Les autorités ont pris des mesures pour faire face à la pandémie de COVID-19 et pour promouvoir le droit à la santé. Dix femmes et filles condamnées pour des infractions liées à l’avortement ont été graciées. Cette année encore, il a été fait état de violations des droits à un procès équitable, à la liberté d’expression et au respect de la vie privée, ainsi que de disparitions forcées, d’actes de torture et de recours excessif à la force. Des personnes accusées de génocide ont été déférées à la justice et condamnées.
Contexte
Un ministère de l’Unité nationale et de l’Engagement civique a été créé en juillet, en remplacement du Fonds de soutien et d’assistance aux rescapés du génocide, de la Commission nationale de lutte contre le génocide, de la Commission nationale de l’unité et la réconciliation et de la Commission nationale d’Itorero.
Toujours en juillet, des unités des forces armées ont été déployées au Mozambique pour combattre un groupe armé connu dans le pays sous le nom d’Al Shabaab. Avec les forces mozambicaines, elles ont regagné plusieurs villes d’importance majeure dans le nord-est de la province de Cabo Delgado.
Droit à la santé
Le gouvernement a continué d’imposer des restrictions pour limiter la propagation de la pandémie de COVID-19, notamment un couvre-feu à l’échelle nationale, un dépistage massif et des confinements locaux en janvier, février et juillet, à Kigali et dans d’autres districts. Le Rwanda faisait partie des 15 pays africains seulement ayant atteint l’objectif mondial d’une vaccination de 10 % de la population à la fin septembre. En décembre, 40 % des habitant·e·s du pays présentaient un schéma vaccinal complet.
Droits sexuels et reproductifs
En juillet, le président Paul Kagame a gracié 10 femmes et filles qui purgeaient des peines de réclusion pour des infractions liées à l’avortement. L’avortement restait illégal dans la plupart des circonstances, mais le Code pénal de 2018 avait introduit des exceptions en cas de viol, d’inceste ou de mariage forcé.
Droit à un procès équitable
Paul Rusesabagina a été condamné en septembre pour des infractions liées au terrorisme, à l’issue d’un procès et d’une période ayant précédé le procès marqués par de graves violations des normes d’équité. Il a été jugé, avec 20 coaccusé·e·s, pour des attaques commises par les Forces nationales de libération, une organisation à laquelle il avait témoigné son soutien par le passé. Après son transfert illégal depuis Dubaï vers Kigali le 28 août 2020, il a disparu pendant quatre jours, au cours desquels il a été torturé, selon ses avocat·e·s. Il a ensuite été détenu au secret pendant trois jours. L’avocat engagé par sa famille n’a pas été autorisé à communiquer avec lui pendant les six premières semaines de sa détention, période au cours de laquelle il a été représenté par un avocat et une avocate bénévoles. Les autorités de la prison ont inspecté et confisqué des documents confidentiels couverts par le secret professionnel que ses avocats lui avaient apportés. Elles ont continué de se livrer à cette pratique malgré une décision judiciaire spécifiant que les documents relatifs à l’affaire ne devaient pas être confisqués (mais que les autres documents sans lien avec l’affaire pouvaient dans un premier temps être inventoriés par les autorités pénitentiaires). Cette décision représentait la seule initiative prise par les tribunaux pour tenter de remédier aux violations des règles d’équité des procès. À partir du 12 mars, Paul Rusesabagina a refusé d’assister aux audiences, étant convaincu que son droit à un procès équitable ne serait pas respecté1.
Liberté d’expression
Plusieurs blogueurs, blogueuses, commentateurs et commentatrices actifs sur YouTube ont été arrêtés et poursuivis en justice. Yvonne Idamange a été arrêtée en février après avoir publié une vidéo dans laquelle elle annonçait la mort du chef de l’État et appelait la population à aller manifester devant son bureau. Elle avait également critiqué les mesures de confinement et la politique relative à la commémoration du génocide. Elle a été déclarée coupable en septembre et condamnée à 15 ans d’emprisonnement, notamment pour « incitation au soulèvement ou aux troubles de la population », « publication de rumeurs » et pour « avoir fait disparaître ou avoir dégradé des preuves ou des informations relatives au génocide ».
À la suite de plusieurs convocations par l’Office rwandais d’investigation (RIB), l’universitaire Aimable Karasira a été arrêté en mai et accusé de négation et justification du génocide, d’incitation à la division et d’escroquerie. Rescapé du génocide, il avait publié des vidéos dans lesquelles il déclarait que des soldats du Front patriotique rwandais avaient tué des membres de sa famille en 1994.
En octobre, six personnes, dont le journaliste Théoneste Nsengimana et des membres du parti d’opposition Développement et liberté pour tous (DALFA-Umurinzi), ont été arrêtées sous l’accusation de « publication de rumeurs visant à inciter au soulèvement ou aux troubles au sein de la population ». Deux jours auparavant, Théoneste Nsengimana avait publié une vidéo montrant une femme qui appelait les gens à célébrer l’« Ingabire Day » (du nom de la dirigeante de DALFA-Umurinzi, Victoire Ingabire) afin d’honorer la mémoire des personnalités de l’opposition incarcérées, enlevées et tuées.
