Cette année encore, de graves atteintes aux droits humains ont été commises, notamment des disparitions forcées, des actes de torture, la répression de manifestations pacifiques, des agressions de journalistes et des violences contre les minorités religieuses et d’autres groupes marginalisés. Les violences contre les personnes transgenres se sont multipliées, en réaction aux avancées législatives obtenues en faveur de leurs droits. Le Sénat a adopté une loi qui, pour la première fois, érigeait en infraction les actes de torture commis par des agents de l’État. Des troubles politiques ont plongé le pays dans une grande incertitude. La crise économique a fortement entravé l’exercice des droits économiques. Le changement climatique a joué un rôle aggravant dans la succession d’épisodes caniculaires et d’inondations dévastatrices, qui ont fait de nombreux morts et porté atteinte à toute une série de droits.
Contexte
Le 9 avril, le Premier ministre Imran Khan a été évincé après le vote controversé d’une motion de censure au Parlement. Le 11 avril, le Parlement a élu Shehbaz Sharif, chef de la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N), au poste de Premier ministre. Imran Khan et son parti, le Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), ont accusé les États-Unis et le Mouvement démocratique pakistanais (une coalition informelle de partis d’opposition) de collusion en vue de l’évincer, déclenchant plusieurs semaines de troubles politiques pendant lesquelles les partisan·e·s d’Imran Khan ont manifesté dans tout le pays.
Pour beaucoup, cette éviction était le signe qu’Imran Khan avait perdu les faveurs de l’armée toute-puissante, qui aurait soutenu l’opération visant à l’écarter du pouvoir. Les manifestations ont duré des mois, sous l’impulsion du PTI, qui réclamait la tenue d’élections anticipées. Le 3 novembre, pendant une longue marche de protestation reliant Lahore à la capitale fédérale, Islamabad, Imran Khan a survécu à ce qui semblait être une tentative d’assassinat. Cette fusillade a marqué un tournant dans un climat politique déjà tendu. Des manifestations ont eu lieu devant des bâtiments militaires.
Entre mars et en mai, du fait du changement climatique, les températures ont atteint au Pakistan des niveaux jamais vus depuis 60 ans. Le nord du Sind et le sud du Pendjab comptaient parmi les zones les plus touchées. La sécheresse qui en a résulté a été aggravée par une épidémie meurtrière de choléra survenue en même temps que la pénurie d’eau qui a sévi en mai. La sécheresse a ensuite laissé place à des inondations, qui ont frappé principalement les provinces du Sind et du Baloutchistan, faisant plus de 1 100 morts et touchant 33 millions de personnes. Près de 750 000 personnes se sont retrouvées sans accès à un logement sûr et convenable, à l’éducation ou à des infrastructures de santé. De vastes étendues de terres agricoles ayant été inondées, les prix ont augmenté face à la menace de pénurie alimentaire. En novembre, lors de la 27e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27), le Premier ministre Shehbaz Sharif a indiqué que le montant du financement international nécessaire pour indemniser le Pakistan pour les pertes et préjudices subis était estimé à 30 milliards de dollars des États-Unis.
Disparitions forcées
Les autorités ont continué de recourir aux disparitions forcées contre des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des personnes critiques à l’égard du gouvernement. D’après la Commission d’enquête sur les disparitions forcées, au 31 octobre, au moins 2 210 cas de disparitions forcées n’avaient pas été résolus (un chiffre sans doute largement sous-estimé). Les familles et les victimes qui demandaient justice étaient souvent la cible de manœuvres d’intimidation pendant des années après la disparition forcée.
En juin, dans deux épisodes distincts, les journalistes Nafees Naeem et Arsalan Khan ont été enlevés par les autorités ; ils ont tous deux été libérés au bout de 24 heures. Le 28 avril, l’étudiant baloutche Bebagr Imdad a été victime d’une disparition forcée alors qu’il rendait visite à un ami à l’université du Pendjab, à Lahore. Il a été libéré 13 jours plus tard.
Pour la deuxième fois en un peu plus d’un an, l’Assemblée nationale a semble-t-il adopté le 21 octobre un projet de loi visant à réprimer pénalement la pratique des disparitions forcées. Selon des informations parues dans les médias, plusieurs parlementaires ont demandé le retrait d’une disposition qui rendait toute « fausse » allégation de disparition forcée passible d’une amende et d’une peine de prison. À la fin de l’année, ce texte n’avait pas été promulgué car il devait encore être adopté par le Sénat. Il n’avait pas non plus été rendu public.
Amnesty International a recensé de fréquents recours aux disparitions forcées dans la province du Baloutchistan. Cette pratique a gagné du terrain à la suite d’un attentat-suicide à l’université de Karachi le 25 avril, qui a fait quatre morts et a été revendiqué par l’Armée de libération du Baloutchistan (BLA). Des militant·e·s baloutches ont déclaré dans les médias que l’État utilisait les attentats comme excuse pour s’en prendre à des femmes, des militant·e·s et des manifestant·e·s baloutches. Selon les médias, deux militantes baloutches ont été enlevées en l’espace d’une semaine. Le 7 juin, les étudiants Doda Ellahi et Gamshad Baloch ont été soumis à une disparition forcée alors qu’ils se trouvaient à leur domicile à Karachi. Ils ont été libérés le 14 juin, après quatre jours de manifestations pacifiques.
