Résumé régional Europe et Asie centrale
Les réponses apportées par les gouvernements à la pandémie de COVID-19 ont mis en péril toute une série de droits en Europe et en Asie centrale et ont souligné le coût humain de l’exclusion sociale, des inégalités et des mesures abusives prises par les États. Les moyens insuffisants alloués aux systèmes de santé et le manque d’équipements de protection individuelle adaptés ont fait monter les taux de mortalité. Des obstacles ont entravé l’accès des travailleuses et travailleurs à la protection sociale, et les mesures de santé publique qui ont été prises ont touché de manière disproportionnée les personnes et les groupes marginalisés. Nombre de gouvernements se sont en outre servis de la pandémie comme d’un écran de fumée, l’utilisant comme prétexte pour accaparer le pouvoir, réprimer les libertés et faire fi de leurs obligations en matière de droits humains.
Dans un certain nombre de pays, les autorités ont poursuivi leur travail de sape de l’indépendance de la justice. Au Bélarus, les résultats contestés de l’élection présidentielle ont provoqué une crise majeure des droits humains, marquée par l’abandon de tout semblant de respect du droit à un procès équitable et de l’obligation de rendre des comptes. Plusieurs conflits non résolus dans la région ont affecté, entre autres, le droit de circuler librement et le droit à la santé. Dans le cadre du conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, toutes les parties ont utilisé des armes à sous-munitions dans des zones civiles et commis des crimes de guerre.
L’espace dévolu aux défenseur·e·s des droits humains s’est rétréci, sous l’effet de lois restrictives et d’une baisse des financements liée à la pandémie. Les organisations de soutien aux victimes ont signalé une hausse de la violence domestique pendant les périodes de confinement décrétées dans le cadre de la lutte contre le COVID-19, mesures qui ont par ailleurs limité l’accès aux services d’aide.
La pandémie a également accentué le caractère déjà précaire de la situation des personnes réfugiées et migrantes. Plusieurs pays ont différé ou suspendu les demandes d’asile et un grand nombre de réfugié·e·s et de migrant·e·s, contraints de vivre entassés dans des conditions insalubres, se sont retrouvés particulièrement exposés à la maladie. Les États n’ont pas fixé d’objectifs suffisants en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour permettre d’éviter les pires conséquences de la crise climatique en matière de droits humains. Les attaques contre le cadre européen de protection des droits fondamentaux se sont poursuivies. Des armes ont cette année encore été vendues à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, malgré le risque qu’elles soient utilisées pour commettre des atteintes aux droits humains dans le cadre du conflit au Yémen.
Droit à la santé et à la protection sociale
La région Europe et Asie centrale a été frappée de plein fouet par la pandémie de COVID-19. Environ 27 millions de cas de contamination et 585 000 décès y avaient été enregistrés à la fin de l’année, soit près du tiers des victimes mondiales. Ces chiffres étaient probablement inférieurs à la réalité car tous les cas n’ont sans doute pas été déclarés, parfois de façon délibérée comme au Turkménistan. La réaction des gouvernements face à la pandémie a été extrêmement variable, comme l’a été la qualité des soins prodigués et de la collecte des données, ce qui expliquait la grande disparité des taux de contamination et de mortalité entre les différents pays.
En outre, le nombre de personnes infectées et de décès variait beaucoup en fonction des catégories de population. Selon l’OMS, dans certains pays, les personnes âgées vivant dans des établissements de long séjour représentaient jusqu’à 50 % des cas mortels. Les personnes travaillant dans ce type d’établissements et les professionnel·le·s de santé ont été davantage contaminés que le reste de la population, avec un taux de mortalité supérieur, parfois parce qu’ils manquaient d’équipements de protection individuelle adaptés. Au mois de septembre, le Royaume-Uni, la Russie, l’Italie, le Kirghizistan et l’Espagne étaient les pays qui avaient enregistré les taux de mortalité les plus élevés parmi le personnel soignant. La pandémie a mis en évidence l’affaiblissement des systèmes de santé de nombreux pays d’Europe occidentale après des années de mesures d’austérité, ainsi que le manque de moyens chroniques dont souffraient les infrastructures sanitaires des pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale.
