La liberté de réunion pacifique restait entravée, notamment par la législation d’urgence entrée en vigueur en 2020 et dont la portée était particulièrement vaste. Les autorités jordaniennes ont aussi imposé des restrictions à la liberté d’expression, à la fois en ligne et hors ligne. Les violences fondées sur le genre ont augmenté, sur fond de dégradation de la situation économique et de restrictions liées à la pandémie de COVID-19, mais également en raison des lacunes persistantes en matière de protection juridique contre ces violences. La Jordanie accueillait toujours plus de 2,7 millions de personnes réfugiées, toutes éligibles à la vaccination gratuite contre le COVID-19. L’insécurité alimentaire s’est nettement aggravée pour les personnes réfugiées.
Contexte
La Jordanie a lancé sa campagne de vaccination anti-COVID-19 en janvier et, selon le HCR, le pays a été l’un des premiers à proposer la vaccination gratuite pour toutes et tous, y compris les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile.
L’ancien prince héritier Hamzah bin al Hussein a été assigné à résidence en avril, étant accusé de préparer un coup d’État, une accusation qu’il a niée.
En juin, le roi Abdallah II a ordonné la création d’une commission royale comptant 92 membres et ayant pour objectif de « moderniser le système législatif ».
La situation économique de la Jordanie a continué de se dégrader, conséquence, en partie, des mesures liées à la pandémie de COVID-19. Le gouvernement a rouvert les frontières du pays en septembre, mais a maintenu en vigueur une loi de vaste portée qui était entrée en application au début de la pandémie, en 2020, et qui imposait notamment l’état d’urgence.
Liberté de réunion
Cette année encore, la liberté de réunion pacifique a fait l’objet de restrictions ; des personnes qui manifestaient contre les mesures gouvernementales liées à la pandémie de COVID-19 ont été arrêtées arbitrairement.
En mars, des manifestations ont éclaté à Irbid, Salt, Aqaba et Karak après qu’au moins 10 personnes ayant contracté le COVID-19 sont décédées en raison d’une pénurie d’oxygène dans un hôpital public de Salt. Les protestataires demandaient des comptes pour ces morts et réclamaient la fin de restrictions liées à la pandémie, comme les couvre-feux, qu’ils jugeaient inefficaces. En décembre, cinq personnes déclarées responsables de ces décès ont été condamnées à trois ans d’emprisonnement. Les manifestant·e·s reprochaient également au gouvernement l’aggravation de la situation économique et appelaient à mettre un terme au recours à la législation d’urgence, dite Loi relative à la défense, utilisée pour limiter les droits civils et politiques. Face aux manifestations, les forces de sécurité ont fait usage de la force et ont notamment recouru largement aux gaz lacrymogènes.
À l’occasion du 10e anniversaire du Mouvement du 24 mars (initié par la jeunesse en 2011 pour réclamer des réformes), des manifestations étaient prévues à Amman ainsi que dans le nord du pays, à Irbid, Mafraq et Ramtha, afin de demander l’abrogation de la Loi relative à la défense et la démission du gouvernement. Les forces de sécurité ont cependant empêché des personnes de rejoindre les manifestations, et en ont arrêté des dizaines d’autres. Le ministre de l’Intérieur a déclaré que le gouvernement « ne tolérerait pas des manifestations qui feraient empirer la crise sanitaire ». Toutes les personnes arrêtées ont été relâchées peu après.
En mai, des manifestations ont eu lieu pendant plusieurs jours en soutien aux Palestiniens et Palestiniennes du quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. Le 14 mai, la police antiémeute jordanienne a utilisé des gaz lacrymogènes et a tiré en l’air à balles réelles pour disperser les manifestant·e·s près du pont du roi Hussein, dans la vallée du Jourdain.
Le 30 juin, les autorités ont arrêté plusieurs membres du syndicat des enseignant·e·s, dont son responsable, Nasser al Nawasrah, quelques heures avant une manifestation prévue en soutien à plusieurs de leurs collègues contraints à prendre une retraite anticipée. Des enseignant·e·s avaient déjà été arrêtés début janvier alors qu’ils manifestaient pour la même raison. Toutes les personnes arrêtées ont été remises en liberté peu après.
Liberté d’expression
L’espace civique a continué de s’amenuiser avec le renforcement des restrictions arbitraires imposées à la liberté d’expression en ligne et hors ligne.
Le 25 mars, les autorités ont bloqué l’accès à l’application audio Clubhouse, une plateforme de réseau social utilisée pour discuter de nombreux sujets, y compris des droits civils et politiques. En réaction, plusieurs organisations de défense des droits humains ont publié des astuces pour utiliser des réseaux privés virtuels (VPN) spécifiques afin d’accéder à cette application ; ces VPN ont par la suite été bloqués par les pouvoirs publics.
Plusieurs défenseur·e·s des droits humains et organisations de défense de ces droits ont indiqué à Amnesty International que l’accès à Internet avait été perturbé en mars, notamment avec le blocage de l’accès à Facebook Live, qui visait à limiter la couverture des manifestations.
