Les conflits demeuraient un fléau profondément ancré, qui ne semblait pas près de perdre du terrain. Cependant, des progrès limités ont été constatés dans la région concernant la concrétisation des droits des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations, ainsi que l’obligation de rendre des comptes pour de graves atteintes aux droits humains qui pouvaient s’apparenter à des crimes de droit international.
Presque tous les pays africains ont dû faire face aux répercussions économiques dévastatrices de la pandémie de COVID-19. Les conflits, les perturbations économiques découlant de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les conditions météorologiques extrêmes, accentuées par le changement climatique, ont entravé les efforts de redressement. Par conséquent, les droits de millions de personnes à l’alimentation, à la santé et à un niveau de vie suffisant étaient gravement menacés.
Dans toute la région, les autorités ont fait appel à différentes stratégies pour réduire au silence la dissidence pacifique. La répression du droit à la liberté de réunion pacifique s’est intensifiée, les autorités se servant de la sécurité nationale ou du COVID-19 comme prétexte pour interdire, étouffer ou disperser violemment des manifestations. Des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des journalistes et des opposant·e·s politiques ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation et d’actes de harcèlement, y compris d’arrestations, de détentions et de poursuites, à mesure que les autorités ont resserré leur étau autour des droits à la liberté d’expression et d’association.
Le nombre de personnes fuyant un conflit ou la crise climatique a continué de croître. Or, faute de financements internationaux suffisants, les autorités n’étaient pas en mesure de satisfaire véritablement les besoins urgents et élémentaires des réfugié·e·s.
Le caractère généralisé des violences faites aux femmes dans la région reflétait le profond enracinement de la discrimination fondée sur le genre et d’autres formes d’inégalité. Dans certains pays, les personnes LGBTI et les personnes atteintes d’albinisme n’étaient pas protégées de la discrimination ni de la violence.
Le risque de dégradations de l’environnement ou de déplacements de populations imputables à des projets miniers ou infrastructurels prévus ou en cours était toujours élevé.
Attaques et homicides illégaux
Des groupes armés et des forces gouvernementales ont pris pour cible des civil·e·s, semant la mort et la destruction. Au Burkina Faso, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique au Sahel (EIS), deux groupes armés, ont attaqué plusieurs villes et villages. À Djibo, le GSIM a détruit des infrastructures hydrauliques qui approvisionnaient plus de 300 000 habitant·e·s. Au moins 80 personnes, principalement des civil·e·s, ont été tuées par des combattants de l’EIS qui ont attaqué Seytenga en juin. Les assaillants sont allés de maison en maison pour abattre les hommes présents. Au Cameroun, des groupes armés séparatistes s’en sont pris à des personnes, des établissements de santé et des écoles dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Des groupes armés ont aussi attaqué des villages dans la région de l’Extrême-Nord, tuant et enlevant des dizaines de civil·e·s. En République centrafricaine, au moins 100 civil·e·s ont été tués par des groupes armés ou par les forces gouvernementales entre février et mars. Les attaques contre la population civile se sont aussi intensifiées dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), où des groupes armés ont tué plus de 1 800 civil·e·s.
En Éthiopie, des opérations ciblées perpétrées par les forces gouvernementales et des groupes armés contre des civil·e·s dans les régions Oromia, Benishangul-Gumuz, Amhara, du Tigré et de Gambela ont donné lieu à des homicides à grande échelle. Au Mali, les attaques du GSIM contre trois villages du cercle de Bankass, en juin, ont fait environ 130 morts, principalement des civil·e·s. Au Mozambique, le groupe armé mozambicain Al Shabaab a étendu ses assauts contre la population civile de la province de Cabo Delgado à celles de Niassa et de Nampula. En mai, il a décapité 10 civils lors d’une attaque contre trois villages de la province de Cabo Delgado, où il a aussi enlevé des femmes et des filles et pillé et incendié des maisons. Au Nigeria, les agressions perpétrées par Boko Haram, qui jusque-là avaient lieu surtout dans le nord-est, se sont étendues à certains États du centre-nord et du nord-ouest. Boko Haram, l’État islamique en Afrique de l’Ouest et des inconnus armés ont tué au moins 6 907 personnes. En Somalie, 76 % des 167 homicides et des 261 blessures occasionnés par des attaques contre des civil·e·s entre février et mai étaient imputables au groupe armé somalien Al Shabab. Au cours de son opération la plus meurtrière, en octobre, ce groupe armé a tué plus d’une centaine de personnes dans un double attentat à l’explosif visant le siège du ministère de l’Éducation et un carrefour animé au sein d’un marché de Mogadiscio, la capitale.
