Qatar - Rapport annuel 2020

carte Qatar rapport annuel amnesty

État du Qatar
Chef de l’État : Tamim bin Hamad bin Khalifa Al Thani
Chef du gouvernement : Khalid bin Khalifa bin Abdulaziz Al Thani (a remplacé Abdullah bin Nasser bin Khalifa Al Thani en janvier)

De nouvelles lois apportant une meilleure protection juridique aux travailleuses et travailleurs migrants ont été adoptées. Malgré les mesures prises par le gouvernement pour endiguer la propagation du COVID-19, les travailleuses et travailleurs migrants ont été les personnes les plus exposées aux effets de cette pandémie. Le gouvernement a encore renforcé les restrictions à l’exercice de la liberté d’expression. Les femmes étaient toujours en butte à la discrimination dans la législation et dans la pratique. Après une trêve de 20 ans, les exécutions ont repris.

Contexte de la situation des droits humains au Qatar

La crise qui avait débuté dans la région du Golfe en 2017, caractérisée par une rupture des relations entre le Qatar d’une part et l’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Égypte et les Émirats arabes unis d’autre part, s’est poursuivie.

En janvier, l’émir a nommé Khalid bin Khalifa bin Abdulaziz Al Thani au poste de Premier ministre et a formé un nouveau gouvernement.

En mars, le gouvernement a adopté une série de mesures pour endiguer la propagation du COVID-19, telles que la gratuité des soins de santé, et a accordé une aide financière aux entreprises. L’émir a également modifié la Loi relative à la prévention des maladies infectieuses, alourdissant les peines d’amende et d’emprisonnement encourues par les contrevenant·e·s, et a créé une unité spéciale du parquet chargée des poursuites en la matière.

L’émir a annoncé en novembre que les élections au Conseil consultatif (organe fonctionnant comme un quasi-parlement), promises de longue date, se tiendraient en 2021.

Droits des travailleuses et travailleurs migrants

D’importantes réformes ont été adoptées en vue de protéger les travailleuses et travailleurs migrants contre la violence au travail et l’exploitation, mais les employeurs et employeuses disposaient toujours de pouvoirs disproportionnés, contrôlant l’entrée dans le pays et le droit de séjour de ces personnes et ayant la possibilité d’engager contre elles des poursuites pour « délit de fuite ». À la suite des déclarations faites en 2019 par le ministre du Développement administratif, du Travail et des Affaires sociales annonçant l’abolition du système de parrainage (kafala), le ministère de l’Intérieur a étendu en janvier aux employé·e·s de maison la suppression de l’obligation d’obtenir un permis pour sortir du pays ; les travailleuses et travailleurs domestiques étaient toutefois tenus d’informer leur employeur ou employeuse de leur départ 72 heures à l’avance.

En juin, le ministère du Développement administratif, du Travail et des Affaires sociales a annoncé la création, conjointement avec le Conseil judiciaire suprême, d’un bureau ayant pour vocation de faciliter l’application des décisions des commissions pour le règlement des conflits du travail, récemment mises en place. Cependant, pour les travailleuses et travailleurs migrants, l’accès à la justice restait dans une large mesure lent et inefficace, et les conditions dans lesquelles ces personnes pouvaient obtenir leurs salaires impayés auprès du fonds de soutien créé pour qu’elles récupèrent l’argent qui leur était dû étaient peu claires.

Une centaine de travailleurs migrants employés sur un chantier de construction pour la Coupe du monde de la FIFA ont travaillé jusqu’à sept mois sans être payés. La plupart d’entre eux ont fini par percevoir la majeure partie de leur salaire de base, mais certains n’avaient toujours pas reçu à la fin de l’année les arriérés de plusieurs mois de salaires ou d’indemnités impayés1.

Quelques projets pilotes ont été mis en place pour la création de commissions conjointes chargées de représenter les travailleurs et travailleuses de diverses entreprises, mais les migrant·e·s n’étaient toujours pas autorisés à former des syndicats ni à y adhérer, contrairement aux ressortissant·e·s qatariens.

Dans son rapport publié en juillet à la suite de sa visite au Qatar, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur le racisme s’est dite très préoccupée par la « discrimination structurelle à l’égard des non-ressortissants » et a appelé le gouvernement à prendre d’urgence des mesures pour démanteler le « système de castes de facto fondé sur l’origine nationale », y compris dans le secteur privé.

En août, l’émir a ratifié une série de lois instaurant un salaire minimum non discriminatoire devant être révisé annuellement, et deux autres lois supprimant l’obligation faite aux travailleuses et travailleurs migrants d’obtenir de leur employeur ou employeuse un « certificat de non-objection » pour pouvoir changer d’emploi. Cette nouvelle législation leur permettait de changer d’emploi librement au moyen d’une procédure en ligne régie par le ministère du Développement administratif, du Travail et des Affaires sociales2. En vue de ce changement, le gouvernement a lancé en juillet une plateforme pour la réembauche permettant aux entreprises et aux employé·e·s de proposer ou trouver un emploi.

Femmes migrantes employées de maison

En dépit de la Loi de 2017 sur les employé·e·s de maison, le personnel domestique, composé très majoritairement de femmes migrantes, restait fortement exposé aux pratiques abusives et n’avait pas accès aux voies de recours. De nombreux employeurs et employeuses imposaient à ces femmes des journées de 16 heures de travail en moyenne, les privant de repos, les empêchant de prendre un jour de congé pendant la semaine et leur confisquant leur passeport bien que ce soit illégal. Ces pratiques abusives persistaient dans un climat de totale impunité. Comme le seul refuge créé dans le pays, en 2019, pour accueillir les employées de maison fuyant la violence et l’exploitation n’était pas pleinement opérationnel, il leur était très difficile de quitter leur lieu de travail et encore plus compliqué d’engager des poursuites contre leur employeur ou employeuse3.

