Afghanistan - Rapport annuel 2022

République islamique d’Afghanistan
Chef de l’État et du gouvernement : Mohammad Hassan Akhund

Les restrictions portant sur les droits des femmes, la liberté de la presse et la liberté d’expression se sont multipliées. Les activités des institutions chargées de protéger les droits humains ont été considérablement limitées, voire totalement suspendues. Des manifestant·e·s pacifiques ont fait l’objet d’arrestations arbitraires, d’actes de torture et de disparitions forcées. Les talibans se sont livrés en toute impunité à des exécutions extrajudiciaires, des arrestations arbitraires, des actes de torture et des détentions illégales contre des personnes considérées comme opposées au régime, ce qui a créé un climat de peur. L’extrême pauvreté s’est accrue, sous l’effet notamment de la sécheresse et d’autres catastrophes naturelles. Les autorités ont procédé à des exécutions et des flagellations en public pour diverses infractions : homicide, vol, relations « illégitimes » ou violation des normes sociales. Cette année encore, les droits des femmes ont été attaqués et la participation de celles-ci à la vie publique a été considérablement limitée. L’Afghanistan était le seul pays au monde où l’enseignement secondaire était interdit aux filles. Les talibans ont supprimé presque toutes les institutions mises en place par le gouvernement précédent pour lutter contre les violences fondées sur le genre.

Contexte

L’Afghanistan a plongé encore plus profondément dans la pauvreté en raison de son isolement sur le plan international et des bouleversements économiques qui ont découlé de la prise du pouvoir par les talibans en 2021. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, 97 % de la population afghane vivait dans la pauvreté, contre 47 % en 2020. Faute de protection sociale, des familles ont été amenées à prendre des décisions telles que marier un enfant ou vendre des organes. L’aide humanitaire n’était pas à la hauteur des besoins de la population. Le gel des réserves afghanes en monnaies étrangères et la réduction de l’aide au développement, mesures prises par la communauté internationale après l’arrivée au pouvoir des talibans, continuaient de peser lourdement sur l’économie. L’aide reçue par l’Afghanistan en 2022 était principalement une assistance humanitaire, qui visait à prévenir la famine, mais n’a pas contribué à la satisfaction d’autres besoins sociaux. De ce fait, l’accès aux soins de santé, à l’emploi et à l’éducation demeurait limité. Ces secteurs manquaient cruellement de ressources en raison de l’exode des médecins, des ingénieur·e·s, des avocat·e·s, des enseignant·e·s et des fonctionnaires.

La sécheresse, les crues soudaines, les séismes et d’autres catastrophes naturelles, accentuées pour certaines par le changement climatique, n’ont fait qu’aggraver la crise humanitaire.
Le chef suprême des talibans a ordonné aux juges talibans d’appliquer la charia (loi islamique) à compter de novembre, après quoi les exécutions et les flagellations en public ont débuté.

Exécutions extrajudiciaires

Sous le régime taliban, les exécutions extrajudiciaires de personnes associées à l’ancien gouvernement, de membres de groupes armés comme le Front national de résistance (FNR) et l’État islamique-Province du Khorassan (EI-K) ou de personnes considérées comme ne suivant pas les règles édictées par le pouvoir étaient, semble-t-il, généralisées et systématiques. Les personnes concernées étaient notamment des Afghan·e·s liés à l’ancien gouvernement ou aux forces de sécurité d’alors. La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a recensé au moins 237 exécutions extrajudiciaires entre le 15 août 2021, date de l’arrivée au pouvoir des talibans, et le 15 juin 2022. En décembre, les Nations unies ont signalé au moins 69 autres cas d’exécutions extrajudiciaires, de membres du FNR pour la plupart, dont 48 ont eu lieu entre le 12 et le 14 septembre dans la province du Panjshir.

