En dépit de réformes gouvernementales, les travailleuses et travailleurs migrants étaient toujours en butte à des violations du droit du travail et il leur était difficile de changer librement d’emploi. Les restrictions de la liberté d’expression se sont accrues à l’approche de la Coupe du monde de la FIFA de 2022. Les femmes et les personnes LGBTI étaient toujours victimes de discrimination, dans la législation et dans la pratique.
Contexte
La crise diplomatique qui avait débuté en 2017 dans le Golfe et qui opposait l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte au Qatar a pris fin en janvier.
En juillet, l’émir a ratifié une loi qui ouvrait la voie aux premières élections législatives, destinées à élire 30 des 45 membres du Conseil consultatif. Cette loi interdisait cependant aux Qatarien·ne·s dont les grands-pères n’étaient pas nés au Qatar de voter et de se présenter à l’élection, sur le fondement d’une législation discriminatoire en matière de nationalité. Le scrutin s’est tenu le 2 octobre. Aucune femme n’a été élue.
En octobre, l’émir a remanié le gouvernement et a scindé certains ministères.
L’ensemble des citoyen·ne·s et résident·e·s de 12 ans et plus a eu accès à la vaccination anti-COVID-19, sans discrimination, y compris les personnes étrangères habitant dans le pays. En octobre, 77 % de la population avait un schéma vaccinal complet.
Droits des travailleuses et travailleurs migrants
Le gouvernement n’ayant pas tenu sa promesse de mettre en œuvre des réformes et de les faire appliquer, les pratiques abusives ont pu refaire surface, ravivant les pires aspects du système d’emploi par parrainage (kafala).
Cette année encore, les travailleuses et travailleurs migrants se sont heurtés à des obstacles et exigences bureaucratiques parfois insurmontables lorsqu’ils voulaient changer de travail sans la permission de leur employeur ou employeuse, alors même qu’il ne s’agissait plus d’une obligation légale. En décembre, le gouvernement a indiqué que 242 870 personnes migrantes travaillant dans le pays avaient pu changer d’emploi après les réformes de septembre 2020 ; il a cependant omis de préciser combien d’entre elles étaient parvenues à changer d’emploi sans l’aval de leur employeur ou employeuse – une information essentielle pour mesurer les progrès réalisés.
La situation demeurait encore plus difficile pour les employées de maison migrantes logées sur place, du fait de leur isolement au domicile de leur employeur ou employeuse, qui était également leur lieu de travail.
Le système continuait de laisser la main libre aux employeurs qui contrôlaient l’entrée et le séjour des travailleuses et travailleurs migrants sur le territoire qatarien. Ainsi, les moins scrupuleux d’entre eux pouvaient annuler le permis de résidence de leurs employé·e·s ou encore engager des poursuites contre eux en les accusant de fuite, mettant en péril leur séjour régulier dans le pays.
En mai, le ministère du Travail a lancé une plateforme numérique visant à permettre aux travailleuses et travailleurs de déposer plainte.
Malgré l’instauration d’un nouveau salaire minimum et l’adoption de mesures de contrôle du versement des salaires, des travailleuses et travailleurs migrants continuaient de se faire voler leur salaire par leur employeur ou employeuse sans pouvoir réellement recourir à la justice. En effet, pour ces personnes, l’accès à la justice restait dans une large mesure lent et, lorsqu’elles y parvenaient, il était rare qu’elles obtiennent réparation. Le fonds de soutien créé pour aider les travailleuses et travailleurs à récupérer leur argent s’ils obtenaient gain de cause devant les commissions pour le règlement des conflits du travail fonctionnait au cas par cas et les victimes ne savaient pas précisément si elles pourraient percevoir leurs salaires impayés auprès de ce fonds et, si oui, quand1.
En avril, des employés d’une société d’agents de sécurité ont fait grève pour protester contre le non-respect par leur employeur du nouveau salaire minimum. Selon des médias proches du pouvoir, le gouvernement aurait mené une enquête qui aurait permis de conclure que la rémunération offerte par l’entreprise était conforme à l’obligation légale. Les autorités n’ont toujours pas dûment enquêté sur les milliers de morts soudaines et inexpliquées de travailleuses et travailleurs migrants survenues au Qatar ces dix dernières années alors que ces personnes avaient passé les examens médicaux obligatoires avant de se rendre dans le pays. En l’absence d’enquête, le Qatar n’a pas pu déterminer si ces décès étaient liés au travail, manquant ainsi à son devoir de protéger un élément essentiel du droit à la vie. Les familles endeuillées n’ont pas eu la possibilité non plus d’être indemnisées par l’employeur ou par les autorités2.
Droits syndicaux
Les travailleuses et travailleurs migrants n’avaient toujours pas le droit de former des syndicats ni d’y adhérer. À la place, les autorités ont instauré des comités mixtes. Cette initiative menée à l’instigation des employeurs pour assurer la représentation des travailleuses et travailleurs était loin de garantir le droit fondamental de ces derniers de former des syndicats et d’y adhérer.