En avril, à la suite d’un projet présumé de coup d’État, l’accès à Internet a été coupé pendant deux jours dans des secteurs de l’ouest d’Amman. Plusieurs organisations ont indiqué à Amnesty International que cela avait eu des effets préjudiciables sur le programme de vaccination et pour les entreprises. Le 6 avril, le procureur général a interdit aux médias traditionnels et aux réseaux sociaux d’évoquer l’enquête sur le projet présumé de coup d’État. Cette interdiction n’avait pas été levée à la fin de l’année.
Entre le 24 juin et le 15 juillet, la Commission de régulation des télécommunications, en coordination avec le ministère de l’Éducation, a bloqué les applications de messagerie afin de « préserver l’intégrité » des examens qui avaient lieu pendant cette période.
Le 1er juillet, Ahmad Tabanjieh Kinani a été libéré sous caution après avoir passé près d’un an en détention pour avoir exprimé de façon pacifique sa solidarité envers le syndicat des enseignant·e·s. Il avait été arrêté en août 2020 et accusé d’infractions réprimées par la Loi relative à la lutte contre le terrorisme.
Droits des travailleuses et travailleurs
La crise économique a entraîné une hausse sans précédent du chômage, qui touchait 25 % de la population active au premier trimestre et jusqu’à 50 % des jeunes.
Au total, 146 enseignant·e·s ont été contraints à prendre leur retraite de façon anticipée en 2021, dont plusieurs membres et responsables du syndicat des enseignant·e·s, ce qui a été largement perçu comme une mesure de représailles pour leur participation à des manifestations en 2019 et 2020. Ces retraites anticipées ont précipité un peu plus dans la pauvreté des familles qui se trouvaient déjà en difficulté à cause des mesures liées à la pandémie de COVID-19.
Le 28 mars, le Premier ministre a publié le Décret relatif à la défense no 28, au titre duquel une personne ne pouvait plus être emprisonnée en raison de ses dettes mais se voyait à la place imposer une interdiction de voyager. Des milliers de personnes ont fui la Jordanie de crainte d’être emprisonnées pour dette. Le ministre de la Justice, Ahmad al Zeyadat, a présenté le 14 juillet un projet de loi assouplissant pour les personnes endettées les conditions de remboursement de leur dette, mais ce texte n’avait pas été adopté à la fin de l’année.
Droits des femmes
Des violences liées au genre ont encore été commises cette année, les protections juridiques contre de tels actes restant faibles et les auteurs étant rarement amenés à rendre des comptes.
Plusieurs organisations de défense des droits des femmes, ainsi que les Nations unies, ont signalé que les violences fondées sur le genre avaient augmenté de 50 % au cours des six premiers mois de 2021, par rapport à l’année précédente. Fin septembre, 14 femmes avaient perdu la vie à cause de violences subies au sein de leur foyer, selon l’ONG Sisterhood is Global Institute basée à Amman.
Les violences liées au genre se sont multipliées dans un contexte économique difficile, que les mesures de lutte contre la pandémie de COVID-19 ont fortement aggravé. Toutefois, la réouverture graduelle des services et la suppression des restrictions concernant les déplacements ont amélioré l’accès des victimes à des services spécialisés. Les organismes travaillant dans ce domaine ont continué d’offrir leurs services à distance et en présentiel, et ont augmenté les capacités de leur assistance téléphonique.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Selon le HCR, au 30 septembre, la Jordanie accueillait 670 637 réfugié·e·s syriens, 66 665 réfugié·e·s irakiens, 12 866 réfugié·e·s yéménites, 6 013 réfugié·e·s soudanais et 696 réfugié·e·s somaliens. À ces personnes s’ajoutaient 1 453 réfugié·e·s de 52 autres nationalités enregistrés auprès du HCR, et plus de deux millions de réfugié·e·s palestiniens enregistrées auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
En mars, au moins quatre personnes yéménites demandeuses d’asile ont été expulsées au Yémen en dehors des procédures légales ; elles avaient déposé une demande de permis de travail et avaient été maintenues en détention pendant plus d’un mois avant leur expulsion. En avril, huit autres personnes étaient sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Des personnes travaillant dans le secteur humanitaire ont indiqué que les demandeurs et demandeuses d’asile risquaient l’expulsion s’ils ne renonçaient pas à leur certificat de demandeur d’asile avant de présenter une demande de permis de travail. En novembre, le journaliste syrien Ibrahim Awad a été arrêté de façon arbitraire puis placé en détention dans le camp de réfugié·e·s d’Azraq, situé à une centaine de kilomètres à l’est d’Amman.
En mai, le gouvernement a annoncé qu’il permettrait aux personnes réfugiées dont les papiers auraient expiré de renouveler ces documents auprès du HCR jusqu’à la fin de l’année, et que des papiers périmés ne les empêcheraient pas d’accéder aux services dont ils avaient besoin, en particulier en matière de santé et d’éducation.
En juin, selon le HCR, plus de la moitié des personnes réfugiées éligibles en Jordanie avaient reçu au moins une dose de vaccin anti-COVID-19.
En juillet, le Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé que 21 000 réfugié·e·s syriens en Jordanie ne recevraient plus d’aide alimentaire en raison d’un manque de fonds, et que l’insécurité alimentaire parmi les personnes réfugiées avait doublé au cours de l’année écoulée, pour atteindre 25 % d’entre elles. Près de deux personnes réfugiées sur trois étaient au bord de l’insécurité alimentaire.
Peine de mort
Cette année encore, les autorités judiciaires ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a cependant eu lieu.