Les mesures de confinement prises pour lutter contre le COVID-19 ont eu des répercussions immédiates sur l’économie et sur les droits des travailleuses et travailleurs. Nombre d’entre eux, en particulier lorsqu’ils étaient employés dans le secteur informel, ont rencontré des difficultés pour accéder aux programmes de protection sociale (congés, arrêts maladie, dispositifs divers de maintien des revenus, etc.). Les plus durement touchés ont été les personnes qui vivaient d’emplois précaires, les travailleuses et travailleurs saisonniers, le personnel de nettoyage, les employé·e·s des foyers et des maisons de retraite, et les travailleuses et travailleurs du sexe. La pandémie a révélé à quel point le rôle des travailleuses et travailleurs migrants était essentiel dans certains secteurs, comme celui de l’agriculture. Certains pays, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, n’ont d’ailleurs pas hésité à faire venir ces personnes par avion en plein premier confinement, tandis que d’autres, comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal s’empressaient d’en régulariser un certain nombre.
Dans beaucoup de pays, les personnes de couleur ou appartenant à des minorités ethniques ont été contaminées de façon disproportionnée et affichaient un taux de mortalité supérieur à la moyenne. Cette situation était symptomatique des multiples problèmes auxquels étaient confrontées ces populations, tels que la difficulté d’accéder à des soins de santé satisfaisants et la plus forte prévalence de certaines pathologies – problèmes exacerbés par la pauvreté, le racisme institutionnalisé et la discrimination. De manière générale, les pouvoirs publics n’ont pas tenu les promesses faites initialement de libérer les détenu·e·s âgés ou mineurs, les mères de famille ou les personnes souffrant de maladies chroniques. La mort le 25 juillet, au Kirghizistan, du défenseur des droits humains et prisonnier d’opinion Azimjan Askarov, qui aurait succombé à une pneumonie, est un exemple tragique des conséquences de ce renoncement. Azimjan Askarov avait été condamné en 2010 à la perpétuité sur la foi d’éléments frauduleux, et des appels avaient été lancés à maintes reprises en faveur de sa libération, notamment parce que le COVID-19 représentait un risque pour sa santé.
Les gouvernements doivent enquêter sur le nombre particulièrement élevé de décès dans certains milieux, tels que les maisons de retraite, et sur le manque d’équipements de protection individuelle adaptés. Il est également urgent d’assurer l’accès aux vaccins sur un pied d’égalité, au niveau national et entre les différents pays. Les États doivent impérativement coopérer pour que les traitements et les vaccins soient acceptables, abordables, accessibles et disponibles pour tous et toutes.
Mesures abusives prises par l’État
Près de la moitié des pays de la région ont instauré l’état d’urgence face au COVID-19. Les gouvernements ont limité non seulement la liberté de circuler, mais également d’autres droits fondamentaux, tels que les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Certains mouvements politiques ont cherché à s’approprier le discours relatif aux droits humains pour s’opposer aux mesures de confinement ou au port du masque, mais le nombre de victimes du virus a rappelé l’importance de s’en tenir aux données scientifiques et aux faits. Le président bélarussien Alexandre Loukachenka a par exemple choisi d’ignorer la réalité en qualifiant la pandémie de « psychose ».
Un nombre record de pays (10 au milieu de l’année) ont décidé de déroger à des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, parfois de façon prolongée. S’il est vrai qu’en temps de crise un pays peut, sous certaines conditions, déroger à quelques-unes de ses obligations en matière de droits humains, les restrictions imposées doivent être temporaires, nécessaires et proportionnées.
L’application de certaines mesures de santé publique en lien avec le COVID-19, telles que les mesures de confinement, a touché de façon disproportionnée les personnes et les groupes marginalisés, qui ont fait l’objet de violences, de contrôles d’identité discriminatoires, de placements en quarantaine forcée et d’amendes. Ces pratiques ont mis en évidence le racisme institutionnel, la discrimination et le non-respect de l’obligation de rendre des comptes en cas d’allégations de recours illégal à la force par des responsables de l’application des lois. En Bulgarie, à Chypre, en France, en Grèce, en Hongrie, en Russie, en Serbie et en Slovaquie, des Roms et des personnes en mouvement, notamment des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile, ont été placés en « quarantaine forcée » de façon discriminatoire. Des observateurs et observatrices ont constaté que, dans des pays comme la Belgique, l’Espagne, la France, la Géorgie, la Grèce, l’Italie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Pologne ou la Roumanie, des responsables de l’application des lois avaient fait un usage illégal de la force et commis diverses autres violations. En Azerbaïdjan, les arrestations pour raison politique se sont multipliées, sous prétexte de lutte contre la propagation de la pandémie. Des personnes critiques à l’égard du régime ont été interpellées, le chef de l’État ayant déclaré en mars qu’il allait « isoler » et « nettoyer » l’opposition.
