Espagne - Rapport annuel 2021

carte Espagne rapport annuel amnesty

Royaume d’Espagne
Chef de l’État : Felipe VI
Chef du gouvernement : Pedro Sánchez

Les autorités n’ont pas fait le nécessaire pour garantir un accès adéquat à la santé pendant la pandémie. Les violences contre les femmes perduraient, malgré les mesures prises pour renforcer les garanties juridiques. Les femmes rencontraient encore des difficultés pour accéder à l’avortement. Le droit au logement n’était pas suffisamment protégé. Les dispositions de la loi qui faisaient peser des restrictions indues sur la liberté d’expression et de réunion pacifique n’ont toujours pas été modifiées. Les responsables de l’application des lois ont continué de faire un usage excessif de la force. Les autorités n’ont pas veillé à ce que les personnes arrivant de façon irrégulière aux Canaries bénéficient de conditions d’accueil adéquates et d’une procédure d’asile équitable et efficace. Le gouvernement a approuvé un projet de loi sur les droits des victimes de la guerre civile et du franquisme, qui continuaient de se voir privées d’accès à la justice par les tribunaux.

Contexte

Le dernier état d’urgence décrété pour endiguer la pandémie de COVID-19 a pris fin en mai. En juillet, à la suite d’une plainte déposée par le parti politique d’extrême droite VOX, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt controversé sur le premier état d’urgence qui avait été instauré. Elle a jugé que le gouvernement aurait dû avoir recours à un autre régime spécial, appelé « état d’exception », qui aurait nécessité un vote au Parlement. En octobre, la Cour constitutionnelle a estimé que le deuxième état d’urgence avait également violé les règles constitutionnelles.

En septembre, Carles Puigdemont, l’ancien président du gouvernement catalan, a été arrêté en Italie, en exécution d’un mandat délivré par la Cour suprême espagnole, pour sa participation au référendum organisé en Catalogne en 2017 et la déclaration d’indépendance qui a suivi. Les autorités italiennes l’ont libéré le lendemain et ont suspendu la procédure d’extradition dans l’attente de décisions de tribunaux de l’UE portant sur son immunité parlementaire.

Droit à la santé

Cette année encore, la pandémie de COVID-19 a exercé une pression sans précédent sur le système de santé national. Cependant, les autorités n’ont pas mis en place de mesures adéquates pour garantir le droit à la santé de l’ensemble de la population1. Les personnes âgées, ainsi que les personnes atteintes de maladies chroniques ou souffrant de troubles mentaux étaient celles qui rencontraient le plus de difficultés pour accéder à des soins et à des traitements. L’affaiblissement des services de soins de santé primaires pesait particulièrement sur les femmes migrantes, qui devaient assumer une plus grande charge en matière de soins aux malades en raison d’un accès moindre au système de santé2.

Pendant la campagne de vaccination anti-COVID-19, les personnes étrangères, en particulier celles qui étaient en situation irrégulière, ont eu plus de mal à accéder aux services de santé et aux vaccins faute de protocoles clairs permettant à ces groupes d’obtenir les informations nécessaires.

Les besoins en matière de santé mentale ont augmenté pendant la pandémie, mettant en évidence le manque de services dotés de moyens suffisants dans ce domaine. Le personnel de santé a particulièrement pâti de la hausse des maladies liées au stress, en raison de ses conditions de travail et de la surcharge du système de santé. En octobre, le gouvernement a annoncé l’adoption d’une stratégie nationale pour la santé mentale, alors que le pays en était dépourvu depuis sept ans.

Personnes âgées

Grâce à la campagne de vaccination, le nombre de décès liés au COVID-19 dans les maisons de retraite et le pourcentage que ce chiffre représentait par rapport au nombre total de morts liées à cette maladie ont fortement baissé.

Tout au long de l’année, les proches de personnes décédées du COVID-19 en maison de retraite ont manifesté contre les insuffisances des enquêtes et pour demander des comptes aux autorités concernant des décisions qui ont pu contribuer à ces décès.

Violences sexuelles ou fondées sur le genre

Les violences contre les femmes perduraient. Quarante-trois femmes ont été tuées par leur partenaire ou leur ancien partenaire. Cinq enfants ont été tués par leur père, qui cherchait ainsi à punir leur mère.
En mai, le Parlement a adopté la Loi relative à la protection intégrale de l’enfance et de l’adolescence contre la violence. Celle-ci allongeait le délai dans lequel une enquête pouvait être ouverte en cas d’infractions sexuelles graves contre des enfants, et prévoyait que le délai de prescription ne commence à courir qu’une fois que les victimes ont atteint l’âge de 35 ans.

