Résumé régional Afrique - Rapport annuel 2021

Les populations civiles en Afrique ont continué de subir les conséquences de conflits armés interminables. Les parties aux conflits qui déchiraient le Burkina Faso, le Cameroun, l’Éthiopie, le Mali, le Mozambique, le Niger, le Nigeria, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo (RDC), la Somalie et le Soudan du Sud ont perpétré des crimes de guerre et d’autres graves atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Dans certains cas, ces agissements pouvaient être considérés comme des crimes contre l’humanité. Obtenir justice s’est avéré être un objectif souvent hors d’atteinte pour les victimes. Les conflits ont entraîné le déplacement de millions de personnes. Or, la situation humanitaire et les conditions de sécurité dans les camps de personnes réfugiées ou déplacées demeuraient très précaires.

Alors que les conflits faisaient rage, la pandémie de COVID-19 s’est abattue sur l’Afrique et a eu des effets dévastateurs sur les droits humains. Les efforts déployés par les États pour l’endiguer se sont heurtés à des inégalités mondiales en matière de vaccins dues aux entreprises pharmaceutiques et aux pays riches. À la fin de l’année, moins de 8 % des 1,2 milliard d’habitant·e·s du continent présentaient un schéma vaccinal complet. La pandémie a entraîné des fermetures d’écoles et perturbé l’apprentissage, et les enfants vivant dans des pays en proie à un conflit rencontraient encore plus de difficultés que les autres s’agissant de l’accès à l’éducation. Dans plusieurs pays, malgré la pandémie, des expulsions forcées ont eu lieu, faisant des dizaines de milliers de sans-abri.

Les mesures prises pour lutter contre la propagation du COVID-19 ont servi de justification aux pouvoirs publics pour réprimer le droit à la dissidence et d’autres libertés. De nombreux gouvernements ont interdit des manifestations pacifiques, en prétextant des préoccupations pour la santé et la sécurité. Lorsque des personnes descendaient malgré tout dans la rue en bravant ces interdictions, les forces de sécurité utilisaient une force excessive pour les disperser. Par ailleurs, les autorités ont aussi continué de réduire au silence des défenseur·e·s des droits humains ou de les traiter en criminels. Des États ont pris des mesures pour réduire à néant l’espace civique et restreindre la liberté de la presse, et ont instrumentalisé des lois relatives à la sédition, au terrorisme et à la diffamation.

La discrimination liée au genre et d’autres formes d’inégalités demeuraient profondément ancrées dans les sociétés. Parmi les sujets qui suscitaient les plus vives inquiétudes, citons les flambées de violences fondées sur le genre, l’accès limité aux services et aux informations en matière de santé sexuelle et reproductive, les mariages précoces ou forcés, et le fait que des filles enceintes se retrouvaient exclues du système scolaire. Dans le même temps, des personnes LGBTI ont été harcelées, arrêtées et poursuivies en justice en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelles ou présumées.

Plusieurs pays ont été particulièrement touchés par la sécheresse, encore aggravée par le changement climatique, et d’inquiétantes dégradations de l’environnement ont été observées dans d’autres pays.

Attaques et homicides illégaux

Tous les conflits dans la région ont été marqués par des attaques ciblant de façon systématique des civil·e·s et des infrastructures civiles. Au 24 novembre, Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) avaient tué au moins 70 civil·e·s au cours d’environ 51 attaques dans la région de l’Extrême-Nord, au Cameroun. En République centrafricaine, les forces nationales et leurs alliés ont pris pour cible une mosquée en février, faisant 14 morts. Selon la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), 228 civil·e·s ont été tués entre juin et octobre à cause du conflit. En Éthiopie, le Front populaire de libération du Tigré (FPLT), les forces de sécurité nationales et des milices ont massacré des centaines de civil·e·s, souvent en raison de l’identité ethnique de ces personnes, notamment à Bora, Edaga Berhe et Adi Goshu. Au Niger, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) a attaqué des villageois·es et des commerçants dans les régions de Tillabéri et de Tahoua. Trois de ces attaques, perpétrées entre janvier et mars, ont fait au moins 298 morts parmi la population civile. Dans le nord-est du Nigeria, Boko Haram et l’EIAO ont lancé au moins 30 attaques qui ont causé la mort de plus de 123 civil·e·s.

