France - Rapport annuel 2021

carte France rapport annuel amnesty

République française
Chef de l’État : Emmanuel Macron
Chef du gouvernement : Jean Castex

Les lois sur la « sécurité globale » et « confortant le respect des principes de la République » ont soulevé des inquiétudes en ce qui concerne la surveillance de masse et les droits à la liberté d’expression et d’association. Les autorités ont cette année encore recouru à des dispositions pénales floues et excessivement générales pour arrêter et poursuivre en justice des manifestant·e·s pacifiques, et utilisé des armes dangereuses pour le maintien de l’ordre lors de rassemblements publics. En juin, la police a eu recours à une force excessive pour disperser plusieurs centaines de personnes qui s’étaient rassemblées pacifiquement pour un teknival. En juillet, une coalition d’organisations a saisi la justice dans le cadre d’une action de groupe, accusant le gouvernement de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher les pratiques policières de profilage ethnique et de discrimination raciale systémique. Les personnes transgenres n’avaient toujours pas accès à la fécondation in vitro. Les autorités ont renvoyé de force des Tchétchènes en Russie alors qu’ils risquaient fortement d’y subir de graves violations des droits humains. En février, un tribunal administratif a conclu pour la première fois que l’inaction des autorités face à l’urgence climatique était illégale.

Liberté d’expression

Le Parlement a adopté en avril la Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, qui comprenait une disposition limitant le droit de partager des images sur lesquelles des policiers pouvaient être identifiés. Des voix se sont inquiétées de ce que cela risquait d’empêcher la presse et les défenseur·e·s des droits humains de publier des informations d’intérêt public sur des violences policières présumées. En mai, le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition contraire à la Constitution.

La Loi confortant le respect des principes de la République a été adoptée par le Parlement en juillet et est entrée en vigueur en août. Cette loi érigeait en infraction la publication d’informations sur la vie privée ou professionnelle d’une personne, y compris d’un·e agent·e de la force publique, dès lors que ces informations risquaient d’exposer cette personne ou des membres de sa famille à un risque direct. Bien que la loi contienne une disposition spécifique concernant la presse, ces restrictions disproportionnées de la liberté d’expression n’en restaient pas moins préoccupantes.

Liberté de réunion

Les autorités ont cette année encore utilisé des dispositions pénales vagues et excessivement larges pour arrêter et poursuivre en justice des manifestant·e·s pacifiques, notamment dans le contexte de rassemblements publics contre le projet de loi sur la « sécurité globale ». En mai, un tribunal a acquitté Frédéric Vuillaume, un syndicaliste qui avait manifesté pacifiquement contre ce projet de loi en décembre 2020. Il était poursuivi pour avoir participé à un rassemblement public que les autorités considéraient comme une menace pour l’ordre public.

En juin, la police a eu recours à une force excessive pour disperser plusieurs centaines de personnes qui s’étaient rassemblées pacifiquement pour un teknival à Redon, en Bretagne. La police a utilisé des armes telles que des gaz lacrymogènes et des grenades incapacitantes, principalement pendant la nuit. De graves blessures ont été occasionnées durant l’opération de police, un homme a notamment perdu une main. Ces agissements sont contraires au droit national et au droit international, en vertu desquels le recours à la force doit être nécessaire et proportionné. À la fin de l’année, les autorités n’avaient toujours pas ouvert de véritable enquête indépendante sur cette opération de dispersion.

Le président Emmanuel Macron a annoncé en septembre des mesures destinées à garantir l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains commises par la police, notamment avec un contrôle parlementaire. Cependant, ces mesures ne prévoyaient pas la création d’un mécanisme de surveillance pleinement indépendant.

Liberté d’association

En août, la Loi confortant le respect des principes de la République a introduit de nouveaux motifs controversés de dissolution des organisations, parmi lesquels l’incitation à la discrimination ou à la violence par un membre d’une organisation dès lors que ses dirigeant·e·s n’ont pas fait le nécessaire pour empêcher ces agissements. Déjà avant cette loi, le gouvernement pouvait dissoudre une organisation pour des motifs vagues et sans contrôle judiciaire préalable.

