, ce qui limitait leur accès aux populations en danger. Les autorités ont imposé des restrictions abusives à l’accès à l’information dans les États chin et d’Arakan, entravant la capacité des populations à recevoir des informations potentiellement vitales, à la fois dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et dans celui du conflit armé. Les défenseur·e·s des droits humains ont cette année encore fait l’objet de persécutions dans tout le pays. Les autorités ont restreint arbitrairement les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Contexte de la situation des droits humains au Myanmar

Le 23 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné au Myanmar de prévenir tout acte de génocide envers les populations musulmanes rohingyas en attendant qu’il soit statué sur la requête déposée par la Gambie. La CIJ a également enjoint à l’État de fournir régulièrement à la Cour un rapport sur les mesures prises pour exécuter cette ordonnance1.

L’État a soutenu à plusieurs reprises que l’obligation des responsables de violations des droits humains de répondre de leurs actes était une affaire interne. L’impunité demeurait cependant omniprésente et les autorités n’ont pris aucune mesure significative pour soumettre l’armée à un contrôle civil ou créer de véritables mécanismes internes ayant pour objet d’enquêter sur les violations des droits humains et d’amener les responsables à rendre des comptes.

Différents degrés de confinement ont été imposés dans les principales villes à mesure que le nombre de cas de COVID-19 augmentait. Le système de santé du Myanmar était mal équipé pour faire face à une pandémie d’une telle ampleur, dont les répercussions économiques ont affecté les populations les plus précaires, notamment les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les millions de personnes vivant dans la pauvreté.

À l’issue des élections législatives du 8 novembre, la Ligue nationale pour la démocratie, menée par Aung San Suu Kyi, a conservé la majorité au Parlement.

Le scrutin a été annulé dans les zones touchées par le conflit, notamment dans la majeure partie de l’État d’Arakan. Plus de 1,5 million de personnes, principalement rakhines, ont ainsi été privées de leur droit de vote. La grande majorité des Rohingyas avaient déjà été privés de ce droit avant les élections de 2015, lorsque le gouvernement avait invalidé les « cartes blanches » qui leur servaient de papiers d’identité.

Atteintes aux droits humains dans le contexte du conflit armé interne

Au cours de l’année, des personnes civiles ont été tuées ou blessées par des frappes aériennes et des bombardements effectués sans discernement par l’armée dans de nombreux secteurs de l’État d’Arakan et dans la municipalité de Paletwa (État chin)2.

Depuis l’intensification début 2019 du conflit entre l’armée myanmar et l’Armée d’Arakan, un groupe armé rakhine, les cas de travail forcé, de détention arbitraire, de torture et d’autres mauvais traitements de personnes civiles imputables aux troupes gouvernementales se sont multipliés.

Dans l’État kachin et le nord de l’État chan, des violations des droits humains perpétrées par des militaires contre des civil·e·s dans différentes situations de conflit armé ont continué d’être signalées. Des atteintes aux droits humains auraient également été commises par des groupes armés de minorités ethniques, notamment des enlèvements, des meurtres, des détentions illégales, l’enrôlement forcé d’adultes ou d’enfants, des corvées de portage et des manœuvres d’extorsion.

Le 12 juin, le ministre de la Protection sociale, du Secours et de la Réinstallation a annoncé que son ministère allait former deux services chargés d’éliminer les mines antipersonnel dans tout le pays dans le cadre de son plan de réinstallation des personnes civiles déplacées par le conflit armé. L’armée du Myanmar et des groupes armés de minorités ethniques ont cependant continué de poser des mines antipersonnel et des engins explosifs improvisés3.

Personnes déplacées

Environ 300 000 personnes ont été déplacées par le conflit armé entre les troupes gouvernementales et différents groupes armés de minorités ethniques dans les États chin, kachin et d’Arakan ainsi que dans le nord de l’État chan. Des dizaines de milliers de personnes qui avaient dû quitter leur foyer il y a plusieurs décennies à cause de conflits se trouvaient toujours à la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar.

