Les représentant·e·s de l’État n’ont pas fait respecter les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. De nombreuses organisations indépendantes de défense des droits humains n’étaient pas autorisées à mener leurs activités, et de nombreux acteurs et actrices de la société civile étaient toujours en exil. Les forces de sécurité et les Imbonerakure (branche jeunesse du parti au pouvoir) ont continué à lancer des attaques ciblées contre des détracteurs et détractrices du gouvernement et des membres de l’opposition, notamment avec des arrestations et détentions arbitraires, et des disparitions forcées. Les droits des personnes détenues ont été bafoués. La Commission vérité et réconciliation a été accusée de partialité. Le fait que les pouvoirs publics n’ont pas remédié aux pénuries de carburant et la décision inconsidérée d’interdire les vélos, tricycles et motos dans le centre de Bujumbura ont accru le coût de la vie, ce qui a eu des répercussions sur les droits sociaux et économiques. Des personnes réfugiées revenues dans leur pays ont été victimes d’actes de harcèlement, de manœuvres d’intimidation et d’agressions.
Contexte
En février, l’UE a levé les sanctions imposées au Burundi au titre de l’article 96 de l’accord de partenariat qu’elle avait conclu en 2016 avec des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Les relations avec le Rwanda, pays voisin, ont continué de s’améliorer et, en mars, le président a reçu la visite du ministre rwandais de la Défense qui était porteur d’un message spécial du président rwandais visant à normaliser les relations bilatérales. En mai, le président de la République démocratique du Congo (RDC) a effectué une visite officielle dans le pays sur fond d’inquiétudes suscitées par les opérations militaires menées par l’armée burundaise et les Imbonerakure contre des groupes armés burundais sur le territoire de la RDC.
Les autorités burundaises ont continué à refuser l’accès au pays de mécanismes régionaux et internationaux de protection des droits humains, notamment de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et du Conseil des droits de l’homme [ONU], et à ne pas coopérer avec eux.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, 1,8 million de personnes dans le pays, sur une population de 13 millions, ont eu besoin d’une aide humanitaire en 2022.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
Les représentant·e·s de l’État n’ont pas fait respecter les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.
En mars, les autorités chargées de l’application des lois ont mis fin à une conférence de presse organisée par Parole et action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités (PARCEM) et l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), deux organisations de la société civile. Pendant la conférence, des participant·e·s avaient dénoncé la décision du ministère de l’Intérieur d’interdire les vélos, tricycles et motos dans le centre de Bujumbura.
En mars, la Commission vérité et réconciliation a proposé un texte de loi visant à punir quiconque nierait le génocide perpétré contre les Hutus au Burundi en 1972. Ce texte, s’il était adopté, risquerait d’accentuer davantage encore les restrictions amenuisant l’espace civique, ainsi que la répression du droit à la liberté d’expression.
En juin, les célébrations du troisième anniversaire du principal parti d’opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL), ont été interdites dans plusieurs provinces. Les forces de sécurité et des membres des Imbonerakure ont perturbé plusieurs réunions du CNL, notamment en juillet dans la province de Gitega, où un groupe de membres présumés des Imbonerakure, accompagné des autorités locales, a accusé le parti d’organiser une réunion clandestine et non autorisée. Des permanences du CNL ont été dégradées – deux permanences ont notamment été incendiées dans la province de Ruyigi – et les tentatives du CNL de constituer un groupe parlementaire d’opposition se sont dans un premier temps heurtées au refus du président de l’Assemblée nationale.
