Les mesures d’austérité adoptées ces 10 dernières années ont continué de porter atteinte à l’accessibilité physique et financière des soins de santé. Cette année encore, des cas de torture et autres mauvais traitements, ainsi que de recours excessif à la force par la police, ont été signalés. Des informations ont fait état de nouveaux renvois forcés illégaux (push-backs) de personnes réfugiées ou migrantes, aussi bien sur terre qu’en mer. Dans un arrêt historique rendu en octobre, un tribunal d’Athènes a déclaré des cadres du parti d’extrême droite Aube dorée coupables de direction d’une organisation criminelle. Sur l’île de Lesbos, le camp de réfugié·e·s de Moria a été ravagé par les flammes.
Contexte de la situation des droits humains en Grèce
Le Fonds monétaire international a indiqué en octobre que la pandémie de COVID-19 avait interrompu la modeste reprise économique constatée en Grèce, le PIB du pays s’étant contracté de 7,9 % au cours du premier semestre.
Droit à la santé
Selon une étude parue en avril, les mesures d’austérité adoptées au cours de la décennie précédente ont continué d’avoir une incidence négative sur l’accès aux soins de santé et sur leur coût en Grèce [1] . Beaucoup de gens avaient plus de mal qu’auparavant à assumer ce coût et à se faire soigner dans le cadre du système de santé public. L’effet rétrograde de ces mesures, qui touchaient de façon disproportionnée les plus pauvres et les plus marginalisés, conjugué à la manière dont elles ont été appliquées, constituait une violation du droit de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint. Une grande partie des problèmes auxquels étaient confrontés les professionnel·le·s de la santé, notamment en raison de la faiblesse de leurs effectifs, ont été exacerbés par le COVID-19.
Torture et autres mauvais traitements
Des cas de mauvais traitements et de recours excessif ou, plus généralement, illégal à la force par des responsables de l’application des lois ont de nouveau été signalés cette année. Les victimes étaient notamment des personnes qui manifestaient pour témoigner leur solidarité avec les réfugié·e·s ou qui s’étaient rassemblées sur des places publiques après l’assouplissement des restrictions liées au COVID-19, ou encore des personnes réfugiées ou migrantes.
Un tribunal d’Athènes a accordé en mai une indemnisation au journaliste Manolis Kypreos, après avoir jugé l’État grec responsable des graves blessures qui lui avaient été infligées en 2011, lorsqu’un policier avait lancé sur lui une grenade assourdissante. La décision des autorités de faire appel de ce jugement, en octobre, et les conséquences d’une telle démarche sur le droit de Manolis Kypreos à exercer un recours effectif ont suscité une certaine inquiétude.
Toujours au mois d’octobre, le procès de deux civils et de quatre policiers accusés d’être impliqués dans la mort, en septembre 2018 à Athènes, de Zak Kostopoulos, un militant LGBTI, s’est ouvert devant un tribunal à jury mixte de la capitale.
Droits des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes
Le nombre d’arrivées par voie maritime ou terrestre a fortement baissé cette année ; il s’élevait à 15 669 au 31 décembre, contre 74 613 en 2019.
Le gouvernement a attribué cette baisse à sa politique, mais les chiffres s’expliquaient également par la pandémie de COVID-19 et par le durcissement des contrôles aux frontières, qui a souvent été accompagné, selon les informations reçues, par des renvois forcés illégaux et des brutalités.
Les modifications apportées en mai à la législation en matière d’asile et d’immigration ont encore réduit les garanties de procédure et de fond dont pouvaient se prévaloir les individus. Ces modifications ont notamment élargi le recours à la détention dans le cadre des procédures d’asile et de renvoi dans le pays d’origine, et porté création de nouvelles structures avec contrôle des entrées et des sorties, destinées à remplacer les camps ouverts.
Un nouveau système censé garantir l’accès des personnes demandeuses d’asile aux soins dans le secteur public a été officiellement mis en place en avril, mais certaines rencontraient toujours des difficultés pour se faire soigner.
