Cette année encore, les autorités ont arrêté, poursuivi en justice, placé en détention et condamné des militant·e·s liés au mouvement de protestation pacifique de grande ampleur connu sous le nom de « Hirak », ainsi que des défenseur·e·s des droits humains et des journalistes, pour avoir exprimé leurs opinions ou pour avoir couvert des manifestations. Les tribunaux ont de plus en plus eu recours à des accusations liées au terrorisme pour poursuivre et placer en détention des militant·e·s et des journalistes en raison de leurs liens présumés avec deux organisations politiques non enregistrées. Les autorités ont dissous une association de premier plan. Elles ont aussi ordonné la fermeture d’au moins trois églises et engagé des poursuites contre au moins six chrétiens pour avoir exercé leur droit à la liberté de religion. Des milliers de personnes demandeuses d’asile et migrantes ont été expulsées vers le Niger en dehors de toute procédure régulière. Les femmes étaient toujours victimes de discrimination dans la législation et dans la pratique, et les relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe demeuraient une infraction.
Contexte
Après des élections législatives en juin, marquées par un niveau d’abstention record depuis 20 ans, un nouveau gouvernement a été formé en juillet.
En août, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc.
En décembre, d’après les autorités algériennes, environ 14,6 % de la population était vaccinée contre le COVID-19.
Liberté d’expression
Les autorités ont arrêté et placé en détention des centaines de militant·e·s politiques et de la société civile, ainsi que des journalistes, simplement parce qu’ils avaient exprimé leurs opinions ou fait leur travail. Elles ont engagé des poursuites contre eux au titre de dispositions du Code pénal formulées en termes vagues1.
À partir d’avril, les autorités algériennes ont eu de plus en plus souvent recours à des dispositions liées au terrorisme pour arrêter et placer en détention des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et d’autres personnes en raison de leurs propos ou de leur militantisme politique légitime. Parmi les personnes ciblées figuraient des membres, réels ou supposés, de Rachad et du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), deux organisations politiques non enregistrées qualifiées en mai de « terroristes » par les autorités.
En avril, un tribunal d’Oran, dans le nord-ouest de l’Algérie, a engagé des poursuites pour « terrorisme » contre un groupe de 15 militant·e·s, défenseur·e·s des droits humains et journalistes (dont Kaddour Chouicha, Jamila Loukil et Saïd Boudour), qui n’avaient fait qu’exercer leurs droits à la liberté d’expression2. En octobre, leur dossier a été transféré à une chambre spécialisée dans les affaires antiterroristes d’un tribunal de la capitale, Alger.
En septembre, les autorités judiciaires ont retenu des chefs d’inculpation liés au terrorisme contre deux journalistes, Hassan Bouras et Mohamed Mouloudj, afin de les placer en détention provisoire pour des publications sur Internet critiques à l’égard des autorités et pour leurs liens présumés avec Rachad et le MAK3.
D’autres agissements des autorités ont également porté atteinte au droit à la liberté d’expression au cours de l’année 2021.
En avril, un tribunal d’Alger a ordonné le placement en détention provisoire de cinq militants du Hirak pour des vidéos qu’ils avaient publiées en ligne, dont une qui dénonçait des violences sexuelles présumées contre un jeune garçon pendant sa garde à vue. En juillet, les autorités ont arrêté Fethi Ghares, dirigeant du Mouvement démocratique et social, et l’ont placé en détention provisoire pour avoir critiqué publiquement les autorités pendant une conférence de presse au siège du parti.
En mai, le Conseil supérieur de la magistrature a démis de ses fonctions Sadedin Merzoug, juge et fondateur du Club des magistrats algériens, parce qu’il avait exprimé son soutien au Hirak et à la démocratie.