Le 26 juin, dans la province du Ghor, les talibans ont attaqué le domicile d’un homme lié à l’ancien gouvernement, tuant six chiites hazaras : quatre hommes, une femme et une jeune fille. Trois des hommes tués appartenaient à d’anciens groupes hostiles aux talibans, appelés « forces de soulèvement populaire ». Après ces exécutions extrajudiciaires, les talibans ont affirmé que les victimes étaient des rebelles, alors que toutes les personnes tuées étaient des civil·e·s. En septembre, de nouvelles vidéos et photos d’exécutions extrajudiciaires de personnes associées au FNR perpétrées par les talibans dans la province du Panjshir sont apparues sur les réseaux sociaux. Ces attaques constituaient sans nul doute un crime de guerre. Le ministère taliban de la Défense a annoncé l’ouverture d’une enquête, dont les conclusions n’ont pas été rendues publiques. D’après plusieurs médias, des civil·e·s du secteur ont été expulsés et leurs logements ont été saisis pour servir à la police et à l’armée. Les autorités talibanes ont également torturé à mort des civil·e·s dans la province, toujours selon des médias. Le 6 septembre, le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains en Afghanistan a signalé des exécutions de combattants qui avaient été capturés dans le district de Balkhab (province de Sar-e Pol).

L’impunité était la règle pour les crimes de ce type sous le régime taliban. Aucune enquête transparente digne de ce nom n’a été menée sur les exécutions extrajudiciaires et les autres violations manifestes des droits humains. Les talibans ont continué de nier ces violations et de rejeter les constatations des ONG, y compris d’Amnesty International.

Peine de mort, torture et châtiments cruels, inhumains ou dégradants

Les talibans ont commencé à exécuter et à flageller publiquement des personnes pour des infractions telles que des homicides, des vols, des relations « illégitimes » ou des violations des normes sociales. Entre le 18 novembre et le 16 décembre, plus d’une centaine de personnes ont été flagellées en public dans des stades de plusieurs provinces, selon des expert·e·s des Nations unies spécialisés dans les droits humains.

En décembre, les autorités talibanes ont procédé à leur première exécution publique dans la province de Farah, en présence de hauts représentants du régime, notamment du vice-premier ministre, de plusieurs ministres et du président de la Cour suprême.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

L’espace de liberté laissé aux médias s’est considérablement réduit, les talibans ayant créé un environnement de plus en plus intimidant. Cela a forcé de nombreux organes de presse à fermer leurs portes. Les journalistes étaient confrontés à des restrictions grandissantes et s’exposaient à des arrestations arbitraires, des détentions illégales et des actes de torture lorsqu’ils critiquaient les talibans, ce qui a conduit nombre d’entre eux à se censurer. Des journalistes ont été roués de coups et ont subi d’autres formes de torture en détention. Beaucoup ont fui le pays. Les femmes téléreporters devaient se couvrir presque totalement le visage.

La Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan, institution nationale de protection des droits humains, n’avait pas repris ses activités, et l’espace dont disposaient les organisations de la société civile pour recueillir des informations sur les droits humains et les diffuser s’est considérablement amenuisé. Les groupes indépendants de défense des droits humains ne pouvaient pas travailler librement. Les talibans arrêtaient et détenaient illégalement les personnes qui les critiquaient sur les réseaux sociaux, en particulier sur Facebook.

Les autorités n’ont laissé aucune place aux réunions, manifestations ou rassemblements pacifiques. La police talibane a eu recours à une force excessive et inutile contre les protestataires. Des manifestant·e·s pacifiques ont été arrêtés arbitrairement, détenus, torturés et victimes de disparition forcée. Des manifestant·e·s détenus ont été torturés physiquement et psychologiquement. Des familles, craignant les répercussions que cela pourrait avoir, empêchaient leurs membres féminins de manifester, réduisant encore davantage l’espace disponible pour la liberté de réunion.

Droits des femmes et des filles

Les talibans ont remplacé le ministère des Affaires de la femme par le ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice, qui a émis des décrets restrictifs et abusifs sur les droits des femmes et des filles. Les femmes qui ont protesté contre ces restrictions ont subi des détentions illégales et des violences.

L’enseignement secondaire était toujours interdit aux filles, et cette interdiction a été élargie au supérieur à partir du mois de décembre. Jusqu’alors, les femmes qui faisaient des études universitaires devaient suivre leurs cours dans des salles séparées de celles des hommes et être couvertes de la tête aux pieds, entre autres obligations. Il leur était difficile de s’inscrire aux cours et à l’examen national d’entrée à l’université, et certaines se voyaient même interdire de pénétrer dans les locaux universitaires, ce qui leur rendait l’enseignement supérieur presque inaccessible. En outre, les femmes n’étaient pas autorisées à étudier certaines disciplines. À la fin de l’année, les femmes et les filles se sont retrouvées cantonnées à l’enseignement primaire.