En juillet, le Parlement a commencé à examiner un projet de loi visant à renforcer la protection des victimes de violences sexuelles. Il proposait notamment une nouvelle définition du viol, fondée uniquement sur l’absence de consentement. Ce texte n’avait pas encore été adopté à la fin de l’année. Des organisations, notamment des organisations de travailleuses et travailleurs du sexe, craignaient que les réformes proposées dans ce même projet de loi pour lutter contre l’exploitation dans l’industrie du sexe ne portent atteinte aux droits des travailleuses et travailleurs de ce secteur. Elles ont également déploré que ces réformes aient été approuvées par le gouvernement en l’absence d’une véritable consultation des parties intéressées et sans leur participation.

Droits sexuels et reproductifs

Les adolescentes âgées de 16 et 17 ans avaient toujours besoin de l’autorisation de leurs parents pour avorter. Le nombre toujours élevé de professionnel·le·s de santé qui refusaient de pratiquer des avortements pour des « raisons de conscience » continuait de restreindre l’accès des femmes à l’avortement au sein du système de santé national.

Droits en matière de logement

En dépit de la pandémie, 22 536 expulsions ont eu lieu entre janvier et juin. Près de 5 400 personnes ont été expulsées parce qu’elles ne pouvaient pas rembourser leur emprunt et quelque 16 000 autres parce qu’elles ne pouvaient plus payer leur loyer. Le gouvernement a cependant prolongé la suspension des expulsions jusqu’au 28 février 2022 pour les personnes économiquement fragiles.

En mars, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] a jugé recevable une plainte déposée contre l’Espagne pour violation du droit au logement d’une famille expulsée sans qu’aucune autre solution d’hébergement adaptée lui ait été proposée. Plus de 100 autres plaintes contre l’Espagne relatives au droit à un logement convenable étaient toujours en instance devant ce Comité.

Recours excessif à la force

Cette année encore, des cas de recours à une force injustifiée et excessive par les forces de sécurité ont été signalés. En février, un membre des forces de l’ordre a fait usage d’une arme à feu contre des manifestant·e·s lors de mouvements de protestation à Linares (Andalousie) après l’agression d’un homme et de sa fille par deux policiers qui n’étaient pas en service. Selon les conclusions d’une enquête interne, l’agent qui a tiré n’a pas pu être identifié. En juin, le ministère de l’Intérieur a rejeté la recommandation du médiateur en faveur de l’adoption de mécanismes visant à empêcher toute erreur concernant l’attribution des munitions et à garantir l’identification des agent·e·s.

Toujours en février, une femme a perdu un œil, semble-t-il à cause de l’impact d’une balle en caoutchouc tirée par la police catalane lors des manifestations qui ont suivi l’arrestation du rappeur Pablo Hasél. Une instruction judiciaire a été ouverte.

En avril, des membres des forces de l’ordre ont tiré de grosses balles en caoutchouc sur des migrants pour réprimer un mouvement de protestation dans un centre d’accueil des Canaries. Huit migrants ont été arrêtés, et au moins 10 ont dû recevoir des soins médicaux.

Les enquêtes sur les cas présumés de recours illégal à la force par des membres des forces de l’ordre lors des manifestations d’octobre 2017 en Catalogne étaient toujours en cours à la fin de l’année.

Torture et autres mauvais traitements

En novembre, le Comité européen pour la prévention de la torture a constaté que de nombreuses informations crédibles faisaient état de mauvais traitements infligés par des membres du personnel pénitentiaire et des forces de police. Il a également observé que la contention mécanique, une méthode consistant à immobiliser des détenu·e·s sur un lit, était toujours employée, y compris sur des personnes mineures, et il a recommandé son abolition.

Liberté d’expression et de réunion

La Loi de 2015 relative à la sécurité publique et les dispositions du Code pénal qui restreignaient indûment les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique n’ont pas été modifiées et continuaient d’être appliquées.
En février, le rappeur Pablo Hasél a commencé à purger une peine de neuf mois d’emprisonnement pour « glorification du terrorisme » et « injure à la couronne et aux institutions de l’État ». Il avait été déclaré coupable de ces infractions pénales en 2018 en raison du contenu de certains de ses tweets.

