République démocratique du Congo - Rapport annuel 2022

République démocratique du Congo - Rapport annuel 2022

République démocratique du Congo
Chef de l’État : Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo
Chef du gouvernement : Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge

Cette année encore, la République démocratique du Congo (RDC) a été le théâtre de graves atteintes aux droits humains, dont des massacres perpétrés dans le contexte du conflit armé et de violences intercommunautaires, une répression de la dissidence et des mauvais traitements en détention. Les populations des régions concernées par le conflit armé, notamment l’est du pays, ont été particulièrement touchées, et des déplacements massifs et une aggravation de la crise humanitaire ont été observés. Les autorités ont continué à faire preuve d’un manque de volonté politique pour amener les auteurs présumés de violations des droits humains à rendre des comptes. Le droit à l’éducation a été bafoué.

Contexte

Les conflits armés se sont poursuivis dans plusieurs parties du territoire de la RDC, notamment dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri, du Tanganyika, du Kasaï-Oriental, du Kasaï-Central, du Kasaï et de Mai-Ndombe. La résurgence du Mouvement du 23 mars (M23), un groupe rebelle, dans la province du Nord-Kivu a aggravé la situation en matière de sécurité et la crise humanitaire dans l’est de la RDC, et également réactivé les tensions militaires et politiques entre la RDC et le Rwanda. Ces tensions entre les deux pays ont déclenché une nouvelle vague de manifestations hostiles au Rwanda et aux Nations unies.

De nouveaux pics de violences intercommunautaires ont eu lieu dans les régions du centre et de l’ouest. Des violences entre les Tékés et les Yakas, deux groupes tribaux, ont éclaté en août dans le territoire de Kwamouth (province de Mai-Ndombe), dans l’ouest du pays, sur fond de différends fonciers et de lutte pour le pouvoir coutumier. En septembre, ces violences avaient fait au moins 150 morts, des centaines de blessés et plus de 11 000 personnes déplacées de force. Des centaines d’habitations ont été incendiées et des biens ont été pillés, tandis que les violences se propageaient aux provinces voisines du Kwilu et du Kwango.

L’incertitude quant à la capacité ou la volonté des autorités de mettre en application les dispositions de la Constitution en vue des élections générales de 2023 a continué d’alimenter les tensions politiques, tandis que la répression des voix dissidentes par les pouvoirs publics s’est intensifiée. La corruption et le gaspillage de ressources publiques se sont poursuivis, généralement en toute impunité, ce qui a empêché le président, Félix Tshisekedi, d’améliorer la situation économique et sociale de la population comme il s’y était engagé, et notamment de garantir un accès universel à l’éducation élémentaire et aux soins médicaux de base.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Les attaques contre la population civile se sont intensifiées dans l’est de la RDC. Les interventions militaires menées par les forces de l’ONU et les armées de pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est, tels que l’Ouganda et le Burundi, n’ont pas abouti à une diminution du nombre d’attaques de groupes armés visant des civil·e·s.

Selon l’ONU, des groupes armés ont tué illégalement plus de 1 800 civil·e·s et en ont blessé des milliers d’autres dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu (est du pays).
En Ituri, la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO), groupe armé composé principalement de membres du groupe ethnique lendu, a intensifié ses attaques aveugles contre les groupes ethniques alur et hema. Le 8 mai, lors d’une des attaques les plus meurtrières, ses membres ont tué au moins 52 personnes non armées, dont des enfants et des personnes âgées, sur le site d’une mine d’or dans le village de Kablangete, selon le Baromètre sécuritaire du Kivu. Ils ont aussi violé au moins six femmes.

Une enquête préliminaire de l’ONU sur les attaques des 29 et 30 novembre a conclu que des rebelles du M23 avaient tué au moins 131 civil·e·s et violé au moins 22 femmes dans les villages de Kishishe et de Bambo, dans la province du Nord-Kivu, à titre de représailles après des affrontements entre le M23 et des groupes armés rivaux.

Droits des personnes déplacées

Selon le HCR, 600 000 personnes supplémentaires ont été contraintes de fuir leur domicile en 2022, ce qui portait le nombre de personnes déplacées dans le pays à près de six millions (contre 5,5 millions en 2021), soit plus que dans n’importe quel autre pays d’Afrique.