Là où les libertés étaient déjà extrêmement encadrées, l’étau s’est bien souvent un peu plus resserré en 2020. Les autorités russes ne se sont plus contentées de qualifier des organisations d’« agents de l’étranger » ; elles ont aussi appliqué ce qualificatif à des particuliers et ont renforcé la répression des manifestations individuelles. Les gouvernements du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan ont adopté ou proposé d’adopter de nouvelles lois restreignant le droit de réunion. Lorsque de nombreux citoyen·ne·s du Bélarus sont descendus dans la rue pour protester contre des fraudes électorales présumées, la police a réagi avec une violence sans précédent, notamment par des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Les autorités ont cherché à faire taire sans ménagement les voix indépendantes, multipliant les arrestations arbitraires, les poursuites judiciaires ouvertes pour des motivations politiques et d’autres formes de représailles contre les candidat·e·s d’opposition et leurs sympathisant·e·s, ainsi que contre les militant·e·s politiques et de la société civile et la presse indépendante.
Alors qu’il était urgent de disposer de données précises, pertinentes et fondées sur une approche scientifique pour combattre la pandémie, un certain nombre de gouvernements ont imposé des restrictions injustifiées à la liberté d’expression et à l’accès à l’information. En Arménie, en Azerbaïdjan, au Bélarus, en Bosnie-Herzégovine, en France, en Hongrie, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Pologne, en Roumanie, en Russie, en Serbie, au Tadjikistan, en Turquie et au Turkménistan, le pouvoir a fait un usage abusif de lois existantes ou nouvellement adoptées pour limiter la liberté d’expression.
Plusieurs États n’ont pas pris des mesures suffisantes pour protéger les journalistes et les lanceurs et lanceuses d’alertes, notamment parmi le personnel soignant, allant parfois jusqu’à s’en prendre à celles et ceux qui critiquaient l’action du gouvernement face au COVID-19. Cela a été le cas en Albanie, en Arménie, au Bélarus, en Bosnie-Herzégovine, en Hongrie, au Kazakhstan, au Kosovo, en Ouzbékistan, en Pologne, en Russie, en Serbie, en Ukraine et en Turquie. Au Tadjikistan comme au Turkménistan, les membres du personnel soignant et les autres travailleuses et travailleurs essentiels n’osaient pas s’exprimer, dans un contexte où la liberté d’expression était déjà extrêmement limitée. En Turquie, le gouvernement a piloté des armées de trolls et mis en place des restrictions et des fausses routes sur Internet pour empêcher l’accès à certains sites et comptes, ainsi qu’aux informations qui le dérangeaient.
Certains pays, comme la Hongrie, ont fait un amalgame entre crise sanitaire et sécurité publique. En France et en Turquie, par exemple, des lois sur la sécurité nationale ont été adoptées à la hâte, dans le cadre de procédures expéditives. Ailleurs, comme en Russie, les autorités ont renforcé leurs capacités de surveillance et recueilli les données personnelles des individus, parfois pour les divulguer ensuite, ce qui constituait une menace durable pour certains droits fondamentaux, dont le droit au respect de la vie privée. Le programme de lutte antiterroriste adopté en décembre par l’UE promettait de mettre la puissance de la technologie au service de la prévention des attentats. Or, ce programme prévoyait de développer considérablement les capacités de surveillance et le recours aux technologies dites « prédictives », au détriment de la liberté d’expression et du droit au respect de la vie privée, du droit à un procès équitable et du droit de ne pas faire l’objet de discrimination.
Les gouvernements doivent cesser de se servir de la pandémie comme prétexte pour réprimer la dissidence. Ils doivent modérer l’action de la police, veiller à ce que tout auteur d’abus soit soumis à l’obligation de rendre des comptes et arrêter le glissement actuel vers une société de la surveillance.
Remise en cause de l’indépendance de la justice
Les gouvernements d’un certain nombre de pays ont continué d’appliquer une politique entraînant une érosion progressive de l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’une des mesures les plus répandues consistait à prendre des sanctions disciplinaires contre les juges ou à s’ingérer dans la procédure de nomination ou de titularisation des magistrat·e·s lorsqu’ils émettaient des critiques à l’égard des autorités ou prononçaient des jugements allant à l’encontre des désirs de l’exécutif.
