Des cas de torture et d’autres mauvais traitements en garde à vue ont continué d’être signalés. Les autorités n’ont pas pris de mesures suffisantes pour protéger le personnel soignant pendant la pandémie de COVID-19. Les victimes de violences liées au genre se heurtaient à d’importants obstacles lorsqu’elles tentaient de se tourner vers la justice. Le prisonnier d’opinion Azimjan Askarov est mort après avoir contracté une pneumonie en prison. Des défenseur·e·s des droits humains ont été la cible de représailles en raison de leurs activités. De nouvelles mesures législatives proposées risquaient d’imposer des restrictions supplémentaires aux ONG. La police a dispersé une marche pacifique organisée pour la Journée internationale des droits des femmes.
Contexte de la situation des droits humains au Kirghizistan
Les premiers cas de COVID-19 ont été signalés le 18 mars et l’état d’urgence a été instauré du 22 mars au 10 mai. Les restrictions ont été très strictes, certains immeubles ayant été bouclés pour empêcher leurs habitant·e·s de sortir.
Le pays a été plongé dans une période d’instabilité après les élections législatives d’octobre, dont les résultats ont été largement contestés puis annulés à la suite de manifestations de grande ampleur. Plusieurs personnes détenues ont été libérées par des manifestant·e·s, dont Sadyr Japarov, emprisonné en 2017 pour prise d’otages. Sur fond d’amères dissensions concernant la direction du pays, un groupe de parlementaires l’a désigné Premier ministre le 10 octobre. Le président Sooronbaï Jeenbekov a démissionné sous la pression le 15 octobre et Sadyr Japarov a été nommé au poste de président par intérim. Ce dernier a toutefois démissionné en novembre afin de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle prévue pour janvier 2021.
Torture et autres mauvais traitements
Des informations crédibles ont cette année encore fait état de torture et d’autres mauvais traitements en garde à vue. Bobomourod Abdoullaïev, journaliste ouzbek, a été arrêté le 9 août dans la capitale, Bichkek, à la suite d’une demande d’extradition formulée par l’Ouzbékistan. Il n’a pas été autorisé à consulter un avocat, et a par la suite affirmé que les enquêteurs l’avaient torturé le 11 août, en entravant sa respiration à l’aide d’une serviette, pour le contraindre à signer un document. Le 22 août, Bobomourod Abdoullaïev a été renvoyé de force en Ouzbékistan, où il courait un risque réel d’être torturé, alors que sa demande d’asile au Kirghizistan était toujours en instance.
Le Comité des droits de l’homme [ONU] a conclu, en mai et juin respectivement, que le Kirghizistan n’avait pas mené d’enquête indépendante sur les allégations de torture formulées par Choukourillo Osmonov et Janysbek Khalmamatov. Choukourillo Osmonov avait déclaré avoir été torturé en 2011 par quatre policiers qui voulaient le forcer à avouer sa participation aux troubles de grande ampleur survenus à Och en 2010, alors qu’il se trouvait à l’étranger à l’époque. C’est l’enquêteur responsable des investigations à son sujet qui avait été chargé d’enquêter sur ses allégations de torture ; il avait conclu à l’absence de preuves de torture malgré les rapports médicaux et les déclarations de témoins. Choukourillo Osmonov avait ensuite été déclaré coupable d’incendie volontaire, de participation à des émeutes et de meurtre.
Droit à la santé – personnel soignant
Les autorités n’ont pas fait le nécessaire pour protéger les droits du personnel soignant. Les médecins n’ont pas reçu suffisamment d’équipements de protection individuelle en temps voulu, ont dû effectuer un nombre d’heures de travail excessif, ont été soumis à une quarantaine forcée « de type carcéral » dans de mauvaises conditions de sécurité, et étaient mal payés (leurs salaires étant en outre souvent versés en retard). Les indemnisations pour le personnel décédé ou malade du COVID-19 ont été limitées et n’ont pas été versées à toutes les personnes qui auraient pu y prétendre. En outre, les médecins qui ont dénoncé publiquement leurs conditions de travail et le manque d’équipements de protection individuelle ont fait l’objet de représailles.