Les attaques aveugles faisant des morts et des blessés parmi la population civile étaient aussi un trait commun à tous les conflits de la région. En République centrafricaine, des engins explosifs improvisés ont tué au moins 15 personnes durant le premier semestre de l’année. En Éthiopie, une frappe aérienne de l’armée sur un marché, dans le village d’Edaga Selus (Tigré), a tué plus de 50 civil·e·s et en a blessé de nombreux autres. De même, une attaque d’artillerie, qui serait imputable aux forces du FPLT, a fait six morts dans un quartier résidentiel de Debre Tabor, dans la région Amhara. Dans le contexte du conflit qui sévissait dans la province de Cabo Delgado, au Mozambique, Dyck Advisory Group, une entreprise privée paramilitaire engagée par le gouvernement pour fournir une force de réaction rapide, a tiré à la mitraillette et largué des explosifs de façon aveugle depuis ses hélicoptères, souvent sans faire de distinction entre installations civiles et cibles militaires.

Dans le nord-est du Nigeria, au moins 16 personnes ont été tuées et 47 blessées en février, lorsque Boko Haram a tiré au lance-roquettes sur plusieurs secteurs de Maiduguri (État de Borno). En septembre, neuf personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées par une frappe aérienne militaire sur le village de Buwari (État de Yobe). En Somalie, les Nations unies ont rassemblé des informations sur 241 morts et 295 blessés au sein de la population civile entre février et juillet. Le groupe armé Al Shabab a été responsable de 68 % des victimes d’attaques menées sans discernement, les autres étant attribuées aux forces de sécurité étatiques, à des milices claniques et aux forces internationales et régionales, y compris la Mission de l’Union africaine en Somalie.

Presque tous les acteurs impliqués dans un conflit armé en Afrique ont utilisé les violences sexuelles comme arme de guerre. En République centrafricaine, la MINUSCA a établi l’existence de 131 cas, dont 115 viols, entre janvier et juin. En RDC, les violences sexuelles liées au conflit demeuraient endémiques : par exemple, au moins 1 100 femmes ont été violées dans le Nord-Kivu et en Ituri entre janvier et septembre, selon les Nations unies. En Éthiopie, les parties au conflit ont commis de nombreux viols contre des femmes et des filles dans le Tigré et dans la région Amhara. Au Soudan du Sud, les Nations unies ont estimé que les forces de sécurité étatiques et des acteurs armés non étatiques ont été responsables d’au moins 63 cas de violences sexuelles liées au conflit, y compris de viols, de viols en réunion et de nudité forcée. Au Niger, des membres du contingent tchadien du G5 Sahel ont violé deux femmes et une fillette de 11 ans à Téra (région de Tillabéri), en avril.

Les blocus et les restrictions entravant l’accès à l’aide humanitaire faisaient également partie de la stratégie de guerre dans certains conflits. Au Burkina Faso, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) a instauré un blocus à Mansila (province du Yagha), plaçant ainsi la population dans une situation d’insécurité alimentaire. Au Mali, le GSIM a imposé des blocus sur de nombreux villages, empêchant la population de circuler librement et d’accéder aux terres agricoles et à l’eau, afin de la contraindre à ne plus collaborer avec l’armée. Des groupes armés et des groupes d’autodéfense, ainsi que les autorités gouvernementales elles-mêmes, ont continué d’empêcher ou de restreindre l’accès à l’aide humanitaire au Cameroun, en Éthiopie, en RDC et au Soudan du Sud. C’est l’une des raisons pour lesquelles plus de cinq millions de personnes en Éthiopie, 19,6 millions en RDC et 8,3 millions au Soudan du Sud avaient cruellement besoin d’une aide humanitaire, en particulier de nourriture et de médicaments, selon les Nations unies.

Dans plusieurs pays, de nombreuses personnes ont été tuées lors de flambées de violences intercommunautaires et de troubles politiques. Au Cameroun, des personnes, des établissements de santé et des écoles des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, toutes deux anglophones, ont été pris pour cible par des séparatistes armés présumés. Ces atteintes ont été commises sur fond de tensions intercommunautaires croissantes. En Éthiopie, les violences interethniques ont fait au moins 1 500 morts dans les régions Afar, Amhara, Benishangul-Gumuz, Oromia et Somali. Au Nigeria, les attaques de bandits et les violences intercommunautaires entre éleveurs nomades et agriculteurs ont fait plus de 3 494 morts. En Afrique du Sud, les violences déclenchées par l’arrestation de l’ancien président Jacob Zuma ont fait au moins 360 morts.

