Les forces de sécurité ont continué de commettre de graves violations des droits humains, notamment des dizaines d’homicides illégaux, en faisant usage d’une force excessive et injustifiée. La police a porté atteinte aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, et des manifestant·e·s pacifiques ont été arrêtés et détenus arbitrairement. Des communautés pastorales ont été expropriées de leurs terres au profit d’exploitants commerciaux. Le gouvernement n’a pas pris de mesures adéquates pour procurer de la nourriture et de l’eau aux personnes qui ont été victimes de spoliation de terres, qui ont subi des sécheresses ou qui ont été déplacées. Les détournements de fonds publics ont entravé la capacité du gouvernement à soulager la précarité économique généralisée et à remédier aux défaillances du secteur de la santé.
Contexte
La hausse du coût de la vie et les effets dévastateurs de la pandémie de COVID-19 sur le plan économique et social restaient préoccupants. La population, à commencer par la jeunesse, a davantage pris conscience des inégalités économiques en découvrant le contraste révoltant entre les images de personnes affamées dans les zones rurales, en particulier celles du sud du pays, et l’opulence dans la capitale, Luanda. Tandis que la plupart des Angolais·e·s étaient confrontés à de graves pénuries de nourriture, l’opération Crabe, une enquête menée par les services de renseignement et de sécurité de l’État et le Département des enquêtes judiciaires, a révélé un détournement de fonds publics dont la valeur se chiffrait en millions, sous la forme de diverses devises et autres actifs retrouvés aux domiciles privés de 24 hauts représentants du gouvernement. Le président a été contraint de démettre de leurs fonctions huit d’entre eux, pour la plupart des généraux de l’armée proches de lui, mais le scepticisme restait de mise au sein de la population.
Homicides illégaux
Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour réprimer des manifestations pacifiques, faisant des dizaines de morts parmi les manifestant·e·s. En janvier, elles ont abattu des dizaines de militants qui protestaient pacifiquement contre le coût de la vie dans la ville minière de Cafunfo, dans la province de Lunda-Nord. Les forces de sécurité ont tiré en direction de manifestant·e·s pacifiques dans la rue, allant jusqu’à les traquer dans les quartiers et forêts aux alentours. Le nombre exact de personnes tuées et blessées restait inconnu mais, selon certaines informations, des corps auraient été jetés dans le Kwango, une rivière située à proximité1.
Dans la province de Lunda-Nord, pourtant riche en minéraux, la population était en situation de pauvreté extrême, avec des services défaillants en matière d’éducation, de santé, de transport, d’eau et d’assainissement. Pour survivre, de nombreuses personnes, en particulier de jeunes hommes, se livraient à l’extraction artisanale de diamants. Plusieurs d’entre elles ont été tuées par des agents de sécurité d’entreprises diamantaires au fil des années. Les auteurs présumés de ces homicides jouissaient de l’impunité.
Arrestations et détentions arbitraires
Les autorités continuaient d’arrêter et de détenir arbitrairement des manifestant·e·s pacifiques et des personnalités influentes de la société civile. Par exemple, après la répression violente d’une manifestation pacifique le 8 février, le Département des enquêtes judiciaires a arrêté José Mateus Zecamutchima, le dirigeant du Mouvement en faveur d’un protectorat des Lundas-Tchokwés. Poursuivi pour « association de malfaiteurs et rébellion armée » et pour avoir « mené la rébellion en vue de renverser le gouvernement », il a été transféré de la province de Lunda-Nord à un centre de détention de Luanda. Il n’a pas été autorisé à contacter son avocat et il était toujours en détention à la fin de l’année.
Le 30 mai, la police de Cabinda a arrêté et placé en détention plusieurs manifestant·e·s après avoir violemment mis fin à leur défilé et avoir confisqué leurs biens, notamment des téléphones portables et des sacs. Cette manifestation s’inscrivait dans un mouvement de protestation plus large contre la faim, le chômage et le coût de la vie, qui s’étendait sur cinq provinces.
Liberté d’expression et de réunion
Les crises économique et sociale et les violations des droits humains ont attisé les manifestations, qui se sont multipliées à travers l’Angola. Les forces de sécurité ont cependant renforcé leurs opérations dans tout le pays afin d’éviter que de tels rassemblements se produisent. Par exemple, le 4 février, à Luanda, la police a empêché des membres du mouvement Société civile contestataire de manifester pacifiquement en faveur d’un renouvellement politique, alors que le parti du gouvernement, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), était au pouvoir depuis 45 ans. Le 21 août, la police a une nouvelle fois empêché des groupes de la société civile d’organiser une manifestation à Luanda. Ces collectifs, qui s’étaient regroupés au sein du Mouvement Angola uni, protestaient pacifiquement contre les violations des droits humains et l’aggravation de la misère économique et sociale. Ils défendaient aussi le Front patriotique uni, une initiative récemment annoncée, qui visait à rassembler des partis d’opposition en vue d’affronter le MPLA lors des élections de 2022.
Le 30 août, la police a empêché des militant·e·s de se rassembler devant le Parlement pour manifester contre la nouvelle loi électorale qui y était débattue. Le 25 septembre, elle a empêché des centaines de membres du Mouvement étudiant angolais de protester pacifiquement contre l’augmentation des frais d’inscription dans les établissements publics et privés du secondaire et du supérieur.
