Thaïlande - Rapport annuel 2020

carte Thaïlande rapport annuel amnesty

Royaume de Thaïlande
Chef de l’État : Maha Vajiralongkorn
Chef du gouvernement : Prayut Chan-O-Cha

Les autorités ont réprimé des manifestations pacifiques et arrêté des défenseures et défenseurs des droits humains, des personnalités politiques de l’opposition ainsi que d’autres voix critiques, et ont engagé des poursuites pénales contre ces personnes parce qu’elles avaient participé à des rassemblements pacifiques ou critiqué le gouvernement, la Constitution ou la monarchie. De nombreuses manifestations ont eu lieu à Bangkok et dans d’autres villes. Les mesures prises par les autorités pour contrôler la pandémie de COVID-19 ont exposé les personnes réfugiées à un risque accru d’expulsion. Des tribunaux ont prononcé des peines de mort, notamment pour meurtre ; des sentences capitales ont été commuées en peines de réclusion à perpétuité à la faveur d’une grâce royale.

Contexte de la situation des droits humains en Thaïlande

S’appuyant sur la Loi organique relative aux partis politiques, la Cour constitutionnelle a ordonné en février la dissolution du Parti du nouvel avenir, un nouveau parti d’opposition qui avait obtenu 81 sièges lors des élections législatives de 2019. Cette décision a été largement perçue comme étant motivée par des considérations politiques1. La dissolution de ce parti a déclenché un mouvement de contestation à l’égard du gouvernement au sein de la population, et des appels ont été lancés en faveur d’une réforme de la Constitution. Les autorités ont annoncé l’ouverture d’une procédure judiciaire contre le dirigeant du parti et d’autres cadres de cette formation, et 16 d’entre eux ont été interdits de participation aux élections pour une durée de 10 ans.

Le Premier ministre Prayut Chan-O-Cha a pris en mars un décret instaurant l’état d’urgence, qui a accordé aux organismes gouvernementaux le pouvoir de mettre en œuvre des mesures spécifiques visant à endiguer la propagation de la pandémie de COVID-19. Le gouvernement a également publié une liste d’interdictions en application du décret d’urgence, qui comprenait des restrictions vagues et démesurées du droit à la liberté d’expression.

L’état d’urgence devait initialement durer jusqu’au 30 avril, mais le gouvernement l’a prolongé jusqu’à la fin du mois de décembre. Les très larges pouvoirs accordés aux pouvoirs publics au titre du décret d’urgence ont été utilisés pour réprimer la dissidence et engager des poursuites judiciaires contre des étudiant·e·s et des militant·e·s ayant organisé des rassemblements pacifiques ou y ayant participé. En octobre, les autorités ont instauré un état d’urgence « renforcé » accordant des pouvoirs élargis à la police, mais cette mesure a été annulée la semaine suivante. En novembre, le gouvernement a convoqué une session parlementaire extraordinaire pour trouver avec l’ensemble des partis une solution face à la poursuite des manifestations, parallèlement au débat sur la réforme de la Constitution.

Disparitions forcées

En janvier, invoquant un manque de preuve, le procureur général a abandonné les poursuites pour meurtre avec préméditation et détention illégale engagées contre des responsables du parc national de Kaeng Krachan, qui étaient accusés d’avoir soumis à une disparition forcée, en 2014, le militant écologiste Pholachi « Billy » Rakchongcharoen2.

En juin, des individus non identifiés ont enlevé Wanchalearm Satsaksit, blogueur thaïlandais exilé au Cambodge3. Les autorités thaïlandaises n’ont pas révélé si elles avaient collaboré avec le gouvernement cambodgien pour enquêter sur sa disparition forcée, ni si elles avaient pris des mesures pour savoir ce qu’il était advenu de lui et où il se trouvait. Au moins huit autres militants thaïlandais qui s’étaient exilés dans des pays voisins ont été enlevés ou soumis à une disparition forcée entre 2016 et 2019.

Torture et autres mauvais traitements

En mars, Amnesty International a fait état d’une série de mauvais traitements et d’actes de torture, y compris de violences sexuelles, infligés à des conscrits par les supérieurs hiérarchiques qui les commandaient4. À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été menée par la structure de commandement militaire sur ces allégations.

Le Conseil d’État a terminé, en septembre, son examen du projet de loi sur la torture et les disparitions forcées. Le gouvernement n’a pas mis ce texte au programme des débats parlementaires.

Des personnes détenues dans les trois provinces de Pattani, Yala et Narathiwat, dans le sud du pays, où la loi martiale et le décret d’urgence étaient toujours en vigueur, ont fait état d’un recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, dans un contexte persistant d’insurrection contre le gouvernement central.

Répression de la dissidence

En juillet, des mouvements étudiants ont eu lieu à Bangkok, la capitale, et ailleurs dans le pays ; les protestataires réclamaient la démission du Premier ministre, une révision de la Constitution, et une réforme de la monarchie afin qu’elle soit soumise à un contrôle juridique, politique et fiscal. Le gouvernement a réagi en appliquant des lois restrictives et en utilisant les larges pouvoirs dont il disposait au titre du décret d’urgence pour restreindre de manière abusive les rassemblements pacifiques.

En octobre, le gouvernement a annoncé des mesures d’exception supplémentaires pour faire face à ce qui constituait, selon lui, « des rassemblements publics illégaux » et au mouvement de protestation qui aurait bloqué des voitures du cortège royal. Environ 220 personnes ayant participé aux manifestations, dont des mineur·e·s, ont été arrêtées et risquaient d’être inculpées, notamment pour sédition présumée, lèse-majesté, infractions informatiques et violation des mesures d’exception5. Trois militants encouraient une peine de réclusion à perpétuité au titre de l’article 110 du Code pénal, pour « avoir tenté de porter atteinte à la liberté de la reine » ; ils étaient en liberté sous caution.

