Les autorités ont continué d’utiliser le décret-loi d’urgence sanitaire de 2020 pour restreindre arbitrairement la liberté d’expression et de réunion, notamment celle des journalistes, des militant·e·s et des travailleuses et travailleurs. Elles ont violé cette année encore les droits des Sahraoui·e·s qui militaient en faveur de l’indépendance, en les assignant arbitrairement à domicile et en les soumettant à des mauvais traitements et à un harcèlement. Le gouvernement a instauré un passe vaccinal COVID-19 pour l’accès aux lieux de travail, aux services publics et privés, aux restaurants et aux moyens de transport nationaux et internationaux. Des manifestations contre le passe ont eu lieu dans plusieurs villes, et l’une d’elles au moins a été réprimée par la force. L’Union de l’action féministe a enregistré une augmentation des cas de violence domestique dans presque toutes les villes du pays. Le Parlement a adopté une loi autorisant le changement de genre pour les personnes nées « hermaphrodites », loi qui a été critiquée par la communauté LGBTI en raison de son imprécision et de l’absence de référence aux personnes transgenres. Des migrant·e·s et des demandeurs et demandeuses d’asile ont été détenus de manière arbitraire. De plus, dans des zones proches de points de franchissement de la frontière, les autorités ont mené des opérations dans les lieux où étaient hébergés des ressortissant·e·s de pays d’Afrique subsaharienne, et ont dans certains cas évacué de force ces personnes ou mis le feu à leurs biens.
Contexte
Les mesures gouvernementales visant à soutenir l’économie pendant la deuxième année de la pandémie comprenaient l’indemnisation des hommes et des femmes qui ne pouvaient pas travailler, mais cette disposition ne s’appliquait qu’aux personnes occupant un emploi formel.
Le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) a été renouvelé en octobre, mais comme les années précédentes il ne comportait pas de composante relative aux droits humains. Les organisations de défense des droits humains ne pouvaient toujours pas se rendre au Sahara occidental ni dans les camps du Front Polisario.
Le gouvernement a annoncé le 21 octobre qu’un passe vaccinal serait exigé pour accéder aux lieux de travail et dans les restaurants, ainsi que pour tous les voyages sur le territoire marocain et à l’extérieur du pays. Le syndicat des cafetiers et des restaurateurs, le syndicat des avocat·e·s et certaines organisations de défense des droits se sont élevés contre cette mesure qu’ils jugeaient inconstitutionnelle, arbitraire et dangereuse pour l’économie. Des manifestations contre cette décision se sont déroulées dans tout le pays le 31 octobre.
Entre janvier et décembre, le roi a prononcé des mesures de grâce en faveur de 4 127 détenu·e·s.
L’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc en septembre.
Liberté d’expression et d’association
Cette année encore, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des utilisateurs et utilisatrices de réseaux sociaux, des universitaires et des militant·e·s ont été réprimés dans l’exercice légitime de leur liberté d’expression. Sept personnes au moins ont été arrêtées et/ou traduites en justice pour des infractions liées à la liberté d’expression. L’universitaire et militant des droits humains Maati Monjib, qui était détenu à la prison El Arjat, près de Rabat, la capitale, a été remis en liberté provisoire le 23 mars. Sous le coup depuis octobre 2020 d’une mesure arbitraire d’interdiction de quitter le territoire, il n’a pu se rendre en octobre comme prévu en France, où il avait un rendez-vous médical et devait voir sa famille.
Le journaliste indépendant Omar Radi, qui ne ménageait pas ses critiques à l’égard des autorités, a été condamné en juillet à six ans d’emprisonnement pour espionnage et viol, à l’issue d’un procès qui n’était pas conforme aux normes internationales d’équité. En particulier, il n’a pas pu exercer son droit de prendre connaissance de tous les éléments présentés contre lui et de les contester éventuellement.
En septembre, le tribunal de première instance de Marrakech a condamné Jamila Saadane à trois mois d’emprisonnement pour des vidéos qu’elle avait mises en ligne sur YouTube dans lesquelles les autorités marocaines étaient accusées de couvrir des réseaux de prostitution et des faits de traite des êtres humains à Marrakech. Cette femme a été déclarée coupable d’outrage envers les institutions et de diffusion de fausses nouvelles.
Les autorités marocaines ont continué tout au long de l’année de violer les droits des Sahraoui·e·s qui militaient en faveur de l’indépendance, les soumettant à des mauvais traitements et à un harcèlement et procédant à des arrestations. Le journaliste sahraoui Essabi Yahdih, directeur de l’organe de presse en ligne Algargarat, a été arrêté en mai sur son lieu de travail au Sahara occidental. Les autorités l’ont interrogé sur ses activités journalistiques et l’ont accusé d’avoir filmé une caserne militaire à Dakhla, une ville du Sahara occidental. Cet homme a été condamné le 29 juillet à un an d’emprisonnement assorti d’une amende. À la prison de Dakhla, il s’est vu refuser des soins médicaux pour les problèmes d’audition et de vue dont il souffrait avant son incarcération.