Par ailleurs, en raison de diverses mesures, les femmes et les filles avaient de moins en moins la possibilité d’accéder librement aux autres espaces publics. Les talibans ont imposé un code vestimentaire, ont obligé les femmes à se faire accompagner d’un chaperon (mahram) pour toute sortie hors du domicile et leur ont interdit les jardins publics. En août, les médias ont indiqué que 60 étudiantes avaient été privées du droit de quitter l’Afghanistan parce qu’elles n’avaient pas de mahram. Ces règles étaient appliquées de manière arbitraire et aléatoire, poussant de nombreuses femmes à ne plus se déplacer seules.

Les talibans ont annoncé que les hommes seraient responsables de toute violation des restrictions qui serait commise par des femmes ou des filles de leur famille, ce qui a amené ceux-ci à limiter les droits de leurs parentes de crainte de subir des représailles de la part des autorités. Les talibans ont réprimé les femmes qui ont protesté contre ces restrictions en public ou sur les réseaux sociaux, notamment en les rouant de coups, en les arrêtant, en les détenant illégalement ou en arrêtant des membres de leur famille. Plusieurs femmes arrêtées, y compris certaines qui fuyaient des violences, ont été inculpées du chef flou et ambigu de « corruption morale ». Cependant, depuis l’arrivée des talibans au pouvoir, l’applicabilité des lois antérieures demeurait la plupart du temps incertaine, dans la mesure où les talibans mettaient en œuvre publiquement leur interprétation étroite et restrictive de la charia. Bien que les manifestations se soient poursuivies tout au long de l’année, elles se sont heurtées à une résistance croissante de la police talibane, qui bloquait le passage aux protestataires et arrêtait les journalistes qui tentaient de couvrir ces rassemblements.

Le démantèlement des anciennes structures gouvernementales, notamment du ministère des Affaires de la femme et de la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan, et la conversion du système judiciaire aux principes religieux de la charia ont réduit la protection dont bénéficiaient auparavant les femmes et les filles. De ce fait, le nombre de signalements de violences domestiques et de mariages forcés a augmenté. Il n’existait aucun mécanisme fiable vers lequel les femmes victimes de violence domestique pouvaient se tourner. Les tribunaux et les organes chargés des poursuites auxquels il incombait auparavant d’enquêter et de statuer sur les affaires de violences fondées sur le genre n’avaient pas repris leurs activités. Les autorités talibanes comme les mécanismes locaux de résolution des différends punissaient les femmes qui signalaient des violences domestiques.

En décembre, les talibans ont également interdit aux femmes et aux filles de travailler pour des ONG. Dans un contexte d’insécurité alimentaire grandissante à l’échelle nationale, cette interdiction et les autres restrictions imposées par les talibans concernant le droit des femmes de travailler à l’extérieur de leur domicile ont eu de lourdes conséquences sur les moyens de subsistance des femmes, en particulier lorsque celles-ci étaient l’unique soutien de famille.

Attaques et homicides illégaux

Entre août 2021 et juin 2022, la MANUA a recensé 2 106 victimes civiles. Nombre de ces personnes ont été tuées par l’EI-K, qui a continué de perpétrer des attaques systématiques et ciblées contre des minorités ethniques et des groupes confessionnels, y compris en bombardant des centres religieux ou éducatifs et en s’en prenant aux moyens de transport publics empruntés par ces groupes. Citons notamment l’attaque d’un temple sikh à Kaboul, la capitale, le 18 juin et le bombardement d’un centre pédagogique dans un quartier principalement hazara, le 30 septembre. Ce dernier a fait au moins 52 victimes adolescentes, des filles pour la plupart. Les autorités talibanes n’ont pas enquêté sur ces attaques ni pris de mesures adéquates pour protéger les minorités. Au lieu de cela, elles ont parfois annulé les mesures de sécurité que le gouvernement précédent avait mises en place pour protéger ces groupes minoritaires. Elles ont ainsi relevé les gardes affectés sur plusieurs sites susceptibles d’être visés, exposant ceux-ci à un risque accru d’attaque.