La nouvelle loi a également introduit l’obligation, pour les organisations sollicitant des subventions publiques, de signer un « contrat d’engagement républicain » par lequel elles s’engageaient à « respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine ». Le fait de conditionner les subventions des organisations à des principes aussi vagues risquait d’entraîner des restrictions disproportionnées des droits à la liberté d’association et d’expression.

Discrimination

Minorités raciales, ethniques ou religieuses

Des organisations de la société civile ont continué à faire état d’allégations de contrôles discriminatoires d’identité par la police. En juin, la cour d’appel de Paris a conclu que trois lycéens issus de minorités ethniques avaient été victimes de discrimination en 2017 lorsque la police les avait soumis à un contrôle d’identité à leur retour d’un voyage scolaire. En juillet, une coalition d’organisations a saisi le Conseil d’État dans le cadre d’une action de groupe, accusant le gouvernement de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher les pratiques policières de profilage ethnique et de discrimination raciale systémique.

Des titulaires de fonctions officielles ont énoncé des clichés et des préjugés à l’égard des personnes musulmanes pendant les débats publics sur la loi relative aux « principes de la République ». Dans l’objectif de protéger les principes de laïcité et de neutralité du service public, cette loi a renforcé l’interdiction de manifester sa religion ou ses convictions dans le secteur public, y compris pour les personnes non salarié·e·s participant à l’exécution du service public. En vertu du droit international relatif aux droits humains, il ne s’agissait pas d’objectifs légitimes justifiant des restrictions du droit à la liberté de religion et de conviction.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Le Parlement a adopté en juin une loi sur la bioéthique permettant l’accès à la fécondation in vitro (FIV) pour toutes les femmes, quelles que soient leur orientation sexuelle ou leur situation maritale. Cependant, les personnes transgenres restaient exclues de cette disposition.

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Cette année encore, les autorités ont renvoyé de force des personnes tchétchènes en Russie alors qu’elles risquaient fortement d’y subir de graves violations des droits humains. En avril, la police tchétchène a enlevé Magomed Gadaïev, réfugié et témoin clé dans une enquête très médiatisée sur une affaire de torture visant les autorités tchétchènes, deux jours après son expulsion vers la Russie par la France. Son renvoi forcé avait eu lieu malgré une décision de la Cour nationale du droit d’asile, rendue en mars, qui s’opposait à cette mesure.

En septembre, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a exprimé sa préoccupation au sujet d’une allocution prononcée par le président Emmanuel Macron lors de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan. Celui-ci avait souligné la nécessité de protéger les demandeurs et demandeuses d’asile tout en luttant contre les « flux migratoires irréguliers » en provenance d’Afghanistan. La CNCDH a appelé le gouvernement à favoriser la mise en place d’un mécanisme européen visant à partager les responsabilités concernant la protection des Afghanes et Afghans ayant fui leur pays et arrivant sur le sol européen, et à suspendre les renvois forcés en Afghanistan. Après la chute de Kaboul, le 15 août, la France a continué de prendre des « obligations de quitter le territoire français » contre des ressortissant·e·s afghans. En septembre, le ministère de l’Intérieur a confirmé qu’au moins 20 personnes afghanes avaient été envoyées dans d’autres pays de l’UE au titre du règlement de Dublin, depuis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan. Le 29 septembre, quatre hommes afghans ont été renvoyés vers la Bulgarie ; le gouvernement bulgare continuait de considérer que les demandes d’asile de personnes venant d’Afghanistan étaient infondées et refusait de les étudier.

Les personnes migrantes et demandeuses d’asile ont continué de subir des traitements dégradants, en particulier à Calais, où la police et les autorités locales ont limité leur accès à l’aide humanitaire et les ont soumises à des manœuvres de harcèlement, mais aussi à Menton et à Briançon, où des migrant·e·s se sont vu refuser le droit de demander l’asile. Le 24 novembre, au moins 27 personnes ont péri noyées en tentant de se rendre au Royaume-Uni par bateau depuis Calais. En l’absence de véritables possibilités d’accès à la procédure d’asile en France et face aux obstacles à la réunification familiale et à l’absence d’autres voies sûres et légales pour demander l’asile au Royaume-Uni, les tentatives de traversée de la Manche n’ont cessé de se multiplier.

