Le bilan de l’Angola en matière de droits humains était toujours aussi catastrophique. La période qui a précédé et suivi les élections a été entachée de violations des droits humains, telles que la répression du droit à la liberté de réunion pacifique et de manifestation, ainsi que la détention et la torture de militant·e·s. Dans le sud, les conditions météorologiques extrêmes, symptomatiques du changement climatique, ont continué d’avoir des répercussions sur les droits à l’alimentation et à l’eau, et la crise humanitaire qui en découlait a perduré avec la même intensité. L’occupation illégale de pâturages communautaires dans la région a aggravé les conditions de vie difficiles des populations pastorales.
Contexte
Des élections générales ont eu lieu le 24 août dans un climat de mécontentement global quant au coût élevé de la vie et sur fond d’impopularité croissante du gouvernement. Les jeunes faisaient partie des personnes les plus insatisfaites, révoltés par la hausse du chômage et l’incapacité du gouvernement à créer les 500 000 emplois qu’il avait promis pendant la campagne électorale de 2017. La répression des rassemblements pacifiques et des manifestations organisés par des jeunes s’est intensifiée à l’approche des élections. La faiblesse sans précédent de la participation (seulement de 46 % de votant·e·s) a contribué à la victoire du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) avec 51 % des voix, soit le score le plus faible jamais enregistré. Pour la première fois, ce parti a perdu Luanda, la capitale et la plus grande circonscription électorale, au profit de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA). Tandis que des allégations d’irrégularités électorales jetaient le doute sur la légitimité de la victoire du MPLA, la cérémonie d’investiture du président João Lourenço s’est accompagnée d’une démonstration de force symbolique de l’armée dans les rues et le ciel de Luanda.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
Bien qu’aucune violation des droits humains n’ait été signalée dans les bureaux de vote le jour des élections, de nombreux cas de répression des droits à la liberté de réunion pacifique, de manifestation et d’expression ont été enregistrés avant et après le scrutin. Les membres des forces de sécurité à l’origine de ces infractions sont restés impunis.
La police détenait toujours António Tuma, secrétaire technique adjoint en charge de l’information du Mouvement pour l’indépendance de Cabinda (MIC), accusé d’« association de malfaiteurs et rébellion ». Lui et un autre militant du MIC, Alexandre Dunge, avaient été arrêtés à leurs domiciles respectifs à l’aube du 6 octobre 2021 et étaient restés en détention à la prison civile de Cabinda jusqu’au 1er juillet, date à laquelle le tribunal de district de Cabinda les avait relaxés et libérés. António Tuma avait de nouveau été arrêté quelques heures plus tard, ainsi que six autres militants du MIC qui s’étaient rassemblés pour fêter la remise en liberté de leurs collègues (Sebestão Macaia Bungo, Joaquim do Nascimento Sita, Jorge Gomes, Teofilo Gomes, Marcos Futi Poba Polo et José Isamo). Le Service des enquêtes judiciaires (SIC) a affirmé que ces hommes prévoyaient de manifester dans une tentative de déstabilisation publique.
En mars, le SIC a placé en détention 10 militants des droits civiques à qui il reprochait de préparer un séminaire sur le développement durable à l’échelle régionale, qui devait se tenir à l’école primaire Agostinho Neto, dans la province de Malanje. Des agents du SIC les ont soumis à des actes de torture en détention.
En avril, la police a arrêté et placé en détention 22 jeunes militant·e·s, dont trois femmes, à Luanda. Ces personnes ont été accusées d’avoir participé à une « manifestation non autorisée, au mépris des dispositions de la loi sur le droit de réunion et de manifestation ». Ces militant·e·s voulaient dénoncer les agissements d’Indra, l’entreprise engagée pour gérer le processus électoral, et réclamer la libération de prisonnières et prisonniers d’opinion. À l’issue de procès sommaires, 20 d’entre eux ont été acquittés, et les deux autres condamnés à verser une amende en remplacement d’une peine de 40 jours d’emprisonnement.
Les autorités ont resserré leur étau sur le droit à la liberté d’association en empêchant la tenue de réunions de la société civile en amont des élections générales. Le 21 mai, la police a empêché deux organisations de la société civile, Omunga et l’Association pour le développement de la culture et des droits humains (ADCDH), de tenir une conférence sur la construction de la paix.
Des arrestations massives ont eu lieu après les élections. Le 26 août, des dizaines de jeunes, dont des mineur·e·s, sont descendus dans les rues de Lobito (province de Benguela) pour contester pacifiquement les résultats provisoires des élections. La police nationale les a dispersés en usant de gaz lacrymogène et d’armes à feu, et a arrêté huit militant·e·s et 11 passant·e·s. Le lendemain, un groupe de jeunes qui voulaient manifester pacifiquement contre les résultats provisoires a été dispersé par la police. Vingt d’entre eux ont été arrêtés, dont les militant·e·s Avisto Mbota, Albino Elavoko, António Gomes, Maria Do Carmo Correia et Mário Hulunda Raúl. La police a fait irruption en tirant des coups de feu dans l’habitation où ces cinq personnes s’étaient rassemblées et les a frappées durant leur arrestation. Au 29 août, 40 jeunes au total avaient comparu devant le tribunal de district de Lobito pour désobéissance publique. Les agents à l’origine de ces arrestations ne se sont pas présentés devant le tribunal et l’affaire a été classée faute de preuves.