En Pologne, le Parlement a adopté une nouvelle loi qui interdisait aux magistrat·e·s de remettre en question les compétences des juges nommés par le président de la Chambre disciplinaire de la Cour suprême. L’État a entamé une procédure disciplinaire à l’encontre de 1 278 juges qui avaient demandé à l’OSCE d’envoyer des observateurs pour s’assurer du bon déroulement de l’élection présidentielle. Le gouvernement polonais a refusé de se soumettre à l’arrêt rendu au mois d’avril par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui lui demandait de suspendre immédiatement son nouveau dispositif de procédures disciplinaires à l’encontre des magistrat·e·s.
En Hongrie, des membres haut placés du gouvernement ont contesté des décisions de justice dans des déclarations officielles et dans la presse, retardant leur application. En Turquie, le Conseil des juges et des procureurs a engagé une procédure disciplinaire à l’encontre des trois juges qui avaient acquitté les accusé·e·s du procès du parc Gezi, décision dénoncée par le chef de l’État.
Les autorités turques ont également affaibli les garanties d’équité des procès, en adoptant des mesures destinées à contrôler le barreau et en s’en prenant directement à certains avocat·e·s en raison de leurs activités professionnelles. Le Parlement a voté en juillet une loi qui modifiait l’organisation des associations du barreau, réduisant leur capacité à exprimer leurs préoccupations sur certains sujets, tels que le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et les droits humains. En septembre, 47 avocat·e·s soupçonnés d’« appartenance à une organisation terroriste » ont été arrêtés par la police. Les accusations portées contre eux étaient uniquement fondées sur leurs activités professionnelles. Toujours au mois de septembre, la Cour de cassation a confirmé les peines d’emprisonnement auxquelles avaient été condamnés 14 avocat·e·s poursuivis au titre de la législation antiterroriste.
En Russie et dans une grande partie de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale, les violations du droit à un procès équitable ont été fréquentes, les autorités invoquant notamment la pandémie pour refuser aux détenu·e·s le droit de s’entretenir avec leurs avocat·e·s et interdire la présence d’observateurs ou observatrices lors des procès. Pendant la crise des droits humains qui a éclaté au Bélarus, tout semblant de respect du droit à un procès équitable et de l’obligation de rendre des comptes a disparu. Non seulement les homicides et les cas de torture sur la personne de manifestant·e·s pacifiques n’ont pas donné lieu à des enquêtes, mais les autorités ont également tout fait pour empêcher les victimes de violations de porter plainte.
Les gouvernements doivent veiller au respect de l’état de droit, protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire et faire appliquer les garanties de procès équitable.
Atteintes aux droits humains dans les zones de conflit
Dans plusieurs pays de l’ex-Union soviétique, des conflits retardaient toujours le développement humain et la coopération régionale. Les lignes de démarcation établies le long de territoires non reconnus par la communauté internationale portaient atteinte aux droits des personnes habitant de part et d’autre.
En Géorgie, la Russie et les territoires sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud (région de Tskhinvali) continuaient d’imposer des restrictions du droit de circuler librement entre les secteurs sous leur contrôle et le reste du pays, en installant notamment de nouvelles barrières matérielles. Les points de passage fermés en 2019 n’ont pas été rouverts et au moins 10 personnes seraient décédées après s’être vu refuser l’autorisation d’aller se faire soigner en territoire contrôlé par le gouvernement géorgien. En Moldavie, les autorités de fait de la région de Transnistrie, non reconnue par la communauté internationale, ont mis en place des restrictions sur les déplacements en provenance du territoire sous contrôle du gouvernement moldave, ce qui a affecté les approvisionnements en produits et matériels médicaux destinés à la population locale. En Ukraine, aussi bien les forces régulières que les séparatistes de l’est du pays soutenus par la Russie ont imposé des restrictions concernant le franchissement de la ligne de contact, souvent dans ce qui semblait être une logique de représailles réciproques. Le nombre de passages de la ligne de démarcation dans les deux sens est tombé d’un million par mois en moyenne à quelques dizaines de milliers au mois d’octobre. En raison de ces mesures, auxquelles s’en sont ajoutées d’autres liées au COVID-19, de nombreuses personnes n’ont pas pu voir leur famille, bénéficier de certains soins de santé, toucher leur retraite ou se rendre sur leur lieu de travail. Les personnes âgées et les catégories vulnérables ont été parmi les plus durement touchées.