Les groupes armés ont poursuivi leurs attaques ciblées contre des personnes déplacées dans l’est de la RDC, faisant des centaines de morts et de nombreux blessés, tout en provoquant des déplacements par dizaines de milliers. Rien que dans le Nord-Kivu, les combats entre l’armée congolaise et les rebelles du M23 ont contraint plus de 200 000 personnes à fuir leur domicile.

Selon des données recueillies par l’ONU, au moins 250 personnes déplacées ont été tuées pendant l’année dans des attaques délibérées lancées contre les camps où elles vivaient dans l’est du pays, dont 180 rien qu’en Ituri. Le 1er février, des combattants de la CODECO ont attaqué le camp de personnes déplacées de la plaine Savo, en Ituri, tuant au moins 62 civil·e·s et en blessant des dizaines d’autres, selon l’ONU. Ce camp hébergeait plus de 24 000 personnes qui avaient fui les violences dans le territoire de Djugu en 2019. En juin, des hommes armés ont attaqué le camp de personnes déplacées de Rujagati, dans le Nord-Kivu, tuant sept civil·e·s. Dans la province du Sud-Kivu, des attaques contre des camps de personnes déplacées à proximité des villes de Minembwe et de Fizi ont fait au moins 10 morts parmi la communauté banyamulenge entre mai et octobre. Dans plusieurs cas, les forces de sécurité congolaises et la Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), dont la mission principale était la protection des civil·e·s, n’ont rien fait pour empêcher ou arrêter ces attaques, y compris lorsque les mécanismes d’alerte locaux en place les en avaient averties.

Homicides illégaux

Dans l’ouest de la RDC, des groupes locaux de défense des droits humains ont accusé des membres de l’armée et de la police congolaises déployés en renfort depuis la capitale, Kinshasa, d’avoir commis de graves violations des droits humains, telles que des exécutions sommaires, des viols, des arrestations arbitraires et des pillages, en réaction à des violences intercommunautaires. En décembre, le tribunal militaire de garnison de Bandundu a condamné trois membres de l’armée congolaise respectivement à la peine de mort, à neuf ans d’emprisonnement et à un an de prison pour plusieurs crimes, dont les homicides de trois civil·e·s dans les villes de Fadiaka et de Bagata en novembre. À la fin de l’année, 28 autres soldats étaient en attente de jugement pour des crimes similaires dans la région.

Privation d’aide humanitaire

Selon la Banque mondiale, plus de 64 % de la population vivait avec moins de 2,15 dollars des États-Unis par jour. Par ailleurs, d’après le Programme alimentaire mondial, 27 millions de personnes, dont 3,4 millions d’enfants, étaient en situation d’insécurité alimentaire.

Outre le mauvais état des routes et autres problèmes matériels, les attaques incessantes de groupes armés et les opérations militaires rendaient l’accès de plus en plus difficile pour les organisations humanitaires, en particulier dans les provinces de l’est, qui accueillaient la majorité des personnes déplacées. Dans le Nord-Kivu, notamment dans la ville de Beni, l’utilisation accrue d’engins explosifs représentait une menace pour les travailleuses et travailleurs humanitaires et pour les autres civil·e·s. Des personnes soupçonnées d’être des combattants des Forces démocratiques alliées (groupe rebelle ougandais considéré comme une entité terroriste par les gouvernements de la RDC et de l’Ouganda) ont lancé plusieurs attaques sur l’axe Beni-Kasindi, une importante route commerciale entre la RDC et l’Ouganda, ce qui a limité l’acheminement de l’aide humanitaire. Dans le territoire de Rutshuru, les zones contrôlées par le groupe rebelle M23 ont été presque entièrement privées d’aide humanitaire, y compris de services de santé essentiels, à partir du mois de mai. Les nombreux postes de contrôle gérés par des groupes armés et les autres restrictions délibérées du droit de circuler librement imposées par les forces gouvernementales et les groupes armés dans l’Ituri, le Sud-Kivu et le Nord-Kivu ont empêché les populations de bénéficier d’une aide vitale, notamment sous forme de nourriture, d’eau et de soins médicaux.

