Myanmar - Rapport annuel 2021

carte Myanmar rapport annuel amnesty

République de l’Union du Myanmar
Chef de l’État : Myint Swe (a remplacé Win Myint en février)
Chef du gouvernement : Min Aung Hlaing (depuis août)

La situation des droits humains s’est fortement dégradée après le coup d’État militaire de février. Les forces de sécurité ont tué plus d’un millier de personnes et en ont placé en détention des milliers d’autres, qui s’étaient opposées à la prise de pouvoir de l’armée. De nombreux cas de torture de personnes détenues ont été signalés. Des conflits armés, y compris des attaques aveugles et des attaques contre des civils et des biens de caractère civil par les forces militaires, ont déplacé de force des dizaines de milliers de personnes. Un nombre tout aussi élevé de personnes étaient toujours déplacées à cause d’anciens conflits ou de violences passées. Les personnes qui se trouvaient dans les régions touchées par les conflits armés n’ont pas eu accès aux services de base et, dans certaines zones, l’armée a bloqué l’arrivée de l’aide humanitaire. Les femmes et les filles ont été victimes de violences sexuelles perpétrées par l’armée. Les enfants ont été privés du droit à une éducation. Des tribunaux militaires ont condamné en leur absence des dizaines de personnes à la peine de mort.

Contexte

L’armée a mené un coup d’État le 1er février et a arrêté la conseillère d’État Aung San Suu Kyi, le président Win Myint, ainsi que d’autres hauts responsables de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD). L’armée a créé le Conseil administratif d’État (SAC) afin de gouverner le pays, dirigé par le général Min Aung Hlaing ; ce dernier a été nommé Premier ministre lorsque cette fonction a été rétablie, en août.

À la suite de la prise de pouvoir par l’armée, des milliers de personnes ont manifesté à travers le pays et des employé·e·s des secteurs public et privé ont participé à un mouvement de désobéissance civile de masse.

Le Comité représentant Pyidaungsu Hluttaw (CRPH), un groupe de parlementaires myanmars élus placé sous la houlette de la NLD, a formé un gouvernement d’unité nationale. Il était mené par Duwa Lashi La, président par intérim en lieu et place de Win Myint, emprisonné. Le gouvernement d’unité nationale, qui comprenait également quelques représentant·e·s des groupes ethniques minoritaires, a été qualifié de groupe terroriste par l’armée.

Le 5 mai, le gouvernement d’unité nationale a annoncé la création des Forces populaires de défense (FPD) pour lutter contre la « violence contre la population et les attaques militaires » du SAC. Le 7 septembre, le gouvernement d’unité nationale a appelé à « une guerre de défense du peuple ». À la suite de cette déclaration, on a assisté à une escalade de la violence partout au Myanmar. Les affrontements entre les forces militaires du gouvernement et les organisations armées ethniques se sont également intensifiés.

Répression de la dissidence

Le gouvernement militaire a exercé une violente répression contre les personnes qui se sont opposées à son coup d’État de février, utilisant largement des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et des canons à eau, mais aussi des balles réelles et d’autres formes de force létale contre les manifestant·e·s. Selon l’ONG Association d’aide aux prisonniers politiques – Birmanie (AAPP), au 31 décembre, les forces de sécurité du gouvernement militaire avaient tué au moins 1 384 personnes, dont 91 enfants, et procédé à 11 289 arrestations.

Parmi les personnes tuées se trouvaient des manifestant·e·s et de simples passant·e·s. Le 10 mars, après avoir examiné plus de 50 vidéos sur la répression en cours, Amnesty International a pu conclure que l’armée avait utilisé des tactiques et des armes meurtrières, normalement réservées aux champs de bataille, contre des personnes qui manifestaient pacifiquement dans des villes de l’ensemble du pays1. Par exemple, des informations indiquent que le 2 mai, les forces armées ont lancé des grenades sur une foule de manifestant·e·s dans le nord de l’État kachin. Des soldats ont également été aperçus à de nombreuses reprises en train de tirer à balles réelles, de façon aveugle, dans des zones urbaines.

Des milliers de médecins et d’autres professionnel·le·s de la santé ont participé aux manifestations et ont refusé de travailler sous le contrôle du gouvernement militaire. Beaucoup ont néanmoins prodigué des soins aux manifestant·e·s blessés et aux personnes souffrant du COVID-19 ou d’autres maladies en dehors des hôpitaux publics. Au 31 décembre, au moins 12 professionnel·le·s de la santé avaient été tués, et 86 étaient toujours en détention.

