Sri-Lanka - Rapport annuel 2022

République socialiste démocratique du Sri Lanka
Chef de l’État et du gouvernement : Ranil Wickremesinghe (a remplacé Gotabaya Rajapaksa en juillet)

Le gouvernement a renforcé ses mesures de répression de la dissidence tandis que des milliers de personnes manifestaient contre la situation économique catastrophique. Les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique ont été profondément mis à mal par les organes chargés de l’application des lois, qui ont parfois fait un usage illégal de la force ayant entraîné des blessures et des décès. Des manifestant·e·s ont été arrêtés de façon arbitraire, détenus au titre de la législation draconienne de lutte contre le terrorisme et maltraités en détention. Rien n’a été fait concernant les violations graves des droits humains commises durant le conflit armé interne. Les familles de victimes de disparition forcée étaient toujours en quête de vérité et de justice. Les modifications apportées à la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA) n’ont pas répondu aux principales préoccupations en matière de droits humains. Des personnes musulmanes et tamoules ont cette année encore été prises pour cible en vertu de cette loi.

Droits économiques, sociaux et culturels

La crise économique au Sri Lanka a eu des effets dévastateurs sur les droits humains. L’inflation a atteint 73,7 % en septembre, et même 85,8 % pour les denrées alimentaires. L’accès à la nourriture, aux soins de santé et à l’éducation a été gravement compromis, les programmes de sécurité sociale existants ne suffisant pas à couvrir les besoins croissants. Des pénuries de carburant ont entraîné des coupures de courant pouvant durer jusqu’à 13 heures par jour. Les personnes occupant des emplois précaires, qui dépendaient de salaires journaliers, ont été particulièrement touchées par la situation économique.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

L’État a rapidement durci les mesures de répression contre la dissidence lorsque des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre la crise économique. À partir de la fin mars, des centaines de manifestant·e·s se sont rassemblés devant les bâtiments gouvernementaux et les domiciles de responsables politiques. Bien que les manifestations aient été majoritairement pacifiques, les autorités ont eu recours à différents moyens pour réprimer la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

L’état d’urgence a été déclaré à trois reprises au moins : en avril, en mai et en juillet. À cette dernière occasion, il a été maintenu jusqu’à la mi-août. Des réglementations publiées en même temps que les déclarations d’état d’urgence ont accordé de larges pouvoirs aux autorités, leur permettant de procéder à des arrestations et des incarcérations en l’absence de toute procédure régulière ou de tout contrôle judiciaire. Le 9 mai, la manifestation pacifique qui se déroulait devant le secrétariat présidentiel a été attaquée par des sympathisant·e·s du gouvernement. Des groupes antigouvernementaux ont alors riposté en lançant des attaques de représailles. D’après les autorités, neuf personnes auraient trouvé la mort dans les violences qui ont suivi, dont un député. Plus de 220 personnes ont également été blessées.

Les organes chargés de l’application des lois ont régulièrement cherché à obtenir, en l’absence de tout motif raisonnable, des ordonnances judiciaires interdisant les manifestations, ou ont refusé d’autoriser les manifestations prévues, en violation du droit à la liberté de réunion pacifique.
Le gouvernement a continué de débattre d’une possible modification de la Loi relative aux organisations bénévoles de service social. Les changements proposés auraient pour effet de restreindre le droit à la liberté d’association, ce qui pourrait entraver le fonctionnement des ONG, par exemple en allongeant les procédures d’enregistrement, en imposant des amendes et des peines d’emprisonnement en cas d’absence d’enregistrement et en donnant aux autorités le pouvoir de suspendre, de dissoudre et d’interdire les ONG.

