Les forces de sécurité ont continué de recourir à une force excessive contre des manifestant·e·s, tuant des dizaines de personnes et en blessant des milliers d’autres. Des manifestant·e·s, y compris des femmes et des enfants, ont été détenus illégalement et maltraités ; certains ont été soumis à une disparition forcée. Des centaines de civil·e·s ont été tués ou blessés par des milices dans la région du Darfour occidental. Le procès d’Ali Mohammed Ali pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Darfour occidental s’est ouvert devant la CPI. La liberté d’expression était sévèrement restreinte et l’accès à Internet a été coupé avant de grandes manifestations. Des manifestantes ont été harcelées et agressées sexuellement. Un très grand nombre de personnes souffraient cruellement de la faim, en raison de l’insécurité alimentaire. Des réfugié·e·s venant d’Éthiopie, d’Érythrée et du Soudan du Sud ont continué d’arriver dans le pays ; en raison de la baisse des financements, leurs rations alimentaires ont été réduites.
Contexte
Abdalla Hamdok, qui avait été réintégré au poste de Premier ministre en novembre 2021 à la suite du coup d’État militaire d’octobre 2021, a démissionné en janvier, laissant le gouvernement entre les mains de l’armée. Les manifestations contre le coup de force de l’armée se sont poursuivies tout au long de l’année.
L’état d’urgence imposé par les militaires en octobre 2021 a été levé au mois de mai et, à la suite de cela, 171 personnes détenues ont été remises en liberté dans le pays. Les mesures qui avaient été adoptées en vertu de l’état d’urgence, comme celles étendant les pouvoirs des Forces de sécurité conjointes soudanaises, sont toutefois restées en place.
Des initiatives aux niveaux national et international visant à la mise en place d’une solution politique et d’un processus civil crédible de transition démocratique étaient en cours depuis le coup d’État militaire. Le 5 décembre, des responsables civils et politiques ont signé un accord jetant les bases de l’instauration, pour un mandat de deux ans, d’une autorité civile de transition ayant à sa tête un Premier ministre choisi par des chef·fe·s de file civils.
Le conflit armé s’est poursuivi dans les régions du Darfour et du Nil Bleu.
Recours excessif à la force
Les forces de sécurité soudanaises ont continué de faire usage d’une force excessive contre des manifestant·e·s pacifiques. Selon un bilan de l’ONU établi en août, 117 personnes, parmi lesquelles 20 enfants et une femme, avaient été tuées pendant des manifestations depuis le 25 octobre 2021, et environ 7 700 manifestant·e·s, dont plusieurs milliers d’enfants, avaient été grièvement blessés pendant la même période. Le Comité central des médecins soudanais (CCSD) a fait état pour sa part de 21 décès et 1 850 blessé·e·s pour la seule période allant du 6 mai au 20 août. Les autorités ont manqué à leurs promesses de mener des enquêtes sur ces crimes.
Le CCSD a indiqué le 5 mai qu’un jeune homme âgé de 23 ans, Mujtaba Abdel Salam Osman, était mort renversé par un véhicule appartenant à des membres des forces de sécurité qui avait foncé sur les manifestant·e·s. Selon Sudan Human Rights Monitor, 73 personnes ont été blessées ce jour-là, dont 30 des suites de l’inhalation de gaz lacrymogènes et 11 après avoir été renversées par un véhicule de la police.
De grandes manifestations se sont tenues dans tout le pays le 30 juin en signe de protestation contre le coup d’État militaire de 2021. Les rassemblements avaient été organisés à la date anniversaire du coup d’État militaire de 1989 par lequel un gouvernement démocratiquement élu avait été renversé au profit d’Omar el Béchir, qui a depuis été évincé du pouvoir à son tour. Il s’agissait du premier mouvement rassemblant un million de personnes depuis la mort, le 3 juin 2019, de plus de 100 manifestant·e·s tués par les forces de sécurité lors de la dispersion violente d’un rassemblement pacifique. Le 30 juin, les forces de sécurité ont de nouveau eu recours à une force excessive pour disperser les manifestant·e·s, provoquant la mort de neuf personnes, dont huit seraient tombées sous les balles réelles tirées par ces forces. Plus de 600 autres personnes ont été blessées ce jour-là. Plusieurs sit-in ont été organisés dans la capitale, Khartoum, à la suite de ces violences en signe de protestation contre l’utilisation d’une force excessive par les organes de sécurité.
