Pakistan - Rapport annuel 2020

carte Pakistan rapport annuel amnesty

République islamique du Pakistan
Chef de l’État : Arif Alvi
Chef du gouvernement : Imran Khan

La répression des médias, de la société civile et de l’opposition politique s’est intensifiée. Cette année encore, de nombreuses disparitions forcées ont eu lieu, et personne n’a été amené à rendre de comptes. La pandémie de COVID-19 a créé de nouvelles difficultés sur le plan des droits économiques, sociaux et culturels. Des soignantes et soignants ont été détenus pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression, et certain·e·s ont été victimes de violences sur leur lieu de travail. La Cour suprême a mis un coup d’arrêt aux efforts visant à réduire la surpopulation carcérale, en dépit de la propagation du coronavirus dans les prisons. Les minorités religieuses ont encore été persécutées au titre de la législation relative au blasphème et attaquées par des acteurs non étatiques. Les violences faites aux femmes demeuraient répandues. Le Premier ministre, Imran Khan, a fait des annonces encourageantes au sujet de la libération de détenues et de la criminalisation de la torture, mais la mise en œuvre de ces mesures n’a guère avancé. Le ministère des Droits humains a conduit des réformes cruciales concernant la peine de mort et les violences faites aux enfants. La Commission des droits humains du Pakistan n’a pas repris ses activités.

Contexte de la situation des droits humains au Pakistan

Pendant la plus grande partie de l’année, la pandémie de COVID-19 a submergé les infrastructures sanitaires, paralysé les établissements scolaires et amplifié les inégalités économiques existantes. Elle a dominé l’actualité au Pakistan durant la majorité de 2020 car les cas se sont multipliés après que les autorités ont levé prématurément les mesures de confinement pour tenter de stabiliser l’économie. Compte tenu de la difficulté d’appliquer les règles de distanciation sociale, les travailleuses et travailleurs journaliers et essentiels, ainsi que les détenu·e·s, les personnes réfugiées, et les élèves et étudiant·e·s, entre autres, risquaient davantage de contracter la maladie. En juin, le pays a lancé une politique de « confinements ciblés », qui consistait à isoler les districts et les zones où le plus grand nombre de cas avait été enregistré. Le nombre de cas a commencé à baisser considérablement en août, au grand étonnement des experts médicaux, après quoi les pouvoirs publics ont assoupli les restrictions.

Droit à la santé

Personnel soignant en première ligne

Au début de la pandémie de COVID-19, les établissements de santé se sont trouvés confrontés à une grave pénurie d’équipements de protection individuelle. Des photos ont montré des médecins qui s’occupaient de personnes potentiellement contaminées vêtus de sacs en plastique, faute de masques, de tenues de protection et de gants. Entre mars et juillet, près de 5 400 soignant·e·s ont été infectés par le coronavirus. Au moins 58 en sont morts. La police du Baloutchistan a eu recours à une force injustifiée et excessive face au personnel de santé qui manifestait pour dénoncer le manque d’équipements de protection individuelle, de moyens et de soutien de la part de l’État à Quetta (province du Baloutchistan). Certains des manifestant·e·s ont été arrêtés et détenus pendant près de 24 heures.

Il est arrivé que la police et des particuliers se montrent violents à l’égard du personnel soignant lorsque celui-ci devait refuser des admissions parce que les hôpitaux étaient submergés ou lorsque, conformément au protocole mis en place pour endiguer la pandémie, il ne rendait pas immédiatement à la famille la dépouille d’une personne morte du COVID-19. Un médecin a ainsi été blessé par balle aux jambes par un policier le 17 juin, et un autre a eu le nez cassé par un proche d’une personne atteinte du coronavirus le 2 juin. Le 29 mai, des soignantes ont été contraintes de s’enfermer dans une pièce pour se protéger tandis que des personnes en colère saccageaient les locaux de leur hôpital. Aucune enquête n’avait semble-t-il été ouverte sur ces agressions à la fin de l’année et on ignorait toujours si l’État avait fourni une protection supplémentaire au personnel soignant à la suite des demandes répétées formulées par les hôpitaux. Le 6 avril, les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive contre des médecins qui manifestaient pacifiquement à Quetta : ceux-ci ont été roués de coups de matraque et 53 d’entre eux, hommes et femmes, ont été maintenus en détention pendant 24 heures ou plus. En juillet, des médecins qui manifestaient pacifiquement contre le manque de sécurité ont été arrêtés dans le territoire de l’Azad Cachemire.

