Pologne - Rapport annuel 2020

carte Pologne rapport annuel amnesty

République de Pologne
Chef de l’État : Andrzej Duda
Chef du gouvernement : Mateusz Morawiecki

Les autorités ont poursuivi leur travail de sape de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elles ont utilisé les mesures de lutte contre la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour réprimer des manifestations pacifiques et limiter l’exercice du droit d’asile. Elles ont eu recours à des poursuites judiciaires pour restreindre la liberté d’expression. Les droits des personnes LGBTI restaient menacés. Les autorités ont cherché à limiter davantage l’accès à l’avortement.

Contexte de la situation des droits humains en Pologne

L’élection présidentielle du mois de mai a été reportée au mois de juillet et s’est déroulée en partie par correspondance, en raison de la pandémie de COVID-19. Pour cette même raison, le gouvernement a interdit en mars tous les rassemblements publics. Les réunions de moins de 150 personnes ont été autorisées en mai mais, en octobre, elles ont été limitées à 10 ou 25 participant·e·s, selon les zones. La législation censée apporter un soutien aux entreprises et aux travailleurs et travailleuses touchés par la pandémie comportait plusieurs dispositions concernant des questions sans rapport avec ce sujet. Elle prévoyait notamment des sanctions renforcées en cas d’avortement illégal ou d’offense au chef de l’État.

Mesures abusives prises par l’État – Indépendance de la justice

Le gouvernement a cette année encore mis en œuvre des changements juridiques et politiques qui ont porté atteinte à l’indépendance de la justice.

Le Parlement a adopté en janvier une nouvelle loi qui restreignait fortement les droits des juges à la liberté d’expression et d’association [1] . Ce texte leur interdisait de mettre en doute les compétences des magistrat·e·s nommés par le chef de l’État. Le substitut du procureur disciplinaire a tenté en août d’entamer une procédure disciplinaire à l’encontre de 1 278 juges qui avaient demandé à l’OSCE d’envoyer des observateurs pour surveiller le scrutin présidentiel.

La Pologne a continué de faire l’objet d’une surveillance de la part de la communauté internationale. Un certain nombre d’affaires mettant en cause l’État et concernant des attaques menées contre l’appareil judiciaire étaient en instance devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le Parlement européen a adopté en septembre une résolution dans laquelle il exprimait sa préoccupation concernant l’indépendance de la justice et les menaces qui pesaient sur l’exercice des droits humains en Pologne.

En avril, la CJUE a rendu une ordonnance de mesures provisoires, exigeant du gouvernement polonais qu’il suspende immédiatement son nouveau régime disciplinaire applicable aux juges. Les autorités ont cependant refusé d’appliquer cette décision, et la Cour suprême a poursuivi l’examen des affaires disciplinaires qui lui étaient soumises. Le vice-ministre de la Justice a déclaré que la CJUE avait porté atteinte à la souveraineté de la Pologne en s’ingérant dans ses affaires intérieures.

En septembre, la CEDH a officiellement demandé une réponse dans l’affaire du juge Igor Tuleya, qui contestait une procédure disciplinaire le visant, au motif qu’elle constituait une violation de ses droits à la vie privée et à la liberté d’expression. Cette procédure avait été engagée par le procureur disciplinaire en 2018. Igor Tuleya avait entre autres soumis à la CJUE une requête d’ordonnance préliminaire statuant sur la compatibilité avec le droit communautaire de la nouvelle législation polonaise affaiblissant l’indépendance de la justice.

Liberté de réunion

Les personnes qui manifestaient pacifiquement contre le gouvernement s’exposaient toujours à une amende ou à la détention ; les mesures de lutte contre la pandémie de COVID-19 étaient invoquées pour réprimer la contestation au-delà de ce qui était nécessaire pour assurer la santé publique [2] .

Au mois de mai, pendant la campagne électorale, la police a procédé à des centaines d’arrestations de manifestant·e·s pacifiques dont le seul tort avait été de s’exprimer dans la rue. De lourdes amendes ont également été imposées, tout particulièrement aux personnes qui exigeaient le respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire ou qui dénonçaient le manque de soutien accordé aux petites entreprises pendant le confinement décrété face à la pandémie. Les manifestant·e·s pacifiques qui s’étaient rassemblés devant la station de radio nationale Trójka pour protester contre la censure dont faisait l’objet une chanson ont été condamnés à verser une amende.

Liberté d’expression et d’association

Une militante et un militant ont été inculpés en juin de « vol avec et sans effraction », pour avoir remplacé des affiches publicitaires placardées sur des abribus par d’autres affiches accusant le gouvernement de manipuler les statistiques relatives au COVID-19 [3] . Ils encouraient jusqu’à 10 années d’emprisonnement. L’affaire était en instance à la fin de l’année.