Les autorités ont arrêté arbitrairement au moins trois journalistes en raison de leur travail et ont retenu contre eux des charges liées à leurs reportages. Elles ont également fermé deux chaînes de télévision pour des motifs de sécurité et en ont suspendu deux autres pendant une semaine à cause des programmes qu’elles diffusaient. En mai, un tribunal d’Alger a condamné la journaliste Kenza Khatto, de Radio M, à une peine de trois mois de prison avec sursis pour avoir couvert une manifestation.
En septembre, à Alger, la Cour d’appel a reporté au 2 décembre l’examen en appel de la condamnation du journaliste Khaled Drareni, qui s’était vu infliger une peine de deux ans de prison pour avoir rendu compte des manifestations du Hirak.
En octobre, un tribunal de la ville de Tamanrasset, dans le sud du pays, a condamné en appel le journaliste Rabah Karèche à un an de prison dont six mois avec sursis pour « atteinte à l’intégrité du territoire national » et « diffusion de fausses nouvelles ».
Liberté d’association et de réunion
Les manifestations du Hirak, qui avaient été interrompues en 2020 à cause de la pandémie de COVID-19, ont repris en février de manière sporadique, ponctuées par des arrestations, des poursuites et des détentions de manifestant·e·s pacifiques. En mai, un tribunal d’Alger a ordonné le placement en détention provisoire de Fatima Boudouda et Moufida Kharchi à la suite d’un défilé qui avait eu lieu le 21 mai à Alger, dans l’attente d’une enquête pour « incitation à un attroupement non armé » et « complot contre l’État ». Les deux manifestantes pacifiques se trouvaient toujours en détention à la fin de l’année.
En novembre, un tribunal d’Alger a condamné Nacer Meghnine, président de l’association culturelle SOS Bab El Oued, à huit mois de prison et une amende pour « atteinte à l’intérêt national » et « incitation à un attroupement non armé ».
Les autorités ont réprimé les associations et les partis politiques qui menaient selon elles des activités non conformes à la loi. En mai, le ministère de l’Intérieur a annoncé que seules les manifestations autorisées pourraient se dérouler. Des centaines de manifestant·e·s pacifiques ont été arrêtés et placés en détention au cours de l’année4.
En avril, le ministère de l’Intérieur a demandé au tribunal administratif de suspendre deux partis politiques, le Parti socialiste des travailleurs et l’Union pour le changement et le progrès.
Le 13 octobre, le tribunal administratif a dissous l’association Rassemblement Action Jeunesse.
Torture et autres mauvais traitements
La police a continué de faire subir des mauvais traitements à des militant·e·s et à des manifestant·e·s pacifiques pendant les manifestations et en garde à vue5.
Le 26 mars, dans la ville d’El Bayadh, dans l’ouest de l’Algérie, le militant du Hirak Ayoub Chahetou a été arrêté par la police. Il a déclaré avoir été violé en garde à vue, un doigt lui ayant été inséré dans l’anus. La juge a refusé d’entendre son témoignage. Ayoub Chahetou a été condamné en appel à six mois de prison, dont deux avec sursis.
Liberté de religion et de conviction
Les autorités ont utilisé le décret no 03-06 de 2006, qui restreignait l’exercice d’autres religions que l’islam, ainsi que le Code pénal, afin de poursuivre ou de condamner au moins 11 personnes pour « exercice d’un culte autre que l’islam » ou « insulte » à l’islam.
En février, un tribunal de la ville d’Oran a condamné en appel Rachid Seighir, pasteur chrétien et propriétaire d’une librairie, et Nouah Hamimi, qui travaillait dans cette librairie. Ils se sont chacun vu infliger une peine d’un an de prison et une amende pour le matériel qui se trouvait dans la boutique. Les deux hommes attendaient la décision de la Cour suprême.
En avril, un tribunal d’Alger a condamné l’islamologue Saïd Djabelkheir à trois ans de prison pour avoir « offensé » l’islam dans des publications en ligne dans lesquelles, entre autres, il qualifiait certains textes du Coran de mythes. Le 4 mai, un tribunal de Chéraga, une banlieue d’Alger, a condamné la militante Amira Bouraoui à deux ans de prison pour avoir « offensé » le prophète Mahomet dans des textes qu’elle avait publiés à son sujet sur Internet. La décision a été confirmée en appel le 18 octobre.