Personnes détenues

La population carcérale était largement supérieure à la capacité maximale des établissements pénitentiaires et les détenu·e·s couraient un risque particulièrement grand de contracter le COVID-19. Le manque d’hygiène et d’installations sanitaires, les faibles moyens médicaux, le dépistage incohérent et l’impossibilité pour les personnes détenues d’appliquer les règles de distanciation physique favorisaient la transmission du virus.

L’administration pénitentiaire a pris des mesures pour réduire la surpopulation. En outre, des directives formulées par des tribunaux provinciaux ont permis la libération de prisonnières et prisonniers considérés comme particulièrement vulnérables face au virus. Cependant, la Cour suprême est intervenue en invoquant un vice de forme et les personnes libérées ont été de nouveau arrêtées. En septembre, au moins 1 800 détenu·e·s avaient été testés positif au COVID-19 dans les prisons du pays.
Ce nombre était probablement en deçà de la réalité car la quantité de tests pratiqués était insuffisante.

Le 2 septembre, le Premier ministre a ordonné l’application d’une décision de la Cour suprême autorisant la libération de détenues qui étaient en instance de jugement, avaient été déclarées coupables d’infractions mineures ou avaient purgé la majorité de leur peine. Cependant, à la fin de l’année, aucune liste de détenues n’avait été dressée en vue de leur libération et les pouvoirs publics n’avaient pas donné de consignes particulières pour faciliter le processus.

Discrimination

Compte tenu des répercussions économiques de la pandémie, les appels aux dons pour venir en aide aux personnes qui avaient perdu leurs moyens de subsistance se sont multipliés. Néanmoins, les ahmadis n’ont semble-t-il pas eu accès à ces dons en raison de leurs convictions religieuses. Des organisations religieuses ont lancé des appels sur les réseaux sociaux pour demander aux organisations caritatives de veiller à ce que cette communauté persécutée ne reçoive pas de nourriture ni d’autres denrées de première nécessité.

Droits des travailleuses et travailleurs

La fermeture des usines produisant des biens non essentiels, la perturbation des filières d’approvisionnement et les restrictions de déplacement ont entraîné le licenciement de milliers de personnes. En avril, le gouvernement a annoncé qu’il allait créer 60 000 emplois de remplacement dans le cadre de sa campagne de reboisement. Cette mesure a été partiellement appliquée. Le système de sécurité sociale du Pakistan pâtissait toujours d’un manque de moyens, et la plupart des programmes d’aide au retour à l’emploi étaient ponctuels.

Droit à l’éducation

L’État a ordonné la fermeture des écoles et des universités pendant près de six mois afin d’empêcher la propagation du COVID-19, entraînant la mise en place de cours en ligne. Cependant, le réseau offrait une couverture insuffisante : 68 % de la population n’avait qu’un accès limité, voire aucun accès, à Internet, en particulier dans les zones reculées. De nombreux élèves et étudiant·e·s ne pouvaient donc pas jouir pleinement de leur droit à l’éducation puisqu’ils n’étaient pas en mesure d’assister aux cours, faute de matériel ou d’une bonne connexion. Dans la ville de Quetta, des étudiantes et étudiants ont manifesté pour demander l’égalité d’accès à Internet, afin de pouvoir poursuivre leurs études. Au moins 24 d’entre eux ont été frappés et arrêtés par la police. Une vidéo a montré que les personnes ayant procédé aux arrestations ne portaient pas d’équipement de protection individuelle et ne respectaient pas les règles de distanciation physique, augmentant le risque de transmission du coronavirus.