Les combats les plus graves ont eu lieu en septembre, lorsque des affrontements violents ont éclaté entre, d’un côté, l’Azerbaïdjan et, de l’autre, l’Arménie et les forces soutenues par cette dernière dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, en territoire azerbaïdjanais. Ces combats ont fait plus de 5 000 morts. Toutes les parties au conflit ont fait usage d’armes explosives couvrant un large périmètre (missiles balistiques, tirs de roquettes notoirement imprécis, etc.) dans des zones civiles densément peuplées, tuant et blessant des civil·e·s et provoquant d’importants dégâts dans les secteurs touchés. Des armes à sous-munitions, prohibées par le droit international humanitaire, ont été utilisées contre Stepanakert/Khankendi, capitale du Haut-Karabakh, et contre la localité de Barda, située dans une zone contrôlée par le gouvernement azerbaïdjanais. Les forces azerbaïdjanaises comme arméniennes ont commis des crimes de guerre, dont des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture sur des prisonniers, ainsi que des profanations de cadavres ennemis.
Toutes les parties aux différents conflits doivent respecter pleinement le droit international humanitaire et protéger la population civile des effets des hostilités. Toute restriction du droit de circuler librement doit être strictement nécessaire, dictée par de réelles considérations militaires et de sécurité, et proportionnée.
Défenseures et défenseurs des droits humains
Certains gouvernements ont encore restreint l’espace dans lequel les défenseur·e·s des droits humains et les ONG pouvaient s’exprimer, en appliquant des mesures législatives et des politiques répressives et en tenant un discours de stigmatisation. Cette tendance s’est accélérée pendant la pandémie. Les rangs de la société civile se sont clairsemés à mesure que se tarissaient les sources de financement en provenance aussi bien des particuliers que des fondations, des entreprises et des États, en raison des difficultés économiques induites par la crise du COVID-19.
En Turquie, les autorités ont poursuivi leur politique de répression et de harcèlement des ONG, des défenseur·e·s des droits humains et des voix dissidentes, tout en refusant d’appliquer un arrêt majeur de la Cour européenne des droits de l’homme ordonnant la libération immédiate du militant de la société civile Osman Kavala, injustement incarcéré. Les gouvernements du Kazakhstan et de Russie ont poursuivi leur offensive visant à réduire les ONG au silence par des campagnes de diffamation. L’administration fiscale kazakhe a menacé de suspension plus d’une dizaine d’ONG de défense des droits humains en raison d’infractions supposées aux règles de déclaration des revenus provenant de l’étranger. En Russie, les manifestant·e·s pacifiques, les défenseur·e·s des droits humains et les militant·e·s civils et politiques s’exposaient à des arrestations et à des poursuites. Au Kirghizistan, un projet de modification de la législation régissant les ONG prévoyait d’imposer de lourdes contraintes à ces dernières en matière de rapports financiers.
Sur fond de lutte contre le terrorisme, la France et l’Autriche ont entrepris de dissoudre un certain nombre d’associations musulmanes selon des procédures problématiques. Un durcissement de la législation sur les ONG a été évoqué en Bulgarie, en Grèce, en Pologne et en Serbie. Dans d’autres pays, comme en France, en Italie ou à Malte, les autorités ont continué d’entraver, voire d’incriminer, l’action des ONG mobilisées pour porter secours ou pour fournir une aide humanitaire aux personnes migrantes ou demandeuses d’asile.
Note positive dans ce tableau assez sombre, la CJUE a retoqué la loi restrictive sur les ONG adoptée en 2017 par la Hongrie, la jugeant contraire au droit de l’UE. On a également assisté cette année à une montée en puissance des mouvements en faveur de la défense de l’environnement, de l’obligation de rendre des comptes, des droits des femmes et de la lutte contre le racisme. Des manifestations ont été organisées pour dénoncer les résultats de l’élection présidentielle au Bélarus, la corruption en Bulgarie et les mesures répressives prises par le nouveau gouvernement slovène. Des milliers de manifestant·e·s se sont opposés en France à un nouveau projet de loi controversé sur la sécurité et, en Pologne, à un jugement qui limitait encore davantage l’accès à l’avortement sécurisé.
Les États doivent cesser de jeter le discrédit sur les ONG et les défenseur·e·s des droits humains, et doivent créer un environnement sûr et favorable dans lequel il est possible de défendre et de promouvoir les droits humains sans crainte de sanctions, de représailles ou d’intimidation.