Droit au respect de la vie privée
En partenariat avec la coalition Forbidden Stories, Amnesty International a révélé en juillet que les autorités marocaines avaient largement fait usage du logiciel espion de surveillance Pegasus mis au point par l’entreprise NSO Group. L’outil de surveillance a été utilisé contre des journalistes, des militant·e·s et des personnalités politiques de nationalité française et marocaine. Les appareils d’Hicham Mansouri, journaliste marocain vivant en exil en France, de Claude Mangin, le compagnon de Naama Asfari, militante sahraouie emprisonnée au Maroc, et de Mahjoub Maliha, défenseur sahraoui des droits humains, ont été infectés par le logiciel Pegasus, en violation des droits de ces personnes au respect de leur vie privée et à la liberté d’expression.
Liberté de réunion
À quatre reprises au moins, les autorités ont réprimé des manifestations pacifiques organisées par des personnes qui réclamaient une amélioration de leurs conditions de travail, et invoqué le décret-loi sur l’état d’urgence sanitaire pour rejeter les revendications de travailleuses et de travailleurs.
En avril, la police a arrêté arbitrairement 33 enseignant·e·s qui manifestaient pacifiquement à Rabat contre des mesures en matière d’éducation qu’ils jugeaient néfastes pour l’enseignement public. Les forces de police ont dispersé par la force les manifestant·e·s alors que ceux-ci respectaient les mesures de sécurité liées à la pandémie de COVID-19, comme la distanciation physique. Les enseignant·e·s ont été remis en liberté provisoire au bout de 48 heures, mais ils restaient inculpés d’incitation à un attroupement non armé sans autorisation, de violation de l’état d’urgence sanitaire et d’outrage envers des fonctionnaires. Leur procès n’était pas terminé à la fin de l’année1.
Le militant Noureddine Aouaj a été condamné en juillet à deux ans d’emprisonnement. Arrêté en juin après avoir participé à un rassemblement pacifique de soutien aux journalistes emprisonnés Omar Radi et Soulaimane Raissouni, ce défenseur des droits humains avait été inculpé d’« insultes aux institutions constitutionnelles, aux principes et aux symboles du royaume », de « dénonciation de crimes fictifs » et d’« atteinte à l’autorité judiciaire ».
Torture et autres mauvais traitements
Des personnes ont été détenues dans des conditions extrêmement dures, notamment avec un placement à l’isolement prolongé et pour une durée indéterminée, en violation de l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements.
Le journaliste Soulaimane Raissouni, rédacteur en chef du journal Akhbar Al Yaoum, était détenu à l’isolement depuis son incarcération, en mai 2020. En signe de protestation contre cette mesure, il a entamé le 8 avril une grève de la faim, à laquelle il a mis un terme 118 jours plus tard.
Condamné en lien avec la manifestation de Gdeim Izik, Mohamed Lamine Haddi était détenu à l’isolement depuis 2017. En mars, des surveillants pénitentiaires ont mis un terme à la grève de la faim qu’il observait pour protester contre les mauvais traitements dont il faisait l’objet : ils l’ont nourri de force, ce qui est considéré comme un acte de torture au regard du droit international.
Des membres des forces de sécurité ont fait irruption à trois reprises au moins en 2021 au domicile de Sultana Khaya. Cette militante sahraouie a déclaré que, au cours de l’une de ces opérations, en mai, les agents des forces de sécurité l’avaient frappée et avaient tenté de la violer avec des matraques, et avaient brutalisé et violé sa sœur. Le 15 novembre, des membres des forces de sécurité se sont introduits chez elle, l’ont violée et ont agressé sexuellement ses deux sœurs et sa mère âgée de 80 ans2.
Droit à la santé
Afin de protester contre l’inaction des autorités face à ses revendications, le Syndicat indépendant des médecins du secteur public, qui réclamait depuis longtemps une hausse des salaires, l’amélioration des conditions de travail et le renforcement des moyens des hôpitaux publics, a organisé en mai une grève nationale de deux jours dans ce secteur, à l’exception des services d’urgences.
À la fin de l’année, 67 % environ de la population était complètement vaccinée contre le COVID-19.
Droits des femmes et des filles
Un fonds national avait été créé en 2020 afin d’indemniser les personnes contraintes au chômage dans le cadre des mesures liées à la gestion de la pandémie. L’Union de l’action féministe, une ONG marocaine, a cependant constaté que les femmes étaient moins à même que les hommes de bénéficier de ce dispositif, car elles étaient moins nombreuses à occuper un emploi formel.