Disparitions forcées

Le recours aux disparitions forcées pour réprimer la dissidence est devenu de plus en plus visible et généralisé, les services de renseignement n’hésitant pas à perpétrer des enlèvements en plein jour dans des centres urbains. Les années passées, les victimes de disparitions forcées étaient généralement des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques, des étudiant·e·s et des journalistes qui n’étaient connus qu’au niveau local. En juillet, en revanche, c’est un virulent détracteur du gouvernement, Matiullah Jan, qui a été capturé par des hommes armés à Islamabad, la capitale fédérale. Des caméras de surveillance ont filmé son enlèvement et les images ont été diffusées en ligne. Cet événement a provoqué un tollé et Matiullah Jan a été relâché 24 heures plus tard.

En juin, le ministère de la Défense a admis détenir Idris Khattak, défenseur des droits humains et ancien consultant d’Amnesty International, depuis sa disparition forcée le 13 novembre 2019, date à laquelle il avait été enlevé par des hommes armés. Bien que le ministère ait reconnu publiquement que cet homme se trouvait aux mains de l’armée, les auteurs n’ont pas été amenés à rendre de comptes, ce qui mettait en évidence la culture de l’impunité entourant les disparitions forcées. La haute cour provinciale a ordonné à plusieurs reprises que cet homme lui soit présenté mais ses directives ont été ignorées. L’équipe d’enquête conjointe qui avait été constituée pour mener des investigations dans cette affaire a été dissoute car Idris Khattak n’était plus considéré comme une personne disparue, bien que l’endroit où il se trouve n’ait pas été révélé.

En septembre, Sajid Gondal, ancien journaliste et membre de la Commission pakistanaise de régulation des marchés financiers, a été porté disparu après que sa voiture eut été retrouvée dans une banlieue d’Islamabad. Il avait peu de temps auparavant été lié à une enquête menée par un autre journaliste sur des allégations de corruption formulées à l’encontre d’un proche collaborateur du Premier ministre. Il a été relâché cinq jours plus tard.

Rien n’a été fait pour ériger en infractions les disparitions forcées, bien qu’il s’agisse d’une des promesses électorales du gouvernement au pouvoir. La ministre des Droits humains, Shireen Mazari, a indiqué sur Twitter en septembre que, lors de ses conversations avec le Premier ministre, celui-ci avait qualifié cette pratique d’« inacceptable ».

Liberté d’expression

Les autorités ont renforcé leur mainmise sur les médias, et les personnes travaillant dans ce secteur ont signalé des contraintes et une censure accrues. Dans une interview accordée en septembre, le Premier ministre a nié toute répression visant la presse et déclaré que les critiques ne le dérangeaient pas. Pourtant, des journalistes ayant publié des articles critiques ont été harcelés, intimidés, censurés, voire arrêtés.

Dans un communiqué conjoint publié le 12 août, au moins 16 femmes journalistes ont indiqué avoir été harcelées et menacées de manière systématique et violente par l’équipe du parti au pouvoir chargée des réseaux sociaux, en particulier lorsqu’elles publiaient des contenus défavorables au gouvernement. Elles ont précisé que cela les empêchait de travailler et de s’exprimer sans crainte. Cette déclaration a rassemblé 161 signatures en un mois. Le parti au pouvoir n’a pas renoncé à ce type d’attaques ni aux agressions verbales en ligne, et ses parlementaires suivaient le même schéma d’intimidation et de harcèlement dans leurs déclarations.

Ahmed Noorani, un journaliste qui avait été violemment agressé en 2017, semble-t-il par des agents des services de renseignement, a été la cible d’une campagne malveillante sur Internet après avoir publié, en août, une enquête sur les affaires d’un ancien militaire, alors proche collaborateur du Premier ministre.

