Des personnes sont mortes, ont subi des tortures ou ont été expulsées illégalement du fait de la réaction violente des autorités face aux tentatives de franchissement de la frontière séparant Melilla du Maroc. Un logiciel espion a été utilisé contre des responsables politiques et des membres de la société civile catalans. Les violences contre les femmes perduraient. Un projet de loi visant à lever certains obstacles à l’avortement a été examiné par le Parlement. Une proposition de loi contenant des dispositions critiquables qui érigeaient en infraction certains aspects du travail du sexe a été déposée au Parlement. Le gouvernement a adopté un important projet de loi sur l’autodétermination du genre. Les autorités ne protégeaient pas correctement le droit à la santé et le droit au logement. L’utilisation par la police de dispositifs à impulsions électriques était toujours source de préoccupation. Des infractions définies en termes vagues ont été invoquées de façon abusive pour restreindre le droit à liberté d’expression et de réunion pacifique. La lutte contre l’impunité pour les violations des droits humains perpétrées pendant la guerre civile et sous la dictature a progressé avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi. Les mesures de lutte contre le changement climatique restaient insuffisantes.
Contexte
Un policier a été condamné à 12 mois d’emprisonnement pour avoir fourni de fausses preuves contre des responsables politiques catalans. Cette condamnation est intervenue dans le contexte plus large d’une enquête pénale en cours sur les activités d’un réseau secret, « la police patriotique », soupçonné d’avoir forgé de toutes pièces des éléments de preuve pour affaiblir la formation politique Podemos et les dirigeant·e·s du mouvement indépendantiste catalan.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Les autorités ont commis aux frontières de graves violations des droits des réfugié·e·s et des migrant·e·s.
Le 24 juin, pour faire échec à une tentative d’entrée dans l’enclave espagnole de Melilla, dans le nord du Maroc, conduite par de nombreuses personnes en quête de protection qui étaient toutes des hommes noirs originaires d’Afrique subsaharienne, les autorités espagnoles et marocaines ont fait usage d’une force illégale et perpétré des actes qui pourraient constituer des tortures et d’autres mauvais traitements. Au moins 37 personnes sont mortes et plus de 470 autres ont été expulsées illégalement. En octobre, des expert·e·s de l’ONU ont condamné le non-respect persistant de l’obligation de rendre des comptes pour la mort et la déshumanisation de migrant·e·s africains aux frontières de l’Europe.
En mars, les autorités ont renvoyé de force le lanceur d’alerte algérien Mohamed Benhalina dans son pays d’origine sans procéder à une évaluation des risques concernant sa sécurité en cas de retour. À son arrivée en Algérie, cet ancien militaire a été incarcéré et informé qu’il avait été condamné à mort en son absence. Les autorités espagnoles avaient rejeté sa demande d’asile au motif qu’il aurait pris part à des « activités contraires à la sécurité publique ou susceptibles de nuire aux relations entre l’Espagne et d’autres pays ».
Les autorités ont accordé une protection temporaire à 156 000 réfugié·e·s ukrainiens au titre des dispositions de la directive de l’UE en la matière. Afin de garantir une prise en charge coordonnée et rapide des besoins des réfugié·e·s, le gouvernement a mis en place des centres d’accueil spécifiques à Madrid, Barcelone, Alicante et Málaga.
Droit au respect de la vie privée
L’utilisation qui a été faite en Espagne du logiciel espion Pegasus, produit par le groupe NSO, pour espionner les téléphones portables de responsables politiques, de journalistes et d’avocat·e·s catalans de premier plan, ainsi que ceux de membres de leur famille, a soulevé des inquiétudes. La directrice générale du Centre national du renseignement a reconnu, en mai, que plusieurs personnalités politiques indépendantistes catalanes avaient ainsi été surveillées. Le gouvernement a également confirmé que les téléphones officiels du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur et de la ministre de la Défense avaient été infectés par le logiciel espion Pegasus ; l’Audience nationale a ouvert une enquête en mai. Plusieurs enquêtes en cours au niveau des juridictions catalanes portant sur des faits commis contre des responsables politiques et des membres de la société civile catalans n’avaient toujours pas progressé.