La Loi n° 103-13 de 2018 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes restait mal appliquée. Alors que le ministère public affirmait que les affaires de violence domestique avaient diminué de 10 % par rapport aux années précédentes, l’Union de l’action féministe a enregistré une augmentation mensuelle des cas entre janvier et avril dans presque toutes les villes du pays.
Le ministre de la Justice a annoncé en mai que le nombre de mariages d’enfants était en baisse par rapport à 2019. Cette affirmation a été contestée par ONU Femmes, qui mettait en avant le fait que les chiffres ne donnaient pas d’informations sur les formes de mariage coutumier concernant des enfants, et qu’ils ne tenaient pas compte des conséquences de la pandémie de COVID-19 sur la mobilité et l’accès aux administrations publiques. L’article 19 du Code de la famille fixait l’âge du mariage à 18 ans, mais les articles 20 et 21 donnaient aux juges des affaires familiales le droit d’autoriser les demandes de mariage d’enfants.
Victime d’une campagne de diffamation après que la société de média ChoufTV eut publié, en décembre 2020, une vidéo qui était censée la montrer dans une supposée relation extra-conjugale, l’ancienne policière Wahiba Kharchich s’est installée aux États-Unis en janvier. Cette ancienne policière avait déposé une plainte en 2016 pour harcèlement sexuel exercé par son supérieur, Aziz Boumehdi, le chef de l’unité de police d’El Jadida, plainte qui est restée sans suite.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
L’article 489 du Code pénal érigeait toujours en infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe.
Le Parlement a adopté en juillet l’article 28 du projet de loi 36.21 sur l’état civil, aux termes duquel le genre assigné à un nouveau-né « hermaphrodite » pouvait être modifié ultérieurement. Présentée comme une avancée pour les droits des personnes LGBTI au Maroc, cette disposition a cependant été critiquée par des organisations de défense des droits des personnes transgenres, qui ont regretté de ne pas avoir été consultées et ont souligné que beaucoup considéraient que le terme « hermaphrodite » était offensant. En outre, la loi prévoyait toujours que les personnes intersexes se voient attribuer soit le genre masculin soit le genre féminin, ne permettait pas aux personnes transgenres d’effectuer une transition et mettait l’accent sur l’aspect des organes génitaux sans prendre en considération les chromosomes ou les hormones. Il n’était toujours pas fait mention des personnes transgenres dans la loi.
Après avoir purgé une peine de quatre mois d’emprisonnement prononcée en 2020, l’artiste Abdelatif Nhaila a été remis en liberté en février. Refusant de se conformer aux normes en matière de genre, cette personne avait été arrêtée après s’être rendue dans un poste de police pour porter plainte à la suite de menaces de mort et de persécutions homophobes la visant dans le cadre d’une vaste de campagne de diffamation menée sur les réseaux sociaux depuis avril 2020. Elle avait été traduite en justice pour violation de l’état d’urgence sanitaire et outrage à un fonctionnaire.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Les autorités ont arrêté et détenu arbitrairement des personnes migrantes ou demandeuses d’asile. Elles ont renvoyé certaines de ces personnes dans leur pays d’origine et en ont éloigné d’autres vers des zones du sud du Maroc ou au Sahara occidental. Dans les zones proches de points de passage de la frontière ou situées sur les routes migratoires vers l’Europe, notamment à Nador, Oujda et Laâyoune, les autorités ont mené des opérations dans les hébergements et les campements où se trouvaient des ressortissant·e·s de pays d’Afrique subsaharienne. Dans certains cas, elles ont mis le feu aux biens de ces personnes ou les ont contraintes à quitter leur abri de fortune, selon l’Association marocaine des droits humains.
Parmi les 8 000 personnes, au moins, qui sont entrées à la fin du mois de mai dans l’enclave espagnole de Ceuta (voir Espagne) depuis le territoire marocain, certaines étaient des réfugié·e·s ou des migrant·e·s venus de pays d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord, mais la plupart étaient marocaines. Au moins 2 000 enfants non accompagnés figuraient parmi elles3. Entre avril et mai, au moins trois migrants non identifiés et neuf Marocains sont morts en tentant de rejoindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla depuis le territoire marocain.
Le Maroc a continué de coopérer avec l’UE pour empêcher l’entrée irrégulière en Europe de personnes migrantes depuis son territoire. En juin, 15 personnes en quête d’asile originaires du Soudan et du Tchad, parmi lesquelles deux enfants, ont été condamnées à six mois d’emprisonnement pour avoir tenté de pénétrer à Melilla depuis le territoire marocain.
Une militante sahraouie violée par les forces marocaines (MDE 29/5058/2021), 30 novembre