Les civil·e·s ont aussi été les principales victimes de plusieurs attaques aveugles. Au Burkina Faso, les forces françaises soutenant l’armée nationale ont tué quatre civil·e·s en février, lors d’une frappe aérienne contre le groupe armé Ansarul Islam. Des dizaines d’autres ont été tués dans des raids aériens menés par les forces burkinabées en avril et en août. En République centrafricaine, 11 personnes ont été tuées et 42 ont été blessées par 40 déflagrations d’engins explosifs improvisés entre janvier et octobre. Plusieurs frappes aériennes lancées par les forces gouvernementales en Éthiopie, dont une contre une école maternelle, ont fait des centaines de morts parmi la population civile à Dedebit, Mekelle et Adi Daero, dans le Tigré. Au Niger, en février, un bombardement effectué par l’armée de l’air nigériane a tué sept enfants dans la région de Maradi. En octobre, l’armée nigérienne a été accusée d’avoir tué illégalement des orpailleurs artisanaux à Tamou lors de frappes aériennes.
Les violences sexuelles liées aux conflits demeuraient courantes, et les victimes souffraient de diverses complications médicales, outre le traumatisme psychologique. Au Soudan du Sud, plus de 130 femmes et filles ont été violées, par un seul agresseur ou en réunion, entre février et mai dans la partie sud de l’État d’Unité, dans le contexte des affrontements opposant, d’un côté, les forces gouvernementales et les milices qui y étaient affiliées et, de l’autre, l’Armée populaire de libération du Soudan-Opposition (APLS-O). La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine a recensé 47 cas de violences sexuelles liées au conflit entre juin et octobre. En RDC, au moins six femmes ont été violées en mai, lorsque le groupe armé Coopérative pour le développement du Congo a attaqué un village abritant une mine d’or, dans la province de l’Ituri. En Somalie, les Nations unies ont dénombré quatre cas de violences sexuelles liées au conflit entre février et mai. En Éthiopie, quatre victimes ont signalé avoir été violées et maltraitées par des membres des forces tigréennes dans la région Afar.
Les blocus et les restrictions entravant l’acheminement de l’aide humanitaire faisaient encore partie des stratégies de guerre. Au Burkina Faso, le GSIM a non seulement bloqué l’accès à plusieurs villes du nord et de l’est et l’approvisionnement commercial de celles-ci, mais il a aussi attaqué des convois d’approvisionnement civils, même escortés par l’armée. Dans l’est de la RDC, les attaques incessantes perpétrées par des groupes armés, les opérations militaires et les restrictions délibérées du droit de circuler librement que les forces gouvernementales et les groupes armés imposaient ont entravé encore davantage l’accès à l’aide humanitaire et empêché des populations d’obtenir une assistance vitale. Le gouvernement éthiopien a déclaré une trêve humanitaire en mars dans la région du Tigré, où des restrictions concernant les livraisons d’aide humanitaire avaient été appliquées depuis le début du conflit, en novembre 2020. Cette trêve a permis une augmentation considérable du nombre d’arrivées de convois d’aide dans la région, mais les livraisons se sont complètement arrêtées en août, à la reprise des combats, avant de redémarrer en novembre, à la suite d’un accord de cessation des hostilités signé à Pretoria.
Au Mali, entre mai et septembre, des combattants de la katiba Serma ont bloqué la route reliant les villes de Boni, Douentza, Hombori et Gossi, contraignant les commerçant·e·s à recourir à des escortes militaires. En août, ce groupe armé a attaqué et incendié 19 camions transportant des marchandises à Hombori.
