Cambodge - Rapport annuel 2021

carte Cambodge rapport annuel amnesty

Royaume du Cambodge
Chef de l’État : Norodom Sihamoni
Chef du gouvernement : Hun Sen

De nouveaux textes législatifs relatifs à l’utilisation d’Internet et à la lutte contre la pandémie de COVID-19 ont accru les restrictions pesant sur les droits civils et politiques. Des personnes ayant enfreint les consignes liées au COVID-19 ou critiqué le gouvernement ont été arrêtées et emprisonnées. Des membres du parti d’opposition interdit ont été condamnés à de longues peines de prison à l’issue de procès collectifs iniques. Les militant·e·s écologistes ont été particulièrement pris pour cible, et les populations autochtones se sont vu refuser l’autorisation de réaliser leurs activités de conservation de l’environnement. Le droit à la santé des personnes détenues a été mis à mal par la forte surpopulation dans les prisons et les centres de détention pour toxicomanes.

Contexte

La campagne de répression lancée en 2017 par les autorités contre la presse indépendante, les organisations de la société civile et l’opposition politique s’est poursuivie tout au long de l’année. Le plus grand parti d’opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), était toujours frappé d’interdiction depuis sa dissolution ordonnée par la justice en 2017. La campagne gouvernementale de lutte contre les stupéfiants est entrée dans sa cinquième année.

Liberté d’expression

Le 16 février, Hun Sen a promulgué le Sous-décret sur la mise en place d’un portail national d’accès à Internet, qui bafouait le droit à la vie privée et encourageait l’autocensure. Ce texte imposait que l’ensemble du trafic Internet passe par une entité de contrôle centralisée, chargée de surveiller les activités en ligne, et que les fournisseurs d’accès vérifient l’identité des internautes. En outre, il autorisait le blocage ou la déconnexion des pages « portant atteinte à la sécurité, au revenu national, à l’ordre social, à la dignité, à la culture, aux traditions ou aux coutumes ».

Les autorités ont continué d’utiliser la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour limiter la liberté d’expression. Au début du mois de mars, Shen Kaidong, rédacteur en chef chinois de la plateforme d’information sinophone Angkor Today, a été expulsé pour avoir publié un article sur les vaccins qui a été considéré comme de « fausses nouvelles » par les autorités. Au cours du même mois, l’Assemblée nationale a adopté la Loi sur les mesures de prévention de la propagation du COVID-19 et des autres maladies graves, dangereuses et contagieuses (Loi relative au COVID-19), qui imposait de sévères sanctions en cas de non-respect des restrictions liées à la pandémie, notamment des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 20 ans.

Selon la Ligue cambodgienne des droits de l’homme (LICADHO), une ONG locale, au moins 258 personnes ont été arrêtées au titre de la nouvelle loi entre le 10 et le 25 avril pour non-respect des mesures administratives. Parmi elles, 83 ont été poursuivies en justice et condamnées à des peines d’emprisonnement. Des dizaines d’autres personnes ont été arrêtées pour avoir critiqué les mesures prises par le gouvernement face à la pandémie de COVID-19.

Liberté d’association

Les membres du PSNC, le parti d’opposition interdit, ont continué d’être la cible d’arrestations et de poursuites arbitraires, ainsi que d’attaques violentes par des personnes non identifiées. Au début du mois de janvier se sont ouverts les procès collectifs d’environ 150 cadres du PSNC et autres membres et sympathisant·e·s du parti1. Nombre des accusations portaient sur le retour prévu au Cambodge, en novembre 2019, de responsables du PSNC en exil, qui a été qualifié de tentative de coup d’État par les autorités. Le 1er mars, neuf cadres du parti ont été jugés par contumace et déclarés coupables de « tentative de commettre un crime » et « d’agression » en vertu respectivement des articles 27 et 451 du Code pénal cambodgien. Le cofondateur du parti, Sam Rainsy, a été condamné à une peine de 25 ans d’emprisonnement et les autres à des peines de 20 à 22 ans d’emprisonnement.

Le 9 novembre, deux sympathisants du PSNC reconnus comme réfugiés par le HCR, Veourn Veasna et Voeung Samnang, ont été renvoyés de force au Cambodge par la Thaïlande et incarcérés après avoir été accusés d’incitation à commettre un crime et de violations des règles mises en place pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Hun Sen avait déjà ordonné l’arrestation de Voeurn Veasna après qu’il eut publié un poème le critiquant. Les deux hommes se trouvaient toujours en détention provisoire à la fin de l’année.

Les autorités n’ont pas enquêté sur des attaques physiques dont ont été victimes des membres et des sympathisant·e·s du PSNC. En avril, un sympathisant du PSNC âgé de 16 ans a été agressé par deux hommes et hospitalisé avec une fracture du crâne. Ses agresseurs n’ont pas été retrouvés. Le 24 juin, ce même sympathisant a été arrêté et accusé d’incitation à commettre un crime et d’outrage à représentant de l’État pour des commentaires critiquant le gouvernement envoyés sur l’application de messagerie Telegram. Il a été condamné à huit mois d’emprisonnement et a été remis en liberté en novembre, après avoir purgé quatre mois et demi de sa peine. Son père avait été arrêté en 2020 et figurait parmi les dizaines de membres du PSNC poursuivis en justice.

Répression de la dissidence

Les autorités se sont servies du système judiciaire pour arrêter, poursuivre et emprisonner injustement des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s écologistes. En août, le dirigeant syndical Rong Chhun a été déclaré coupable « d’incitation à commettre un crime ou à troubler l’ordre social » et a été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement. Son procès faisait suite à des déclarations publiques de sa part alléguant une perte de terres communautaires à cause de la démarcation de la frontière entre le Cambodge et le Viêt-Nam. Les militant·e·s de l’opposition Sar Kanika et Ton Nimol ont été déclarés coupables d’incitation à commettre un crime et condamnés à 20 mois d’emprisonnement pour avoir appelé à la libération de Rong Chhun. Dix autres personnes qui avaient également manifesté contre l’emprisonnement de Rong Chhun ont été arrêtées et accusées d’incitation à commettre un crime.

