Le gouvernement a redoublé d’efforts pour restreindre les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. La police a eu recours à une force excessive contre les manifestant·e·s. Les autorités ont soumis les militant·e·s pro-démocratie et les défenseur·e·s des droits humains à un harcèlement judiciaire et à des arrestations arbitraires. Le projet de loi sur la torture et les disparitions forcées ne respectait pas les obligations internationales relatives aux droits humains de la Thaïlande. Les autorités ont fait un plus grand usage de la législation relative au crime de lèse-majesté et ont accusé au moins 100 personnes, y compris des mineur·e·s, de diffamation envers la monarchie.
Contexte
Les manifestations menées par des étudiant·e·s ont grandi en nombre et en force au cours de l’année. En réponse à des pics de contaminations par le coronavirus 2019, les autorités ont imposé des mesures de confinement dans certaines parties du pays. Le gouvernement a été critiqué pour sa lenteur à déployer le vaccin, et l’économie a continué de pâtir des restrictions liées à la pandémie de COVID-19.
Liberté de réunion
En dépit des limitations strictes que les autorités ont imposées sur les rassemblements publics, au prétendu motif d’endiguer la propagation du COVID-19, 1 545 manifestations se sont déroulées au cours de l’année à différents endroits du pays. Les manifestant·e·s appelaient notamment à modifier la Constitution, à dissoudre le Parlement, à réformer la monarchie et à libérer les chef·fe·s de file du mouvement de protestation détenus de façon arbitraire. Ils réclamaient également une meilleure gestion de la pandémie de la part de l’État.
Les autorités ont engagé de nombreuses poursuites pour violation des restrictions sur les rassemblements contre les personnes qui ont organisé les manifestations ou y ont participé.
La police antiémeute a eu recours à une force excessive lors des manifestations, tirant des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes sans discernement et de très près en direction de manifestant·e·s, de passant·e·s et de journalistes. De nombreuses personnes ont signalé avoir été frappées à coups de pied et de matraque, et être restées pendant des heures avec des menottes en plastique serrées aux poignets, aussi bien au moment de leur arrestation que pendant leur détention. Bien souvent, les autorités ne divulguaient pas le lieu de détention des personnes arrêtées et retardaient le moment où elles pouvaient s’entretenir avec un·e avocat·e.
Des balles réelles ont été utilisées contre des personnes qui manifestaient devant un poste de police à Bangkok, la capitale du pays, en août. Bien que la police ait nié avoir fait usage de telles munitions, un garçon de 15 ans a reçu une balle dans la nuque, qui l’a laissé paralysé pendant trois mois avant son décès. Deux autres adolescents, âgés de 14 et 16 ans, ont également été blessés par balle2.
En août et septembre, 270 mineur·e·s au moins, parmi lesquels un garçon de 12 ans, ont fait l’objet de poursuites en raison de leur participation à des manifestations. Certain·e·s ont été poursuivis au titre de la législation relative au crime de lèse-majesté, entre autres dispositions du Code pénal ; d’autres l’ont été au titre du décret d’urgence relatif à l’administration publique sous l’état d’urgence, qui faisait partie des mesures de lutte contre la pandémie de COVID-19.
Liberté d’association
En décembre, le gouvernement a approuvé un projet de loi sur le fonctionnement des organisations à but non lucratif. Des groupes de la société civile ont critiqué le fait que le texte prévoyait des interdictions trop larges portant sur la plupart des activités légitimes et protégées des ONG. Si le projet de loi était adopté, les ONG seraient également soumises à des exigences excessives en matière de comptes à rendre et de divulgation d’informations. En outre, les autorités pourraient exercer un contrôle exagéré sur les financements reçus par ces groupes de la part d’entités étrangères. D’autres dispositions étaient également problématiques, le texte prévoyant notamment des amendes et des sanctions disproportionnées pour les organisations à but non lucratif, qui auraient un effet dissuasif sur les personnes souhaitant mettre en place leur propre groupe.
Liberté d’expression
Les autorités continuaient d’avoir recours à la législation, notamment au décret d’urgence, aux lois sur la sédition et la diffamation, à la Loi relative à la cybercriminalité et à d’autres textes relatifs à l’outrage et à l’insulte à magistrat, afin de restreindre de manière abusive le droit à la liberté d’expression. Durant l’année, des poursuites civiles ou pénales ont été engagées contre 1 460 personnes au moins, y compris des mineur·e·s et des militant·e·s étudiants, pour avoir exprimé des opinions considérées comme critiques à l’égard des actions de l’État. S’ils étaient déclarés coupables, les chef·fe·s de file des manifestations Parit Chiwarak, Anon Nampa, Panusaya Sitijirawattanakul et Panupong Chadnok, ainsi que bien d’autres, encouraient des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à la réclusion à perpétuité. Les autorités ont, à plusieurs reprises et de façon arbitraire, arrêté et refusé la libération sous caution d’autres personnes ayant critiqué le gouvernement.