  • Attaques visant des travailleuses et travailleurs humanitaires

Cette année encore, des attaques ont visé des travailleuses et travailleurs humanitaires locaux et étrangers, en particulier dans les provinces de l’est, faisant au moins quatre morts et plusieurs blessés et donnant lieu à l’enlèvement de 10 personnes rien qu’au premier semestre. Le 7 janvier, l’ONG Concern Worldwide a indiqué que trois de ses employés avaient été enlevés par des hommes armés et masqués, qui avaient attaqué leur convoi dans la ville de Kahumba (territoire de Masisi). Ces personnes ont été relâchées une semaine plus tard. En mai, deux autres travailleurs humanitaires ont été enlevés dans le même secteur et libérés au bout de huit jours, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).

À certains endroits, les attaques récurrentes ont contraint plusieurs organisations humanitaires à suspendre leurs activités, voire à quitter définitivement des districts entiers. En mars, par exemple, sept organisations humanitaires ont interrompu leurs opérations dans la zone de santé de Kamango, laissant plus de 300 000 personnes sans aide humanitaire dans la partie septentrionale du Nord-Kivu, selon l’OCHA.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

Aucun progrès sensible n’a été accompli en matière de lutte systématique et efficace contre l’impunité généralisée qui régnait pour les crimes de droit international et les autres graves atteintes aux droits humains commis en RDC depuis les années 1990. Néanmoins, quelques mesures ont été prises en faveur de la « justice de transition », même si les autorités ont continué de mettre l’accent sur la réconciliation et les réparations plutôt que sur l’obligation de rendre des comptes. En mars, elles ont lancé des consultations publiques sur la justice de transition dans tout le pays. L’objectif affiché était de recueillir l’opinion de la population sur les mécanismes de justice adéquats. En octobre, avec le soutien du Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme, le gouvernement a mis en place une commission d’expert·e·s congolais chargée d’élaborer une « stratégie nationale de justice transitionnelle ». Un avant-projet de loi « fixant les principes relatifs à la protection et à la réparation des victimes des violences sexuelles liées aux conflits et des victimes d’autres crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité » a été adopté en décembre. Ce texte était le fruit des travaux d’une commission établie sous la direction de la Première Dame.

En février, la Cour internationale de justice a rendu une décision attendue de longue date qui déterminait les réparations dues par l’Ouganda à la RDC pour les infractions au droit international humanitaire commises dans le cadre des activités armées qu’il avait menées sur le territoire de la RDC entre 1998 et 2003. Elle a ordonné à l’Ouganda de payer 325 millions de dollars des États-Unis à la RDC en cinq versements annuels de 65 millions, à compter du 1er septembre 2022. Ce montant se décomposait comme suit : 225 millions pour les préjudices aux personnes, 40 millions pour les dégâts matériels et 60 millions pour les dommages causés aux ressources naturelles. En septembre, le gouvernement a accusé réception du premier versement ordonné par la Cour. En revanche, il n’a pas fourni d’informations sur la manière dont les réparations destinées aux personnes seraient attribuées.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

Les autorités ont intensifié leur répression des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Elles ont continué d’utiliser la pandémie de COVID-19 et le long « état de siège » (une forme de loi martiale) en Ituri et dans le Nord-Kivu comme prétextes pour interdire ou réprimer les rassemblements publics et les manifestations de personnes et de groupes considérés comme critiques à l’égard du gouvernement.

Les autorités militaires nommées sous l’« état de siège » ont continué d’arrêter et d’emprisonner arbitrairement des détracteurs et détractrices, ainsi que d’interdire et de réprimer les manifestations, en toute impunité. Les rassemblements considérés comme favorables aux autorités ont été autorisés, tandis queceux jugés critiques ont été interdits ou réprimés violemment. Des militant·e·s de la société civile et de l’opposition ont été arrêtés et détenus arbitrairement, souvent sans jugement, pour avoir critiqué l’« état de siège » ou le gouvernement, ou pour d’autres formes d’exercice de leurs droits humains. En avril, un tribunal militaire de Beni a condamné 12 militants du mouvement de la société civile Lutte pour le changement (LUCHA) à 24 mois d’emprisonnement pour « incitation à désobéir aux lois ». Ces militants avaient été arrêtés en novembre 2021 pour avoir organisé un sit-in pacifique à la mairie contre le fait que l’« état de siège » avait été prolongé sans véritable évaluation de ses incidences sur la situation en matière de sécurité. Ils ont finalement été libérés en août, après que la cour d’appel du Nord-Kivu a annulé la décision du tribunal militaire.