La défenseure des droits humains Elżbieta Podleśna a été inculpée en juillet d’« offense à des croyances religieuses » pour détention et distribution d’affiches et d’autocollants représentant la Vierge Marie avec une auréole aux couleurs de l’arc-en-ciel.

En août, les ministres de la Justice et de l’Environnement ont proposé un projet de loi imposant aux ONG de déclarer tout financement provenant de l’étranger et d’en indiquer les sources dans un registre public.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Des responsables politiques ont cette année encore tenu un discours anti-LGBTI.

Le président de la République a signé en juillet, avant l’élection présidentielle, un manifeste opposé aux droits des personnes LGBTI, intitulé « Charte de la famille », aux termes duquel il s’engageait à interdire l’égalité devant le mariage, l’adoption par des personnes LGBTI et l’éducation aux droits de ces personnes dans les établissements scolaires.

En août, la police a arrêté 48 militant·e·s LGBTI lors d’une manifestation pacifique contre le placement en détention provisoire d’une figure du mouvement LGBTI. Ils devaient répondre de « participation à un rassemblement illégal ». L’information judiciaire se poursuivait à la fin de l’année.

Une centaine d’administrations locales avaient adopté depuis mars 2019 des résolutions discriminatoires à l’égard des personnes LGBTI, dont certaines dénonçaient explicitement « l’idéologie LGBTI ». Ces textes faisaient parfois référence aux « valeurs traditionnelles » ou aux « droits de la famille ». La Commission européenne a rejeté en juillet six demandes de jumelage émanant de municipalités ayant décrété des « zones sans LGBTI » ou adopté des résolutions sur les « droits de la famille ». La présidente de la Commission européenne a déclaré en septembre que ces prétendues « zones sans LGBTI » étaient en réalité des « zones sans humanité » qui n’avaient pas leur place dans l’UE.

Selon un rapport publié en mai par l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, 15 % des personnes LGBTI vivant en Pologne auraient été victimes d’agressions physiques ou de violences sexuelles au cours des cinq années précédentes. Il s’agissait de la plus forte proportion enregistrée dans l’Union européenne. La plupart des agressions contre des personnes LGBTI signalées aux autorités n’ont pas donné lieu à des poursuites [4] .

Droits sexuels et reproductifs

Les droits sexuels et reproductifs demeuraient la cible d’attaques.

Un débat parlementaire devait se tenir en avril pour examiner deux « initiatives citoyennes » proposant d’ériger en infraction l’éducation sexuelle dans les établissements scolaires et de réduire encore les possibilités d’accès à l’avortement [5] . D’importantes manifestations ont eu lieu, soit virtuellement, soit en respectant la distanciation physique en raison du COVID-19. Les législateurs ont finalement décidé de confier ces deux textes à des commissions parlementaires, repoussant ainsi les débats.

Le ministère de la Justice a annoncé en juillet l’intention de la Pologne de se retirer de la Convention d’Istanbul, traité international contre la violence à l’égard des femmes. Le gouvernement polonais est ouvertement intervenu auprès d’autres pays pour qu’ils fassent de même. Le Premier ministre a fait part de sa volonté de demander à la Cour constitutionnelle de se pencher sur la compatibilité de la Convention avec la Constitution polonaise, estimant que ce traité était « nuisible », dans la mesure où il « comportait des éléments de nature idéologique ».

En octobre, la Cour constitutionnelle polonaise a jugé contraire à la Constitution une interruption de grossesse en raison « d’une anomalie grave et irréversible du fœtus ou d’une maladie incurable potentiellement mortelle pour le fœtus ». Cet arrêt de la Cour constitutionnelle revenait à interdire presque totalement l’avortement en Pologne.

Droits des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile

La CJUE a estimé en avril que la Pologne avait manqué à ses obligations au titre du droit de l’UE en refusant d’accueillir des demandeurs et demandeuses d’asile dans le cadre du dispositif communautaire de relocalisation.

La CEDH a rendu en juillet un arrêt contre la Pologne, considérant que la situation aux points de passage de ses frontières constituait un traitement inhumain ou dégradant, car les autorités refusaient de recevoir les demandes d’asile et procédaient à des expulsions sommaires qui exposaient certaines personnes au risque d’être envoyées de force dans un endroit où elles pourraient être victimes de graves violations des droits humains.

En raison de la pandémie de COVID-19, le Bureau des étrangers a suspendu ses services d’accueil direct et le dépôt des demandes d’asile aux frontières a été limité.

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