Droits des femmes et droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Dans de nombreux pays, la dynamique de la lutte contre la violence domestique s’est enrayée, voire s’est inversée. Aucune nouvelle signature ou ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) n’a été enregistrée durant l’année. Pire, le Parlement hongrois a refusé de ratifier ce traité, tandis que le ministre de la Justice polonais faisait part de l’intention de son pays de s’en retirer et que le président turc suggérait de faire de même.
Pendant le confinement, de nombreuses femmes se sont retrouvées contraintes à un huis clos en compagnie d’un conjoint violent. Dans certains pays, les organisations de soutien aux victimes ont signalé une hausse de la violence domestique, à un moment où l’accès aux services d’aide était plus difficile. En Ukraine comme dans bon nombre d’autres pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, les mesures de confinement très strictes adoptées ont souvent empêché les victimes d’accéder à l’aide juridique gratuite en ligne qui leur était proposée, car elles continuaient de vivre sous le même toit que leur agresseur. Beaucoup étaient dans l’impossibilité de se rendre dans un centre d’accueil. Certains États membres de l’Union européenne ont pris des mesures spéciales destinées à aider les victimes pendant la pandémie, préférant louer des chambres d’hôtel plutôt que d’envoyer les femmes battues dans des foyers où le risque de contracter le virus était plus important, ou mettant en place de nouvelles lignes téléphoniques d’urgence. Plusieurs pays, comme la Croatie, le Danemark, l’Espagne et les Pays-Bas, ont enfin entrepris de modifier leur législation sur le viol, pour y intégrer la notion de consentement.
Dans certains pays, durant les périodes de confinement, l’interruption de grossesse a été considérée comme un traitement médical non essentiel, ce qui constituait une entrave de plus empêchant les femmes de jouir pleinement de leurs droits sexuels et reproductifs. Si, en Slovaquie, une proposition de loi visant à restreindre encore davantage l’accès à l’avortement a été rejetée à une courte majorité, en Pologne, le Tribunal constitutionnel a annulé une disposition qui permettait aux femmes de mettre un terme à leur grossesse en cas d’anomalie grave ou mortelle du fœtus. Cette dernière décision a entraîné d’importantes manifestations dans le pays. Les manifestant·e·s pacifiques se sont heurtés à une violente réaction de la police et certain·e·s ont fait l’objet de poursuites administratives et pénales. En Grèce, 11 militant·e·s des droits des femmes ont été arrêtés et inculpés d’atteinte à la réglementation en matière de santé publique, pour avoir mené une action symbolique contre les violences liées au genre.
Dans plusieurs pays, des personnalités politiques et religieuses se sont servies du COVID-19 comme excuse pour tenir des propos hostiles à l’égard des personnes LGBTI, accusées d’être responsables de la pandémie. Un certain nombre d’observateurs et observatrices ont par ailleurs relevé des pics de violence domestique contre les personnes LGBTI, en lien avec la pandémie de COVID-19. Plusieurs pays ont profité de la pandémie pour limiter l’accès aux thérapies hormonales et, plus généralement, aux traitements médicaux destinés aux personnes transgenres. En Pologne, un certain nombre de collectivités locales se sont déclarées « zones sans LGBTI » et le président sortant Andrzej Duda a tenu un discours hostile aux personnes LGBTI pendant la campagne qu’il a menée en vue de sa réélection. À la fin de l’année, le gouvernement hongrois a soumis un ensemble de propositions législatives limitant les droits des personnes LGBTI. Dans le même esprit, le Parlement roumain a adopté une loi qui interdisait l’enseignement des questions relatives à l’identité de genre. Un recours contre ce texte était en instance devant la Cour constitutionnelle à la fin de l’année.
Les États doivent renforcer les services d’aide aux femmes et aux personnes LGBTI victimes de violence domestique et lever les obstacles à la pleine jouissance des droits sexuels et reproductifs. Ils doivent de manière générale combattre la discrimination contre les femmes et les personnes LGBTI.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Le COVID-19 n’a fait qu’aggraver la situation déjà précaire dans laquelle se trouvaient les réfugié·e·s et les migrant·e·s. Plusieurs pays ont différé ou suspendu le traitement des demandes d’asile. Les réfugié·e·s et les migrant·e·s, qui vivaient souvent dans des centres de détention, des camps ou des squats surpeuplés et insalubres, étaient particulièrement exposés au COVID-19. Le cas du camp de Moria, sur l’île grecque de Lesbos, est à cet égard emblématique. L’incendie qui l’a ravagé a laissé sans abri 13 000 personnes réfugiées et migrantes. Les fermetures de frontières ont privé les travailleuses et travailleurs saisonniers et migrants de leurs moyens de subsistance et leurs familles des envois de fonds afférents, notamment en Asie centrale.