Dans toute la RDC, l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique est demeuré l’exception plutôt que la règle. À Kinshasa, ainsi que dans les villes de Lubumbashi, Matadi, Kisangani, Kolwezi, Kananga, Tshikapa, Mbujimayi, Bukavu, Kalemie, Kindu, Lisala et Gbadolite, les autorités administratives ont systématiquement interdit, en toute illégalité, les manifestations jugées critiques à l’égard du président ou de son gouvernement.

En juillet, dans les villes de Goma, Butembo, Beni et Uvira, situées dans l’est du pays, des Casques bleus et des policiers congolais ont réagi de manière disproportionnée à des manifestations violentes contre la présence prolongée des Nations unies en RDC et le fait que celles-ci n’assuraient pas véritablement la protection des civil·e·s. Au moins 36 personnes (29 manifestants et passants et sept membres du personnel de l’ONU) ont été tuées, selon le gouvernement. À la fin de l’année, on ne connaissait toujours pas les conclusions de l’enquête promise par les autorités congolaises et les Nations unies, et personne n’avait été amené à rendre des comptes dans cette affaire.

Le 21 septembre, une manifestation pacifique organisée par le Syndicat national des médecins à Kinshasa a été interdite illégalement par le gouverneur de la ville, puis réprimée violemment par la police, qui a arrêté plusieurs manifestant·e·s et en a blessé d’autres. Bien que le ministre des Droits humains ait dénoncé ces faits, aucune mesure concrète n’a été prise pour annuler la décision arbitraire du gouverneur, amener celui-ci et le commandant de la police de Kinshasa à rendre des comptes, ni permettre aux victimes d’accéder à la justice et de bénéficier de recours efficaces.

Conditions de détention inhumaines

Du fait de la capacité d’accueil extrêmement limitée et du délabrement des prisons, ainsi que du recours fréquent aux arrestations arbitraires et à la détention provisoire prolongée, l’état des prisons du pays a continué de se dégrader à une vitesse alarmante. Des milliers de personnes étaient détenues dans des conditions inhumaines.

La plupart des prisons demeuraient surpeuplées, certaines, comme celle de Goma, atteignant jusqu’à 1 000 % de leur capacité d’accueil. Le recours abusif à la détention provisoire (environ 75 % des personnes incarcérées se trouvaient en détention provisoire) et la difficulté qu’avaient le ministère public et les tribunaux à gérer l’accumulation de dossiers en attente n’ont fait qu’aggraver la situation.

En raison de la surpopulation, des défaillances en matière de sécurité et de l’accès insuffisant aux biens et services de première nécessité, comme l’eau potable, l’électricité et les médicaments, des milliers de personnes incarcérées étaient affamées et souffraient de problèmes physiques et mentaux, entre autres. Selon les Nations unies, au moins 120 détenu·e·s sont morts de faim ou ont succombé à des mauvais traitements dans le pays.

Les évasions collectives étaient fréquentes : au moins quatre cas ont été enregistrés en 2022. En août, plus de 800 détenu·e·s se sont échappés de la prison de Butembo, dans le Nord-Kivu, à la suite d’une attaque lancée par des combattants présumés des Forces démocratiques alliées.

Droit à l’éducation

Le programme d’éducation gratuite du gouvernement s’est poursuivi pour la troisième année consécutive. Les autorités ont déclaré qu’il avait permis à des milliers d’enfants de familles à faible revenu d’accéder à l’enseignement primaire. Néanmoins, un nombre croissant de parents, de syndicats enseignants et d’élèves ont dénoncé de graves lacunes dans la mise en œuvre de ce programme. Ils ont notamment souligné les inégalités de moyens qui favorisaient les écoles urbaines par rapport aux établissements ruraux, le manque d’infrastructures et de mobilier scolaires, les classes bondées, ainsi que les salaires insuffisants et irréguliers des enseignant·e·s. Selon l’UNESCO, plus de deux millions d’enfants en âge d’aller à l’école n’étaient toujours pas scolarisés, malgré quelques progrès observés ces dernières années, et l’enseignement demeurait de mauvaise qualité.

Dans les zones touchées par le conflit armé et les violences intercommunautaires, les attaques contre des écoles ont encore été fréquentes, et de nombreux établissements servaient de centres d’accueil pour les personnes déplacées. L’UNICEF a indiqué que plus de 420 écoles et 180 000 enfants étaient concernés par ces attaques ou ces occupations d’écoles du fait du conflit sévissant dans l’est et l’ouest de la RDC.

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