Les violents combats qui ont éclaté en septembre entre les forces azerbaïdjanaises et arméniennes dans la région du Haut-Karabakh ont donné lieu à de très nombreuses atteintes aux droits fondamentaux de la population civile. Les violences liées au conflit ont fait de nombreux morts et blessés, et ont entraîné la destruction de moyens de subsistance ainsi que des déplacements de population. Les autorités ont intensifié la répression de la dissidence, en se servant du conflit avec l’Arménie et de la pandémie du COVID-19 comme prétextes. Des dizaines de dirigeant·e·s et de militant·e·s d’opposition ont été arrêtés et placés en détention arbitrairement. Face au mécontentement croissant de la population, de nouvelles restrictions ont été apportées à la liberté de réunion et d’expression. La liberté d’association restait sévèrement limitée. Des avocat·e·s ont été victimes de harcèlement et de nombreux cas de torture et d’autres mauvais traitements en détention infligés à des personnes critiques à l’égard du gouvernement ont continué d’être signalés.
Attaques menées sans discernement
De violents combats ont éclaté le 27 septembre, opposant l’Azerbaïdjan à l’Arménie et aux forces la soutenant dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, en Azerbaïdjan. Toutes les parties au conflit ont fait usage d’armes explosives à large rayon d’impact (missiles balistiques, tirs de roquettes notoirement imprécis, etc.) dans des zones civiles densément peuplées, tuant et blessant des civil·e·s et provoquant d’importants dégâts dans les secteurs touchés. Selon des éléments qui ont pu être vérifiés, les deux camps ont utilisé des armes à sous-munitions, en violation du droit international humanitaire, notamment lors d’une offensive lancée le 4 octobre contre la capitale du Haut-Karabakh, Stepanakert/Khankendi, et d’une attaque menée le 28 octobre contre la ville de Barda, dans une zone contrôlée par le gouvernement azerbaïdjanais (voir Arménie).
Crimes de guerre
Les forces azerbaïdjanaises ont commis des crimes de guerre dans le Haut-Karabakh. Plusieurs vidéos, dont l’authenticité a été vérifiée, ont montré qu’elles avaient maltraité des prisonniers de guerre et d’autres personnes qu’elles avaient capturées, et qu’elles s’étaient livrées à des décapitations et à des profanations de cadavres de soldats ennemis [1] .
Liberté d’expression
Les autorités ont intensifié la répression face au nombre croissant de citoyen·ne·s exprimant leur mécontentement en descendant dans la rue ou par d’autres moyens, notamment sur les réseaux sociaux.
Plus d’une dizaine de personnes, dont des journalistes et des militant·e·s d’opposition qui avaient critiqué la gestion de la crise du COVID-19 par les pouvoirs publics, ont été condamnées à des peines dites de « détention administrative » d’une durée allant de 10 à 30 jours, sur la foi d’accusations forgées de toutes pièces (refus d’obéir aux ordres de la police, non-respect des règles de confinement, etc.).
Les autorités ont multiplié les arrestations et les poursuites pénales pour raisons politiques. Une vague d’arrestations de personnes critiques à l’égard du gouvernement a fait suite à l’annonce par le président Ilham Aliev, le 19 mars, de son intention « d’isoler » et de « nettoyer » l’opposition face à la pandémie. Tofig Yagublu, militant d’opposition de premier plan, a été arrêté le 25 mars sur la base d’accusations de houliganisme forgées de toutes pièces. Le 18 septembre, la cour d’appel de Bakou, la capitale, a remplacé la peine de quatre ans et trois mois d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en première instance par une mesure de placement en résidence surveillée avec effet immédiat. Accusé de vol, le défenseur des droits humains Elchin Mammad a été arrêté le 30 mars et condamné à quatre ans d’emprisonnement le 18 octobre par un tribunal de Soumgaït. Les deux hommes avaient critiqué publiquement les autorités. Farkhaddin Abbasov, militant de l’ethnie talych incarcéré pour avoir critiqué les autorités, est mort en détention le 9 novembre. Il se serait suicidé. Aucune véritable enquête sur les causes de sa mort n’avait toutefois été ouverte à la fin de l’année.
Le harcèlement de l’opposition a atteint son paroxysme quand le président Ilham Aliev a accusé le Parti du front populaire d’Azerbaïdjan (PFPA) d’être responsable des manifestations massives qui avaient eu lieu dans la capitale le 15 juillet, lui prêtant l’intention d’organiser une insurrection. Quarante militant·e·s du PFPA, dont quatre de ses principaux dirigeants, ont été arrêtés et inculpés, pour des raisons politiques, d’infractions diverses allant de l’atteinte à l’ordre public à la résistance à agent.