En décembre, une juge de la ville d’Aïn Defla, dans le nord de l’Algérie, a condamné Foudhil Bahloul, converti au christianisme, à une peine de six mois de prison et une amende pour avoir « accepté des dons sans autorisation ».
Le 7 juillet, les autorités ont ordonné la mise sous scellés et la fermeture de trois églises protestantes d’Oran.
Droit à la santé
Entre juillet et mi-août, une troisième vague de COVID-19 a fait des centaines de morts et provoqué une pénurie d’oxygène.
Le Syndicat national des praticiens de santé publique a recensé 470 décès dus au COVID-19 parmi le personnel de santé entre le début de la pandémie, en mars 2020, et août 2021.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Cette année encore, les autorités ont maintenu des personnes demandeuses d’asile en détention pour une durée indéterminée, tout en cherchant à faciliter leur expulsion avant l’examen complet de leur demande. Le séjour irrégulier restait passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison. De décembre 2019 à juin 2021, les autorités ont arbitrairement placé en détention, dans des conditions dégradantes et insalubres, sept personnes yéménites demandeuses d’asile enregistrées auprès du HCR, après leur avoir initialement refusé l’accès à l’agence des Nations unies pour les réfugiés.
Les autorités ont continué de regrouper et d’expulser collectivement des personnes demandeuses d’asile et migrantes à la frontière avec le Niger, en dehors de toute procédure légale ou sans évaluer individuellement leurs besoins en matière de protection. Dans bien des cas, ces personnes étaient contraintes de parcourir de longues distances à pied dans le désert avant d’atteindre la ville la plus proche du Niger. Souvent, les migrant·e·s expulsés signalaient des violences physiques ou en présentaient des marques. Entre janvier et août, le projet Alarme Phone Sahara a recensé au moins 16 580 personnes expulsées, dont des enfants.
Selon les médias algériens, des canots pneumatiques se dirigeant vers l’Espagne avec à leur bord des migrant·e·s ont été interceptés par les garde-côtes algériens. Brahim Laalami, militant du Hirak, a été renvoyé en Algérie lors d’une interception de ce type. Il a ensuite été condamné à trois mois de prison pour sortie irrégulière. Entre avril et juin, au moins 29 migrant·e·s sont morts au large de la côte ouest de l’Algérie alors qu’ils tentaient de rejoindre l’Europe.
Malgré les efforts déployés par le gouvernement à partir de début mai pour vacciner la population sahraouie réfugiée dans les camps de Tindouf, la vague de COVID-19 du mois de juillet a fait plus de 63 morts parmi les réfugié·e·s.
Droits des femmes
Le Code pénal et le Code de la famille restaient illégalement discriminatoires à l’égard des femmes en matière d’héritage, de mariage, de divorce, de garde des enfants et de tutelle.
Le viol conjugal n’était toujours pas explicitement considéré comme une infraction dans la législation algérienne. La « clause du pardon » prévue dans le Code pénal continuait de permettre aux auteurs de viol d’échapper à une condamnation s’ils obtenaient le pardon de leur victime.
Les autorités n’ont pas pris de mesures pour lutter contre les violences faites aux femmes. Selon le groupe de femmes Féminicides Algérie, qui a recensé au moins 55 féminicides en 2021, la police n’avait pas enquêté de manière satisfaisante sur ces affaires ni engagé de poursuites contre les responsables.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Le Code pénal considérait toujours comme une infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, qui restaient passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison et une amende.
Peine de mort
Cette année encore, des tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a été signalée.
« Algérie. Un islamologue est condamné à trois ans de prison pour “offense à l’islam” », 22 avril