Arrestations et détentions arbitraires
La campagne de répression lancée contre celles et ceux qui protestaient contre le coup d’État militaire d’octobre 2021 s’est poursuivie. Les forces de sécurité ont arrêté illégalement des centaines de manifestant·e·s et soumis à une disparition forcée de nombreuses autres personnes, dont on était toujours sans nouvelles à la fin de l’année. Entre octobre 2021 et avril 2022, l’Expert des droits de l’homme au Soudan désigné par les Nations unies et le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme au Soudan ont recueilli des informations sur l’arrestation et la détention arbitraires, liées au coup d’État ou aux manifestations contre celui-ci, de 1 293 personnes, parmi lesquelles 143 femmes et 157 enfants, dont deux filles. De nombreuses personnes ont en outre été détenues pendant de courtes périodes et remises en liberté sans inculpation.
Les arrestations étaient menées par les forces de sécurité, dont la police antiémeutes, la Police de réserve centrale et des unités militaires des forces armées soudanaises, avec la collaboration d’agents en civil non identifiés. Des enfants placés en détention ont été entièrement déshabillés et des femmes ont été menacées de violences sexuelles, entre autres mauvais traitements.
Attaques et homicides illégaux
Les forces de sécurité soudanaises n’ont pas protégé les civils contre de nouvelles attaques armées menées sans discernement. Selon les Nations unies, plusieurs centaines de civil·e·s ont été tués ou blessés par des milices dans la région du Darfour occidental. En octobre, 220 personnes au moins ont été tuées en l’espace de deux jours dans des affrontements intercommunautaires qui ont eu lieu dans la province du Nil Bleu, dans le sud du pays. Les Nations unies ont indiqué que des heurts de ce type avaient éclaté à plusieurs reprises à partir du mois de juillet, causant la mort de 359 personnes et faisant 469 blessé·e·s au moins, aussi bien chez les protagonistes que dans la population civile. Plus de 97 000 civil·e·s ont en outre été contraints à l’exode du fait de ces combats. Le gouvernement de la province a déclaré un état d’urgence de 30 jours et interdit les rassemblements.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
La CPI a ouvert en avril le procès d’Ali Mohammed Ali, également connu sous le nom d’Ali Kosheib, qui était soupçonné d’avoir été le principal dirigeant des milices janjawids dans le Darfour occidental. Cet homme était inculpé de 31 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en 2003 et 2004 au Darfour occidental.
Le procureur de la CPI, Karim Khan, s’est rendu au Soudan en août et a notamment visité des camps de personnes déplacées au Darfour. Il a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU de faire en sorte que sa visite et le procès d’Ali Mohammed Ali ne soient pas un faux départ, mais bien le début d’un véritable processus de reddition de comptes.
Trois autres personnes, parmi lesquelles Omar el Béchir, étaient inculpées par la CPI, mais les autorités soudanaises ne les avaient toujours pas remises à la Cour pour qu’elles soient jugées.
Liberté d’expression
Le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse étaient soumis à d’importantes restrictions. Des journalistes et d’autres professionnel·le·s des médias ont été attaqués, menacés et harcelés.
Le 13 janvier, les forces de sécurité ont effectué une descente dans les locaux de la chaîne de télévision Alaraby, à Khartoum. Elles s’en sont prises à quatre membres du personnel qui filmaient une manifestation depuis le toit terrasse de la station, ont détruit leurs caméras et les ont arrêtés. Dans le Kordofan du Sud, le 19 janvier, des policiers ont arrêté une femme en lien avec un contenu mis en ligne sur les réseaux sociaux à propos du recrutement d’enfants dans les forces armées soudanaises. Cette femme a été remise en liberté après avoir été inculpée de plusieurs chefs au titre de la Loi sur la cybercriminalité, notamment de publication de fausses informations, d’atteinte à l’intégrité des forces armées soudanaises et de mise en danger de la sécurité nationale.