Liberté de réunion
Les autorités ont fortement restreint la liberté de réunion pacifique en harcelant, arrêtant et plaçant en détention des adversaires politiques et d’autres personnes critiques à leur égard, ainsi qu’en dispersant par la force des manifestations et en agressant des journalistes, entre autres.
Des partisan·e·s du Premier ministre déchu, Imran Khan, ont organisé des manifestations dans tout le pays. Certaines ont dégénéré ; à Islamabad, des manifestant·e·s ont jeté des pierres sur les policiers, incendié des arbres et endommagé des véhicules. Les forces de l’ordre ont eu recours à une force excessive lors de certaines manifestations. Le 25 mai, la police a tiré des grenades lacrymogènes sur des manifestant·e·s pacifiques à Lahore.
Des militant·e·s et des proches de victimes de disparition forcée ont organisé des manifestations pacifiques, que les forces de l’ordre ont souvent réprimées en recourant illégalement à la force, à des manœuvres d’intimidation ou à des détentions arbitraires. Le 13 juin, la police a fait un usage illégal de la force pour disperser des personnes qui manifestaient devant l’assemblée provinciale du Sind, à Karachi. Sur une vidéo, on pouvait voir des policiers en uniforme, pour certains munis de matraques, en train de s’approcher des manifestant·e·s, qui étaient assis. Les policiers empoignaient ensuite violemment des hommes et des femmes, qu’ils traînaient au sol avant de les jeter ou de les faire monter de force dans des véhicules de police.
Le 27 juin, des habitant·e·s de Karachi ont commencé à manifester contre les pénuries d’eau et d’électricité pendant l’été le plus chaud jamais enregistré. D’après les médias, la police a utilisé des matraques et du gaz lacrymogène pour disperser violemment des manifestant·e·s qui bloquaient une route menant au port.
Liberté d’expression
Les autorités ont encore durci le contrôle qu’elles exerçaient sur les médias. Des professionnel·le·s des médias ont fait état d’un renforcement des contraintes et de la censure, et d’une augmentation du nombre d’arrestations de journalistes.
Le 13 avril, dans la province du Pendjab, la police judiciaire fédérale a appréhendé huit personnes qu’elle accusait d’avoir organisé une campagne de diffamation à l’encontre des institutions de l’État sur les réseaux sociaux.
Le 5 juillet, le journaliste Imran Riaz Khan a été arrêté par la police. Il était accusé de sédition pour avoir critiqué l’armée. Son arrestation se fondait sur des dispositions du Code pénal concernant notamment la diffamation, ainsi que sur divers articles de la très sévère Loi relative à la prévention de la cybercriminalité. Un tribunal a ordonné sa libération le 7 juillet, mais la police l’a immédiatement réarrêté. Il a été remis en liberté sous caution le 9 juillet. À la fin de l’année, il n’avait toujours pas comparu devant la justice.
Shireen Mazari, haute responsable du PTI, a été arrêtée par la police le 21 mai à proximité de son domicile, à Islamabad, en lien avec un conflit foncier datant de 1972. Sa famille a cependant laissé entendre que son arrestation était motivée par des considérations politiques, car cette femme avait critiqué le gouvernement et l’armée. Elle a été libérée le jour même sur ordre de la haute cour d’Islamabad. Une procédure a été engagée contre sa fille, Imaan Hazir-Mazari, accusée d’avoir tenu des propos « désobligeants » à l’égard de l’armée après l’arrestation de sa mère. Le 20 juin, les charges qui pesaient sur Imaan Hazir-Mazari ont été abandonnées après qu’elle eut déclaré regretter ses propos.
Le 1er juillet, des hommes non identifiés ont agressé Ayaz Amir, analyste chevronné travaillant pour la chaîne Dunya News. Il avait semble-t-il critiqué Imran Khan et l’armée pendant un séminaire qui s’était tenu quelques jours plus tôt.
En octobre, Arshaf Sharif, journaliste et partisan bien connu d’Imran Khan, a été tué au Kenya, où il avait semble-t-il trouvé refuge après avoir reçu des menaces au Pakistan. Une commission gouvernementale composée de deux membres a été chargée d’enquêter sur cet homicide et a conclu en décembre qu’il s’agissait d’un « assassinat planifié ».
Liberté de religion et de conviction
Des accusations de blasphème ont cette année encore donné lieu à des violences contre des membres de minorités religieuses et des musulman·e·s. En janvier, une femme a été condamnée à mort au motif qu’elle aurait envoyé des messages « blasphématoires » par WhatsApp. Accusé d’avoir brûlé des pages du Coran, un homme a été lynché à mort en février par un groupe de personnes dans le district de Khanewal. En octobre, à Ghotki, un homme en situation de handicap a été noyé par un visiteur dans le sanctuaire où il vivait, après avoir été accusé de blasphème.