Renvois forcés illégaux
La Turquie ayant annoncé le 27 février qu’elle n’empêcherait plus les personnes demandeuses d’asile ou migrantes de rejoindre l’UE, plusieurs dizaines de milliers d’entre elles ont tenté de franchir la frontière terrestre grecque, dans la région d’Évros. La Grèce a réagi en envoyant des gardes-frontières, qui ont fait usage de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de balles en plastique contre les personnes qui essayaient d’entrer sur le territoire. Selon plusieurs témoignages, la police des frontières grecque aurait commis toute une série de violations – usage excessif de la force, coups, tirs à balles réelles, détentions illégales et renvois forcés illégaux systématiques vers la Turquie, notamment –, qui ont entraîné la mort de deux hommes au moins et la disparition d’une femme. Les autorités grecques ont systématiquement nié le recours à de telles pratiques.
Parmi les mesures qu’elle a prises le 2 mars pour faire face à la situation à ses frontières, la Grèce a suspendu pendant un mois le dépôt des demandes d’asile, et la plupart des réfugié·e·s et des migrant·e·s arrivant par la mer ont été placés arbitrairement en détention [2] .
Le même mois, la Commission européenne a salué la Grèce pour son rôle de « bouclier de l’Europe » et a renforcé son soutien financier au dispositif migratoire du pays. Des moyens supplémentaires ont été mis en place par l’Agence européenne de surveillance des frontières (FRONTEX).
De nombreux cas de renvois forcés illégaux de personnes réfugiées ou migrantes en mer, ainsi que de pratiques dangereuses à leur égard, ont aussi été dénoncés, notamment par des ONG.
À la suite d’allégations faisant état de la participation de FRONTEX à des renvois forcés illégaux en mer Égée, une enquête interne a été ouverte.
Situation sur les îles de la mer Égée
Malgré la baisse des arrivées, la surpopulation dans les cinq « hotspots » financés par l’UE sur les îles de la mer Égée a atteint un pic vers le mois de mars. Le camp de Moria, sur l’île de Lesbos, accueillait alors près de 20 000 personnes, pour une capacité officielle de 3 000 individus. Dans les camps, les gens vivaient toujours dans des conditions insalubres, sans pouvoir bénéficier de soins médicaux adéquats, confrontés à l’insécurité et à la violence, notamment à la violence liée au genre.
Entre le 8 et le 10 septembre, plusieurs incendies consécutifs ont ravagé le camp de Moria. Les quelque 12 000 occupant·e·s du camp se sont retrouvés pendant plusieurs jours parqués sur une route par la police, dormant à même le sol et sans accès satisfaisant à un abri, à des installations sanitaires et à de la nourriture. Au 17 décembre, 553 mineur·e·s non accompagnés, dont 406 vivant sur l’île de Lesbos, avaient été réinstallés dans d’autres pays d’Europe. Les autres résident·e·s du camp de Moria ont été transférés dans un nouveau campement provisoire et contraints d’y vivre sous des tentes, dans des conditions dénoncées par le HCR et des ONG. La Commission européenne a mis en place un groupe de travail spécial chargé de gérer la situation à Lesbos en collaboration avec les autorités grecques.
Réponse au COVID-19 dans les centres d’asile
Dans le cadre de l’action qu’elle a engagée pour lutter contre le COVID-19, la Grèce a limité les déplacements des personnes demandeuses d’asile, à l’intérieur comme à l’extérieur des camps. Ces restrictions ont été renouvelées à plusieurs reprises et de manière discriminatoire tout au long de l’année dans de nombreuses structures. Les camps surpeuplés de Lesbos et de Samos, entre autres, ont enregistré une vague épidémique de COVID-19 et des personnes ont été placées en quarantaine. Les conditions de vie déplorables qui régnaient dans ces lieux n’ont pas permis d’appliquer les mesures de quarantaine dans le plein respect des droits fondamentaux de la personne.
Situation en Grèce continentale
Les transferts vers la Grèce continentale de demandeuses et demandeurs d’asile, ainsi que de personnes ayant obtenu le statut de réfugié·e, se sont accélérés. Au 30 novembre, 13 500 personnes avaient été transférées.
