Les autorités ont déclaré l’état d’urgence, qui a entraîné des violations des droits humains à grande échelle, un affaiblissement de l’état de droit et une détérioration grave et continue de l’accès à l’information publique. Les attaques contre les journalistes et les défenseur·e·s des droits humains restaient monnaie courante. Les pouvoirs publics n’ont pas adopté de loi garantissant les droits des victimes de crimes de droit international commis pendant le conflit armé interne (1980-1992). L’interdiction totale de l’avortement demeurait en vigueur.
Contexte
À la suite d’une proposition du président Nayib Bukele, l’Assemblée législative a décrété l’état d’urgence en mars et l’a prolongé à plusieurs reprises, le maintenant ainsi en place pendant neuf mois ; il était toujours en vigueur à la fin de l’année. L’Assemblée législative a également modifié plusieurs lois en réponse à une augmentation du nombre d’homicides présumés être le fait de bandes armées.
En septembre, le président a annoncé son intention de se présenter une nouvelle fois à l’élection présidentielle, en dépit des critiques de spécialistes et d’organisations rappelant que la Constitution interdisait à une même personne de remplir deux mandats présidentiels consécutifs.
Détentions arbitraires et procès inéquitables
Il semblerait que, sur plus de 60 000 arrestationseffectuées pendant l’état d’urgence, la plupart aient été arbitraires parce qu’elles ne respectaient pas les exigences légales : de nombreuses personnes auraient ainsi été arrêtées sans mandat d’arrêt et sans avoir été surprises en flagrant délit d’infraction. Certaines de ces arrestations reposaient uniquement sur le fait que les individus appréhendés portaient des tatouages, avaient déjà un casier judiciaire, ou vivaient dans une zone sous le contrôle d’une bande armée.
Des milliers de personnes ont été poursuivies sans distinction. La plupart d’entre elles se sont vu refuser tout contact avec leurs avocat·e·s, n’ont pas été autorisées à consulter leur dossier, n’ont pas été informées des motifs de leur détention ou ont été privées du droit d’être entendues à l’audience d’inculpation. D’après des organisations locales et des avocat·e·s, les audiences, qui se tenaient dans la précipitation, pouvaient concerner plusieurs centaines de prévenu·e·s à la fois.
À la fin de l’année, en complément de l’état d’urgence, le président Nayib Bukele a annoncé que plusieurs zones et villes allaient être encerclées par l’armée. Pour le seul mois de décembre, les militaires ont encerclé trois des villes les plus peuplées et les plus pauvres du pays, arrêtant des centaines de personnes soupçonnées d’appartenir à des bandes armées. L’Assemblée législative a approuvé des modifications du droit procédural et pénal contraires au droit international, telles que le fait de pouvoir tenir des audiences et prononcer des sentences en l’absence de la personne concernée et sans dévoiler l’identité des juges, ou la suppression de la durée maximale de la détention provisoire.
Selon des organisations locales, au mois d’août, 89 % des actions en habeas corpus déposées en faveur des personnes arrêtées pendant l’état d’urgence n’avaient pas été résolues.
Le ministre de la Sécurité publique et le président du parti au pouvoir ont tous deux annoncé leur intention de prolonger l’état d’urgence pour toute l’année 2023.
Droit à la vie et à la sécurité de la personne
Pendant l’état d’urgence, le taux de personnes privées de leur liberté était plus élevé au Salvador que dans tous les autres pays du monde, avec 1 927 personnes emprisonnées pour 100 000 habitant·e·s. À la fin de l’année, plus de 94 000 personnes étaient en détention dans le pays, en dépit du fait que, en février 2021, la capacité des prisons salvadoriennes était de 30 864 places, selon les données officielles obtenues par des organisations locales.
De ces conditions de surpeuplement extrême ont découlé des violations du droit à la vie et à l’intégrité physique. Elles ont aussi entraîné de graves problèmes sanitaires et des pénuries de nourriture et de produits d’hygiène essentiels, ce qui a eu des effets délétères sur la santé des détenu·e·s.
Des cas de mauvais traitements infligés à des personnes privées de liberté par des gardiens en prison ont été signalés, ainsi que des cas de torture par des membres de gangs, notamment des coups, des lynchages et des menaces constantes. Les autorités pénitentiaires n’ont rien fait pour empêcher ces violences.
Au moins 90 hommes seraient morts en détention entre le début de l’état d’urgence et le mois de novembre. Des organisations de la société civile ont signalé qu’un grand nombre de certificats de décès faisaient état de signes de torture et que, bien souvent, les autorités n’informaient pas officiellement les familles de ces décès. Rien, parmi les éléments accessibles au public, ne laissait penser que ces événements faisaient l’objet d’enquêtes sérieuses.
Liberté d’expression
Début 2022, les organisations Access Now, CitizenLab et Amnesty International ont confirmé que les téléphones portables de plusieurs journalistes et membres d’organisations de la société civile avaient été infectés par le logiciel espion Pegasus. À la fin de l’année, on ignorait si l’affaire faisait bien l’objet d’une enquête en bonne et due forme.
Au mois de février, l’Assemblée législative a adopté des modifications du droit pénal autorisant le recours à des « agents numériques infiltrés », ce qui permettrait à la police de mettre en place des opérations d’infiltration numérique qualifiées de « nécessaires ». L’Association de journalistes du Salvador (APES) a alerté sur le fait que les termes flous et les incohérences de la loi risquaient d’entraîner la légalisation d’une surveillance abusive.
Afin de réduire la presse au silence, le Code pénal a été modifié en avril, de façon à prévoir des peines d’emprisonnement de 10 à 15 ans pour quiconque suscitait l’« angoisse » ou la « panique » en rendant compte des activités des bandes armées. L’APES a enregistré 125 agressions contre des journalistes et a indiqué que 11 avaient fui le pays en 2022 en raison de menaces proférées sur les réseaux sociaux et d’accusations publiques de la part de personnalités du gouvernement.
Des organisations nationales ont attiré l’attention sur la détérioration de l’accès à l’information publique et de la transparence dans le pays.
Défenseur·e·s des droits humains
Pendant la période d’état d’urgence, le président a adopté un discours public conflictuel, stigmatisant et attaquant les défenseur·e·s des droits humains, les organisations internationales et les médias indépendants.
Selon l’organisation de défense des droits humains Mesa por el Derecho a Defender Derechos (Table ronde pour le droit de défendre les droits), 61 attaques ont été recensées contre des défenseur·e·s des droits humains au cours du premier semestre 2022.
Droits sexuels et reproductifs
L’interdiction totale de l’avortement demeurait en vigueur. Au moins deux femmes étaient toujours emprisonnées et six poursuivies en justice pour des charges liées à des urgences obstétriques. En juillet, une jeune femme a été condamnée à 50 ans de réclusion à la suite d’une urgence obstétrique. Il s’agissait de la première fois que la peine maximale de prison était appliquée.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
Les autorités n’avaient toujours pas adopté de législation appropriée pour garantir pleinement les droits des victimes de crimes de droit international commis pendant le conflit armé interne (1980-1992).
Cette année encore, rien ou presque n’a été fait pour traduire en justice les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables des crimes commis lors de ce conflit.