En juillet, le Premier ministre Prayut Chan-o-cha a publié un décret qui prévoyait jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour diffusion de « fausses informations » susceptibles de « répandre la peur, d’inciter aux troubles et de compromettre la sécurité nationale ». Au mois d’août, cependant, un tribunal civil a suspendu l’application d’un règlement autorisant la censure sur Internet et la suspension d’organes médiatiques, considérant que ce texte restreignait les droits de manière excessive.
Les autorités ont menacé Facebook et d’autres plateformes de poursuites pour les forcer à imposer des restrictions sur les contenus considérés comme insultants à l’égard de la monarchie. Elles ont aussi bloqué l’accès au site internet Change.org après que ce dernier a hébergé une pétition, signée par plus de 130 000 personnes, qui demandait que le roi Maha Vajiralongkorn soit déclaré persona non grata en Allemagne.
Les autorités ont recommencé à recourir aux lois sur le crime de lèse-majesté, ce qui n’était pas arrivé depuis deux ans. Entre janvier et novembre, 116 personnes au minimum, dont au moins trois mineur·e·s, ont été accusées de crime de lèse-majesté. Parmi elles se trouvait Anchan, ancienne fonctionnaire, condamnée à 87 ans de réclusion pour avoir partagé des fichiers audios sur les réseaux sociaux. Sa peine a été réduite de moitié après qu’elle a plaidé coupable. En mars, la police a arrêté et inculpé deux jeunes filles de 14 et 15 ans pour avoir brûlé des photographies du roi.
En juillet, cinq personnes, dont une membre du personnel d’Amnesty International, ont reçu des amendes après avoir participé à une table ronde consacrée au sort de militant·e·s thaïlandais victimes d’enlèvement ou de disparition forcée dans des pays voisins depuis 2016. Les intervenant·e·s ont exprimé leur préoccupation face à l’absence de toute enquête sur la disparition forcée du militant pro-démocratie Wanchalearm Satsaksit au Cambodge, en juin 2020. Ils se sont aussi inquiétés du fait que les autorités thaïlandaises n’avaient pas établi l’endroit où se trouvaient huit autres militants exilés toujours disparus, et ce qu’il était advenu de ces personnes.
Torture et autres mauvais traitements
En août, Jiraphong Thanapat est mort après avoir été torturé au poste de police de Muang Nakhon Sawan. Une vidéo des faits montrait des policiers en train de l’étouffer à l’aide d’un sac en plastique placé sur sa tête jusqu’à ce qu’il perde conscience.
Disparitions forcées
En septembre, pour la première fois, le Parlement a approuvé un projet de loi initial qui érigerait en crimes aussi bien la torture que les disparitions forcées. Le texte omettait toutefois des éléments importants au regard des normes internationales ; par exemple, il n’incluait pas les « personnes ou […] groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État » parmi les potentiels auteurs de disparition forcée, ne comptait pas les traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés par des responsables de l’application des lois dans la liste des infractions punies par la loi, ou encore ne contenait aucune disposition relative à la nature continue du crime de disparition forcée.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Après le coup d’État militaire qui a eu lieu en février au Myanmar, trois journalistes qui avaient fui en Thaïlande ont été arrêtés par les autorités pour être entrés dans le pays de manière illégale. Les gardes-frontières ont renvoyé au Myanmar environ 2 000 villageois·es karens qui avaient fui en Thaïlande pour échapper aux bombardements aériens de l’armée. En novembre, les autorités ont renvoyé de force des réfugié·e·s au Cambodge.
Droit à la santé
La Thaïlande a subi une troisième vague de la pandémie de COVID-19 en avril. La lenteur dont le gouvernement a fait preuve pour déployer le vaccin a été citée comme un facteur déterminant de cette vague et d’autres pics de contaminations au cours de l’année. Les données du gouvernement indiquaient que plus de 20 000 personnes étaient mortes du virus. Environ 87,000 cas ont été enregistrés dans les prisons, la situation étant aggravée par les conditions d’insalubrité et de surpopulation qui y régnaient. En conséquence, 185 détenu·e·s au moins sont décédés des suites du COVID-19.
Droits des peuples autochtones
En février, des membres du peuple Karen ont manifesté devant le siège du gouvernement à Bangkok, exigeant d’être autorisés à retourner sur leurs terres ancestrales dans le village de Jai Pan Din, au sein du parc national de Kaeng Krachan, où ils vivaient depuis des décennies avant d’en être expulsés de force en 2011. Le mois suivant, 22 Karens ont été arrêtés dans le parc national de Kaeng Krachan et placés en détention pour intrusion. Aucun avocat n’a été autorisé à être présent durant leurs interrogatoires.
Droits sexuels et reproductifs
Le Parlement a modifié le Code pénal en février, rendant l’avortement légal pendant les 12 premières semaines de grossesse. La peine d’emprisonnement pour les femmes condamnées pour avoir volontairement mis fin à leur grossesse après le premier trimestre a également été réduite de trois ans à six mois, mais l’avortement après 12 semaines était toujours considéré comme une infraction pénale.