En septembre, le président de la CADHP a écrit au président Évariste Ndayishimiye pour demander que des mesures conservatoires soient prises dans l’affaire concernant 12 défenseur·e·s des droits humains et journalistes (Marguerite Barankitse, Dieudonné Bashirashize, Arcade Havyarimana, Patrick Mitabaro, Innocent Muhozi, Patrick Nduwimana, Pacifique Nininahazwe, Armel Niyongere, Gilbert Niyonkuru, Anne Niyuhire, Vital Nshimirimana et Bob Rugurika) qui vivaient tous en exil. Ces personnes avaient été accusées à tort de participation à la tentative de coup d’État de mai 2015 et condamnées par contumace en juin 2020 à la réclusion à perpétuité par la Cour suprême, dont la décision n’avait été rendue publique qu’en février 2021.
Arrestations et détentions arbitraires
Les autorités et les Imbonerakure ont continué à prendre pour cible des membres du CNL, qu’ils ont brutalisés, arrêtés et détenus illégalement.
Christophe Sahabo, qui était le directeur général du Kira Hospital, à Bujumbura, a été arrêté en avril, en même temps que Jean-David Pillot, de nationalité française, qui était le président du conseil d’administration de l’hôpital. Ce dernier a été libéré après une nuit en détention, mais Christophe Sahabo a été incarcéré plusieurs jours sans pouvoir communiquer avec sa famille et les avocat·e·s de son choix. Il a été détenu par le Service national de renseignement (SNR) pendant plus de 30 jours avant d’être présenté devant un magistrat et transféré à la prison de Mpimba. Le 29 septembre, il a été transféré à la prison de Ruyigi, à environ 160 kilomètres de Bujumbura, où son dossier était enregistré. Selon sa famille et sa défense, il a subi des pressions et a été contraint à démissionner de ses fonctions au Kira Hospital en raison d’accusations sans fondement de fraude, blanchiment d’argent et faux et usage de faux. L’un de ses avocat·e·s a déclaré qu’un contrôle financier récent, demandé par la direction intérimaire de l’hôpital, n’avait fait apparaître aucune faute de la part de Christophe Sahabo.
Le 27 septembre, son frère, Etienne Sahabo, et son avocate, Sandra Ndayizeye, fille de l’ancien président Domitien Ndayizeye, ont été arrêtés et accusés par le procureur général d’avoir falsifié le compte rendu de l’assemblée générale du Kira Hospital rétablissant Christophe Sahabo dans ses fonctions de directeur. Sandra Ndayizeye a été remise en liberté le 7 octobre, après avoir renoncé à représenter Christophe Sahabo. Etienne Sahabo a été libéré le même jour.
En décembre, la Cour suprême a cassé le jugement confirmant la peine de cinq ans d’emprisonnement infligée à l’avocat Tony Germain Nkina et ordonné un nouveau procès concernant sa condamnation en juin 2021 pour « collaboration avec les rebelles qui ont attaqué le Burundi ». Il a été libéré une semaine plus tard, après son acquittement par la cour d’appel de Ngozi. Il avait été arrêté en octobre 2020 et poursuivi à tort pour atteinte à la sécurité de l’État.
Droits des personnes détenues
Les autorités ont bafoué cette année encore les droits des personnes détenues. Les conditions de détention ne respectaient pas les normes internationales relatives aux droits humains : les locaux étaient fortement surpeuplés et la nourriture, l’eau et les soins de santé insuffisants. Les personnes détenues et les défenseur·e·s des droits humains ont dénoncé la diminution des rations imposée par les autorités carcérales à compter de juillet. L’accroissement continu de la population carcérale a aggravé la situation. Selon le défenseur des droits humains Pierre Claver Mbonimpa, la nourriture fournie par les autorités ne permettait de nourrir que 4 294 détenu·e·s, alors que la population carcérale était estimée à plus de 12 000 personnes.
Les autorités n’avaient toujours pas mené d’enquête efficace sur l’incendie survenu à la prison de Gitega en décembre 2021, qui avait fait au moins 38 morts, selon les chiffres officiels. Cette prison, conçue pour accueillir 400 détenus, en abritait plus de 1 200.
