Les autorités palestiniennes de Cisjordanie et le gouvernement de facto du Hamas dans la bande de Gaza ont réprimé la dissidence, notamment en ayant recours à la détention arbitraire, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, ainsi qu’à une force excessive face à des manifestant·e·s. À Gaza, de nombreux civil·e·s ont été jugés par des tribunaux militaires. Des groupes armés palestiniens ont tiré sans discernement des salves de roquettes sur Israël. En Cisjordanie, les hauts fonctionnaires ont bénéficié d’un traitement de faveur lors de la distribution des vaccins, au détriment des professionnel·le·s de santé. Les femmes avaient moins de droits que les hommes en matière de divorce, de garde des enfants et de succession, et les violences à leur égard ont augmenté.
Contexte
Gaza a été le théâtre du 10 au 21 mai d’un conflit armé entre Israël et des groupes armés palestiniens, le cinquième en 15 ans.
Les factions palestiniennes au pouvoir restaient divisées sur le plan territorial : le Fatah gouvernait la Cisjordanie et le Hamas la bande de Gaza. Dans ces deux territoires, la population palestinienne demeurait soumise à l’occupation militaire israélienne et à un régime discriminatoire constitutif d’un apartheid.
Après avoir annoncé le 15 janvier un calendrier électoral pour 2021 qui prévoyait des élections législatives, présidentielle et au Conseil national palestinien (CNP), le président Mahmoud Abbas a finalement annulé tous ces scrutins le 30 avril. Les dernières élections remontaient à 2006. L’affectation des budgets consacrés aux partis politiques, aux ministères, aux services de sécurité et aux appels d’offres concernant la gestion des ressources humaines était entachée par la corruption, selon Aman, un groupe de réflexion palestinien prônant une gouvernance transparente.
Yahya Sinwar, ancien commandant d’un groupe armé palestinien, a été réélu le 10 mars à la tête du Hamas, à Gaza. Le 1er août, Ismaïl Haniyeh a été réélu chef du bureau politique du Hamas. Aucun observateur indépendant n’a pu assister au déroulement de ces élections internes.
En juin, les autorités palestiniennes basées en Cisjordanie ont remplacé les conseils municipaux élus par des comités intérimaires, placés sous la houlette du ministère de l’Administration locale.
Le blocus imposé par Israël sur Gaza depuis 2007 empêchait l’importation de matériel considéré par Israël comme représentant une menace pour la sécurité, y compris de pièces mécaniques et de produits chimiques, dont certains étaient acheminés par des tunnels clandestins, peu sûrs, creusés entre l’Égypte et Gaza. Ces tunnels servaient également à échapper aux taxes collectées par le Hamas sur les biens de consommation provenant d’Égypte. Le 18 avril, l’armée égyptienne a indiqué en avoir détruit cinq.
Dans le cadre de mesures destinées à rétablir la confiance, le président Mahmoud Abbas a rencontré le ministre israélien de la Défense le 30 août, puis le 28 décembre.
Des représentants du Fatah et du Hamas ont participé en octobre à des pourparlers en Égypte au sujet de la formation d’un gouvernement d’unité.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
Le 24 juin, le détracteur du régime Nizar Banat est mort en détention aux mains des Forces de sécurité préventive, après avoir été arrêté et torturé par celles-ci à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie1. Cet événement a déclenché des manifestations en faveur de la liberté d’expression dans d’autres villes palestiniennes2, contre lesquelles les autorités sont intervenues en déployant une force excessive et inutile.
Des manifestant·e·s et des passant·e·s ont été arrêtés et, selon certaines informations, torturés. Selon l’organisation palestinienne d’aide aux personnes détenues Addameer, les forces de sécurité palestiniennes ont emmené au moins 15 manifestants, journalistes et défenseurs des droits humains dans un centre de détention de Jéricho (Cisjordanie) surnommé « l’abattoir » fin juin et début juillet, dans le contexte des manifestations. Un avocat d’Addameer a indiqué que ces hommes étaient accusés d’« incitation à un conflit interconfessionnel et racial ».
Lors de manifestations qui se sont déroulées les 26 et 27 juin à Ramallah, dans le centre de la Cisjordanie, des membres des forces de sécurité en civil ont attaqué des manifestantes, brisé du matériel et saisi les téléphones de huit journalistes.