Les écologistes liés à l’organisation militante Mother Nature Cambodia (MNC) ont été la cible de harcèlement judiciaire tout au long de l’année. En mai, cinq militant·e·s de MNC ont été déclarés coupables d’incitation à commettre un crime et condamnés à des peines de 18 à 20 mois d’emprisonnement (dont deux par contumace). Ils avaient été arrêtés après avoir prévu une manifestation contre des projets gouvernementaux visant à privatiser et à combler le plus grand lac restant à Phnom Penh, la capitale, pour laisser la place à des projets de développement2. En juin, trois autres militant·e·s de MNC ont été inculpés de « complot » ou « d’outrage au roi » (crime de lèse-majesté), et un quatrième militant a été condamné une deuxième fois par contumace. Tous trois avaient été arrêtés alors qu’ils enquêtaient sur la pollution d’une rivière de Phnom Penh3. Ces membres de MNC ont fait partie d’un groupe de 26 militant·e·s remis en liberté à la mi-novembre, parmi lesquels se trouvaient également Rong Chhun et toutes les personnes placées en détention pour avoir manifesté contre son arrestation.
Toutes ces personnes ont été remises en liberté sous différentes conditions, dont la restriction de leur droit de circuler librement et de leurs droits à la liberté d’association et de réunion pacifique.

Dégradations de l’environnement et droits des peuples autochtones

Des membres de peuples autochtones et des défenseur·e·s locaux de la forêt se sont vu refuser l’accès à leurs terres ancestrales pour leurs activités de conservation. En février, le ministère de l’Environnement a rejeté pour la deuxième année consécutive une demande des membres du Réseau communautaire de Prey Lang (PLCN), qui souhaitaient organiser leur cérémonie annuelle de bénédiction des arbres dans la forêt pluviale de Prey Lang4. Les membres du PLCN (appartenant pour la plupart au peuple autochtone kuy) n’ont toujours pas été autorisés à pénétrer dans la réserve naturelle de Prey Lang pour y mener des patrouilles de surveillance. Le Réseau communautaire de la forêt de Prey Preah Roka n’a lui non plus pas pu réaliser de patrouilles forestières dans la province de Preah Vihear.

En septembre, Chan Thoeun, membre du PLCN, a été déclaré coupable de « violences intentionnelles avec circonstances aggravantes » et a écopé d’une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis après un face à face, au cours d’une patrouille en forêt en 2020, avec un homme qui se livrait semble-t-il à l’exploitation illégale du bois. En février, des responsables du ministère de l’Environnement ont arrêté et placé arbitrairement en détention cinq défenseurs de l’environnement qui enquêtaient sur des activités illégales d’exploitation forestière dans la forêt de Prey Lang. Ils ont été remis en liberté trois jours plus tard, après s’être engagés à ne pas entrer dans la forêt sans l’accord des autorités5. Le taux de déforestation a augmenté de plus de 20 % en 2021, ce qui a eu de graves répercussions sur les terres ancestrales des peuples autochtones. Les entreprises impliquées dans l’exploitation forestière illégale ont continué d’agir en toute impunité.

Droit à la santé

En avril, dans un contexte d’augmentation du taux d’infection au COVID-19, les autorités ont imposé des mesures de confinement sévères (parfois pendant plusieurs semaines) dans certains quartiers de la capitale et dans d’autres villes6. Les personnes résidant dans les quartiers classés en « zone rouge » avaient interdiction de quitter leur domicile pour quelque raison que ce soit, ce qui a eu de graves conséquences sur leur accès à la nourriture, aux soins médicaux et à d’autres biens et services de première nécessité. Des ONG humanitaires n’ont pas eu le droit de distribuer de la nourriture ni d’autres formes d’aide aux habitant·e·s vulnérables de ces quartiers. Certaines personnes ont été la cible de menaces et de manœuvres d’intimidation de la part des autorités locales après avoir exprimé leur inquiétude ou appelé à l’aide sur les réseaux sociaux.

La grave surpopulation dans les prisons et les centres de détention pour toxicomanes, aggravée par la campagne de lutte contre les stupéfiants, a continué de porter atteinte au droit à la santé des personnes détenues. La société civile a réclamé à maintes reprises des mesures d’urgence pour ralentir la propagation du COVID-19 chez les détenu·e·s, y compris par la mise en place de solutions autres que la détention, mais l’action du gouvernement est restée restreinte et inadaptée7.

« Cambodge. Environ 150 responsables politiques et sympathisants de l’opposition risquent d’être condamnés à des peines de prison lors de procès collectifs », 14 janvier

« Cambodge. La condamnation “scandaleuse” de cinq défenseurs de l’environnement doit être annulée », 6 mai

« Cambodge. Les attaques visant les défenseures et défenseurs de l’environnement s’intensifient, avec quatre nouvelles inculpations », 22 juin

« Cambodge. Les coupes illégales massives se poursuivent dans la forêt pluviale de Prey Lang alors que les patrouilles de surveillance sont interdites », 25 février

“Cambodia’s Prey Lang : how not to protect a vital forest”, 13 avril

« Cambodge. Les autorités doivent faire le nécessaire pour éviter une crise humanitaire dans le cadre de la pandémie de COVID-19 », 30 avril

Cambodia : Urgently Address Covid-19 Outbreak in Prisons (ASA 23/4172/2021), 24 mai

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