Arrestations et détentions arbitraires

Les forces de l’ordre ont, à de nombreuses reprises, arrêté des manifestant·e·s de façon arbitraire, sans respecter les règles de procédure. Ces arrestations menées par des agents en civil sans mandat se sont parfois apparentées à des enlèvements. Bien souvent, aucun motif d’arrestation n’était fourni, ni aucune information sur le lieu de détention des personnes appréhendées. Ces interpellations menées sous la forme d’enlèvements constituaient une violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, ainsi que du droit à un procès équitable. Elles plaçaient les personnes détenues hors du cadre de protection de la loi et les exposaient au risque de torture et d’autres mauvais traitements.

Les autorités ont eu recours à l’état d’urgence et aux lois pénales, notamment la Loi relative à la prévention du terrorisme et la Loi relative aux biens publics, pour réprimer les manifestations et en punir les participant·e·s. Des manifestantes et manifestants, parmi lesquels des défenseur·e·s des droits humains, des syndicalistes et des étudiant·e·s, ont été inculpés de participation à des « rassemblements illégaux ». Certain·e·s se sont vu infliger des interdictions de voyager, ou ont été inculpés, de manière sélective, d’infractions liées à des actes de désobéissance civile.

La PTA, loi antiterroriste draconienne, a été utilisée de manière excessive et disproportionnée contre des manifestant·e·s. En août, le président Ranil Wickremesinghe a approuvé la détention de trois chefs de file du mouvement de protestation étudiant au titre de ce texte. Les charges retenues contre l’un de ces étudiants, Hashan Jeewantha, ont été abandonnées en octobre. Un autre d’entre eux, Siridhamma Thero, a été libéré sous caution en novembre, tandis que le troisième, Wasantha Mudalige, était toujours en détention à la fin de l’année.

Recours excessif à la force

À de multiples reprises, les autorités ont recouru à une force excessive et injustifiée contre des personnes qui faisaient la queue pour acheter du carburant. En mai, le ministère de la Défense a autorisé les forces armées à ouvrir le feu sur les pillards, ou sur « toute personne portant préjudice à autrui ». L’armée a été mobilisée pour assurer le maintien de l’ordre lors de manifestations civiles à de multiples occasions.

L’utilisation abusive de gaz lacrymogènes et de canons à eau est devenue monnaie courante pour répondre aux manifestations. Ces méthodes, qui touchaient aussi bien les participant·e·s (parmi lesquels figuraient des enfants) que les passant·e·s, ont causé la mort d’au moins une personne lors d’une manifestation en juillet. À plusieurs reprises, les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles sur des manifestant·e·s, faisant un mort et plus de 20 blessés à Rambukkana en avril, et plusieurs blessés graves à Colombo, la capitale, au mois de juillet. Toujours en juillet, des journalistes couvrant une manifestation devant la résidence du président ont été attaqués par des membres des forces de sécurité, attaque retransmise en direct à la télévision.

Le 21 du même mois, l’armée, la police et les forces spéciales ont mené une opération nocturne conjointe sans préavis afin d’évacuer de force les manifestant·e·s qui dormaient dans des tentes devant le secrétariat présidentiel et quelques autres qui occupaient le bâtiment. Des manifestant·e·s ainsi que des journalistes couvrant l’événement ont reçu des coups. La zone a été bouclée, ce qui a empêché les médias, les avocat·e·s et les militant·e·s d’y accéder de nouveau. Plus de 50 personnes auraient été blessées et neuf personnes ont été arrêtées. Parmi elles, certaines ont affirmé avoir été victimes de torture ou d’autres mauvais traitements lors de leur détention.

En juillet, un homme a été tué au Centre de traitement et de réadaptation de Kandakadu, un établissement de la province du Centre-Nord servant principalement de lieu de détention pour les toxicomanes. Un examen post-mortem a révélé qu’il était mort des suites de blessures infligées sur l’ensemble du corps par une arme contondante. Plusieurs membres des forces armées ont été arrêtés à la suite de cet épisode. En septembre, le gouvernement a présenté le projet de loi relatif au Bureau de réadaptation, qui autoriserait la détention obligatoire des « toxicomanes », contre leur gré, dans des centres de « réadaptation » dirigés par l’armée.