Impunité

Dans presque tous les pays, les responsables de crimes de droit international et d’autres graves atteintes aux droits humains jouissaient de l’impunité. Au Burkina Faso, deux membres du groupe armé Ansarul Islam ont été déclarés coupables d’infractions en lien avec le terrorisme, mais aucun progrès sensible n’a été accompli dans l’enquête sur les homicides illégaux de 50 personnes et les disparitions forcées de 66 autres, que des milices koglweogo auraient perpétrés dans le village de Yirgou (province du Sanmatenga) en 2019. En République centrafricaine, la Cour pénale spéciale (CPS) a annoncé avoir décerné 25 mandats d’arrêt, mais aucun n’avait été effectivement appliqué à la fin de l’année. Les autorités ont créé une commission d’enquête pour faire la lumière sur les atteintes aux droits humains commises par toutes les parties depuis le début de l’offensive lancée par le groupe armé Coalition des patriotes pour le changement (CPC), mais cette instance n’a pas rendu publics son rapport ni le programme de ses activités à venir.

En RDC, au moins 80 militaires et policiers ont été poursuivis dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri, du Tanganyika et du Kasaï pour des crimes graves, notamment des violences sexuelles. L’ancien chef de guerre congolais Roger Lumbala a été arrêté par les autorités françaises pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En revanche, de nombreux autres responsables présumés de crimes de droit international en RDC continuaient de jouir de l’impunité. Au Mali, des procès pour terrorisme ont eu lieu, mais il est à craindre qu’ils n’aient pas été conformes aux normes internationales relatives à l’équité des procès. Parallèlement à cela, les enquêtes sur des crimes de droit international commis par l’armée et des groupes armés ont peu progressé.
Au Rwanda, Jean-Claude Iyamuremye, accusé d’avoir dirigé la milice Interahamwe dans la commune de Kicukiro pendant le génocide de 1994, a été déclaré coupable de génocide et condamné à 25 ans de réclusion.

Deux personnes soupçonnées d’avoir pris part au génocide ont été extradées par les États-Unis vers le Rwanda et un autre suspect a été extradé par les Pays-Bas. Au Soudan du Sud, les autorités ont préféré, semble-t-il, accorder la priorité à la vérité plutôt qu’aux procès, car elles ont continué de retarder et d’entraver la création du tribunal hybride. Au Soudan, l’année s’est terminée sans que quiconque n’ait été amené à rendre des comptes pour les homicides d’au moins 100 manifestant·e·s commis le 3 juin 2019. En outre, les autorités ne respectaient toujours pas leur obligation de remettre Omar el Béchir et deux autres suspects à la CPI afin qu’ils répondent d’accusations de crimes contre l’humanité, génocide et crimes de guerre pour des faits perpétrés dans le Darfour.

Droits économiques, sociaux et culturels

Droit à la santé

La pandémie de COVID-19 a continué de sévir en Afrique, et ses effets sur les droits humains ont été dévastateurs. Près de neuf millions de cas et plus de 220 000 décès ont été enregistrés au cours de l’année. L’Afrique du Sud est demeurée l’épicentre de la pandémie, au regard du nombre de cas signalés et de décès. Les mesures prises par les États pour endiguer la pandémie ont été entravées par la répartition inégale des vaccins au niveau mondial, due aux entreprises pharmaceutiques et aux pays riches. En effet, les entreprises pharmaceutiques ont livré les vaccins en priorité aux pays à revenu élevé, lesquels ont accumulé plus de doses que nécessaire. Les pays riches ont aussi fait barrage aux tentatives visant à augmenter l’approvisionnement des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire grâce à la levée temporaire des droits de propriété intellectuelle et au partage accru de technologies et de savoir-faire.

Les pays africains ont reçu des doses de vaccin contre le COVID-19 principalement par l’intermédiaire du dispositif COVAX, du Fonds africain pour l’acquisition des vaccins (AVAT) et de dons bilatéraux. Trop souvent, les livraisons étant insuffisantes ou leur arrivée imprévisible, il était difficile pour les gouvernements d’obtenir la confiance de la population et de structurer des campagnes de vaccination efficaces. Dans plusieurs pays comme le Malawi, la RDC et le Soudan du Sud, des lots de vaccins ont été livrés peu avant leur date de péremption, obligeant les autorités à les détruire ou à les retourner afin qu’ils soient réaffectés à d’autres pays. Compte tenu des problèmes d’approvisionnement, il était encore plus difficile de fournir des vaccins aux populations fragiles, comme les personnes âgées ou les malades chroniques. Parmi les facteurs internes qui ont nui à l’efficacité des campagnes de vaccination en Afrique, citons les inégalités, les hésitations face aux vaccins et l’insécurité sur le territoire national. Moins de 8 % des 1,2 milliard d’habitant·e·s du continent présentaient un schéma vaccinal complet à la fin de l’année, soit le taux le plus faible au monde, bien loin de l’objectif de 40 % établi par l’OMS.