En septembre, reconnaissant l’existence de nombreuses violations des garanties prévues par la loi pendant les enquêtes et les procès dans les affaires de blasphème, la Cour suprême a rendu un arrêt historique appelant l’ensemble des personnes concernées à veiller « avec le plus grand soin » à ce qu’« aucune injustice ne soit commise dans le cadre de l’administration de la justice ».
Violences faites aux femmes et aux filles
La proposition de loi de 2021 sur la prévention et la protection contre la violence domestique a été retoquée par l’Assemblée nationale, alors qu’elle avait été adoptée par le Sénat en 2021. Plusieurs cas très médiatisés ont mis en lumière le problème persistant des violences faites aux femmes.
Le 24 février, Zahir Jaffer a été condamné à mort pour avoir torturé, violé et assassiné Noor Mukamad en 2021. Comme les condamnations étaient très rares dans les affaires de violences fondées sur le genre, la déclaration de culpabilité prononcée à l’encontre de Zahir Jaffer a eu un certain retentissement. Cependant, il restait nécessaire de réformer en profondeur les procédures et les institutions pour lutter contre le problème endémique des violences faites aux femmes (sans permettre le recours à la peine de mort).
Droits des personnes transgenres
Malgré l’adoption en 2018 de la Loi relative aux droits des personnes transgenres, ces personnes étaient toujours en butte à la violence et à la discrimination. En septembre, le sénateur Mushtaq Ahmad Khan, du parti politique islamique Jamaat-e-Islami, a formé un recours contre cette loi devant le Tribunal fédéral de la charia, affirmant que ce texte n’était pas conforme aux règles de l’islam inscrites dans la Constitution et qu’il « encourageait l’homosexualité ». Le Conseil de l’idéologie islamique a appelé le gouvernement à créer une commission chargée de revoir cette législation.
Des militant·e·s transgenres ont indiqué être la cible de campagnes sur les réseaux sociaux qui alimentaient le discours antitransgenre et incitaient à la violence et aux discours de haine à leur encontre. Ces personnes ont raconté qu’elles avaient reçu des menaces et avaient dû se cacher et modifier leurs habitudes quotidiennes pour éviter d’être prises pour cible. Selon le projet de suivi des homicides de personnes transgenres (Trans Murder Monitoring Project), entre octobre 2021 et septembre 2022, 18 personnes transgenres ont été tuées au Pakistan, le chiffre le plus élevé de toute l’Asie.
Torture et autres mauvais traitements
Le Sénat a adopté en octobre la Loi relative à la prévention et à la répression de la torture et des décès en détention. Grâce à cette loi, les actes de torture commis par un « agent de l’État ou une personne exerçant des fonctions officielles » étaient pour la première fois érigés en infraction.
Le recours à la torture et à d’autres mauvais traitements restait monnaie courante. Le 9 août, Shahbaz Gill, haut responsable du PTI, a été arrêté à Islamabad après avoir publiquement critiqué l’armée. Il a été remis en liberté sous caution le 16 septembre. Shahbaz Gill et d’autres responsables du PTI ont affirmé qu’il avait été torturé en détention, bien que des rapports médicaux et des responsables du gouvernement aient démenti ces accusations.
Le sénateur Azam Khan Swati a été arrêté par la police judiciaire fédérale et inculpé de sédition après avoir critiqué le chef d’état-major de l’armée sur Twitter. Il a déclaré à des journalistes avoir été déshabillé et torturé, notamment au niveau des parties génitales. Il a été remis en liberté sous caution avant d’être de nouveau arrêté en novembre pour les mêmes tweets.
Discrimination
Les conversions forcées à l’islam de femmes et de filles hindoues, chrétiennes et sikhes se sont poursuivies. Les victimes, en particulier celles qui étaient issues de milieux socioéconomiques défavorisés, n’avaient pas la possibilité d’accéder à la justice.
Les personnes hindoues appartenant aux castes répertoriées, ou dalits (opprimé·e·s), subissaient de façon disproportionnée le manque d’accès aux services, aux ressources et aux débouchés. Nombre d’entre elles étaient maintenues en servitude et subissaient des viols et des violences. Les ahmadi·e·s continuaient d’être confrontés à la discrimination. En juillet, cinq membres de la communauté ahmadiyya ont été arrêtés pour avoir pratiqué un sacrifice animal rituel à l’occasion de l’Aïd al Adha, alors que seuls les musulmans étaient autorisés à le faire. Le même mois, le Chief minister (Premier ministre de la province) du Pendjab a annoncé que le gouvernement provincial allait ajouter une condition obligatoire à l’obtention d’un certificat de mariage : les époux devraient désormais prêter serment en déclarant que le prophète Mahomet était le dernier prophète. Cette condition était particulièrement discriminatoire à l’égard de la communauté ahmadiyya.