La dégradation des droits humains au Salvador s’est accentuée. Selon les informations reçues, les attaques contre les médias indépendants et les entraves à leur travail étaient en forte augmentation, tandis que les organisations de défense des droits humains étaient publiquement dénigrées par de hauts responsables gouvernementaux, y compris par le président. Les droits des victimes de crimes de droit international commis pendant le conflit armé interne (1980-1992) n’étaient toujours pas respectés. L’interdiction de toute forme d’avortement demeurait en vigueur.
Contexte
Le parti au pouvoir et ses alliés ont obtenu la majorité des sièges à l’Assemblée législative lors des élections qui se sont tenues en février.
Selon une mission d’observation électorale de l’OEA, les institutions de l’État ont été utilisées pour promouvoir publiquement le gouvernement en place, même pendant la période de silence électoral prévue par la loi. La mission a également reçu des plaintes concernant l’emploi de ressources publiques pour influencer l’électorat.
En septembre, le bitcoin, l’une des cryptomonnaies les plus populaires au monde, a été adopté comme monnaie légale sans aucune consultation publique. Le même mois, la chambre constitutionnelle de la Cour suprême a rendu un arrêt autorisant les président·e·s du pays à se représenter immédiatement à l’issue de leur mandat, donnant le feu vert à l’actuel président, Nayib Bukele, pour briguer un deuxième mandat.
Des manifestations massives contre diverses politiques publiques se sont tenues à partir de septembre. En réaction, Nayib Bukele a cherché à discréditer publiquement les manifestations et a averti, en septembre, que du gaz lacrymogène serait utilisé à l’avenir contre les manifestant·e·s.
Liberté d’expression
Des journalistes et des organes de presse ont signalé de nouvelles atteintes à la liberté des médias. Le nombre d’accusations publiques infondées contre la presse est notamment monté en flèche, le travail des journalistes a été entravé, en particulier dans l’accès aux informations publiques, et les hauts responsables ont refusé de répondre à leurs questions.
En février, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a accordé des mesures conservatoires à 34 membres du personnel du journal en ligne El Faro. La CIDH a indiqué que, d’après les informations reçues, les manœuvres de harcèlement, les menaces et les intimidations dont ils auraient été victimes visaient non seulement à les intimider, mais aussi à les empêcher d’exercer leur métier de journalistes.
En juin, le ministre de la Justice et de la Sécurité publique a affirmé que certaines publications dans les médias faisaient l’apologie de délits, ajoutant que les autorités « surveillaient de nombreux journalistes ». D’après les médias, en octobre, le vice-président a déclaré publiquement que certains journalistes devaient être poursuivis pour diffamation.
En septembre, la Coalition pour la protection des journalistes et des professionnel·le·s des médias a signalé que le personnel de l’Assemblée législative, de hauts fonctionnaires et même Nayib Bukele avaient multiplié les attaques, menaces et propos diffamatoires visant des journalistes. En outre, la coalition a déclaré que le principal conseiller juridique du cabinet du président avait menacé le média GatoEncerrado en vue de le forcer à révéler les sources de son enquête le concernant. Il a par ailleurs été révélé en novembre que le logiciel espion Pegasus, de NSO Group, avait été utilisée au Salvador pour surveiller des journalistes et des membres de la société civile.
Droit à un procès équitable
En mai, la nouvelle Assemblée législative a révoqué les juges de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême et le procureur général de la République. Dans divers secteurs, cette décision a été considérée comme une attaque contre le droit d’accès à la justice et l’indépendance du pouvoir judiciaire2.
Fin août, l’Assemblée législative a approuvé un ensemble de réformes raccourcissant la durée maximale d’exercice des juges de 35 à 30 ans et fixant une limite d’âge de 60 ans pour les magistrat·e·s. La CIDH a déclaré son opposition à ces réformes et appelé les autorités à respecter l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
Le massacre d’El Mozote, commis en 1981 pendant le conflit armé, était toujours impuni. En mars, des victimes de ce massacre ont indiqué à la Cour interaméricaine des droits de l’homme que les autorités avaient refusé de leur fournir des informations sur l’affaire, en particulier celles conservées dans les archives militaires, et que l’enquête du parquet sur les dizaines de procédures engagées par les victimes n’avait guère progressé.
En septembre, des organisations locales ont affirmé que les changements importants apportés au système judiciaire à la suite des réformes législatives auraient aussi des conséquences sur les dossiers des victimes du conflit armé qui avaient été rouverts.
Défenseur·e·s des droits humains
De hauts responsables du gouvernement ont publiquement dénigré et discrédité des défenseur·e·s des droits humains et leurs organisations, les accusant de faire partie de l’opposition politique.
Les espaces permettant un dialogue régulier et efficace entre les organes gouvernementaux et les organisations de défense des droits humains, dans une optique de contribution à l’élaboration des politiques publiques, étaient fermés ou pratiquement inexistants.
En mai, une commission de l’Assemblée législative a rejeté la proposition de loi en faveur de la reconnaissance et de la protection totales des défenseur·e·s des droits humains et de la garantie du droit de défendre les droits humains, qui avait été soumise à l’Assemblée plusieurs années auparavant. Les organisations de défense des droits humains ont averti que cette décision risquait de perpétuer le contexte d’hostilité à l’égard des défenseur·e·s des droits humains.
En septembre, la CIDH a accordé des mesures de protection à Bertha Deleón, une défenseure des droits humains, estimant qu’elle était exposée à un climat d’animosité et d’hostilité susceptible de mettre en danger sa vie et sa sécurité.
En novembre, le ministère de l’Intérieur et du Développement territorial a présenté à l’Assemblée législative un projet de loi sur les agents de l’étranger. Si ce texte était adopté, il compromettrait le financement, les activités et la liberté d’association des personnes œuvrant à la défense des droits humains dans le pays3.
Droits sexuels et reproductifs
L’avortement restait totalement interdit et, en décembre, au moins 11 femmes étaient toujours incarcérées pour des faits liés à des urgences obstétriques.
En mai, une proposition de réforme du Code pénal visant à dépénaliser l’avortement dans quatre cas, présentée plusieurs années auparavant, a été écartée par une commission de l’Assemblée législative. Le président a également déclaré publiquement qu’il ne proposerait aucune réforme constitutionnelle prévoyant la dépénalisation de l’avortement.
En octobre, l’Assemblée législative a rejeté une nouvelle proposition en faveur de la dépénalisation de l’avortement dans certaines circonstances, présentée par des groupes de défense des droits des femmes.
“Salvador : Nayib Bukele’s Recipe for Limiting the Exercise of Human Rights”, 19 juillet