Défenseur·e·s des droits humains

En septembre, un tribunal a condamné un policier qui avait agressé physiquement Tom Ciotkowsky, défenseur des droits humains, à Calais en 2018. Le même mois, une cour d’appel a acquitté sept défenseur·e·s des droits humains qui avaient été déclarés coupables d’avoir facilité l’entrée et la circulation de personnes migrantes en situation irrégulière à Briançon, en 2018.

Surveillance de masse

En avril, la loi sur la « sécurité globale » a élargi l’utilisation de la vidéosurveillance et introduit une disposition autorisant les autorités à utiliser des drones pour filmer les personnes dans un large éventail de circonstances, avec très peu d’exceptions et sans aucun contrôle indépendant. Le Conseil constitutionnel a jugé en mai que cette disposition était contraire à la Constitution.

Le gouvernement a proposé en juillet un nouveau projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, qui contenait lui aussi une disposition autorisant la captation d’images par drone dans de nombreuses circonstances. Cette disposition excluait explicitement le recours aux technologies de reconnaissance faciale, mais ne soumettait pas l’utilisation des drones au contrôle d’un mécanisme indépendant. Ce projet de loi était toujours en instance devant le Parlement à la fin de l’année.

Droit de circuler librement

Après avoir ordonné en février la libération provisoire de Kamel Daoudi le temps de réexaminer son dossier, la cour d’appel de Riom a confirmé en mai les mesures de contrôle administratif visant cet homme, ainsi que sa condamnation pour violation du couvre-feu auquel il était astreint en 2020. Kamel Daoudi était soumis depuis 2008 à des mesures de contrôle administratif qui restreignaient ses droits à la liberté de circulation et au respect de la vie privée.

Droits des personnes détenues

En juin, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a exprimé sa préoccupation au sujet des violences et des mauvais traitements subis par des personnes en garde à vue, y compris au sujet d’allégations d’insultes racistes et homophobes proférées par des policiers.

Le CPT s’est aussi inquiété de la surpopulation et d’autres conditions de détention dans les prisons françaises, ainsi que de la détention de personnes souffrant de troubles psychiatriques dans des prisons ordinaires en raison du manque de structures adéquates.

Transferts d’armes irresponsables

En septembre, des organisations de la société civile ont saisi la justice pour obtenir la transparence et l’accès à l’information sur les transferts d’armes de la France vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, armes qui risquaient fortement d’être utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations du droit international humanitaire ou relatif aux droits humains dans le cadre du conflit au Yémen. Le gouvernement et le Parlement ne sont pas parvenus à s’entendre sur la création d’un mécanisme de contrôle parlementaire sur les transferts d’armes.

Responsabilité des entreprises

Le Sénat a adopté en septembre un amendement au Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire qui donnait aux tribunaux de commerce compétence pour juger les litiges relatifs au devoir de vigilance des entreprises – une obligation juridique imposant aux grandes entreprises de publier annuellement un plan de vigilance pour remédier aux éventuelles répercussions négatives de leurs activités sur les droits humains et l’environnement. Des organisations de la société civile ont exprimé leur inquiétude, car elles avaient demandé que la compétence pour juger ce type d’affaires revienne aux tribunaux judiciaires. Le 21 octobre, une commission mixte paritaire a rejeté l’amendement du Sénat, posant ainsi que les effets sur les droits humains et l’environnement des activités des entreprises seraient du ressort du tribunal judiciaire de Paris. En décembre, la
Cour de cassation a rendu un arrêt reconnaissant la compétence des tribunaux judiciaires, à l’issue de la première action en justice intentée au titre de la loi sur le devoir de vigilance.

Lutte contre la crise climatique

En février, un tribunal administratif a conclu pour la première fois que l’inaction des autorités face à l’urgence climatique était illégale et que la responsabilité du gouvernement pouvait être mise en cause pour non-respect de ses engagements.

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