La pandémie de COVID-19 a continué à mettre en lumière dans la région le manque chronique d’investissement dans le secteur de la santé, observé depuis de nombreuses décennies. Dans la plupart des pays, les systèmes de santé déjà déficients ont été mis à rude épreuve, en particulier lors de la troisième vague.

En Somalie, un hôpital de Mogadiscio, la capitale, a pris en charge à lui seul, pendant une grande partie de l’année, tous les cas de COVID-19 survenus dans le sud et le centre du pays. Les hôpitaux publics et les cliniques privées de la province du Gauteng, en Afrique du Sud, ont eu du mal à faire face aux besoins, avec un taux d’occupation des lits de 91 % en juillet. Au Congo, au Nigeria, en RDC et au Togo, le personnel soignant s’est mis en grève ou a organisé des sit-in pour dénoncer les dysfonctionnements des systèmes de santé ou réclamer des mois d’arriérés de salaire. Des faits de corruption présumés, concernant notamment les fonds affectés à la lutte contre le COVID-19, ont mis encore plus en difficulté le secteur de la santé dans de nombreux pays, notamment en Afrique du Sud et au Cameroun.

Droit à l’éducation

Les fermetures d’écoles et les autres perturbations de l’apprentissage imputables à la pandémie ont continué à susciter de vives inquiétudes. Au Tchad, le taux de scolarisation des filles dans l’enseignement secondaire est passé de 31 % en 2017 à 12 % en 2021, en raison des fermetures d’établissements et du taux élevé de mariages précoces ou forcés. En Afrique du Sud, environ 750 000 enfants avaient abandonné l’école en mai, soit au bas mot trois fois plus que les 230 000 d’avant la pandémie. En Ouganda, où les écoles ont commencé à rouvrir progressivement en février, avant de fermer à nouveau en juin, l’Autorité nationale de la planification a estimé que plus de 30 % des élèves ne retourneraient pas à l’école.

Dans les pays en proie à un conflit, les enfants éprouvaient des difficultés particulières et profondes en matière d’accès à l’éducation. Au Burkina Faso, au Cameroun et au Niger, Boko Haram, l’EIGS, le GSIM et d’autres groupes armés ont continué d’interdire l’« éducation occidentale » et commis des crimes de guerre en attaquant des écoles. Dans le même temps, les menaces et les violences dissuadaient toujours les enseignant·e·s de se rendre au travail. Au Burkina Faso, l’UNICEF a indiqué que 2 682 écoles étaient encore fermées, ce qui concernait 304 564 élèves et 12 480 enseignant·e·s. En République centrafricaine, la CPC a attaqué ou occupé au moins 37 écoles entre janvier et juin. Au Niger, en juin, 377 écoles de la région de Tillabéri étaient fermées et plus de 50 % des enfants de sept à 16 ans n’étaient pas scolarisés à l’échelle nationale, selon l’UNICEF.

Droit au logement

En dépit de la pandémie de COVID-19, des expulsions forcées ont eu lieu dans plusieurs pays et fait des dizaines de milliers de sans-abri. Au Ghana, au Kenya et au Nigeria, les expulsions forcées se sont déroulées pour la plupart dans des centres urbains et ont consisté notamment à démolir des centaines de logements construits dans ce que les autorités considéraient comme des « quartiers illégaux ». D’autres expulsions forcées étaient motivées par des intérêts économiques. Dans le district de Kiryandongo, en Ouganda, plus de 35 000 personnes ont été expulsées de force de leur habitation afin de permettre l’implantation de fermes industrielles. Au Zimbabwe, des milliers de villageois·es ont été chassés de leurs terres à Chisumbanje pour permettre à une entreprise productrice de carburant d’étendre ses plantations de canne à sucre.

Sur une note plus positive, des tribunaux au Kenya et en Ouganda ont fait respecter le droit au logement et condamné des expulsions forcées. La Cour suprême du Kenya a jugé que l’expulsion, en 2013, des habitant·e·s de City Carton, un bidonville de Nairobi, la capitale du pays, constituait une violation du droit au logement de ces personnes. En Ouganda, la Cour constitutionnelle a jugé que l’Autorité de la flore et de la faune sauvage (UWA) avait expulsé illégalement les Pygmées batwas, un peuple autochtone, de leurs terres ancestrales situées dans la forêt de Mgahinga, dans le sud-ouest du pays.