En juin, Jordi Cuixart et Jordi Sànchez, deux figures de la société civile appartenant au mouvement pour l’indépendance de la Catalogne, ont été libérés de prison à la faveur d’une grâce gouvernementale. Ils avaient passé presque quatre ans en détention après avoir été injustement déclarés coupables de sédition en lien avec des manifestations pacifiques et le référendum de 2017 sur l’indépendance de la Catalogne.

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Le gouvernement espagnol a évacué 2 026 personnes afghanes après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan. Pour la première fois, il a autorisé des ressortissant·e·s afghan·e·s à demander l’asile à l’ambassade d’Espagne au Pakistan. Quarante-huit personnes au moins ont ensuite été transférées en Espagne en octobre.

Au total, 22 200 personnes demandeuses d’asile ou migrantes sont arrivées aux Canaries par la mer. Au moins 955 personnes, dont au moins 80 enfants, sont mortes en mer en tentant la traversée depuis la côte ouest de l’Afrique. La mauvaise gestion des opérations et les capacités d’accueil insuffisantes sur les îles ont engendré des souffrances inutiles pour les réfugié·e·s et les migrant·e·s, dont de nombreux enfants non accompagnés, en raison d’une surpopulation qui aurait pu être évitée et de conditions déplorables dans les centres d’accueil. Les autorités n’ont pas non plus garanti l’accès à une procédure d’asile équitable et efficace. Les personnes qui demandaient l’asile ne pouvaient pas accéder à des informations adéquates sur leurs droits et les autorités n’ont pas fait en sorte que leur enregistrement et le traitement de leur demande se fassent en temps voulu. En septembre, environ 1 000 enfants non accompagnés attendaient l’examen de leur dossier et l’obtention de leurs papiers.

En mai, 8 000 personnes, dont 2 000 mineur·e·s non accompagnés, sont entrées de manière irrégulière dans l’enclave espagnole de Ceuta depuis le Maroc. Les gardes marocains les avaient laissés franchir les postes de contrôle. Peu après, les autorités espagnoles ont renvoyé illégalement et collectivement 2 700 personnes au Maroc. Des cas de recours excessif à la force ont été signalés.

En août, les autorités ont renvoyé illégalement 55 enfants non accompagnés au Maroc. Les tribunaux espagnols ont jugé que ces renvois étaient illégaux et les ont suspendus. Peu après, cependant, le Premier ministre a réaffirmé l’intention du gouvernement de continuer d’expulser des enfants non accompagnés vers le Maroc.

En octobre, le gouvernement a réduit les délais d’obtention du permis de résidence pour les enfants non accompagnés et a allégé les conditions de renouvellement des permis de travail et de résidence après l’âge de 18 ans, afin que les personnes concernées ne perdent pas le bénéfice de la régularisation de leur situation.
Impunité

En septembre, le gouvernement a soumis au Parlement un projet de loi visant à garantir les droits à la vérité, à la justice et à des réparations pour les victimes de la guerre civile et du franquisme. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition et le Comité des disparitions forcées des Nations unies ont demandé au Parlement de renforcer certains aspects de ce texte avant son adoption.

En février, la Cour suprême a rendu son deuxième arrêt sur les crimes de la guerre civile et du franquisme, qui faisait suite à son arrêt historique de 2012. Elle a rappelé que la justice espagnole ne pouvait pas enquêter sur ces violations des droits humains commises dans le passé, en raison de l’expiration du délai prévu pour l’ouverture d’enquêtes et parce que ces enquêtes violeraient le principe de légalité et la Loi de 1977 sur l’amnistie.

En septembre, la Cour constitutionnelle a rejeté un appel formé par une personne qui avait été victime de torture à la fin du régime franquiste, au motif qu’au regard du droit international, l’Espagne n’était pas tenue d’enquêter et d’engager des poursuites dans cette affaire, car l’interdiction des crimes contre l’humanité ne pouvait pas s’appliquer de manière rétroactive.

La otra pandemia. Entre el abandono y el desmantelamiento : el derecho a la salud y la Atención Primaria en España, 26 février

« ONG reclaman que las poblaciones vulnerables tengan garantizado su acceso a las vacunas de la Covid-19 en España », 29 avril

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