Violences faites aux femmes et aux filles
Les victimes de violences liées au genre qui cherchaient à obtenir justice se heurtaient à d’importants obstacles, et ne bénéficiaient pas notamment d’un environnement protégé pendant la procédure judiciaire. Elles faisaient souvent l’objet de menaces de la part de l’accusation ou du public, ce qui conduisait nombre d’entre elles à retirer leur plainte. Selon le ministère de l’Intérieur, en 2019, 8 519 cas de violence domestique ont été enregistrés au titre du Code des infractions, mais seuls 554 cas ont donné lieu à un procès (dont les conclusions n’ont pas été communiquées) et 560 faisaient toujours l’objet d’une enquête. Les autres affaires ont été abandonnées car les victimes présumées ont retiré leur plainte ou ont demandé au ministère public de mettre un terme à la procédure. Toujours selon le ministère, entre janvier et mars 2020, le nombre de cas de violence domestique signalés a augmenté de 65 % par rapport à la même période de 2019. En juin, le Code de procédure pénale a été modifié pour permettre à la police de garder à vue les auteurs de violence domestique pour une durée pouvant aller jusqu’à 48 heures.
Défenseures et défenseurs des droits humains
Les défenseur·e·s des droits humains étaient toujours en butte à des actes de harcèlement et de représailles en raison de leurs engagements. Kamil Rouziev, dirigeant de l’organisation de défense des droits humains Ventus, dans la ville de Karakol, a été pris pour cible par le système judiciaire en représailles de son travail en faveur des victimes de la torture. La police l’a arrêté devant un tribunal de Karakol le 29 mai parce qu’il n’avait pas ses papiers d’identité sur lui, tout en sachant pertinemment que les papiers en question avaient été déposés au tribunal. Il a été placé en résidence surveillée le 31 mai pour avoir soi-disant falsifié une lettre d’un hôpital présentée au tribunal pour expliquer pourquoi il avait été absent lors de l’audience en appel d’un de ses clients, alors que des médecins avaient bien confirmé avoir rédigé cette lettre. L’affaire était toujours en instance à la fin de l’année.
Prisonnières et prisonniers d’opinion
Azimjan Askarov est mort en prison le 25 juillet, officiellement d’une pneumonie, malgré les nombreux appels en faveur de sa libération, notamment au vu des risques sanitaires que lui faisait courir la pandémie de COVID-19. Azimjan Askarov avait été condamné à la réclusion à perpétuité en septembre 2010 sur la base de fausses accusations et à l’issue d’un procès inéquitable. Il avait affirmé avoir été torturé pendant sa détention.
Liberté d’association
Le Parlement a adopté en juin, en deuxième lecture, des modifications de la loi sur les ONG qui imposeraient de nouvelles obligations coûteuses en matière d’établissement des états financiers. Les ONG qui ne s’y conformeraient pas risqueraient la dissolution. Ces modifications ont été adoptées sans consultation suffisante – l’accès de la société civile au débat a été limité par les restrictions liées à la pandémie, et aucune possibilité de débattre en ligne n’a été proposée. L’examen en troisième lecture nécessaire à l’adoption définitive du texte n’avait pas encore été programmé à la fin de l’année.
Liberté de réunion
Le 4 mars, le tribunal de district de Pervomaïsk, à Bichkek, a confirmé la décision des autorités de la ville d’interdire une marche pacifique prévue le 8 mars à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, au motif qu’il fallait prendre des mesures pour éviter la propagation du COVID-19. Le tribunal a déclaré que les manifestations pacifiques « perturbaient le fonctionnement habituel de la vie quotidienne dans la capitale » et a imposé une interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes à Bichkek jusqu’au 1er juillet, excepté pour les événements officiels. La police a dispersé une marche pacifique le 8 mars ; elle a arrêté 70 militantes et militants et les a gardés en détention pendant plusieurs heures, avant d’en inculper six de désobéissance à un fonctionnaire de police, une infraction administrative. La marche prévue le 8 mars a finalement eu lieu le 10 mars, et l’interdiction des rassemblements pacifiques a été levée jusqu’à la proclamation de l’état d’urgence plus tard dans le mois.