Les droits à la liberté de rassemblement pacifique et d’expression restaient soumis à d’importantes restrictions. Les personnes critiques à l’égard des autorités s’exposaient à des poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques. La torture et les autres formes de mauvais traitements demeuraient très répandues. Les défenseur·e·s des droits humains faisaient l’objet de harcèlement et de poursuites devant la justice civile pour diffamation. Les personnes LGBTI étaient la cible de préjugés et de violences. Les droits des personnes en situation de handicap n’étaient pas respectés. La dégradation de la situation économique sous l’effet de la pandémie s’est traduite par une baisse de la scolarisation et une augmentation du travail des enfants.
Contexte de la situation des droits humains au Kazakhstan
Des affrontements qui ont opposé le 10 février des membres des communautés kazakhe et doungane (groupe ethnique d’origine chinoise et de religion musulmane) ont fait 10 morts et des centaines de blessés. L’état d’urgence a été décrété dès la confirmation des premiers cas de COVID-19. Il a duré du 16 mars au 11 mai. Au 29 octobre, la pandémie avait officiellement fait 2 219 morts. La surmortalité révélée par les statistiques officielles donnait cependant à penser que le nombre de décès liés au coronavirus était en réalité bien plus élevé. Selon une projection rendue publique par la Banque mondiale en milieu d’année, 800 000 personnes supplémentaires vivaient dans la pauvreté en raison de la pandémie.
Le Kazakhstan a signé en septembre le Deuxième Protocole facultatif au PIDCP, par lequel il s’engageait à ne pas procéder à des exécutions et à abolir la peine de mort.
Liberté de réunion
Des personnes qui manifestaient pacifiquement ont été placées en détention administrative et contraintes de payer des amendes. Le président de la République a promulgué en mai une nouvelle Loi sur les rassemblements publics, qui n’était pas conforme aux normes internationales en la matière. Ce texte imposait de fait l’obligation d’obtenir l’autorisation des pouvoirs publics et limitait les rassemblements à certains lieux précis. Il instituait une discrimination explicite contre les personnes n’ayant pas la nationalité kazakhe, les personnes en situation de handicap mental ou « psychosocial » et les organisations non officiellement reconnues.
Une manifestation pacifique organisée le 6 juin à Almaty a été dispersée, sous prétexte que l’endroit où elle se tenait devait être désinfecté. Des centaines de personnes ont été brièvement détenues. La défenseure des droits humains Assia Toulessova a protesté auprès de policiers contre l’arrestation de manifestant·e·s pacifiques et, ce faisant, a fait tomber la casquette de l’un d’eux. Placée en détention provisoire pendant deux mois malgré les risques liés au COVID-19, elle a été condamnée le 12 août à 18 mois de « restriction de liberté » (peine non privative de liberté s’apparentant au régime de la libération conditionnelle) et à une amende, pour avoir agressé et insulté un policier.
Liberté d’expression
Le président de la République a promulgué en juin une loi dépénalisant la diffamation. Les personnes critiques à l’égard du gouvernement s’exposaient cependant à des poursuites et à de sévères sanctions, car les pouvoirs publics ont profité des mesures décrétées au nom de l’état d’urgence et prévues par l’article 274 du Code pénal (réprimant la « diffusion de fausses informations en connaissance de cause ») pour réprimer la dissidence. Entre les mois de janvier et d’août, 81 actions en justice ont été engagées au titre de l’article 274. Cinq d’entre elles ont atteint le stade du procès.
Le 22 juin, Alnour Iliachev a été reconnu coupable d’infraction à l’article 274 pour trois messages mis en ligne sur les réseaux sociaux, dans lesquels il critiquait la réaction des autorités face au COVID-19 et dénonçait la corruption. Il a été condamné à trois ans de « restriction de liberté », assortis d’une interdiction de tout « militantisme politique et social » pendant cinq ans1.
Prisonnières et prisonniers d’opinion
Malgré la détérioration de son état de santé, Max Bokaïev purgeait toujours la peine de cinq ans d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné pour avoir participé à l’organisation de manifestations pacifiques et pour des commentaires sur les réseaux sociaux. Il avait notamment été reconnu coupable au titre de l’article 174 du Code pénal, qui sanctionne l’« incitation à la discorde sociale, clanique, nationale, ethnique ou religieuse ».
Torture et autres mauvais traitements
La torture et les autres formes de mauvais traitements demeuraient très répandues dans les établissements pénitentiaires. À quelques exceptions près, les autorités n’ont pas mené d’enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur ces agissements.