Le 15 septembre, alors que le président João Lourenço était investi dans ses fonctions, la police a gardé en détention Osvaldo Caholo, militant des droits civiques, pendant sept heures avant de le relâcher sans inculpation. Trois jours auparavant, cet homme avait déclaré dans un entretien à Deutsche Welle que, dans les cinq ans à venir, le MPLA allait faire de l’Angola un État terroriste contre sa propre population. Le même mois, 12 militants des droits civiques ont été détenus dans les locaux du SIC à Luanda, accusés d’avoir publié sur les réseaux sociaux des vidéos visant à « semer l’insécurité, la haine et la panique ». Ils ont été remis en liberté sans inculpation après quatre jours de détention, le 28 septembre.
Toujours à Luanda, le 20 septembre, des inconnus masqués sont entrés par effraction chez Claudio Emmanuel, animateur radio, et ont retenu sa famille en otage après qu’un des invités de son émission eut critiqué les services de renseignement à l’antenne. Les agresseurs ont torturé la femme de Claudio Emmanuel, qu’ils ont ligotée, frappée et coupée plus de 30 fois sur les membres au moyen d’une lame chauffée à blanc. Ils ont également menacé de tuer son bébé si elle criait. Bien que ces faits aient été signalés à la police, qui s’est rendue sur les lieux par la suite, personne n’a été traduit en justice.
Le 29 septembre, des militant·e·s des droits civiques et leurs familles ont reçu des menaces de mort pour avoir organisé des manifestations contre les résultats des élections. Ainsi, Hermenegildo Victor, coordinateur du Mouvement civique Mudei, et Basílio da Fonseca, dirigeant de l’organisation de la société civile Malanjina Resistance, ont reçu sur leurs téléphones portables des menaces de mort provenant de destinataires inconnus.
Droit à l’alimentation et à l’eau
Les conditions météorologiques extrêmes, symptomatiques du changement climatique, ont continué d’avoir des conséquences sur la vie des habitants et habitantes du sud du pays, notamment dans les provinces de Cuando-Cubango, Cunene, Huíla et Namibe, où la sécheresse a atteint des niveaux sans précédent ces dernières années, provoquant des pénuries de nourriture et d’eau, ainsi qu’une malnutrition ; des personnes en sont mortes et des troupeaux ont été décimés.
Selon l’échelle de gravité des pénuries alimentaires établie par le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), l’insécurité alimentaire dans les provinces de Cunene, Huíla et Namibe était l’une des plus sévères au monde. Elle touchait environ 1,58 million de personnes, dont 43 % étaient considérées par l’IPC comme étant en phase 3 (crise) et 15 % en phase 4 (urgence). L’UNICEF et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) prévoyaient qu’environ 400 000 enfants souffriraient de malnutrition aiguë en 2022. Des adultes et des enfants en ont été réduits à manger de l’herbe pour survivre. Beaucoup de bétail a été perdu en raison de la pénurie de fourrage due à la sécheresse, ce qui a aggravé les niveaux d’insécurité alimentaire parmi les populations pastorales. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a entraîné une hausse de 45 % du prix du blé en Afrique, selon la Banque africaine de développement, ce qui a exacerbé les pénuries alimentaires.
Personnes réfugiées ou migrantes
La sécheresse, les pertes importantes de bétail et les mauvaises récoltes ont continué de pousser la population à fuir vers la Namibie voisine, seule option viable dans la quête désespérée de nourriture et d’eau. Des milliers de personnes ont longuement marché pour arriver jusqu’en Namibie, sans nourriture ni eau. Certaines étaient malades et souffraient de malnutrition, et beaucoup sont mortes en chemin. En Namibie, elles s’abritaient sous des cartons et des sacs en plastique, ou dormaient dehors à même le sol, sans aucune protection.
Alors que les autorités angolaises n’apportaient qu’une aide limitée aux personnes restées en Angola, le gouvernement namibien et la Croix-Rouge ont fourni des efforts notables pour porter assistance aux réfugié·e·s. La faim a contraint beaucoup de celles et ceux qui avaient été rapatriés en Angola à retourner en Namibie.
Expulsions forcées
L’expropriation de pâturages communautaires au profit de l’élevage commercial dans le sud de l’Angola s’est poursuivie malgré les appels d’organisations locales et internationales de défense des droits humains à mettre un terme à cette pratique. Les transferts de terres des populations pastorales aux exploitants commerciaux ont aggravé les pénuries de nourriture et d’eau en limitant l’accès de ces populations aux terres arables, et en les empêchant de changer leur bétail de pâturages en fonction des saisons. Ces transferts ont souvent été réalisés sans le consentement préalable, libre et éclairé des populations pastorales, parmi lesquelles figuraient des communautés autochtones et tribales. Les autorités et les éleveurs ont violé les droits procéduraux et politiques des populations pastorales, notamment leurs droits d’être indemnisées équitablement, consultées et réinstallées, ainsi que le droit à une évaluation de l’impact environnemental. Par exemple, le 12 octobre, la police a tenté d’expulser la communauté mucubai de ses terres à Ndamba, à la périphérie de Moçâmedes (province de Namibe), afin de faciliter le transfert des terres à un agriculteur commercial. La police a incendié 16 habitations et des effets personnels, dont des couvertures, des vêtements et des bidons d’eau. Un garçon de cinq ans a disparu lors de cette opération et les habitant·e·s craignaient qu’il n’ait été brûlé vif dans l’une des maisons.