Répression de la dissidence

Manifestations et recours à une force excessive

Les mesures destinées à endiguer la propagation du COVID-19 ont été utilisées comme prétexte pour réprimer la dissidence pacifique et d’autres droits ; partout dans la région, cette répression s’est poursuivie sans relâche. La réaction première de nombreux gouvernements a été d’interdire les manifestations pacifiques, en invoquant des préoccupations pour la santé et la sécurité, notamment au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Tchad. En parallèle, dans des pays comme l’Eswatini et le Soudan du Sud, des organisateurs et organisatrices ont été arrêtés avant les rassemblements et les autorités ont perturbé l’accès à Internet pour tenter, semble-t-il, d’empêcher les manifestations prévues. Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestations pacifiques auxquelles participaient des centaines voire des milliers de personnes qui bravaient les interdictions. Dans plus d’une douzaine de pays, dont l’Angola, le Bénin, l’Eswatini, la Guinée, le Nigeria, la Sierra Leone, le Soudan et le Tchad, les forces de sécurité ont tué de nombreuses personnes en tirant à munitions réelles. En Eswatini, la dispersion violente des manifestations en faveur de la démocratie qui avaient débuté en mai avait fait 80 morts et plus de 200 blessés en octobre. Au Soudan, au moins 53 personnes sont mortes lorsque les forces de sécurité ont utilisé des munitions réelles pour disperser des manifestations contre le coup d’État militaire d’octobre.

Par ailleurs, des manifestant·e·s pacifiques ont fait l’objet d’arrestations et de poursuites arbitraires. Au Tchad, au moins 700 personnes manifestant contre le processus électoral, puis contre la mise en place du gouvernement de transition, ont été arrêtées. En RDC, trois militants arrêtés dans le Nord-Kivu pour avoir organisé un sit-in pacifique contre la mauvaise gestion d’une zone de santé étaient toujours en détention. En Eswatini, au moins 1 000 manifestant·e·s en faveur de la démocratie, dont 38 enfants, ont été arrêtés arbitrairement.

Défenseur·e·s des droits humains et liberté d’association

La défense des droits humains demeurait un acte courageux. Les autorités ont tenté de réduire au silence ou d’incriminer des défenseur·e·s des droits humains. Comme les militant·e·s de l’opposition, ils étaient arrêtés et harcelés judiciairement dans de nombreux pays, y compris au Bénin, au Congo, en Eswatini, au Kenya, au Niger, en RDC, au Rwanda, au Sénégal, en Tanzanie, en Zambie et au Zimbabwe.

En RDC, deux lanceurs d’alerte ont été condamnés à mort par contumace après avoir révélé des transactions financières réalisées au profit de personnes et d’entités sous le coup de sanctions internationales. Au Rwanda, Yvonne Idamange, une youtubeuse, a été condamnée à 15 ans d’emprisonnement pour avoir critiqué la politique gouvernementale. Au Congo, au Niger, en Zambie et ailleurs, les autorités se sont appuyées sur la législation pénale relative à la diffamation pour intimider et museler les détracteurs et détractrices du régime. En Eswatini, des charges controuvées ont ainsi été retenues au titre de lois relatives au terrorisme et à la sédition.
Plusieurs défenseur·e·s des droits humains ont payé de leur vie les combats qu’ils menaient. Joannah Stutchbury, militante écologiste au Kenya, a été abattue à son domicile en juillet, après avoir été menacée de mort. Deux journalistes ont été tués en Somalie.

Des lois et des politiques destinées à restreindre l’espace accordé aux ONG ont été adoptées et mises en pratique dans plusieurs pays. Au Togo, l’État a suspendu l’octroi et le renouvellement des licences pour les ONG. Les autorités ougandaises ont ordonné la suspension immédiate de 54 organisations qui n’auraient pas respecté la législation relative aux ONG. Au Zimbabwe, des ONG ont été sommées de soumettre leur programme de travail aux autorités avant de pouvoir mener leurs activités à Harare, la capitale. La Haute Cour a jugé que cette directive était inconstitutionnelle. Par la suite, un texte portant modification des dispositions de la Loi relative aux organisations bénévoles privées, qui permettait d’ordonner la fermeture des organisations soupçonnées de financer les activités de personnalités politiques ou de faire campagne en faveur de celles-ci pendant les élections, a été publié au Journal officiel.