Liberté d’expression et de réunion
Les autorités ont continué de restreindre la liberté d’expression au moyen de lois abusives visant à réprimer les voix dissidentes.
Le 4 mai, Malcolm Bidali, un agent de sécurité, blogueur et militant pour les droits des travailleurs migrants originaire du Kenya, a été soumis à une disparition forcée par les autorités. Il a été détenu à l’isolement pendant un mois et n’a pas été autorisé à accéder à un·e avocat·e. Le 14 juillet, le Conseil judiciaire suprême lui a infligé une amende au titre de la loi controversée sur la cybercriminalité pour avoir publié de « fausses informations dans l’intention de mettre en danger le système public étatique ». Ce jugement a été rendu sans que Malcolm Bidali soit officiellement inculpé, traduit devant un tribunal ni informé des charges retenues contre lui. Il a quitté le Qatar le 16 août après avoir payé la lourde amende en question3.
Début août, des membres de tribus, principalement la tribu al Murra, ont protesté contre leur mise à l’écart des élections du Conseil consultatif. Le 8 août, le ministre de l’Intérieur a déclaré que sept hommes avaient été arrêtés et déférés au ministère public. On leur reprochait d’avoir « utilisé les réseaux sociaux pour diffuser de fausses nouvelles et provoquer des conflits raciaux et tribaux ». Certains ont été libérés, mais d’autres sont restés en détention sans pouvoir s’entretenir avec leurs avocats.
En novembre, deux journalistes norvégiens qui enquêtaient sur la situation des travailleuses et travailleurs migrants ont été placés en détention pour violation de propriété privée et pour y avoir filmé des images, allégations réfutées par les deux hommes. Ils ont été interrogés sur leur reportage et tout leur équipement leur a été confisqué. Ils ont été libérés 36 heures plus tard sans inculpation.
Plus tôt pendant leur séjour, les deux journalistes devaient interviewer Abdullah Ibhais, l’ancien directeur de la communication de l’entité organisatrice de la Coupe de monde de football 2022 au Qatar, mais celui-ci a été arrêté le 15 novembre, quelques heures avant l’entretien prévu. Il a été soumis à cette arrestation arbitraire alors qu’il faisait appel d’une peine de prison de cinq ans prononcée à l’issue d’un procès inéquitable fondé sur des « aveux » obtenus sous la contrainte, en l’absence d’un·e avocat·e4. Le 15 décembre, il a été débouté en appel par une juridiction qui l’a condamné à trois ans de prison.
Droits des femmes
Les femmes étaient toujours en butte à des discriminations, dans la législation et dans la pratique. Dans le cadre du système de tutelle, elles restaient liées à leur tuteur masculin, généralement leur père, frère, grand-père ou oncle ou, pour les femmes mariées, leur mari. Les femmes avaient toujours besoin de l’autorisation de leur tuteur pour prendre des décisions de vie essentielles, comme se marier, étudier à l’étranger grâce à des bourses du gouvernement, occuper de nombreux emplois de la fonction publique, voyager à l’étranger jusqu’à un certain âge et recevoir certains types de soins de santé reproductive.
La législation relative à la famille restait discriminatoire à l’égard des femmes, pour qui il était difficile de divorcer. Les femmes divorcées ne pouvaient toujours pas avoir la tutelle de leurs enfants.
En mars, le gouvernement a contesté les conclusions d’un rapport de Human Rights Watch sur la discrimination à l’égard des femmes au Qatar et a promis d’enquêter et d’engager des poursuites contre toute personne ayant enfreint la loi. À la fin de l’année, aucune enquête n’avait été menée.
Noof al Maadeed, une femme qatarienne de 23 ans qui avait sollicité l’asile au Royaume-Uni, affirmant qu’elle subissait des violences familiales, a décidé de retourner au Qatar après avoir demandé des garanties aux autorités. Elle a commencé à relater son parcours sur les réseaux sociaux, mais les dernières nouvelles de sa part dataient du 13 octobre. Elle avait auparavant signalé à la police des menaces de la part sa famille. Même si les autorités ont affirmé qu’elle était en sécurité, on ignorait toujours où elle se trouvait, ce qui soulevait des craintes quant à sa sécurité.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Le Code pénal érigeait toujours la « sodomie » ou les relations sexuelles entre hommes en infraction passible de peines pouvant aller jusqu’à sept ans de prison. L’article 296 disposait que « conduire ou inciter un homme de quelque façon, y compris par la séduction, à commettre un acte de sodomie ou de débauche » et « provoquer ou séduire un homme ou une femme, de quelque façon, dans le but de commettre des actes immoraux ou illégaux » constituaient des infractions.
En février, Mashrou Leila, un groupe de rock libanais dont le chanteur principal était ouvertement gay, a annulé son concert prévu sur le campus de l’université Northwestern à Doha pour des « raisons de sécurité » après de vives réactions homophobes sur Internet.
Peine de mort
En février, l’émir a annulé l’exécution d’un Tunisien déclaré coupable d’homicide. Aucune exécution n’a été signalée.