Les autorités militaires ont également attaqué des syndicalistes, des travailleuses et travailleurs et des fonctionnaires qui avaient rejoint les manifestations réclamant un retour à la démocratie. Des travailleuses et travailleurs ont subi des intimidations et des menaces visant à les pousser à reprendre le travail, et ont figuré, avec des responsables syndicaux, parmi les personnes arrêtées ou tuées.

Liberté d’expression et d’association

Le gouvernement militaire a annoncé des modifications du Code pénal réprimant pénalement à la fois l’intention de critiquer les actions du gouvernement et la critique elle-même. Parmi ces modifications se trouvait l’ajout de l’article 505(a) réprimant pénalement les commentaires qui « provoquent la peur » et répandent de « fausses informations », ainsi que les personnes qui « commettent ou aggravent, directement ou indirectement, une infraction pénale contre un·e employé·e du gouvernement ». Au 31 décembre, 189 personnes avaient été condamnées sur la base de l’article 505(a). Selon l’AAPP, au moins 1 143 autres personnes, incarcérées, attendaient une décision judiciaire, et des mandats avaient été émis contre 1 545 personnes supplémentaires, notamment au titre de l’article 505(a), qui prévoyait une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

De nouvelles dispositions ont également été ajoutées au Code de procédure pénale afin d’autoriser les perquisitions, les saisies, les arrestations, la surveillance et l’interception de communications sans mandat.
Les autorités militaires ont ponctuellement imposé, au niveau national, des coupures d’Internet et des télécommunications, contrevenant ainsi au droit à la liberté d’expression. Dans des zones où se déroulaient des opérations militaires, comme le secteur de Hpakant dans l’État kachin, l’État chin et les régions de Sagaing, Magway et Mandalay, les services Internet et WiFi ont été interrompus et, dans certains cas, les réseaux mobiles ont été coupés. Cela a gravement nui aux communications, y compris celles concernant les violations des droits humains commises par les forces de sécurité, et aux opérations humanitaires.

Les autorités militaires ont fermé au moins cinq médias d’actualité indépendants et ont retiré les licences de huit organes de presse. Au moins 98 journalistes ont été arrêtés à la suite du coup d’État, dont trois journalistes étrangers. Un journaliste, Ko Soe Naing, est mort en détention.

Au moins 46 journalistes et professionnel·le·s des médias étaient toujours en détention à la fin de l’année. Parmi eux, 13 avaient été déclarés coupables et condamnés à une peine d’emprisonnement.
Au début du mois de décembre, un tribunal a condamné Aung San Suu Kyi à une peine de quatre ans d’emprisonnement, ramenée ensuite à deux ans, pour des accusations forgées de toutes pièces d’incitation aux troubles et de violation des règles liées à la pandémie de COVID-19. Les verdicts concernant d’autres chefs d’accusation ont été ajournés2.

Torture et autres mauvais traitements

Selon l’AAPP, au moins 8 338 personnes parmi celles qui avaient été arrêtées depuis le 1er février étaient toujours en détention le 31 décembre, dont 196 mineur·e·s. Outre des journalistes, figuraient parmi elles des membres de la NLD et des proches de ces derniers, des manifestant·e·s pacifiques, des membres du mouvement de désobéissance civile et d’autres militant·e·s, ainsi que de simples passant·e·s. Des proches des personnes incarcérées ayant pu leur rendre visite ont indiqué avoir remarqué des blessures physiques et d’autres signes de torture ou d’autres mauvais traitements. Les Nations unies ont également constaté le recours généralisé à la torture par les forces de sécurité contre les personnes détenues, qui a dans certains cas entraîné la mort des victimes.

Les Nations unies et d’autres organisations ont obtenu des informations signalant que les forces de sécurité recouraient aux violences sexuelles et aux menaces de violences sexuelles, notamment lors des interrogatoires, contre des femmes, des filles et parfois des hommes arrêtés au cours des manifestations. Des personnes LGBTI placées en détention qui avaient participé aux manifestations, souvent sous des drapeaux aux couleurs de l’arc-en-ciel, auraient également été soumises à des actes de torture, notamment à des violences sexuelles.