Les renvois forcés illégaux (pushbacks) et les violences ont cette année encore été fréquents, le long des frontières terrestres comme maritimes. La Turquie n’a pas hésité à instrumentaliser les réfugié·e·s et les migrant·e·s à des fins politiques, se livrant à une manœuvre aussi cynique que dangereuse en les encourageant à rallier la frontière terrestre avec la Grèce, y compris, parfois, en mettant des moyens de transport à leur disposition. Les autorités grecques ont de leur côté commis des violations des droits humains contre des personnes en mouvement, usant d’une force excessive, utilisant des munitions réelles et se livrant à des brutalités et à des renvois forcés illégaux vers la Turquie. La Croatie a continué d’expulser de force des demandeurs et demandeuses d’asile, de manière souvent violente et attentatoire aux droits humains. Dans tout le sud de l’Europe, les États ont empêché des navires circulant en Méditerranée de débarquer des migrant·e·s et des réfugié·e·s secourus en mer, les laissant bloqués à bord pendant de longues périodes. Cherchant manifestement à contourner leurs obligations en matière d’interdiction des renvois forcés illégaux, l’Italie, Malte et l’UE ont poursuivi leur coopération avec la Libye, où les migrant·e·s et les réfugié·e·s débarqués étaient victimes de graves atteintes aux droits humains. L’UE a commencé à débattre d’un nouveau pacte sur l’immigration, qui s’inscrivait dans la continuité de l’axe principal de sa politique consistant à décourager les migrations plutôt qu’à les gérer de façon conforme aux droits fondamentaux des personnes.
Les États doivent élargir les voies de migration légales et sûres afin de permettre aux personnes ayant besoin d’une protection de se rendre en Europe. Ils doivent notamment fournir des visas humanitaires et proposer des mesures de réinstallation, de parrainage citoyen et de rapprochement familial.
Lutte contre le changement climatique et responsabilité des entreprises
Le Conseil européen a décidé en décembre de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030. Bien que ce nouvel objectif constitue un progrès par rapport au précédent, il restait en deçà de ce qui serait nécessaire pour éviter les pires conséquences que la crise climatique pourrait avoir pour les droits humains. Il faisait en outre peser une responsabilité excessive sur les pays en développement. Au niveau national, l’immense majorité des pays européens ayant fait part de leur intention de parvenir à zéro émission continuaient de se fixer 2050 pour horizon. Or, pour éviter que les populations subissent de graves préjudices, en Europe comme ailleurs, il est impératif d’atteindre la neutralité carbone bien avant cette date. En outre, les plans censés permettre l’avènement d’une telle neutralité comportaient le plus souvent des failles susceptibles de retarder l’action pour le climat, ainsi que des mesures allant à l’encontre du respect des droits humains. Plusieurs pays, dont l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Russie, ont permis à des entreprises très émettrices de carbone, telles que les acteurs du secteur des énergies fossiles ou de l’aéronautique, de bénéficier de mesures de relance économique (allègements fiscaux, prêts, etc.), sans les assortir de la moindre condition de réduction de leur empreinte carbone.
Les recours judiciaires engagés dans le cadre de la lutte contre la crise climatique contre les gouvernements et les entreprises se sont multipliés. De nouvelles procédures ont été intentées, entre autres, en Allemagne, en Espagne, en France (en application de la récente Loi relative au devoir de vigilance), en Pologne et au Royaume-Uni. Six jeunes Portugais·e·s ont en outre introduit un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme contre 33 États membres du Conseil de l’Europe. La Cour suprême irlandaise a sommé le gouvernement de Dublin d’adopter des objectifs de réduction des émissions plus ambitieux. Le Tribunal fédéral suisse a en revanche rejeté une requête allant dans le même sens.
Après des années de mobilisation de la société civile et des syndicats, la Commission européenne a enfin mis en chantier l’élaboration d’une législation qui obligerait les grandes entreprises à respecter les droits humains et les normes environnementales dans l’ensemble de leurs chaînes de valeur mondiales. En novembre, alors qu’une majorité d’électeurs et d’électrices suisses avaient voté en faveur de l’adoption d’une loi analogue dans leur pays, l’initiative a échoué faute d’avoir reçu le soutien de la majorité des cantons.