Au cours de l’année, des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées par le conflit armé dans l’État d’Arakan. Ces déplacements sont venus s’ajouter à ceux des quelque 130 000 personnes, principalement des Rohingyas musulmans, internées dans des camps dans cet État depuis les violences de 2012. Dans l’État kachin, près de 100 000 personnes vivaient toujours dans des camps depuis la reprise des hostilités entre l’Armée pour l’indépendance kachin et les troupes gouvernementales, en 2011.

Le Myanmar a prévu de fermer de nombreux camps pour personnes déplacées, mais aucun ne l’a été durant l’année. Le rapatriement des Rohingyas réfugiés au Bangladesh pour échapper aux atrocités commises en 2016 et 2017 dans l’État d’Arakan n’avait pas encore commencé.

Privation d’aide humanitaire

Les agences de l’ONU et les ONG internationales qui apportaient de l’aide humanitaire et des produits de première nécessité se heurtaient à d’importants obstacles. Les autorités limitaient l’accès aux zones de conflit et à celles où le gouvernement et les groupes armés de minorités ethniques se disputaient la conduite des affaires publiques.

Les restrictions imposées aux organisations humanitaires étaient particulièrement sévères dans l’État d’Arakan, où la bureaucratie pesante et les interdictions de déplacement imposées par le gouvernement empêchaient l’accès aux populations en situation précaire, notamment dans les lieux touchés par le conflit et les déplacements de population.

Il était dangereux pour les organisations humanitaires de circuler dans l’État d’Arakan. En avril, dans la municipalité de Minbya (État d’Arakan), un véhicule de l’OMS transportant des prélèvements issus de tests de dépistage du COVID-19 a essuyé des tirs et son chauffeur a été tué. Le 28 octobre, dans la municipalité de Rathedaung, deux hommes ont été blessés et un troisième tué à bord d’un navire humanitaire affrété par le CICR. L’armée myanmar et l’Armée d’Arakan ont nié toute responsabilité dans ces deux attaques.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

Les autorités ont eu recours à tout un éventail de lois répressives pour poursuivre et incarcérer des personnes qui n’avaient fait qu’exercer leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Des arrestations et des poursuites arbitraires et motivées par des considérations politiques ont eu lieu tout au long de l’année et 58 personnes ont été placées en détention4. Les autorités ont souvent engagé des poursuites contre des personnes qui avaient critiqué le gouvernement ou défendu les droits humains au titre de l’article 66(d) de la Loi de 2013 relative aux télécommunications et des articles 505(a) et 505(b) du Code pénal.

Les autorités ont poursuivi des membres de la troupe de poésie Peacock Generation pour « diffamation en ligne » aux termes de ces deux textes de loi pour avoir interprété une œuvre de thangyat pacifique qui critiquait l’armée. Le thangyat est un art traditionnel qui mêle poésie, comédie et musique à des fins satiriques et dont les représentations ont lieu en avril, pendant la fête de l’eau du Nouvel An. Six membres de la troupe ont été condamnés à des peines de deux à six ans d’emprisonnement. À la fin de l’année, trois d’entre eux se trouvaient toujours en détention.

Les autorités ont eu recours à la législation nationale sur la sécurité pour limiter arbitrairement le droit à la liberté d’expression et d’information. Elles ont aussi souvent utilisé la Loi de 1908 relative aux associations illégales pour attaquer, harceler, intimider et punir des militant·e·s et des journalistes, en particulier issus de minorités ethniques et religieuses.

Le 24 mars, l’État a qualifié l’Armée d’Arakan d’organisation terroriste, interdisant de fait toute communication avec ce groupe. Au moins trois journalistes ont été poursuivis au titre de la Loi de lutte contre le terrorisme et des articles 17(1) et 17(2) de la Loi relative aux associations illégales pour avoir contacté l’Armée d’Arakan. Par peur des poursuites, les personnes travaillant pour les médias pratiquaient l’autocensure et indiquaient régulièrement qu’elles n’avaient pas pu contacter les groupes armés de minorités ethniques concernés pour recueillir leur point de vue.