Attaques contre la population civile

L’armée a utilisé sa stratégie des « quatre coupes » pour barrer l’accès des organisations armées ethniques (OAE) et des Forces populaires de défense (FPD) au financement, au ravitaillement, aux renseignements et au recrutement, avec des conséquences dévastatrices pour la population civile. L’armée a attaqué, avec des frappes aériennes, des tirs d’artillerie et des incendies, des villes et des villages des États ethniques kayah, kayin, kachin et chin, ainsi que les régions de Sagaing, Magway et Tanintharyi. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains au Myanmar a indiqué qu’en septembre, 200 000 personnes avaient subi un déplacement forcé pour tenter d’échapper aux attaques de l’armée.

En mai, à la suite d’attaques des Forces de défense de Chinland, une unité des FPD nouvellement créée, l’armée a assiégé la ville de Mindat, dans l’État chin, en recourant à des tirs d’artillerie soutenus et en coupant l’accès aux services de base. Selon les Nations unies, une quinzaine de villageois·e·s (dont une femme enceinte) ont été utilisés par l’armée comme boucliers humains, et d’autres ont été piégés sans eau ni électricité. Dans un contexte d’escalade des affrontements entre les Forces de défense de Chinland et l’armée, en octobre, des incendies volontairement déclenchés par l’armée ont été signalés. Dans la seule ville de Thantlang, au moins 160 maisons et quatre églises ont été détruites à la fin du mois d’octobre, selon certaines informations.

Entre mai et novembre, l’armée a mené des représailles dans des villages de l’État kayah et dans le sud de l’État chan, en réponse à des attaques des Forces de défense des nationalités karens (KNDF), une force conjointe des FPD et des OAE ; ces attaques avaient été portées contre des infrastructures policières et militaires dans les municipalités de Demoso et de Loikaw, dans l’État kayah, et de Pekon, dans le sud de l’État chan. Au moins 55 civils ont été tués et des églises auraient été détruites au cours des attaques militaires successives dans ces secteurs.

En décembre, il a été signalé que l’armée avait tué au moins 35 civil·e·s dans l’est de l’État kayah, dont quatre enfants et deux travailleurs humanitaires de l’Alliance internationale Save the Children. Ces homicides ont été condamnés par le Conseil de sécurité des Nations unies et ont entraîné un renouvellement des appels à un embargo mondial sur les armes à l’encontre du gouvernement militaire du Myanmar.

Des cas de viols et d’autres formes de violences sexuelles perpétrés par l’armée contre des femmes et des enfants ont été signalés dans les zones touchées par les conflits. Selon les médias, en novembre, des soldats ont collectivement violé une femme devant son mari, au cours d’un raid militaire dans le village d’Aklui, non loin de la municipalité de Tedim, dans l’État chin. La sœur enceinte de la victime, qui vivait dans le même village, aurait également été violée. Selon la même source, l’armée a aussi violé une femme de 62 ans dans la municipalité de Kutkai, dans le nord de l’État chan.

Droits des personnes déplacées

Au 9 décembre, des attaques à l’aveugle et des attaques ciblant la population civile et des biens de caractère civil, menées principalement par l’armée, et les affrontements entre l’armée, les OAE et les FPD, avaient entraîné le déplacement de plus de 284 700 personnes, dont 76 000 enfants.

Environ 336 000 personnes avaient déjà été déplacées avant la prise de pouvoir de l’armée, dont 130 000 qui vivaient dans des camps dans l’État kachin, dans le nord de l’État chan et dans certaines zones de la région sud-est ; on dénombrait aussi plus de 90 000 personnes déplacées dans l’État d’Arakan et dans l’État chin, chassées par des affrontements entre l’armée de l’Arakan et l’armée du Myanmar avant la cessation des hostilités en novembre 2020. L’absence d’accès humanitaire à un grand nombre de sites sur lesquels elles vivaient était préoccupante.

Au moins 126 000 personnes musulmanes rohingyas étaient de fait enfermées dans des camps dans l’État d’Arakan depuis les violences de 2012. Après le coup d’État, les autorités locales ont réinstauré une directive qui limitait davantage encore le droit de circuler librement des populations rohingyas vivant dans le nord de l’État d’Arakan. Ces populations ont continué d’avoir un accès très limité aux services de base, notamment aux soins de santé et à l’éducation. La situation des droits humains au Myanmar, qui se dégradait rapidement, n’était pas favorable pour le rapatriement volontaire des personnes rohingyas réfugiées au Bangladesh qui avaient fui les atrocités commises dans l’État d’Arakan en 2016 et 2017.