En septembre, le journaliste Bilal Farooqi a été interpellé et détenu pour avoir diffusé, sur les réseaux sociaux, des messages concernant une manifestation anti-chiite à Karachi. Il a été arrêté en vertu des dispositions draconiennes de la Loi relative à la prévention de la cybercriminalité.

Mir Shakil ur Rahman, rédacteur en chef et fondateur du principal groupe de presse du pays, Jang Media Group, a été placé en détention provisoire en mars sur des accusations liées à une transaction immobilière qui avait eu lieu plus d’une trentaine d’années auparavant. Ces allégations forgées de toutes pièces ont été perçues comme des représailles envers ses médias, qui critiquaient la campagne de « lutte contre la corruption » du gouvernement.

Violences faites aux femmes et aux filles

Le slogan « Mon corps, mon choix » est devenu le cri de ralliement du mouvement de défense des droits des femmes, qui prenait de plus en plus d’ampleur au Pakistan. En février, alors que la troisième édition annuelle de l’Aurat March (Marche des femmes) se préparait, un avocat a saisi un tribunal provincial afin que la manifestation soit interdite. Le tribunal a statué qu’une telle interdiction serait inconstitutionnelle. À la suite de cette décision, un parti politique religieux a qualifié l’Aurat March de vulgaire et a appelé ses travailleuses et travailleurs à la bloquer et à se préparer à « n’importe quel sacrifice », au cas où les pouvoirs publics assureraient la sécurité des personnes participantes. À Islamabad, des manifestants pacifiques ont été la cible de jets de pierres. En dépit de la gravité des menaces, les autorités n’ont pas pris de mesures de sécurité suffisantes pour protéger l’Aurat March.

En septembre, le viol en réunion d’une femme sous les yeux de ses fils, sur une autoroute, a soulevé un tollé national et suscité, dans tout le pays, des manifestations appelant à la démission d’un policier de haut grade qui avait déclaré que c’était de la faute de la victime si elle avait été agressée. L’opinion publique a réclamé que les auteurs se voient infliger de sévères châtiments, notamment la castration chimique et la pendaison en public. Des groupes de la société civile ont réagi en avançant des contre-arguments et les médias ont souligné que de telles peines ne permettaient pas de lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles.

L’adoption de la Loi Zainab sur l’alerte, l’intervention et la récupération a été l’un des rares points positifs. Ce texte visait à accélérer les procédures et à permettre une meilleure coordination entre les différentes institutions gouvernementales afin de retrouver les enfants disparus ou enlevés.

Des centaines de cas de violences faites aux femmes et aux filles ont été signalés pendant l’année. Dans la plupart des cas, leurs auteurs n’étaient pas inquiétés.

Liberté de religion et de conviction

En juillet, les autorités d’Islamabad ont cédé à la pression d’une campagne discriminatoire orchestrée par des personnalités politiques, des médias et des dignitaires religieux qui souhaitaient empêcher la construction du premier temple et centre communautaire hindou dans la capitale. Le mur d’enceinte du terrain a été détruit par une foule en colère.

L’application de la législation floue et trop générale relative au blasphème, qui servait déjà les années précédentes à attaquer les personnes les plus marginalisées de la société, a été étendue en 2020 aux artistes, aux défenseur·e·s des droits humains et aux journalistes.

En juillet, Tahir Ahmed, un homme de 54 ans souffrant d’un handicap mental, a été abattu dans un tribunal par un jeune homme qui était venu assister à l’audience lors de laquelle il comparaissait pour blasphème.

En août, la police a porté plainte contre l’actrice Saba Qamar et le chanteur Bilal Saeed parce qu’ils avaient enregistré un clip vidéo dans une mosquée. Ce clip, diffusé en ligne, a déclenché des manifestations de grande ampleur à Lahore, au cours desquelles les responsables du parti religieux Tehreek-e-Labbaik Pakistan ont menacé de se « venger ».

En août, la police a déposé une plainte contre la journaliste et défenseure des droits humains Marvi Sirmed en vertu de la réglementation relative au blasphème en raison d’un message qu’elle avait diffusé sur Twitter.

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