Au regard de la Loi relative aux rassemblements et aux défilés pacifiques, les personnes qui organisaient des rassemblements pacifiques tels que des manifestations ou des marches étaient tenues d’en informer la police avant l’événement, faute de quoi elles s’exposaient à des sanctions pénales. Le 4 septembre, le poète et militant Maung Saungkha a été déclaré coupable au titre de l’article 19 de cette loi, après avoir installé une banderole au-dessus d’une autoroute lors d’une manifestation marquant le premier anniversaire des restrictions sur l’Internet mobile imposées dans différentes zones des États chin et d’Arakan. Maung Saungkha a choisi de payer une amende de 30 000 kyats (22,50 dollars des États-Unis) plutôt que de passer 15 jours en prison.

En septembre, les autorités ont arrêté 15 membres de la Fédération des syndicats étudiants de Birmanie (ABFSU). Ils avaient participé à des manifestations pacifiques et à des campagnes de tractage contre la guerre à travers le pays pour demander la fin du conflit dans les États chin et d’Arakan et le rétablissement des services d’Internet mobile dans les zones touchées par le ralentissement des communications ordonné par le gouvernement.

Six d’entre eux ont été inculpés en vertu des articles 505(a) et 505(b) du Code pénal, un au titre de l’article 25 de la Loi relative à la gestion des catastrophes naturelles, et huit au titre de l’article 19 de la Loi relative aux rassemblements et aux défilés pacifiques. Des peines allant jusqu’à six ans d’emprisonnement ont été prononcées dans plusieurs affaires et des procédures étaient encore en cours à la fin de l’année. D’autres membres de l’ABFSU se sont réfugiés dans la clandestinité.

Accès à l’information

En août, le gouvernement a partiellement levé les restrictions d’accès à l’Internet mobile imposées en juin 2019 dans les zones touchées par le conflit dans le nord de l’État d’Arakan et le sud de l’État chin. Là où le service a été rétabli, le débit était toutefois extrêmement réduit. Cette lenteur a entravé les flux d’information, notamment en ce qui concerne les atteintes aux droits humains et la diffusion de données de santé essentielles dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

Les autorités ont mis en avant la sécurité nationale afin de justifier l’utilisation de leurs vastes pouvoirs pour bloquer des sites Internet critiquant le gouvernement. Entre le 19 et le 31 mars, elles ont publié trois ordonnances bloquant au total 2 147 sites Internet au titre de l’article 77 de la Loi relative aux télécommunications, qui accordait au gouvernement de larges pouvoirs lui permettant de suspendre arbitrairement des réseaux de télécommunications.

Les autorités n’ont pas autorisé les médias indépendants et les observateurs et observatrices des droits humains à se rendre librement dans les zones touchées par le conflit. Des journalistes et des médias ont fait l’objet de pressions, d’actes d’intimidation et de harcèlement pour avoir évoqué des sujets sensibles. La menace d’arrestation planait sur toute personne couvrant le conflit et touchait de manière disproportionnée les journalistes appartenant à une minorité ethnique. Aung Marm Oo, rédacteur en chef d’une agence de presse basée dans l’État d’Arakan qui couvrait les violations commises dans le contexte du conflit entre l’armée myanmar et l’Armée d’Arakan, vivait caché depuis mai 2019. Il était poursuivi au titre de l’article 17(2) de la Loi relative aux associations illégales, qui prévoyait jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour quiconque gérait, aidait ou promouvait une association illicite.