Selon la Commission indépendante des droits humains (ICHR), organe national chargé de la protection des droits humains en Palestine, la police a fait irruption sur le campus de l’université Al Azhar de Gaza les 21 et 22 septembre et roué de coups 15 étudiant·e·s qui participaient à un événement d’intégration. L’ICHR a enregistré 129 plaintes pour détention arbitraire en Cisjordanie et 80 à Gaza, souvent en lien avec la liberté d’expression et d’association.
Défenseur·e·s des droits humains
Un décret présidentiel en date du 2 mars a imposé aux ONG l’obligation de communiquer leur plan annuel au gouvernement, pour approbation.
Le 5 juillet, une douzaine de personnes ont été arrêtées avant la tenue d’une manifestation pacifique. Parmi elles figurait Ubai Aboudi, qui travaillait pour Bisan, une ONG palestinienne œuvrant en faveur des droits économiques et sociaux. Il a été inculpé de « participation à un rassemblement illégal ». Le 30 novembre, le tribunal d’instance de Ramallah a relaxé cet homme ainsi que sept autres militants de toutes les charges qui pesaient sur eux, faute de preuves.
Le 4 juillet, Mohannad Karajah, directeur de Lawyers for Justice, un groupe palestinien de défense des droits humains, a été arrêté dans l’exercice de sa profession. Le 10 novembre, le procureur général l’a interrogé au sujet d’accusations de « diffamation à l’égard de l’Autorité palestinienne », « participation à un rassemblement illégal » et « incitation à un conflit interconfessionnel ». Mohannad Karajah a déclaré avoir été informé que la plainte déposée par le service des renseignements généraux contre Lawyers for Justice et lui-même concernait leur campagne médiatique dénonçant la détention illégale de militant·e·s politiques.
Torture et autres mauvais traitements
Cette année encore, les autorités palestiniennes ont fréquemment eu recours à la torture. L’ICHR a reçu 104 plaintes pour torture et autres mauvais traitements contre les autorités de Cisjordanie et 104 également contre les autorités de Gaza. Le 6 septembre, le ministère public a achevé une enquête sur la mort en détention de Nizar Banat et les actes de torture infligés à cet homme. L’autopsie a mis en évidence des fractures, des ecchymoses et des écorchures sur tout le corps. Quatorze agents subalternes des Forces de sécurité préventive à Hébron ont été jugés en septembre.
Le 22 mai, Tarek Khudairi, un détracteur du régime, a été arrêté lors d’un événement à Ramallah. Il a dit à Amnesty International qu’il avait été giflé, poussé contre un mur pendant l’interrogatoire, maintenu dans des positions douloureuses et privé de soins médicaux pendant deux jours.
Droit à un procès équitable
La nomination par décret présidentiel du 11 janvier des membres du Haut Conseil judiciaire de transition, amené à remplacer le Haut Conseil judiciaire et la Haute Cour de justice palestinienne (dissoute en 2019) n’a fait que saper davantage encore l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Le 21 octobre, l’Autorité de justice militaire dirigée par le Hamas à Gaza a annoncé la condamnation de 13 hommes déclarés coupables de trafic de stupéfiants. Les accusés, tous civils, ont été jugés par des tribunaux militaires sans pouvoir bénéficier de conseils juridiques et certains ont été torturés pour qu’ils « avouent », selon le Centre palestinien de défense des droits humains. L’un d’eux a été condamné à mort, 10 se sont vu infliger des peines de travaux forcés allant de 10 à 18 ans et deux ont été acquittés.
Exactions perpétrées par des groupes armés
Entre le 10 et le 21 mai, des groupes armés palestiniens opérant dans la bande de Gaza ont tiré des centaines de roquettes sur Israël, dont la plupart ont été interceptées par ce pays grâce à son « dôme de fer ». Les tirs aveugles de roquettes constituent un crime de guerre. En Israël, 13 personnes ont ainsi été tuées, dont Khalil Awad et sa fille de 16 ans, Nadine, morts le 12 mai lorsqu’une roquette a frappé leur jardin à Dahmash, près de Lod, dans le centre du pays. Les roquettes ont également fait au moins 20 morts et 80 blessés dans la bande de Gaza, selon Al Mezan, une organisation palestinienne de défense des droits humains. Bara al Gharabli (six ans) et Mustafa Mohammad al Aabed (14 ans) ont été tués le 10 mai à Jabalya, dans le nord de la bande de Gaza, selon Defense for Children International Palestine.
