Dans le contexte des élections de janvier, les forces de sécurité se sont livrées à des manœuvres d’intimidation pour réprimer des membres et des sympathisant·e·s de l’opposition. Elles ont notamment eu recours à des arrestations arbitraires, des enlèvements, des détentions au secret prolongées, des disparitions forcées et des poursuites judiciaires. Les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ont été fortement restreints ; les autorités ont pris pour cible des organisations travaillant sur les droits humains et bloqué l’accès à Internet pendant cinq jours. La Haute Cour a levé l’assignation à résidence imposée au principal dirigeant de l’opposition. Le déploiement de la vaccination a été lent. L’État a ordonné à des entreprises agroalimentaires d’interrompre l’expulsion de leurs terres plusieurs milliers de personnes, et la Cour constitutionnelle a statué que des populations autochtones avaient été expulsées illégalement de leurs terres ancestrales. Le président a refusé de donner son assentiment à une loi qui, si elle était promulguée, pourrait renforcer la protection accordée aux victimes de violences sexuelles, mais érigerait en infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. L’Ouganda est resté le pays d’Afrique qui accueillait le plus grand nombre de personnes réfugiées.
Contexte
En 2020, des dizaines de personnes ont été tuées dans le contexte de la campagne pour les élections générales de janvier 2021, la plupart du temps par des policiers ou d’autres membres des forces de sécurité. Le 16 janvier, soit deux jours après le scrutin, la Commission électorale d’Ouganda a déclaré Yoweri Museveni, alors au pouvoir depuis 35 ans, vainqueur de l’élection présidentielle avec 58,6 % des suffrages exprimés. Son principal opposant, Robert Kyagulanyi, dirigeant de la Plateforme de l’unité nationale (NUP), a remporté 34,8 % des voix et contesté les résultats devant la Cour suprême. Il a retiré son recours le 22 février, estimant que les juges étaient partiaux.
Disparitions forcées
Le 4 mars, la NUP a affirmé que les forces de sécurité avaient enlevé 458 de ses sympathisant·e·s à la suite des élections de janvier et qu’elle ignorait toujours où se trouvaient ces personnes. Le 14 février, le ministère des Technologies de l’information et de la communication (TIC) et de l’Orientation nationale a annoncé que le président, Yoweri Museveni, avait ordonné à la police et aux Forces de défense populaires de l’Ouganda (UPDF) de faire un point détaillé sur les arrestations auxquelles elles avaient procédé avant, pendant et après les élections. Le 24 février, la présidente du Parlement a demandé au ministre de l’Intérieur de présenter au Parlement « une liste complète des personnes détenues par les UPDF ou la police ». Le 4 mars, le ministre a communiqué 177 noms de personnes présumées disparues, dont il a confirmé que 171 étaient détenues pour diverses charges, parmi lesquelles la participation à des émeutes, la possession de matériel militaire et la participation à des réunions pour orchestrer des violences postélectorales ; les six autres avaient déjà été libérées sous caution. À la fin de l’année, l’État n’avait pas communiqué publiquement de données officielles sur le nombre de personnes toujours en détention à la suite des élections.
Liberté d’association
Le 20 août, le Bureau des organisations non gouvernementales, instance officielle chargée des ONG, a ordonné la suspension immédiate des activités de 54 organisations, au motif que celles-ci ne respectaient pas la législation les concernant, notamment parce qu’elles continuaient de fonctionner alors que leur autorisation avait expiré, n’avaient pas transmis leur comptabilité au Bureau ou ne s’étaient pas immatriculées auprès de lui. Le Forum national des ONG ougandaises, une entité indépendante, a déclaré que la plupart des organisations n’avaient pas été informées de la décision du Bureau ni eu la possibilité de réagir.
Le 20 août également, le Bureau des ONG a suspendu les activités de l’Institut africain pour la gouvernance de l’énergie (AFIEGO). Entre le 6 et le 13 octobre, la police a arrêté quatre membres du personnel de l’AFIEGO à Hoima et à Buliisa, dans l’ouest du pays, ainsi qu’à Kampala, la capitale. Ces personnes ont toutes été libérées le jour même, sans inculpation. Le 22 octobre, selon les instructions du Bureau des ONG, la police a arrêté six autres membres du personnel de l’AFIEGO à Kampala au motif qu’ils menaient leurs activités sans autorisation. Ceux-ci ont été relâchés trois jours plus tard.