Impunité

La PTA, utilisée depuis plusieurs années pour faciliter la torture, les disparitions forcées et la détention prolongée sans procès, est restée en usage malgré le moratoire promis par le gouvernement. Les modifications qui y ont été apportées en 2022 ne l’ont pas rendue conforme aux lois et aux normes internationales, puisqu’elle continuait de favoriser, entre autres éléments préoccupants, la détention prolongée sans inculpation de personnes soupçonnées d’infractions.

Les autorités n’ont rien fait pour traduire en justice, dans le cadre de procès équitables devant des tribunaux civils ordinaires, toutes les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de violations présumées du droit international humanitaire et relatif aux droits humains commises au cours des trente années de conflit. Aucune avancée notable n’a été constatée dans les affaires emblématiques. Compte tenu de l’incapacité du Sri Lanka à offrir réparation aux victimes de crimes relevant du droit international et de violations graves des droits humains, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a adopté en octobre une résolution prolongeant le mandat du projet du HCDH visant à améliorer l’obligation de rendre des comptes au Sri Lanka, afin de lui permettre de continuer à collecter, compiler, analyser et sauvegarder des informations et des éléments de preuve pour de futures procédures d’établissement des responsabilités.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

Les organes nationaux de justice de transition, notamment le Bureau des personnes disparues (OMP) et le Bureau des réparations, ont perdu encore davantage la confiance des familles de victimes après la nomination de membres dont on pouvait douter de l’indépendance. Les familles se sont plaintes de faire l’objet d’une surveillance et de manœuvres d’intimidation, d’être limitées dans l’organisation de manifestations pacifiques et d’événements commémoratifs, et de subir des pressions visant à leur faire accepter des indemnisations financières et des certificats de décès au lieu de certificats d’absence en attendant que le sort des victimes de disparition forcée puisse être établi.

Le gouvernement a manifesté un regain d’intérêt pour la mise en place d’une commission vérité et réconciliation destinée à répondre aux griefs des personnes affectées par le conflit. Cependant, rien n’avait été fait à la fin de l’année pour créer un tel mécanisme conforme aux conclusions des consultations publiques menées au sujet des dispositifs de réconciliation.

Les mécanismes de réparation nationaux, comme la Commission des droits humains, étaient toujours politisés. En octobre, le Parlement a modifié la Constitution, officiellement afin de rendre la nomination des membres des principales commissions plus indépendante. Toutefois, le conseil chargé de ces nominations imposait que les candidatures soient approuvées par une majorité de membres du gouvernement, ce qui remettait en cause leur indépendance. L’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI) a recommandé que la Commission des droits humains du Sri Lanka soit rétrogradée en raison de son manque d’indépendance, entre autres préoccupations.

Discrimination

Personnes LGBTI

En mars, une décision historique du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes [ONU] a établi que la criminalisation des rapports sexuels entre femmes consentantes au titre de l’article 365A du Code pénal de 1883 constituait une violation de leur droit à la non-discrimination. Le Comité a appelé les autorités du pays à dépénaliser les rapports sexuels consentis entre femmes. Une proposition de loi visant à modifier les dispositions du Code pénal qui érigeaient en infraction les rapports entre personnes de même sexe a été remise au président en août, mais elle n’avait pas reçu le soutien du gouvernement à la fin de l’année.

Droits des minorités

La PTA était toujours invoquée de manière disproportionnée à l’encontre des minorités musulmanes et tamoules. Même lorsque les suspect·e·s étaient libérés sous caution, comme cela a été le cas de Hejaaz Hizbullah, Ahnaf Jazeem, Davaniya Mukunthan et Mohamed Imran, leurs moyens de subsistance s’en trouvaient affectés, les conditions de la libération sous caution incluant le gel de leurs avoirs et des restrictions des activités qui leur permettaient de gagner leur vie.

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