Droit au respect de la vie privée
En juillet, le Projet Pegasus a révélé que le téléphone de la fille de Paul Rusesabagina, Carine Kanimba, avait été infecté par le logiciel espion Pegasus de l’entreprise NSO Group. Le Rwanda faisait semble-t-il partie des clients de NSO Group. Plus de 3 500 numéros de téléphone, notamment ceux de militant·e·s, de journalistes, de membres de l’opposition politique, de responsables politiques étrangers et de diplomates suscitant l’intérêt du Rwanda, avaient été désignés comme cibles potentielles de ce logiciel espion2.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
La Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis (dite Commission Duclert), créée par l’État français pour examiner le rôle et l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, a rendu public son rapport final en mars. Elle a établi que, bien que n’étant pas complice du génocide, la France portait une part de responsabilité en raison de son aveuglement face à la préparation d’un génocide et de la lenteur avec laquelle elle avait rompu avec le régime qui en a été responsable. Le président Emmanuel Macron a reconnu les responsabilités de la France et demandé au peuple rwandais de lui pardonner.
En avril, le Rapport Muse, commandé par le gouvernement rwandais, est allé plus loin encore, attribuant à la France « une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible ».
En mars, le procureur du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux a déposé un deuxième acte d’accusation modifié visant Félicien Kabuga, dont le rôle de principal financier du génocide de 1994 a été reconnu. Cet homme a été inculpé de génocide, d’incitation à commettre le génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, ainsi que de persécution pour des raisons politiques, extermination et assassinat, constitutifs de crimes contre l’humanité.
En juillet, la Chambre spécialisée dans les crimes internationaux et transnationaux de la Haute Cour de la République a déclaré Jean-Claude Iyamuremye coupable de génocide et l’a condamné à 25 ans d’emprisonnement. Il était accusé d’avoir été chef de la milice Interahamwe à Kicukiro lors du génocide.
Béatrice Munyenyezi, soupçonnée d’avoir participé au génocide, a été extradée en avril des États-Unis vers le Rwanda pour y être jugée. Le même mois, Marcel Hitayezu, un prêtre rwandais vivant en France, a été arrêté et mis en examen pour génocide. Un autre homme soupçonné d’avoir participé au génocide, Venant Rutunga, a été extradé des Pays-Bas en juillet. En septembre, deux juges d’instruction à Paris ont ordonné que Philippe Hategekimana soit jugé en France pour génocide et crimes contre l’humanité, entre autres. En octobre, Oswald Rurangwa, condamné par contumace pour son rôle dans le génocide, a été extradé des États-Unis vers le Rwanda.
Théoneste Bagosora, ancien colonel de l’armée, est mort en septembre au Mali, où il purgeait une peine de 35 ans de réclusion pour son rôle dans l’orchestration du génocide.
Disparitions forcées
Le Rwanda a rejeté les recommandations l’invitant à ratifier la Convention internationale contre les disparitions forcées qui lui ont été adressées dans le cadre de l’EPU et est revenu sur ses précédents engagements en la matière. Lors des deux précédents EPU, il avait tout d’abord accepté puis accepté provisoirement les recommandations l’appelant à ratifier cette Convention3.
Des cas de disparitions forcées présumées ont été signalés et plusieurs affaires de disparitions remontant aux années précédentes n’avaient toujours pas été élucidées. En mai, Cassien Ntamuhanga, demandeur d’asile rwandais et ancien directeur d’une radio, a été arrêté par la police mozambicaine, qui a ensuite nié avoir connaissance de sa détention. Selon des informations non confirmées, il a été remis à l’ambassade du Rwanda en juin. Il avait été condamné au Rwanda dans la même affaire que Kizito Mihigo (voir Droit à la vie) et s’était évadé de prison en 2017.
Droit à la vie
Aucune enquête indépendante n’a été menée sur la mort en détention, en 2020, du célèbre chanteur Kizito Mihigo, malgré les nombreux appels lancés en ce sens par la société civile.
Joshua Tusyishime, célèbre rappeur connu sous le pseudonyme de Jay Polly, est mort en détention en septembre. Il avait été arrêté en avril pour avoir organisé une fête à son domicile en violation des règles liées à la pandémie de COVID-19.
Alors qu’en 2020 le chef de l’État et le ministre de la Justice avaient publiquement condamné l’utilisation d’une force excessive par certains policiers et s’étaient engagés à amener les auteurs présumés à rendre des comptes, des cas de recours à une force excessive, et parfois meurtrière, par la police ont encore été signalés cette année, notamment dans le cadre de l’application des restrictions liées à la pandémie de COVID-19.
Oral statement : Item 6 : Consideration of UPR Reports : Rwanda (AFR 47/4370/2021), 9 juillet