Liberté de la presse

Des gouvernements ont continué de restreindre la liberté de la presse. En Angola, au Burkina Faso, à Madagascar, en RDC, au Sénégal, en Tanzanie, au Togo et ailleurs, des journaux, des stations de radio et des chaînes de télévision ont été suspendus. Dans certains pays, comme le Ghana et la Zambie, les autorités ont fait irruption dans les locaux de plusieurs médias, perturbant des émissions en direct et détruisant des biens. En Zambie, par exemple, des individus non identifiés ont incendié la station de radio Kalungwishi, dans le district de Chiengi, en juin. Au Nigeria, des médias ont organisé une campagne nommée Information Blackout pour protester contre deux projets de loi qui menaçaient de durcir la réglementation relative aux médias et d’entraver l’accès à l’information.

L’accès à Internet a été perturbé ou bloqué et les réseaux sociaux ont été suspendus notamment en Eswatini, au Niger, au Nigeria, en Ouganda, au Sénégal, au Soudan, au Soudan du Sud et en Zambie. En juin, les autorités nigérianes ont suspendu Twitter après que le réseau social eut supprimé un tweet controversé du président Muhammadu Buhari jugé contraire à ses règles.

Droits des personnes réfugiées, migrantes ou déplacées

Les conflits qui faisaient rage dans toute la région ont continué d’entraîner le déplacement de millions de personnes, dont 1,5 million en RDC en 2021, ce qui portait à 5 millions le nombre total de personnes déplacées dans ce pays. En Somalie, où plus de 2,6 millions de personnes avaient été déplacées au cours des années précédentes, 573 000 personnes ont fui leur domicile entre janvier et août. La plupart des personnes réfugiées en Afrique étaient accueillies dans une poignée de pays, parmi lesquels le Cameroun, l’Éthiopie, le Kenya, le Niger, la RDC, le Rwanda, le Soudan et le Tchad, tandis que l’Ouganda abritait la plus grande population de personnes réfugiées à l’échelle du continent, avec plus de 1,5 million de refugié·e·s. Paradoxalement, de nombreuses personnes réfugiées étaient originaires de certains pays hôtes tels que l’Éthiopie et la RDC.

Dans presque tous les camps de personnes réfugiées ou déplacées de la région, la situation humanitaire et les conditions de sécurité demeuraient précaires. L’accès à la nourriture, à l’eau, à l’éducation, à la santé et au logement était généralement insuffisant, parfois en raison de blocus et de restrictions entravant l’aide humanitaire. En mars, le gouvernement kenyan a donné au HCR, l’organisme des Nations unies chargé des personnes réfugiées, 14 jours pour fermer les camps de personnes réfugiées de Kakuma et de Dadaab. Il a levé cet ultimatum par la suite, et la fermeture des camps a été reportée à juin 2022. Au Niger, l’EIGS a attaqué une zone accueillant des personnes réfugiées originaires du Mali à Intikane (région de Tahoua), faisant des dizaines de morts. En Tanzanie, la police et les services de renseignement, en coopération avec les services de renseignement burundais, ont continué de recourir à la violence, aux arrestations arbitraires, à des politiques strictes relatives aux camps et à des menaces d’expulsion pour inciter les réfugié·e·s originaires du Burundi à quitter le pays.

Discrimination et marginalisation

Droits des femmes et des filles

La discrimination et les inégalités liées au genre demeuraient fortement ancrées dans les pays d’Afrique. Parmi les sujets qui suscitaient les plus vives inquiétudes dans la région, citons les flambées de violences fondées sur le genre, l’accès limité aux services et aux informations en matière de santé sexuelle et reproductive, la persistance des mariages précoces ou forcés, et le fait que des filles enceintes se retrouvaient exclues du système scolaire.

Les mesures restrictives de confinement que les gouvernements ont imposées pour endiguer la propagation du COVID-19 ont contribué à l’explosion du nombre de cas de violences sexuelles et de violences fondées sur le genre dans toute la région. Les violences fondées sur le genre ont atteint un niveau critique en Afrique du Sud, où les statistiques officielles sur la délinquance montraient une hausse de 74,1 % du nombre d’infractions à caractère sexuel, toutes catégories confondues. Par ailleurs, au moins 117 féminicides ont été commis au cours du premier semestre.