Responsabilité des entreprises

En septembre, des liens ont été révélés entre des entreprises internationales et le financement de l’armée du Myanmar, dont plusieurs de ses unités directement responsables de crimes relevant du droit international et de violations des droits humains5. Des documents officiels divulgués ont dévoilé que l’armée du Myanmar percevait des revenus considérables de ses actions dans l’entreprise Myanmar Economic Holdings Limited, conglomérat secret dont les activités se répartissaient notamment entre exploitation minière, bière, tabac, industrie textile et secteur bancaire.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

L’article 377 du Code pénal sanctionnait les relations sexuelles librement consenties entre personnes de même sexe. Cette disposition était rarement appliquée, mais, en restant en vigueur, elle créait un environnement hostile légitimant le harcèlement, la discrimination et la violence envers les personnes LGBTI et exposait celles-ci à des attaques et des extorsions de la part de la police et d’autres autorités.

Droit à l’éducation

Le 13 février, alors que le pays célébrait la Journée des enfants, un obus de mortier a atterri sur l’école d’enseignement postprimaire du village de Kha Mhwe Chaung (groupe de villages de San Hnyin Wai, municipalité de Buthidaung), blessant au moins 17 élèves.

L’armée a occupé des bâtiments scolaires dans l’État d’Arakan, les utilisant comme bases temporaires. Cette appropriation d’infrastructures éducatives privait non seulement les enfants de leur droit à l’éducation, mais risquait de transformer les écoles en cibles militaires et menaçait la vie et la sécurité des populations civiles.

Violences faites aux femmes et aux filles

Le processus d’élaboration d’une loi de protection des femmes et de prévention de la violence à leur égard était au point mort. Les parlementaires continuaient de débattre de dispositions cruciales du projet de loi, notamment concernant la définition du viol. Le Code pénal ne considérait pas le viol conjugal comme une infraction. La dernière version du projet de loi sanctionnait pénalement le viol conjugal, mais les peines prévues étaient moins sévères que pour le viol hors mariage.

La Commission d’enquête indépendante (ICOE), organe national chargé de mener des investigations sur les atrocités commises contre les Rohingyas dans l’État d’Arakan en 2016 et 2017, a publié le 21 janvier une synthèse de ses conclusions. Elle y affirmait, entre autres, qu’il n’existait « aucun élément prouvant que des viols en réunion aient été commis par les forces de sécurité du Myanmar ». L’ICOE a cependant admis ne pas avoir interrogé les victimes rohingyas musulmanes qui avaient fui au Bangladesh. Les affirmations de l’ICOE étaient en contradiction totale avec les constatations des organisations de défense des droits humains, des professionnel·le·s de santé présents sur place et de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar [ONU], qui ont fait état de viols généralisés et systématiques perpétrés contre les femmes et les filles rohingyas.

Le 11 septembre, l’armée a admis que trois de ses soldats avaient violé une femme rakhine le 30 juin, au cours d’opérations menées dans la municipalité de Rathedaung. Les autorités militaires avaient pourtant rejeté ces allégations lorsque les médias locaux s’en étaient fait l’écho en juillet, quand la victime avait porté plainte pour viol. Dans une déclaration à ce sujet, l’armée a publiquement nommé la victime, mais pas ses agresseurs. À la fin du mois de décembre, les trois soldats ont chacun été condamnés à une peine de 20 ans de prison assortie de travaux forcés.

1« Myanmar. Une juridiction internationale ordonne à l’État de protéger les Rohingyas » (communiqué de presse, 23 janvier)
2« Myanmar. Les frappes aériennes menées sans discernement tuent des civil·e·s alors que le conflit s’intensifie dans l’État d’Arakan » (communiqué de presse, 8 juillet)
3« Myanmar. Des villages sont incendiés et des civils blessés et tués sur fond d’intensification du conflit dans l’État d’Arakan » (communiqué de presse, 12 octobre)
4“I will not surrender” : The criminalization of human rights defenders and activists in Myanmar (ASA 16/2041/2020)
5« Myanmar. Des documents ayant fuité révèlent des liens entre multinationales et crimes commis par l’armée » (communiqué de presse, 10 septembre)

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