Droit à la santé

La crise du COVID-19 a mis en évidence la vulnérabilité des travailleuses et travailleurs migrants au Qatar4. Bien que le gouvernement ait pris des mesures allant dans le bon sens, comme la gratuité des soins de santé et du dépistage pour tout le monde, les travailleuses et travailleurs migrants ont été particulièrement touchés par la pandémie et exposés à la contamination en raison de leurs conditions de vie dans des logements surpeuplés et souvent insalubres5. Les impayés de salaires se sont multipliés à partir du mois de mars et, malgré les mesures financières mises en place avec le soutien du gouvernement pour aider les entreprises et atténuer les effets de la pandémie, plusieurs milliers d’entreprises n’ont pas versé dans les temps leur rémunération à leurs employé·e·s. En dépit des annonces gouvernementales concernant des initiatives et des mesures d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants, certains de ceux qui vivaient dans des secteurs soumis au confinement se sont plaints d’un manque de nourriture et d’autres produits.

En avril, la police a arrêté plusieurs dizaines de travailleurs migrants népalais, en leur disant qu’ils allaient subir un test de dépistage du COVID-19 puis être reconduits dans leurs logements. En réalité, ils ont été emmenés dans des centres de détention, où ils ont été maintenus dans des conditions déplorables pendant plusieurs jours, avant d’être renvoyés au Népal sans explication et sans respect de la procédure régulière6.

Liberté d’expression

Le droit à la liberté d’expression a été encore davantage restreint avec l’adoption, en janvier, d’une loi rédigée en termes vagues qui érigeait en infractions pénales toute une série d’activités liées à l’expression et à la publication7. Au titre de cette loi, la diffusion et la publication de propos « tendancieux » étaient passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 rials (plus de 25 000 dollars des États-Unis).

Le pouvoir exécutif a continué d’exercer des pouvoirs arbitraires, notamment en infligeant, en l’absence de toute procédure judiciaire, des sanctions administratives telles que des interdictions de voyager, parfois semble-t-il pour punir des personnes en raison de leurs opinions politiques ou d’activités pourtant pacifiques8.

Droits des femmes

Les femmes étaient toujours en butte à la discrimination dans la législation et dans la pratique.

Le droit de la famille qatarien restait discriminatoire à leur égard. Il leur était ainsi beaucoup plus difficile d’obtenir le divorce, et elles étaient considérablement désavantagées économiquement si elles demandaient à divorcer ou si leur mari les quittait.

Dans le rapport qu’il a publié à la suite de sa visite au Qatar, le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] a dénoncé le fait que les femmes âgées de moins de 25 ans aient besoin de la permission de leur tuteur masculin pour certaines activités de la vie courante, par exemple pour signer un contrat ou pour sortir du pays. Il a souligné que, de ce fait, les femmes ne pouvaient pas quitter le domicile familial sans l’autorisation de leurs tuteurs légaux, ce qui entraînait de facto une privation de liberté imposée par leur famille.

Le 2 octobre, à l’aéroport de Doha, la capitale du pays, des femmes ont été débarquées de plusieurs avions qui s’apprêtaient à décoller, et les autorités les ont soumises de force à un examen gynécologique afin de déterminer si l’une d’entre elles était celle qui avait donné naissance au bébé de sexe féminin retrouvé abandonné dans une poubelle de l’aéroport. Ces agissements ont provoqué un tollé, qui a conduit le Qatar à présenter des excuses et à ouvrir une enquête.

Droit au respect de la vie privée

L’application qatarienne de traçage des contacts EHTERAZ, mise en place par le ministère de l’Intérieur pour endiguer la propagation du COVID-19, a présenté une grave faille de sécurité rendant vulnérables les données personnelles sensibles de plus d’un million d’utilisateurs et utilisatrices. Après en avoir été alertées, les autorités ont rapidement remédié à cette faille9. Cette application, comme beaucoup d’autres, continuait de poser problème en raison du manque de garanties qu’elle offrait en termes de protection de la vie privée10.

Peine de mort

Après une trêve de 20 ans, les exécutions ont repris en avril.

1« Qatar. Les travailleurs migrants sur le chantier d’un stade de la Coupe du monde de la FIFA n’ont pas été payés pendant des mois » (communiqué de presse, 11 juin)
2« Qatar. Les nouvelles lois visant à protéger les travailleurs·euses migrants vont dans le bon sens » (communiqué de presse, 30 août)
3“Why do you want to rest ?” : Ongoing abuse of domestic workers in Qatar (MDE 22/3175/2020)
4« Qatar. Les travailleurs migrants dans les camps de travail sont très exposés à la crise du coronavirus COVID-19 » (communiqué de presse, 20 mars)
5“COVID-19 makes Gulf countries’ abuse of migrant workers impossible to ignore” (campagne, 30 avril)
6« Qatar. Des travailleurs migrants expulsés illégalement pendant la pandémie de COVID-19 » (communiqué de presse, 15 avril)
7« Qatar. Une nouvelle loi répressive restreint encore la liberté d’expression » (communiqué de presse, 20 janvier)
8Qatar. Arbitrary executive action puts lives on hold (MDE 22/2772/2020)
9« Qatar. Une faille de sécurité dans l’application de traçage des contacts a rendu vulnérables les données personnelles sensibles de plus d’un million d’utilisateurs » (communiqué de presse, 26 mai)
10« Les applications de traçage des contacts de Bahreïn, du Koweït et de la Norvège figurent parmi les plus dangereuses pour le droit au respect de la vie privée » (communiqué de presse, 16 juin)

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