Privation d’aide humanitaire

Les autorités militaires ont limité l’accès humanitaire aux personnes déplacées dans les États kayah, chin et chan. Il a été signalé que des routes ont été bloquées et que des soldats ont obligé des convois d’aide à faire demi-tour. En juin, l’armée a détruit une ambulance et a brûlé des provisions de riz et de médicaments destinées aux personnes déplacées de la municipalité de Pekon, dans l’État chan3. Dans d’autres régions, comme l’État kachin et l’État d’Arakan, les autorités militaires ont imposé des contraintes supplémentaires aux organisations humanitaires pour l’obtention des autorisations de déplacements dans le pays. Ces contraintes ont entraîné de graves retards dans l’aide aux populations vulnérables.

Exactions perpétrées par des groupes armés

En juillet et en septembre, des affrontements ont éclaté entre le Conseil de restauration de l’État chan, l’Armée de l’État chan-Nord et l’Armée de libération nationale ta’ang, trois organisations armées ethniques de l’État chan. Ces groupes auraient enlevé des villageois·e·s et les auraient soumis au travail forcé.

Droit à la santé

Le système de santé s’est effondré après la prise de pouvoir par l’armée, tandis que les professionnel·le·s de la santé se joignaient au mouvement de désobéissance civile et qu’une troisième vague de COVID-19 frappait le pays. Des soignant·e·s qui fournissaient clandestinement des soins, par exemple aux manifestant·e·s blessés, ont été attaqués et arrêtés par les forces de sécurité. Selon l’OMS, plus de 286 attaques ont visé des structures de soins et du personnel de santé cette année, ce qui représentait plus d’un tiers des attaques ciblant le secteur de la santé à l’échelle mondiale. La majorité d’entre elles ont été attribuées à l’armée, mais des attaques à l’explosif perpétrées par des agresseurs non identifiés contre des hôpitaux contrôlés par l’armée ont également été signalées. Au moins 26 professionnel·le·s de la santé ont été tués, et 64 ont été blessés durant l’année.
Le gouvernement militaire a davantage encore sapé la lutte contre la pandémie de COVID-19 en confisquant pour l’usage de l’armée des équipements de protection individuelle et des réserves d’oxygène, déjà extrêmement limitées, dans les États chin et kayin et dans la région de Yangon. En juillet, les forces de sécurité auraient ouvert le feu pour disperser les personnes qui faisaient la queue pour des bonbonnes d’oxygène dans la région de Yangon.

Des femmes et des filles ont été confrontées à des difficultés pour accéder aux soins de santé sexuelle et reproductive, notamment dans les zones de conflit armé. Il a été signalé que des femmes déplacées ont accouché sans accès à des services médicaux essentiels. Dans plusieurs cas signalés dans les États kayah et chan, des nouveau-nés de familles déplacées sont morts à cause du manque de soins adaptés et d’abris.

Droit à l’éducation

Près de 12 millions d’enfants et de jeunes n’avaient pas accès à l’éducation formelle à cause des fermetures d’établissements d’enseignement primaire, secondaire et universitaire dues à la pandémie, auxquelles sont venus s’ajouter les conflits armés et les actions des autorités militaires. Des enseignant·e·s ayant participé au mouvement de désobéissance civile ont fait partie des personnes arrêtées, et au moins 139 d’entre eux étaient en détention à la fin du mois de novembre. Des écoles et d’autres bâtiments pédagogiques ont été bombardés ou attaqués par d’autres moyens par des individus non identifiés. Au cours du seul mois de mai, 103 attaques de cette nature ont été signalées. L’armée a occupé des écoles et des campus universitaires dans l’ensemble du Myanmar.

Peine de mort

Les tribunaux militaires ont condamné à mort des dizaines de personnes, dont plusieurs mineur·e·s, à l’issue de procès iniques. Nombre de ces personnes ont été jugées en leur absence.

« Myanmar. Un vaste arsenal et des troupes tristement célèbres déployés dans le cadre de la répression meurtrière des manifestations – nouvelles recherches », 11 mars

« Myanmar. Destruction effrénée des libertés alors qu’Aung San Suu Kyi est condamnée », 6 décembre

« Myanmar. Après le coup d’État, l’armée durcit le contrôle sur les produits de première nécessité au détriment de la population », 17 décembre

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