Les manifestations ont été très largement pacifiques mais, dans certains cas, la police a eu recours à une force excessive et inutile pour disperser la foule. En octobre et en novembre, les forces de l’ordre ont utilisé des canons à eau avec un mélange d’eau et de produits chimiques irritants, et lancé des grenades de gaz lacrymogènes en direction de manifestant·e·s pacifiques.

Des mineur·e·s qui participaient à des manifestations ont été menacés d’expulsion de leur établissement scolaire et ont subi d’autres formes de pression et de harcèlement de la part d’enseignants et de responsables de ces établissements qui cherchaient à les dissuader d’aller manifester. Plusieurs ont signalé que des responsables scolaires les avaient frappés, avaient confisqué leurs biens et avaient exigé leur présence à des réunions avec les autorités.

Liberté d’expression

Au début de l’année, des tribunaux ont acquitté 14 défenseur·e·s des droits humains et personnes s’étant exprimées en ligne, dans quatre affaires distinctes, à l’issue de plusieurs années de procédure ; ces personnes faisaient l’objet de poursuites engagées par les autorités et des entreprises pour des allégations de diffamation en ligne6. Les tribunaux ont confirmé que les publications qu’elles avaient postées sur les réseaux sociaux et qui portaient sur des abus présumés en matière de droit du travail ou des questions politiques étaient des critiques licites et d’intérêt général.

Les autorités ont continué d’inculper de nombreuses personnes au titre des dispositions, rédigées en des termes vagues et de large portée, de la Loi relative à la cybercriminalité, pour des opinions exprimées en ligne7. Elles ont notamment pris pour cible un artiste à cause d’un billet sur Facebook relatif au filtrage mis en place dans les aéroports dans le cadre de la pandémie de COVID-19, et un utilisateur des réseaux sociaux en raison de ses tweets sur le cortège royal.

En août, Facebook a annoncé s’être plié aux exigences des autorités, qui lui avaient demandé de restreindre l’accès à Royalist Marketplace, un groupe Facebook opposé à la monarchie, tout en estimant que cet ordre allait « à l’encontre du droit international relatif aux droits humains8 ». Les pouvoirs publics ont également cherché à censurer les médias, notamment en demandant à la justice l’autorisation de fermer cinq médias en ligne en raison de leur couverture des manifestations pacifiques.

Défenseures et défenseurs des droits humains

En juillet, une juridiction civile a accordé le statut de recours collectif à une action judiciaire engagée par plus de 700 familles cambodgiennes contre l’entreprise thaïlandaise Mitr Phol, qui produit du sucre, en raison de leur expulsion forcée de chez elles, dans le nord-ouest du Cambodge, en 2008 et 20099.

Des associations locales de défense des droits humains ont signalé que les autorités les avaient harcelées et menacées de poursuites judiciaires parce qu’elles avaient organisé des mouvements de protestation pacifiques ou participé à de tels mouvements.

Malgré l’adoption du Plan d’action national relatif aux entreprises et aux droits humains, le gouvernement n’a pas empêché les poursuites judiciaires stratégiques contre la mobilisation du public (dites « poursuites-bâillons ») engagées par des entreprises et d’autres entités commerciales dans le but de réduire au silence les défenseur·e·s des droits humains. Certaines de ces poursuites ont été rejetées par la justice, mais les entreprises en ont engagé d’autres.

Personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes

Les autorités ont retardé la mise en œuvre du mécanisme national de filtrage pour les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile, qui est entré en application en juin.

Des personnes migrantes ou réfugiées ont été placées en détention de manière arbitraire et pour une durée indéterminée dans des centres de détention surpeuplés, ce qui a augmenté le risque pour elles de contracter la maladie à coronavirus 2019. Cinquante hommes ouïghours étaient toujours détenus sans limitation de durée et dans des conditions déplorables dans des centres de détention des services de l’immigration, en attendant que la Turquie ou la Chine apportent la preuve de leur nationalité.

Au cours de l’année, des bateaux transportant plusieurs centaines de réfugié·e·s rohingyas ont été bloqués en mer pendant des mois, et leurs passagers ont manqué de nourriture, d’eau et de soins de santé. Les autorités thaïlandaises ont mis des vies en danger en empêchant ces personnes de débarquer et, selon certaines informations, en repoussant des bateaux vers la mer.

1« Thaïlande. Les autorités doivent revenir sur la dissolution du Parti du nouvel avenir » (nouvelle, 21 février)
2Thailand : Six years after Billy disappeared, authorities must provide justice and protect his community’s rights (ASA 39/2155/2020)
3« Cambodge. Une enquête doit être ouverte pour établir ce qu’il est advenu d’un dissident thaïlandais qui a disparu » (nouvelle, 5 juin)
4“We were just toys to them” : Physical, mental and sexual abuse of conscripts in Thailand’s military (ASA 39/1995/2020)
5« Thaïlande. Il faut abandonner les accusations injustifiées et libérer les manifestant·e·s pacifiques » (nouvelle, 24 octobre)
6Oppose defamation charges against human rights defenders for exposing labour abuses (ASA 39/1846/2020)
7“They are always watching” : Restricting freedom of expression online in Thailand (ASA 39/2157/2020)
8« Thaïlande. Facebook se soumet à des demandes de censure abusives » (nouvelle, 25 août)
9Amicus curiae in the case of Hoy Mai & Others vs. Mitr Phol Co. Ltd (ASA 39/2753/2020)

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