L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a découvert un tunnel apparemment utilisé par des groupes armés palestiniens et creusé sous l’école Zaitoun, l’un de ses établissements à Gaza ; ce tunnel a été touché par des missiles israéliens les 13 et 15 mai.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
Le 3 mars, la procureure de la CPI Fatou Bensouda a ouvert une enquête sur la situation en Palestine. Le 27 mai, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a créé une commission d’enquête internationale, dirigée par Navi Pillay et chargée de faire la lumière sur les violations commises dans les territoires palestiniens occupés et en Israël. Les responsables palestiniens ont bien accueilli cette mesure. Les deux enquêtes concernaient les atrocités et les crimes commis par les autorités palestiniennes et les groupes armés, ainsi que par les autorités israéliennes (voir Israël et territoires palestiniens occupés).
Disparitions forcées
Aucune mesure n’a été prise en vue d’une enquête sur le sort de six hommes soumis à une disparition forcée par les autorités palestiniennes en Cisjordanie en 2002, et l’on ignorait toujours ce qu’il était advenu d’eux.
Deux Israéliens souffrant de troubles mentaux, Avera Mengistu et Hisham Al Sayed, étaient portés disparus depuis qu’ils étaient entrés dans la bande de Gaza, en 2014 et 2015 respectivement. Le Hamas se servait de leur détention comme monnaie d’échange pour faire libérer des Palestinien·e·s détenus par Israël. Il ne donnait aucune information sur l’état de santé de ces hommes ni sur la possibilité pour eux de communiquer avec leur famille en Israël.
Droit à la santé
Le 2 mars, le ministère de la Santé de Cisjordanie a confirmé avoir distribué environ 1 200 doses de vaccin contre le COVID-19 à des hauts fonctionnaires plutôt qu’à des professionnel·le·s de santé.
Le 14 octobre, un organe de vérification basé en Cisjordanie a constaté que les indemnités de sécurité sociale versées aux personnes ayant contracté le COVID-19 n’étaient pas distribuées de manière équitable ni transparente, et que seules 5 533 des 40 000 personnes qui pouvaient prétendre à ces aides dans la bande de Gaza avaient reçu des versements.
Droits des femmes et des filles
Les femmes avaient toujours moins de droits que les hommes en matière de divorce, de garde des enfants et de succession. Des femmes refusant de renoncer à leur héritage ou engageant des poursuites pour faire respecter d’autres droits relatifs à leur situation personnelle ont été attaquées par des proches et n’ont pas bénéficié d’une protection suffisante de la part des autorités.
Les violences à l’égard des femmes se sont accrues dans le contexte des mesures liées au COVID-19 et de l’aggravation de la crise économique. Selon le Centre d’aide juridique et de conseil pour les femmes (WCLAC), 28 femmes et filles ont succombé à des violences domestiques. Le 16 juin, une femme a été tuée d’un coup porté à la tête par un homme de sa famille après un différend successoral à Gaza.
Le 8 septembre, des représentant·e·s de l’État, de la société civile et d’organismes des Nations unies se sont engagés à renforcer l’appui à la lutte contre les violences fondées sur le genre. Les centres d’accueil pour femmes ayant fermé leurs portes pendant les confinements liés à la pandémie de COVID-19, les hôpitaux palestiniens ont ouvert des locaux où les femmes pouvaient trouver la sécurité.
Peine de mort
Le gouvernement de facto du Hamas a prononcé des condamnations à mort à Gaza. Aucune exécution n’a eu lieu.
Lutte contre la crise climatique
Bien que les récoltes d’olives et de raisins aient été mauvaises pendant deux années consécutives en raison du changement climatique, les autorités palestiniennes n’ont pas mis en œuvre de solutions d’adaptation au changement climatique nécessitant peu de ressources dans le secteur agricole.
Dégradations de l’environnement
Dans les parties de la Cisjordanie sous contrôle palestinien, un tiers des déchets solides étaient déversés dans des décharges informelles dépourvues de toute protection environnementale et seulement 1 % de ces déchets étaient recyclés.