Violences sexuelles ou fondées sur le genre
Les violences à l’égard des femmes persistaient. En 2022, 49 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ancien partenaire. Depuis 2013, année où des statistiques ont commencé à être compilées, 48 enfants au total avaient été tués dans le contexte de violences liées au genre perpétrées contre leur mère, dont deux en 2022.
Point positif, le ministère de l’Égalité collectait désormais des chiffres sur les violences à l’égard des femmes commises par des personnes autres que le partenaire ou l’ancien partenaire.
La Loi organique de protection complète de la liberté sexuelle, qui a redéfini l’infraction de violence sexuelle en la basant sur l’absence de consentement, est entrée en vigueur en octobre.
Droits sexuels et reproductifs
Le Congrès des députés a adopté en décembre un projet de loi portant modification de la loi sur les droits sexuels et reproductifs qui visait à supprimer l’obligation d’une autorisation parentale pour la pratique d’un avortement sur une adolescente de 16 ou 17 ans, ainsi que d’autres obligations (période de réflexion et consultation de conseil, notamment) qui faisaient obstacle à l’accès à l’avortement en temps utile.
Droits des travailleuses et travailleurs
Une proposition de loi de modification du Code pénal visant à ériger en infraction certains aspects du travail du sexe, y compris en ce qui concernait les client·e·s et des tiers, était en instance au Parlement à la fin de l’année. Ses dispositions avaient des répercussions sur les droits des travailleuses et travailleurs du sexe, ainsi que sur leur sécurité.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Le gouvernement a adopté en juin un important projet de loi qui reconnaissait le droit à la libre détermination du genre. Il permettait aux personnes transgenres d’obtenir la reconnaissance juridique de leur genre et de modifier les marqueurs de genre figurant sur leurs documents d’identité sans avoir besoin de se soumettre à un traitement hormonal ou de produire une attestation médicale. Les dispositions concernaient aussi les enfants âgés d’au moins 12 ans. Le texte a été adopté au Congrès des députés en décembre et il devait être examiné par le Sénat au début de l’année 2023.
Droit à la santé
Les ressources allouées par le gouvernement national et les gouvernements régionaux étaient insuffisantes pour garantir le droit à la santé. Le budget national alloué aux soins de santé primaire représentait 14 % du budget total des soins de santé publique, ce qui était bien inférieur au niveau minimum de 25 % recommandé par l’OMS. Le budget total de la santé des communautés autonomes n’avait augmenté que de 4,5 % par rapport à celui de 2021, ce qui représentait moins de la moitié de la hausse des dépenses de santé intervenue entre 2019 et 2020. Les communautés autonomes d’Aragon et de Castille-La Manche ont même réduit leur budget de santé entre 2021 et 2022.
Après une parenthèse de 15 ans, une nouvelle stratégie nationale de santé mentale a été approuvée en décembre 2021. Elle couvrait la période 2022-2026 et a commencé à être appliquée.
Personnes âgées
Les autorités n’ont pas enquêté de manière adéquate sur les décès de personnes âgées survenus dans les maisons de retraite pendant la pandémie de COVID-19. Environ 90 % des enquêtes diligentées par le parquet ont été classées sans suite, alors même que le procureur général avait reconnu que des violations des droits humains avaient été commises dans ces établissements.
La majorité des commissions d’enquête mises en place au niveau régional pour faire la lumière sur la façon dont les personnes âgées avaient été traitées dans les maisons de retraite ont été dissoutes sans véritable explication, et les autorités n’ont pas instauré de commission nationale pour la vérité qui aurait permis d’amener les responsables de ces décès à rendre des comptes.