Certaines affaires de violences fondées sur le genre ont provoqué un tollé dans l’opinion publique et déclenché des appels à l’action. Au Tchad, après le viol en réunion d’une adolescente de 15 ans filmé et diffusé sur les réseaux sociaux, des femmes sont descendues dans la rue pour manifester contre les violences sexuelles et la culture de l’impunité dont bénéficiaient les agresseurs. En Afrique du Sud, l’homicide de Nosicelo Mtebeni, une étudiante en droit de 23 ans, par son petit ami a déclenché une vague d’indignation au sein de la population. Le corps de la jeune femme a été retrouvé démembré dans une valise et dans des sacs en plastique.

Alors que les violences fondées sur le genre étaient fortement en hausse, l’accès des victimes aux services de protection et de soutien ainsi qu’à des informations et des services en matière de santé sexuelle et reproductive demeurait limité dans la région. La pratique des mariages précoces ou forcés persistait dans de nombreux pays. En Namibie, il a été signalé que les parents d’une fillette âgée de quatre ans avaient marié celle-ci à un homme de 25 ans lorsqu’elle n’avait que deux ans. En Guinée équatoriale, il était toujours interdit aux filles enceintes d’assister aux cours dans les établissements scolaires. En Tanzanie, le ministère de l’Éducation a annoncé en novembre qu’il allait lever une interdiction similaire.

Des propositions d’ordre législatif visant à lutter contre certaines formes de discrimination liée au genre ont été présentées en Côte d’Ivoire et à Madagascar. Au Soudan, le conseil des ministres s’est dit favorable à ce que le pays ratifie le Protocole de Maputo et la Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Parmi les autres avancées enregistrées, citons une décision de justice en faveur des victimes de violences sexuelles et de violences fondées sur le genre au Nigeria, et la grâce présidentielle accordée à 10 filles et femmes qui avaient été emprisonnées pour des infractions liées à l’avortement au Rwanda.

Personnes atteintes d’albinisme

En Afrique de l’Est et en Afrique australe, les personnes atteintes d’albinisme et leurs proches craignaient toujours pour leur vie. De violentes agressions contre des personnes atteintes d’albinisme ont été signalées au Malawi, où un homme a été tué en février et où le corps d’un autre a été découvert en août. En Zambie, deux enfants âgés de deux et neuf ans ont été mutilés, l’un en juin et l’autre en juillet.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Cette année encore, des personnes LGBTI ont été harcelées, arrêtées et poursuivies en justice en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelles ou présumées. Au Bénin, trois femmes transgenres ont été forcées de se dévêtir avant d’être rouées de coups et dévalisées par un groupe d’hommes à Cotonou ; cette agression a été filmée et la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. De nombreuses agressions visant des personnes LGBTI ont aussi été filmées au Sénégal, où des groupes conservateurs ont organisé une manifestation pour appeler à réprimer pénalement les relations librement consenties entre personnes de même sexe. Au Cameroun, deux femmes transgenres accusées de tels actes ont été condamnées à cinq ans d’emprisonnement, mais elles ont été libérées dans l’attente de leur procès en appel. En Namibie, la police a accusé une femme transgenre d’avoir pris une fausse identité pour éviter des poursuites, et lui a fait subir un harcèlement transphobe en détention. Une nouvelle loi adoptée dans l’État de Taraba, au Nigeria, contenait une disposition prévoyant la réclusion à perpétuité pour les personnes transgenres.

Dans les camps de personnes réfugiées de Kakuma et de Dadaab, au Kenya, les personnes LGBTI étaient régulièrement harcelées et agressées. La mort de Chriton Atuherwa, qui a succombé à ses graves brûlures à la suite d’un incendie criminel dans le camp de Kakuma, a montré que l’État ne faisait pas le nécessaire pour protéger les personnes réfugiées LGBTI contre les attaques homophobes.

Au Cameroun, des policiers ont fait irruption dans les locaux de Colibri, une association de prévention et de traitement du VIH/sida à Bafoussam (région de l’Ouest) et ont arrêté 13 personnes pour des charges en lien avec des relations librement consenties entre personnes de même sexe, avant de les libérer au bout de plusieurs jours ; entre-temps, celles-ci avaient été contraintes de se soumettre à des tests de dépistage du VIH et à des examens rectaux. Au Ghana, où un texte visant à alourdir la répression pénale des personnes LGBTI a été présenté au Parlement, la police a effectué une perquisition dans les locaux de LGBTI+ Rights Ghana et obligé l’organisation à fermer ses portes. Elle a également arrêté 21 militant·e·s LGBTI pour rassemblement illégal, lors d’une session de formation. Les charges pesant sur ces personnes ont été abandonnées par la suite. Le ministère malgache de l’Intérieur a suspendu une manifestation LGBT annuelle.