Un agent du Comité de la sécurité nationale a été condamné le 6 octobre à cinq ans et demi d’emprisonnement pour viol et torture. Victoria Berdkhodjaïeva, une femme transgenre qui purgeait une peine d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire pour femmes, avait accusé ce fonctionnaire de l’avoir violée en juillet 2019. Elle avait auparavant signalé des actes de harcèlement sexuel à son égard de la part du personnel masculin et des comportements discriminatoires de la part de codétenues depuis son arrivée dans l’établissement, en 2017.
Soupçonné de vol de bétail, Azamat Orazali a été arrêté le 17 octobre. Il est mort le même jour en garde à vue, à Makantchi, un village du Kazakhstan oriental. Trois policiers soupçonnés de l’avoir torturé ont été arrêtés. L’affaire était toujours en cours à la fin de l’année.
Défenseures et défenseurs des droits humains
Les défenseur·e·s des droits humains faisaient l’objet de harcèlement et de poursuites. Elena Semionova, une habitante de Pavlodar, dans le nord du Kazakhstan, a fait l’objet de huit plaintes en diffamation devant la justice civile portées contre elle par les responsables de six prisons différentes, parce qu’elle y avait dénoncé des cas présumés de torture. Le 3 juin, un tribunal a estimé qu’elle avait effectivement diffamé le personnel de la Prison 161/2 et lui a ordonné de se rétracter publiquement. Le 3 juillet, elle a perdu le procès en diffamation que lui avait intenté le directeur de la Prison 164/4, située à Zaretchny, un village de la région d’Almaty, pour avoir dénoncé des violences perpétrées par des surveillants sur un prisonnier, le 10 avril. En dépit de rapports médicaux attestant des blessures infligées au détenu, le tribunal a considéré que les informations diffusées par Elena Semionova étaient inexactes et portaient atteinte à la réputation du directeur de la prison. Deux plaintes ont été abandonnées par les plaignants et quatre procédures étaient en cours à la fin de l’année.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
La militante LGBTI Nourbibi Nourkadilova a publié en mai un communiqué diffusé par l’Union européenne et plusieurs ambassades étrangères au Kazakhstan à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. Cette publication a suscité des commentaires homophobes et transphobes, notamment de la part de Kouat Khamitov, un pratiquant connu des arts martiaux mixtes (MMA). Nourbibi Nourkadilova a répondu à ce dernier, en lui révélant qu’elle était elle-même une femme transgenre. Kouat Khamitov a alors ouvertement appelé les gens à s’en prendre aux personnes LGBTI. Les autorités n’ont pas réagi à cet appel à la violence.
Droits des enfants
La fermeture de la frontière avec l’Ouzbékistan du fait de la pandémie a entraîné une pénurie de main-d’œuvre. Radio Azattyk a diffusé en octobre des informations révélant que des enfants travaillaient dans les champs de coton du Turkestan, une région du sud du Kazakhstan, et que certains avaient moins de 16 ans, l’âge minimum légal pour effectuer des travaux légers. Selon la Banque mondiale, le nombre d’élèves du secondaire considérés comme illettrés risquait d’augmenter au Kazakhstan en raison des fermetures d’établissements scolaires liées à la pandémie et des difficultés d’accès à l’enseignement à distance.
Droits des personnes en situation de handicap
Les tribunaux ont cette année encore déchu de leur capacité juridique, et par conséquent de leurs droits les plus fondamentaux, des personnes en situation de handicap mental. En l’absence de tout dispositif permettant de réexaminer ces décisions, il était très rare que les personnes concernées retrouvent plus tard leurs droits. En janvier, un tribunal d’Almaty a toutefois restitué à Vadim Nesterov sa capacité juridique. Diagnostiqué comme porteur d’un « retard mental », il avait été privé de cette capacité à l’âge de 18 ans, alors qu’il vivait dans une institution spécialisée.
Le placement en institution restait la règle pour de nombreuses personnes. En avril, quatre jeunes pensionnaires d’une maison d’accueil pour enfants porteurs d’un handicap située à Aïagouz, dans l’est du Kazakhstan, sont morts de maladie, alors que la majorité du personnel avait été mis en congé sans solde dans le cadre des mesures de confinement. Une enquête a révélé que ce foyer n’avait pas fourni les soins médicaux nécessaires, et des mesures disciplinaires ont été prises contre certains membres du personnel responsables.
Le président de la République, Kassym-Jomart Tokaïev, a annoncé le 22 octobre que le Kazakhstan avait l’intention de ratifier d’ici 2022 le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui permet aux particuliers de porter plainte au titre du traité.