Plusieurs groupes de surveillance de l’accès à Internet dans le monde, dont NetBlocks, ont constaté des problèmes de coupure d’Internet chez de multiples fournisseurs d’accès dans tout le Soudan à l’approche des grandes manifestations du 30 juin (voir Recours excessif à la force). Le service Internet normal a été rétabli au bout d’une vingtaine d’heures.
Violences sexuelles ou fondées sur le genre
Les femmes qui participaient à des manifestations étaient toujours en butte à des violences sexuelles. Les violences fondées sur le genre, notamment les violences sexuelles commises contre les femmes et les filles dans le cadre du conflit, se sont poursuivies au Darfour occidental.
Selon l’expert désigné par les Nations unies, des membres des Forces de sécurité conjointes et d’autres hommes armés qui ne portaient pas d’uniforme ont perpétré de nombreuses violations des droits humains, y compris des violences sexuelles et des violences fondées sur le genre contre des femmes et des filles qui étaient en première ligne de la contestation contre le coup d’État. Cet expert a confirmé 13 cas de viols, de viols collectifs, de tentatives de viols et d’autres actes de violence sexuelle ou fondée sur le genre commis à Khartoum dans le cadre du mouvement de protestation contre le coup d’État entre octobre 2021 et avril 2022. Ces actes ont fait 14 victimes (10 femmes, une fille, un homme et deux garçons).
Au Darfour, l’expert désigné par les Nations unies a signalé huit cas de viols, concernant 15 femmes et cinq filles, commis dans le contexte de violences intercommunautaires ou lors d’agressions contre des femmes et des filles déplacées. Les auteurs de ces actes étaient des hommes armés, dont la plupart portaient un uniforme militaire. Les huit cas ont fait l’objet d’un dépôt de plainte à la police, mais une seule arrestation a été effectuée, dans le cas du viol d’une jeune fille de 12 ans au Darfour septentrional.
Droit à l’alimentation
Le Soudan a connu une augmentation constante des niveaux d’insécurité alimentaire, selon les Nations unies. On estimait que près d’un quart de la population avait souffert d’une faim aiguë entre juin et septembre. Ce sont les régions du Darfour septentrional, occidental et central, de Khartoum, du Kassala et du Nil Blanc qui comptaient le plus grand nombre de personnes touchées par la faim aiguë. Pas moins de 11,7 millions de personnes faisaient face à une grave insécurité alimentaire. Parmi elles, 3,1 millions étaient considérées comme étant en situation d’« urgence ». Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, le conflit armé en Ukraine a aggravé l’insécurité alimentaire, du fait de la dépendance du Soudan à l’égard des importations de blé en provenance de Russie et d’Ukraine ces dernières années.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Le Soudan a continué d’accueillir des réfugié·e·s venant de pays voisins, principalement du Soudan du Sud, d’Éthiopie et d’Érythrée. Environ 20 000 personnes réfugiées sont arrivées du Soudan du Sud pendant l’année, principalement dans l’État du Nil Blanc, au Darfour oriental, au Kordofan occidental et au Kordofan méridional. Des réfugié·e·s éthiopiens ont continué d’arriver dans l’est du pays et la région du Nil Bleu. Au 31 juillet, quelque 59 800 personnes étaient entrées au Soudan depuis le début de la crise dans le nord de l’Éthiopie, en novembre 2020, selon les Nations unies.
En raison d’une grave insuffisance de financements internationaux, le Programme alimentaire mondial a été contraint de réduire les rations destinées aux réfugié·e·s dans tout le pays. Il est venu en aide à plus de 550 000 personnes réfugiées au Soudan. À partir de juillet, les bénéficiaires n’ont reçu qu’un demi-panier alimentaire standard, ou l’équivalent en espèces.