Tout au long de l’année, le parquet général a supervisé la libération de personnes accusées d’infractions mineures, comme l’avait demandé le président Évariste Ndayishimiye en 2021 pour tenter de désengorger les prisons. Selon des sources officielles, en juin, au moins 60 personnes avaient été libérées à Gitega, la capitale. À la prison de Mpimba, à Bujumbura, 111 détenu·e·s, dont cinq femmes, ont obtenu une mise en liberté provisoire en juin. En novembre, la ministre de la Justice a envoyé une note interne à tous les services au sujet de la surpopulation dans les prisons, en les appelant à appliquer la directive du président concernant la libération des personnes se trouvant en détention provisoire pour des infractions mineures.
André Ndagijimana, membre du CNL, est mort à l’hôpital de Ngozi en juillet, alors qu’il était incarcéré. Il avait été privé des soins médicaux dont il avait besoin pendant son incarcération.
Disparitions forcées
Le nombre de disparitions forcées a diminué, mais les détracteurs et détractrices du gouvernement et du parti au pouvoir risquaient toujours fortement d’en être victimes.
Jean de Dieu Ndasabira, membre du CNL, a disparu en juin. Selon les organisations locales qui ont rassemblé des informations sur son cas, des agents du SNR seraient venus le chercher sur son lieu de travail, à Bujumbura. À la fin de l’année, les autorités n’avaient fourni aucune information sur une éventuelle enquête concernant cette disparition.
Droit à la vie
Des organisations burundaises de défense des droits humains ont continué de signaler des découvertes de corps dans des cours d’eau à travers le pays ; les forces de sécurité et les Imbonerakure étaient soupçonnés d’être responsables de ces homicides. Les autorités n’ont pas enquêté sur ces allégations.
En juin, un jeune représentant local du CNL, Jean Claude Ntirampeba, a été retrouvé mort près de la rivière Rusizi. Les marques observées sur son corps montraient clairement qu’il avait été victime d’un homicide.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
La Commission vérité et réconciliation était de longue date accusée de partialité. Ses méthodes et la manière dont elle exhumait les corps continuaient d’être contestées par des groupes de défense des droits humains ; de nombreux acteurs et actrices burundais et internationaux les considéraient comme faisant partie du récit du parti au pouvoir, récit qui consistait à dépeindre les Hutus comme les uniques victimes des massacres de 1972, sans que des enquêtes soient menées sur les autres atrocités commises.
Droits économiques, sociaux et culturels
Depuis août 2021, les autorités n’assuraient pas l’approvisionnement en carburant, causant la paralysie de l’activité économique, une forte hausse de l’inflation, l’augmentation des prix des denrées alimentaires et une pénurie de transports publics dans les grandes villes, ce qui a empêché de nombreux professionnel·le·s de la santé, élèves et étudiant·e·s, fonctionnaires et travailleuses et travailleurs du secteur privé de se rendre sur leur lieu de travail ou d’étude. À la crise des transports publics s’est ajoutée l’interdiction par le ministère de l’Intérieur des vélos, tricycles et motos dans le centre de Bujumbura (voir Liberté d’expression, d’association et de réunion).
Les médias locaux ont signalé des abus commis par les Imbonerakure, des fonctionnaires locaux et les forces de sécurité, qui réclamaient des sommes d’argent aux conducteurs·trices pour leur permettre de se procurer du carburant en évitant les files d’attente.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Selon le HCR, l’organisme des Nations unies chargé des personnes réfugiées, il y avait 258 272 personnes réfugiées du Burundi dans les pays voisins et plus de 80 000 personnes déplacées au Burundi. Le HCR a facilité le retour de 16 621 réfugié·e·s burundais revenant principalement de RDC, du Rwanda et de Tanzanie. Des médias locaux et des organisations locales de défense des droits humains ont continué à faire état de cas de harcèlement et d’attaques ciblées exercés par les Imbonerakure et des fonctionnaires locaux contre des personnes revenues dans leur pays.