Sur une note plus positive, la Cour d’appel du Botswana a confirmé la décision de la Haute Cour jugeant inconstitutionnelle une loi réprimant pénalement les relations consenties entre personnes de même sexe ; en Ouganda, Cleopatra Kambugu a annoncé qu’elle était la première femme transgenre à avoir obtenu une carte d’identité et un passeport sur lesquels son appartenance au genre féminin était reconnue.

Changement climatique et dégradations de l’environnement

Plusieurs pays de la région ont particulièrement souffert de la sécheresse, que le changement climatique n’a fait qu’aggraver. En Angola, la faiblesse des précipitations a causé la pire sécheresse de ces 40 dernières années. La malnutrition a atteint un pic en raison du manque de nourriture et d’eau potable, et d’un assainissement insuffisant ; les femmes, les enfants et les personnes âgées étaient touchés de manière disproportionnée par ces problèmes. Le sud de Madagascar a subi une intense sécheresse, qui a eu de graves répercussions pour les personnes vivant principalement d’une agriculture de subsistance, de l’élevage et de la pêche. En Afrique du Sud, un état de catastrophe naturelle imputable à la sécheresse a été déclaré dans les provinces du Cap-Est, du Cap-Nord et du Cap-Ouest en juillet.

Des inquiétudes se sont fait jour au sujet des dégradations de l’environnement dans plusieurs pays, dont l’Afrique du Sud, le Botswana, le Congo, le Ghana, la Namibie et la RDC. Au Botswana et en Namibie, des licences d’exploration pétrolière ont cette année encore été accordées à l’entreprise minière canadienne ReconAfrica dans des zones écologiquement sensibles du bassin de l’Okavango, alors même que ces activités participaient au changement climatique et portaient préjudice aux droits de la population locale, y compris à ceux de peuples autochtones, ce qu’a également souligné le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO. Dans le sud de la RDC, la Tshikapa, le Kasaï et leurs affluents ont subi une très grave pollution. Les autorités ont déclaré que la pollution avait été causée par des déversements, en amont, en provenance d’une mine de diamants et d’une entreprise de transformation basées dans le nord de l’Angola. Cette catastrophe a fait au moins 40 morts et des centaines de cas de diarrhée sévère, et elle a anéanti la vie aquatique.

Recommandations

Malgré quelques évolutions positives, 2021 a été une année difficile pour les droits humains en Afrique. Les gouvernements africains et les acteurs non étatiques concernés doivent prendre les mesures audacieuses exposées ci-après pour régler les nombreux problèmes survenus pendant l’année.

Toutes les parties aux différents conflits armés doivent protéger les personnes civiles, notamment en cessant de mener des attaques ciblées ou sans discernement contre la population et les infrastructures civiles. Il leur faut notamment prendre toutes les mesures nécessaires pour que les personnes réfugiées ou déplacées soient protégées et pour qu’elles aient accès sans restriction à l’aide humanitaire, y compris à la nourriture, à l’eau et à un abri.

Les États doivent redoubler d’efforts pour combattre l’impunité en diligentant des enquêtes approfondies, indépendantes, impartiales, efficaces et transparentes sur les crimes de droit international et en traduisant en justice les responsables présumés de ces actes.

Faute de disposer de doses de vaccin contre le COVID-19 en quantité suffisante, les États doivent continuer de vacciner en priorité les populations les plus à risque, ainsi que les personnes vivant dans des zones difficiles d’accès. Ils doivent coopérer aux niveaux régional et international afin de renforcer leurs systèmes nationaux de santé et fournir des informations transparentes sur le budget du secteur de la santé.

Les États doivent prendre immédiatement des mesures pour protéger les droits des femmes et des filles à l’égalité, à la santé, à l’information et à l’éducation, et pour leur permettre de ne pas subir de violences fondées sur le genre ni de discrimination, notamment en veillant à ce que les victimes de ces violences puissent, en dépit des restrictions liées au COVID-19, accéder à une protection policière et à la justice, à des centres d’accueil, à des lignes d’assistance et à des services de soutien locaux.

Les États doivent mettre fin au harcèlement et aux actes d’intimidation qui visent les défenseur·e·s des droits humains et les militant·e·s, abandonner toutes les charges retenues contre celles et ceux qui font l’objet de poursuites, et libérer immédiatement et sans condition les personnes arrêtées ou emprisonnées arbitrairement. Ils doivent respecter la liberté de la presse, notamment faire en sorte que les médias puissent fonctionner de manière indépendante.

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