Dans les zones où les talibans se heurtaient à une résistance armée, en particulier dans les provinces du Panjshir, de Baghlan, du Badakhchan et de Sar-e Pol, les civil·e·s ont continué à être la cible d’homicides, d’arrestations arbitraires et d’actes de torture, et les autorités talibanes locales les ont empêchés de circuler librement. Selon la population locale, les talibans ont aussi procédé à des expulsions forcées dans ces zones, en particulier dans le Panjshir.

Droit à la santé

Cette année encore, la prise du pouvoir par les talibans a eu des effets dévastateurs sur le système de santé du pays. La politique des talibans à l’égard des professionnelles de la santé demeurait ambiguë et incohérente. Le secteur de la santé souffrait d’une énorme carence en ressources humaines du fait de l’obligation pour les femmes d’être accompagnées d’un mahram dans leurs déplacements, de la crainte qu’elles subissent des représailles de la part des talibans et du grand nombre de femmes instruites ayant fui le pays. Ce problème était particulièrement criant dans les zones rurales, où les ressources sanitaires étaient déjà limitées sous le gouvernement précédent. Le gel de la majeure partie de l’aide internationale, sur laquelle reposaient largement les services de santé avant 2021, a engendré des pénuries de ressources et de personnel dans les hôpitaux et les dispensaires, ce qui a contribué à une réduction généralisée de l’accès aux soins.

Droits des personnes réfugiées ou déplacées

De nombreux Afghan·e·s ont fui leur pays cette année encore, craignant à raison les persécutions des talibans. Plusieurs pays ont continué à expulser des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile originaires d’Afghanistan, en dépit des dangers auxquels celles-ci étaient confrontées dans ce pays. Certains Afghan·e·s qui tentaient de fuir leur pays ont été abattus, privés du droit de demander l’asile, refoulés à la frontière ou victimes d’autres violations et d’exploitation de la part des autorités des États dans lesquels ils souhaitaient trouver refuge.

Au début de l’année, l’Afghanistan comptait 3,8 millions de personnes déplacées, qui vivaient dans des conditions précaires et ne pouvaient pas véritablement exercer leurs droits humains. Le Conseil norvégien pour les réfugiés a indiqué que les talibans avaient chassé certaines de ces personnes déplacées des zones urbaines, et les avaient contraintes à retourner dans leur village d’origine, où elles se retrouvaient dans une extrême pauvreté et dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
En Afghanistan, les personnes LGBTI faisaient encore l’objet de graves violations des droits humains commises par les talibans, y compris de menaces, d’attaques ciblées, d’agressions sexuelles et de détentions arbitraires. De nombreuses personnes LGBTI craignaient encore que les pratiques discriminatoires auxquelles les talibans s’étaient livrés par le passé redeviennent d’actualité, comme le fait d’infliger la peine de mort aux personnes soupçonnées d’avoir des relations homosexuelles. Beaucoup de personnes LGBTI vivaient toujours dans la clandestinité, de peur que leur vie soit en danger.

Impunité

La structure de gouvernance des talibans ne disposait pas de mécanismes de justice, vérité et réparations pour les crimes de droit international ou les violations des droits humains. Les tribunaux et le ministère public n’enquêtaient pas sur les exécutions extrajudiciaires ni n’engageaient de poursuites contre les personnes soupçonnées d’avoir commis d’autres types d’atteintes aux droits humains. L’indépendance de la justice était gravement compromise par le fait que les talibans avaient remplacé les juges et les tribunaux par leur propre appareil judiciaire.

En octobre, la chambre préliminaire de la CPI a autorisé le procureur de la Cour à reprendre son enquête sur la situation en Afghanistan. Elle a souligné que cette enquête devait concerner « tous les crimes et acteurs présumés », y compris les « membres des forces armées ou des services de sécurité ou de renseignement de parties non étatiques », contrairement à la décision antérieure du procureur indiquant qu’il se concentrerait uniquement sur les crimes commis par les talibans et l’EI-K.

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