Liberté d’expression
Le 9 janvier, la plateforme Facebook a fermé des dizaines de comptes qu’elle jugeait liés au ministère des TIC. Le réseau social a déclaré que le ministère s’était servi « de faux comptes et de comptes dupliqués » pour accroître sa popularité à l’approche des élections. Le 12 janvier, le président Yoweri Museveni a accusé Facebook et d’autres acteurs d’ingérence dans le processus électoral, et la directrice exécutive de la Commission ougandaise des communications (UCC) a ordonné aux entreprises de télécommunication de « suspendre immédiatement tout accès » aux réseaux sociaux et aux plateformes de messagerie en ligne, ainsi que toute utilisation de ces outils. Les principaux fournisseurs d’accès à Internet, comme Airtel et MTN Uganda, ont annoncé cette suspension à leurs abonné·e·s par SMS2. Le même jour, les autorités ont bloqué l’accès à Internet pour cinq jours.
Droit de circuler librement
Le 25 janvier, la Haute Cour a levé l’assignation à résidence imposée à Robert Kyagulanyi et son épouse, Barbara, depuis que les forces de sécurité avaient encerclé leur domicile, le 14 janvier. Elle a statué que, si l’État disposait d’éléments à charge, il devait inculper ces personnes et non les détenir de manière « injustifiée ». Le porte-parole de la police a déclaré que Robert Kyagulanyi avait été assigné à résidence « à titre préventif » car il « prévoyait de troubler l’ordre public », sans toutefois préciser ce que cet homme planifiait exactement.
Avant ce jugement, les forces de sécurité empêchaient Robert Kyagulanyi et sa famille de sortir, même lorsqu’ils étaient à court de nourriture. L’ambassade des États-Unis en Ouganda a déclaré que, le 18 janvier, l’ambassadrice n’avait pas été autorisée à leur rendre visite. Le même jour, les forces de sécurité avaient également effectué une descente au siège de la NUP.
Arrestations et détentions arbitraires
Le 14 juin, un tribunal militaire siégeant à Kampala a ordonné la libération de 17 sympathisants et collaborateurs de la NUP moyennant une caution de 20 millions de shillings ougandais (environ 5 670 dollars des États-Unis) ; ces hommes étaient détenus par l’armée depuis 166 jours. Ils figuraient parmi les 126 sympathisants et membres du personnel de la NUP arrêtés en décembre 2020 à Kalangala, dans le centre du pays. Le président du tribunal de première instance avait accordé une libération sous caution le 4 janvier à l’ensemble du groupe, mais 17 avaient été de nouveau arrêtés le jour même et détenus pendant plusieurs jours. Ils avaient été inculpés de possession illégale de munitions et incarcérés à la prison de Kitalya (district de Wakiso).
Le 10 septembre, la procureure générale a abandonné les charges forgées de toutes pièces de blanchiment d’argent qui pesaient sur Nicholas Opiyo, directeur exécutif de l’organisation de défense des droits humains Chapter Four Uganda. Il avait été arrêté le 22 décembre 2020 et détenu à l’Unité spéciale d’enquête de la police de Kireka (district de Kampala), avant d’être incarcéré à la prison de Kitalya4. Il avait été libéré sous caution huit jours plus tard.
Le 28 décembre, des membres des services de sécurité armés ont arrêté l’auteur Kakwenza Rukirabashaija à Kampala. Il avait publié des commentaires sur Internet concernant le fils du président, commandant des forces terrestres des UPDF. Il était toujours détenu au secret à la fin de l’année.
Droit à la santé
Le 5 mars, le ministère de la Santé a reçu un premier lot de vaccins AstraZeneca contre le COVID-19 dans le cadre de l’initiative COVAX. L’objectif était de vacciner par phases 49,6 % de la population, soit environ 22 millions de personnes, avant la fin de l’année, mais seulement 9 763 030 doses avaient été administrées au 31 décembre.