Les attaques contre la liberté de la presse se sont poursuivies. Les autorités ont suspendu les licences de chaînes de télévision privées, tandis que des militant·e·s de l’opposition entravaient le travail des journalistes. Le 19 avril, le ministère des Télécommunications, des Technologies de l’information et de la Communication sociale a suspendu les licences des chaînes de télévision Zap Viva, Vida TV et TV Record Africa Angola, ce qui s’est traduit par la suppression de plusieurs centaines d’emplois. Dans ses déclarations, le ministère a indiqué que ces chaînes menaient leurs activités au titre d’une licence provisoire, et qu’elles resteraient suspendues jusqu’à la régularisation de leur statut. Ces trois entreprises ont été surprises d’apprendre la suspension de leur licence, car elles n’auraient pas été informées ni notifiées au préalable d’une quelconque procédure administrative engagée contre elles2.
Le 11 septembre, des militant·e·s de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola ont empêché des journalistes de TV Zimbo de couvrir leur manifestation publique à Luanda. Les journalistes ont confirmé ces faits, tout en préférant garder l’anonymat par crainte de représailles.
Droits économiques, sociaux et culturels
La misère économique et sociale a été accentuée par l’hémorragie de fonds publics vers les comptes bancaires personnels et les domiciles privés de hauts représentants du gouvernement. En juin, le procureur général a annoncé l’arrestation de 24 hauts responsables militaires du cabinet de sécurité du chef de l’État qui auraient détourné de grosses sommes d’argent issues des caisses de l’État. L’un d’entre eux a été arrêté à l’aéroport de Luanda, alors qu’il tentait de quitter le pays avec deux valises d’argent liquide. Selon certaines informations, il détenait 15 véhicules de luxe, 51 propriétés en Angola, en Namibie et au Portugal, en plus de caisses et de sacs retrouvés dans ses appartements, contenant 10 millions de kwanzas, 4 millions d’euros et 1,2 million de dollars des États-Unis. Dans le même temps, la dette publique du pays excédait 100 % du PIB.
Les provinces de Cunene, Huíla et Namibe étaient toujours confrontées à des conditions météorologiques extrêmes, symptomatiques du changement climatique. Du fait de la pénurie de nourriture et d’eau due à la sécheresse prolongée, de nombreuses personnes sont mortes, ainsi que leur bétail, tandis que d’autres ont fui en Namibie. Les autorités ont continué de détourner les pâturages traditionnels à des fins d’agriculture commerciale, en violation des normes nationales et internationales en matière de droits humains, notamment en s’abstenant de mener des consultations locales et de fournir des indemnisations suffisantes, autant de facteurs qui sont venus aggraver la crise.
Droit à l’alimentation
À cause de la sécheresse, ainsi que de l’occupation illégale de pâturages communautaires par des exploitations commerciales, les communautés pastorales ont eu plus de mal à produire de la nourriture pour leur propre compte. Des données indiquaient que les faibles précipitations avaient engendré la pire sécheresse depuis 40 ans et que la malnutrition était à son paroxysme, par manque de nourriture, d’eau et d’installations sanitaires sûres, une situation dont souffraient en premier lieu les femmes, les enfants et les personnes âgées.
Dans cette région où le bétail était à la base de la richesse économique, sociale et culturelle, les nombreuses morts parmi les animaux ont affaibli la résilience des populations. Les éleveuses et les éleveurs des municipalités de Curoca, Oukwanyama et Onamakunde, dans la province de Cunene, de Quipungo et Gambos, dans la province de Huíla, et de Virei et Bibala, dans la province de Namibe, ne disposaient pas d’un accès suffisant à la nourriture, et des dizaines d’entre eux mouraient de faim et de malnutrition, en particulier des personnes âgées et des enfants.
Dans tout le pays, des personnes vivant dans la pauvreté et au sein de communautés marginalisées ont basculé dans une grave insécurité alimentaire, poussant nombre d’entre elles à chercher de la nourriture dans les poubelles pour elles et leur famille.
Droit à l’eau
Les pénuries d’eau extrêmes dans les provinces du sud du pays, où vivaient la plupart des communautés pastorales, ont nui particulièrement aux femmes et aux filles, qui devaient parcourir de longues distances et passer beaucoup de temps à chercher de l’eau. Les populations étaient en concurrence avec les animaux domestiques et sauvages pour trouver de l’eau boueuse insalubre, dans des cuvettes et mares naturelles.
Ces pénuries d’eau ont créé des conditions propices aux maladies liées à l’hygiène. Les enfants, en particulier, présentaient des signes de gale et de lésions de la peau, car ils ne pouvaient pas se laver régulièrement. Ils se grattaient la peau jour et nuit, souvent à l’aide de pierres, jusqu’au sang, pour se soulager momentanément de leurs démangeaisons.
Droit à la santé
La pandémie de COVID-19 et les restrictions qui en ont résulté ont aggravé les conséquences de décennies de sous-financement des services. Cela s’est surtout vu dans le secteur de la santé, qui était au bord de l’effondrement. La vague de protestation de l’Ordre des médecins d’Angola est restée sans réponse. En moyenne, chaque jour, des dizaines de personnes sont mortes rien que dans les hôpitaux de Luanda. D’après l’Ordre des médecins, malgré la pandémie de COVID-19, les causes de décès les plus courantes étaient le paludisme, la malnutrition, les diarrhées aiguës, le manque de médicaments et, parmi le personnel de santé, la surcharge de travail. Les conséquences économiques et sociales de la pandémie ont provoqué une hausse exponentielle du nombre de personnes malades admises dans des hôpitaux, et les établissements ne parvenaient pas à répondre à la demande.
« Angola. Au moins 10 manifestants tués par des tirs des forces de sécurité », 2 février