Les gouvernements doivent revoir leurs calendriers de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de mise en place de la neutralité carbone afin d’avancer plus rapidement, en éliminant les failles qui retardent l’action pour le climat. Ils doivent conditionner toute mesure de soutien économique destinée à des entreprises fortement émettrices à l’engagement d’abandonner progressivement les carburants fossiles dans des délais bien précis. Les législateurs et législatrices de l’UE doivent veiller à ce que la loi tienne effectivement les entreprises pour responsables des atteintes aux droits humains et à l’environnement commises au sein de leur chaîne de valeur et offre des voies de recours aux victimes.
Protection des droits humains dans la région et dans le monde
Les coups de boutoir contre le cadre européen de protection des droits humains se sont poursuivis en 2020. Au sein de l’OSCE, les États membres n’ont pas pu se mettre d’accord sur les personnes à placer à la tête des grandes institutions chargées des droits fondamentaux en remplacement des dirigeant·e·s précédents qui avaient terminé leur mandat. Plusieurs mois se sont écoulés avant que des nominations ne soient approuvées. Des États membres du Conseil de l’Europe ont cette année encore différé l’application de l’intégralité ou d’une partie des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme. Signe frappant de la régression actuelle, le nombre d’arrêts concluant à la violation de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit toute restriction des droits pour des raisons autres que celles définies dans ladite Convention, était en augmentation. Plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, comme l’Azerbaïdjan, la Russie et la Turquie, ont été déclarés coupables d’avoir placé en détention ou poursuivi en justice de manière abusive des individus, ou d’avoir limité plus généralement leurs droits de façon illégitime. Or, les atteintes à cet article 18 doivent résonner comme autant de signaux d’alarme, car elles traduisent l’existence d’une réelle répression politique.
L’UE avait toujours bien du mal à s’opposer à l’érosion de l’état de droit à l’œuvre en Hongrie et en Pologne. Elle a cependant enclenché une procédure à l’encontre de ces deux pays, estimant qu’il existait un risque de violation grave de ses valeurs fondatrices. Les États membres de l’UE se sont mis d’accord à la fin de l’année pour conditionner tout financement, et notamment les fonds destinés à la relance d’après COVID-19 et à la lutte contre le changement climatique, au respect de l’état de droit. La manière dont cette condition pourrait être appliquée restait cependant à préciser. En dépit d’un certain nombre d’arrêts importants prononcés par la CJUE concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire et les attaques contre les ONG, l’incapacité de l’Union européenne à inverser ou même à stopper la tendance au rétrécissement de l’espace dévolu aux organisations non gouvernementales et à la multiplication des atteintes aux droits humains perpétrées dans le cadre du phénomène migratoire a mis à rude épreuve sa propre cohérence, aussi bien interne qu’externe, et a affecté la crédibilité de son engagement en faveur des droits fondamentaux dans le cadre de sa politique étrangère.
En Europe de l’Est et en Asie centrale, l’influence politique, économique et parfois militaire de la Russie et de la Chine continuait de se faire sentir, affaiblissant le cadre international de protection des droits humains et les institutions chargées de le faire respecter. La Russie a apporté un soutien financier et médiatique à des autorités bélarussiennes engagées dans une confrontation violente et de grande ampleur avec la population, tandis que l’UE, les Nations unies et les institutions régionales de défense des droits humains se montraient incapables d’exercer une pression politique suffisante pour faire cesser les graves abus perpétrés. En Europe de l’Ouest, des pays comme la Belgique, la France, la République tchèque ou le Royaume-Uni ont autorisé des ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, malgré la forte probabilité que celles-ci soient utilisées pour commettre des atteintes aux droits humains dans le cadre du conflit au Yémen.
En dépit de tous ces problèmes internes, l’UE et ses États membres restaient des acteurs importants de la promotion des droits fondamentaux de la personne dans le monde. L’UE a pris en 2020 un certain nombre de mesures déterminantes destinées à renforcer sa politique en matière de droits humains, adoptant notamment un nouveau Plan d’action en faveur des droits de l’homme.
Les États doivent s’acquitter des obligations qui sont les leurs aux termes des traités qu’ils ont eux-mêmes choisi de signer, et respecter le cadre de protection des droits humains dont ils font partie. Lorsqu’ils se sont engagés à honorer les décisions des tribunaux internationaux compétents en matière de droits humains, ils doivent appliquer ces décisions.