Droits en matière de logement
Des milliers de familles étaient privées de leur droit à un logement convenable. Entre janvier et septembre, 29 285 expulsions ont eu lieu. En juin, le gouvernement a prolongé jusqu’au 31 décembre la suspension des expulsions de personnes économiquement fragiles. Cette mesure allait dans le bon sens, mais demeurait insuffisante pour protéger des milliers de personnes n’entrant pas dans cette catégorie contre le risque de se retrouver à la rue.
Des milliers de familles étaient particulièrement pénalisées par la hausse du coût de l’énergie. La proportion de la population n’ayant pas les moyens de maintenir le logement à une température adéquate était de 14,3 %, contre 10,9 % en 2020. Dans le quartier de Cañada Real, dans l’agglomération de Madrid, 4 500 personnes, dont 1 800 enfants, vivaient toujours sans accès à l’électricité, en dépit des recommandations du Défenseur du peuple demandant que l’approvisionnement, coupé en 2020, soit rétabli.
Recours excessif à la force
Des inquiétudes subsistaient quant à la qualité de la formation et des protocoles en matière d’utilisation d’armes « à létalité réduite » par les différentes forces de police du pays. Le ministère de l’Intérieur a placé un dispositif à impulsions électriques dans l’équipement standard des membres de la police nationale chargés de la sécurité, des gardes civils et des membres de la police du Pays basque et de la Catalogne.
À la fin de l’année, personne n’avait été inculpé dans l’affaire de la mort, en novembre 2021 à Barcelone, d’un homme à qui des policiers régionaux avaient infligé plusieurs décharges électriques, y compris après l’avoir immobilisé.
La perspective d’obtenir justice s’éloignait pour plusieurs personnes qui avaient été grièvement blessées par des balles en mousse tirées par des policiers lors de manifestations. Faute de coopération de la police, le parquet prévoyait en effet de classer sans suite un certain nombre d’enquêtes.
À la fin de l’année, des enquêtes pénales sur le recours illégal à la force par la police dans le cadre des manifestations d’octobre 2017 en Catalogne étaient toujours en cours.
Liberté d’expression et de réunion
Les autorités ont continué de recourir de façon abusive à la loi relative à la sécurité publique pour restreindre la liberté d’expression des manifestant·e·s et des journalistes. Les données chiffrées concernant l’application de la loi faisaient apparaître une hausse du nombre d’amendes infligées pour des infractions de nature administrative définies en termes vagues (« manque de respect » vis-à-vis d’un membre des forces de l’ordre ou « désobéissance ou résistance à l’autorité ou à ses agents », par exemple).
Le Parlement a entamé une réforme du Code pénal en vue de supprimer les délits d’« injures à la Couronne » et d’« injures aux institutions de l’État », des chefs eux aussi utilisés de façon abusive pour limiter la liberté d’expression.
Impunité
La Loi de mémoire démocratique, qui a remplacé la Loi de mémoire historique de 2007, est entrée en vigueur en octobre. Ce nouveau texte disposait que la recherche des personnes ayant été soumises à une disparition forcée pendant la guerre civile ou la dictature était de la responsabilité de l’État. Il prévoyait aussi l’annulation des décisions fondées sur des considérations politiques qui avaient été rendues par des tribunaux civils et militaires ainsi que par des juridictions spécialisées. Il ne contenait en revanche pas de disposition permettant l’ouverture de poursuites pour les crimes de droit international commis pendant cette période.
La Loi de 1968 sur les secrets officiels, qui avait été adoptée sous la dictature, constituait toujours un obstacle à l’accès à la justice.
Lutte contre la crise climatique
L’Institut de santé Carlos III a estimé que, pour la période janvier-octobre, 5 829 décès pouvaient être imputés aux températures élevées. Au cours de la même période, 259 491,42 hectares de terres ont été ravagés par des incendies, soit trois fois plus qu’au cours des mêmes mois de 2021. L’inventaire des émissions de gaz à effet de serre a fait état d’une émission brute estimée à 288,6 millions de tonnes de dioxyde de carbone en 2021, soit une augmentation de 5,1 % par rapport à l’année précédente.