À compter de juin, à la suite d’une modification de la législation réduisant l’aide à l’hébergement, des milliers de personnes ayant obtenu une protection internationale ont dû quitter les structures où elles étaient accueillies. Les médias et les ONG ont recueilli des informations faisant état des difficultés que rencontraient ces personnes pour accéder aux services essentiels sur le continent ; beaucoup étaient contraintes de dormir dehors à Athènes.
Criminalisation de la solidarité
De nouvelles règles adoptées en avril et en septembre ont limité fortement la possibilité pour les ONG de se mobiliser sur les questions d’immigration et d’asile. La procédure pénale visant les sauveteurs Sarah Mardini et Séan Binder était toujours en instance, et des poursuites judiciaires ont été engagées en octobre contre 33 membres d’ONG. Le centre indépendant PIKPA, qui accueillait des personnes réfugiées, a été fermé et ses résident·e·s ont été transférés vers une autre structure de Lesbos.
Discrimination
Dans un arrêt historique rendu en octobre, un tribunal d’Athènes a jugé les cadres politiques d’Aube dorée coupables de diriger une organisation criminelle. Les membres de ce parti d’extrême droite se sont livrés à toute une série de violentes attaques, visant notamment des réfugié·e·s, des migrant·e·s, des syndicalistes et des défenseur·e·s des droits humains. Quarante-trois d’entre eux, dont 11 anciens député·e·s, ont été reconnus coupables de participation à une organisation criminelle. Le tribunal a également établi la culpabilité de Giorgos Roupakias, membre d’Aube dorée, dans le meurtre, en 2013, du chanteur antifasciste Pavlos Fyssas, et a condamné 15 autres accusés pour complicité. Cinq personnes ont été déclarées coupables de tentative de meurtre sur la personne d’un pêcheur égyptien, et la culpabilité de quatre autres a été établie dans l’attaque contre des syndicalistes appartenant au Parti communiste grec.
Liberté de réunion
Plusieurs ONG, syndicats et partis politiques ont fait part en juillet des graves inquiétudes que leur inspirait une proposition de loi controversée de réglementation des réunions publiques. Adopté le 11 juillet, ce texte comportait une disposition établissant la responsabilité juridique des personnes organisant un rassemblement [3] .
Objecteurs de conscience
Les objecteurs de conscience continuaient d’être victimes de graves violations de leurs droits (multiples poursuites judiciaires, amendes et procès devant la justice militaire). Un objecteur de conscience âgé de 45 ans, dont la demande de reconnaissance de son statut avait été rejetée en 2004 par le ministère de la Défense nationale, a été acquitté en octobre par un tribunal militaire, pour vice de procédure.
La procédure d’examen des demandes de reconnaissance de la qualité d’objecteur de conscience a été suspendue pendant près de 15 mois, le temps qu’une nouvelle commission chargée de cet examen se mette à l’œuvre, en juillet. Un recours contestant l’allongement de la durée du service de remplacement, décidé en 2019, était en instance devant le Conseil d’État à la fin de l’année.
Droit à l’éducation
Vasilis Dimakis, un détenu qui suivait des études universitaires, a mené une grève de la faim et de la soif en avril et en mai, pour protester contre son transfert à la prison de Grevena, puis dans une cellule d’isolement située dans le quartier des femmes de la prison de Korydallos, parce qu’il ne pouvait plus y étudier. Vasilis Dimakis a cessé son action fin mai. À la suite des pressions exercées en sa faveur par la société civile, il a réintégré sa cellule initiale, à la prison de Korydallos, où il a pu reprendre ses études.
Conditions de détention
Le Comité européen pour la prévention de la torture a souligné, dans un rapport paru le 9 avril, les dysfonctionnements chroniques dont souffraient les établissements pénitentiaires grecs. Le même jour, une détenue de la prison d’Eleonas mourait. Selon ses codétenues, elle n’aurait pas reçu les soins médicaux que son état nécessitait. L’organisation Initiative pour les droits des détenus a recueilli dans tout le pays des témoignages de personnes incarcérées qui se plaignaient de ne pas avoir reçu d’équipements de protection individuelle contre le COVID-19.