La répression de la dissidence a cette année encore suscité l’inquiétude de la communauté internationale. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a ainsi condamné en janvier les « poursuites engagées en guise de représailles » et « une troublante tendance marquée à l’arrestation et à la détention arbitraires de personnes critiques à l’égard du gouvernement ». Dans au moins trois affaires distinctes, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé cette année que la détention arbitraire de personnes critiques à l’égard du gouvernement reposait sur des motifs politiques. Ces arrêts concernaient les militants Bayram Mammadov et Giyas Ibrahimov, les défenseur·e·s des droits humains Leyla et Arif Yunus, et la journaliste d’investigation Khadija Ismayilova.
Le 4 septembre, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a clos la procédure en manquement qui avait été engagée contre l’Azerbaïdjan pour non-exécution d’un arrêt de la CEDH, après l’acquittement par la Cour suprême de ce pays d’Ilgar Mammadov et de Rasul Jafarov. La CEDH avait jugé que ces deux hommes avaient été emprisonnés uniquement pour avoir critiqué les autorités. Six autres requérants, dont des défenseurs des droits humains connus dont les cas avaient été associés à celui d’Ilgar Mammadov, n’ont quant à eux pas été acquittés, alors que le Comité avait demandé que leurs condamnations soient annulées. Ils continuaient de subir les conséquences de ces condamnations arbitraires, telles que des interdictions de voyager et l’impossibilité d’accéder à des comptes bancaires.
Liberté d’association
Malgré les engagements pris, dans le cadre du Plan d’action pour un gouvernement ouvert adopté par l’Azerbaïdjan en février, en faveur d’une simplification des conditions d’enregistrement des ONG et de la procédure d’acceptation de financements étrangers, les organisations indépendantes souhaitant se faire reconnaître par l’État ont continué de se heurter à des obstacles, et les refus arbitraires d’enregistrement et de subventions sont restés fréquents. Certaines ONG indépendantes n’ont pas pu reprendre leurs activités, leurs dirigeant·e·s faisant l’objet de sanctions qui étaient la conséquence de condamnations pénales infondées. Ces condamnations leur interdisaient en outre de se présenter à des élections.
Cette année encore, des avocat·e·s défenseurs des droits humains ont été victimes d’actes de harcèlement en raison de leurs activités professionnelles, ce qui compromettait leur indépendance et les faisait hésiter à accepter des affaires touchant aux droits fondamentaux. L’avocat Javad Javadov a ainsi été arbitrairement réprimandé en juin par le barreau pour avoir mis en ligne sur les réseaux sociaux des informations concernant les mauvais traitements dont aurait fait l’objet son client, Kerim Suleymanli, alors qu’il se trouvait en garde à vue. Le même mois, la CEDH a jugé que la suspension et la radiation du barreau de Khalid Bagirov, un avocat qui avait mis en doute l’équité d’une décision de justice concernant l’un de ses clients, constituaient une atteinte à son droit à la vie privée et à la liberté d’expression.
Liberté de réunion
Le droit à la liberté de réunion était toujours sévèrement limité. Des manifestant·e·s ont cette année encore été sanctionnés pour le simple fait d’avoir participé à un rassemblement public de manière pacifique.
Les 11 et 16 février, la police a violemment dispersé des personnes qui manifestaient devant le siège de la Commission électorale centrale, à Bakou, contre les fraudes auxquelles auraient donné lieu les élections législatives. Des manifestant·e·s ont été frappés et un certain nombre d’arrestations ont eu lieu.
Le 15 juillet, la police a eu recours à une force excessive pour disperser une manifestation qui avait commencé la veille, lorsque des milliers de personnes s’étaient rassemblées devant le Parlement, dans la capitale, pour exiger une action militaire plus musclée face aux forces arméniennes, après une série d’accrochages à la frontière. La manifestation a dégénéré lorsqu’un petit groupe de manifestant·e·s a réussi à pénétrer dans le Parlement sans autorisation. La police et les forces de sécurité ont utilisé une force excessive, notamment des canons à eau, pour évacuer les intrus et disperser la foule qui se trouvait à l’extérieur. Les affrontements qui ont suivi ont fait plusieurs blessés parmi les manifestant·e·s et les journalistes. La police a confisqué le matériel de certains journalistes qui couvraient l’événement. Soixante-dix personnes ont été arrêtées immédiatement après la manifestation.
Torture et autres mauvais traitements
Cette année encore, des informations ont fait fréquemment état d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements.
Dans un arrêt rendu en février dans l’affaire Ibrahimov et Mammadov c. Azerbaïdjan, la CEDH a estimé que ces deux militants avaient subi aux mains de policiers des mauvais traitements dont le but était de les contraindre à « avouer » des infractions graves, et que les autorités n’avaient pas mené une enquête effective sur leurs allégations de torture.
Les personnes arrêtées à la suite de la manifestation du 15 juillet ont été détenues dans des cellules de police bondées, sans ventilation et où régnait une forte chaleur. Elles n’ont reçu que très peu d’eau et de nourriture. Elles auraient été frappées et soumises à des mauvais traitements, sans pouvoir prendre contact avec un·e avocat·e ni avec leurs familles.