En octobre, la ministre de la Santé a déclaré que les difficultés d’accès aux zones rurales avaient entravé la progression de la campagne de vaccination. Le 23 décembre, le gouvernement a annoncé avoir approuvé l’injection d’une dose de rappel.
Droit à l’éducation
Les confinements mis en œuvre par intermittence pour faire face à la pandémie de COVID-19 ont conduit à la fermeture totale ou partielle des écoles. Malgré une réouverture progressive en février pour certains niveaux, les établissements scolaires ont de nouveau fermé en juin. L’État a annoncé qu’il prévoyait leur réouverture en janvier 2022. L’Autorité nationale de planification estimait que plus de 30 % des élèves ne retourneraient pas en classe5.
Expulsions forcées
Entre 2007 et janvier 2021, les forces de sécurité ont expulsé de force plus de 35 000 personnes (soit plus de 2 300 familles) de leur logement dans le district de Kiryandongo, dans l’ouest du pays, afin de permettre l’installation de fermes industrielles6. Entre le 12 février et la fin de l’année, au moins 22 habitant·e·s ont été arrêtés à la suite de manifestations contre les expulsions et à propos de litiges fonciers, puis libérés sous caution. En avril, la ministre de la Terre, du Logement et de l’Urbanisme a ordonné à deux entreprises agroalimentaires multinationales d’interrompre l’expulsion de 10 000 personnes vivant sur un terrain de 5 155 hectares dans le village de Ndoi (district de Kiryandongo) en attendant qu’il soit statué sur la régularité de la procédure.
En août, la Cour constitutionnelle a jugé que l’Autorité de la flore et de la faune sauvages d’Ouganda (UWA) avait expulsé illégalement les Pygmées batwas, un peuple autochtone, de leurs terres ancestrales situées dans la forêt de Mgahinga, dans le sud-ouest du pays. Elle a estimé que les Pygmées batwas étaient propriétaires de tout ou partie de cette zone forestière « conformément à leurs coutumes et/ou à leurs pratiques » et compte tenu du fait qu’ils y étaient installés depuis de nombreuses générations. Elle a ordonné qu’ils reçoivent une indemnisation suffisante pour améliorer la situation dans laquelle ils se trouvaient à la suite des expulsions, en précisant que l’État ne les avait pas correctement indemnisés et les avait laissés « sans terres, sans ressources » et en avait fait un « peuple défavorisé et marginalisé ».
Violences fondées sur le genre et discrimination
En août, le président, Yoweri Museveni, a refusé d’approuver la Loi de 2021 relative aux infractions à caractère sexuel, au motif qu’il fallait la réexaminer en vue de supprimer les dispositions qui faisaient doublon avec d’autres textes. Adoptée par le Parlement en mai, cette loi contenait plusieurs dispositions en faveur de la prévention des violences sexuelles, qui prévoyaient notamment un alourdissement des peines pour les responsables, et de la protection des victimes lors des procès concernant certaines infractions, notamment de nature sexuelle. En revanche, elle érigeait en infractions les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, le travail du sexe et la transmission du VIH et prévoyait un fichier des délinquant·e·s sexuels sur lequel serait inscrit, même rétroactivement, le nom des personnes poursuivies pour relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe et travail du sexe.
En septembre, Cleopatra Kambugu a annoncé sur les réseaux sociaux qu’elle était la première femme transgenre à avoir obtenu une carte nationale d’identité et un passeport ougandais sur lesquels son genre féminin était reconnu.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Selon le cabinet du Premier ministre et le HCR, l’Ouganda accueillait 1 563 604 personnes réfugiées à la fin de l’année, ce qui représentait la plus grande population réfugiée en Afrique : 953 630 personnes provenaient du Soudan du Sud, soit environ 61 % de la population réfugiée du pays, et 452 287 de la République démocratique du Congo (29 %) ; les 10 % restants étaient originaires de pays comme le Burundi, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Rwanda, la Somalie et le Soudan.
Le 17 août, l’État a annoncé son intention d’accueillir 2 000 Afghan·e·s à la suite de la prise du pouvoir par les talibans en août (voir Afghanistan).