Les parties aux différents conflits armés doivent protéger les personnes civiles, notamment en cessant de mener des assauts délibérés contre la population et les infrastructures civiles et en mettant fin aux attaques aveugles. Elles doivent aussi permettre aux organisations humanitaires d’accéder sans entraves et en toute sécurité aux populations en danger.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
Dans l’ensemble de la région, peu de progrès ont été accomplis pour lutter contre l’impunité et faire en sorte que les victimes de crimes de droit international et d’autres graves atteintes aux droits humains obtiennent vérité, justice et réparations. En mars, les autorités tchadiennes ont livré Maxime Jeoffroy Eli Mokom Gawaka, chef d’un groupe armé anti-balaka, à la CPI pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis en 2013 et 2014 en République centrafricaine. En mai, les autorités néerlandaises ont arrêté un ancien militaire qui aurait participé au massacre des Tutsis à Mugina (Rwanda) lors du génocide de 1994. Les procès d’Ali Mohammed Ali, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le Darfour (Soudan), et de Mahamat Said, commandant présumé de la Séléka, un groupe armé de République centrafricaine, se sont ouverts devant la CPI en avril et en septembre, respectivement. D’autres procès concernant des crimes commis par des membres de groupes armés en République centrafricaine se sont ouverts devant la Cour criminelle de Bangui, la capitale, et la Cour pénale spéciale. Au Soudan du Sud, un tribunal militaire siégeant à Yei a déclaré huit soldats coupables de viols commis dans le contexte du conflit. Cependant, le processus de création du Tribunal mixte pour le Soudan du Sud n’a pas progressé.
Les États doivent redoubler d’efforts pour lutter contre l’impunité en menant des enquêtes approfondies, indépendantes, impartiales, efficaces et transparentes sur les crimes de droit international et en traduisant en justice les auteurs présumés dans le cadre de procès équitables devant des tribunaux civils.
Droits économiques, sociaux et culturels
Droit à l’alimentation
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a interrompu l’approvisionnement en blé dont de nombreux pays africains dépendaient. Dans le même temps, la hausse des prix des combustibles, autre conséquence de la guerre en Europe, a entraîné une explosion des prix des denrées alimentaires qui a touché de manière disproportionnée les personnes marginalisées et les plus exposées à la discrimination. L’insécurité alimentaire s’est aggravée sous l’effet de la sécheresse, qui a atteint un niveau sans précédent dans plusieurs pays d’Afrique.
Une grande partie de la population était confrontée à une famine aiguë et à une forte insécurité alimentaire, notamment en Angola, au Burkina Faso, au Kenya, à Madagascar, au Niger, en République centrafricaine, en Somalie, au Soudan, au Soudan du Sud et au Tchad. En Angola, dans les provinces de Cunene, Huíla et Namibe, l’insécurité alimentaire était parmi les pires au monde et, à certains endroits, des adultes et des enfants en ont été réduits à manger de l’herbe pour survivre. Au Burkina Faso, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU] a estimé que, en septembre, 4,9 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire, dont de nombreux déplacé·e·s qui avaient fui leur domicile en raison du conflit.
Le conflit et les déplacements qu’il a occasionnés ont aussi fait progresser l’insécurité alimentaire au Niger, où celle-ci touchait 4,4 millions de personnes (soit environ 20 % de la population). En République centrafricaine, 50 % de la population était en situation d’insécurité alimentaire et, à certains endroits, ce chiffre allait jusqu’à 75 %. La moitié des Somalien·ne·s étaient également confrontés à une insécurité alimentaire aiguë et plus de trois millions d’animaux d’élevage, essentiels à la subsistance des populations pastorales, sont morts, en grande partie à cause de la sécheresse. D’énormes pertes de bétail imputables à la sécheresse ont aussi été enregistrées en Angola.
Droit à la santé
Bien que les effets de la pandémie de COVID-19 se soient atténués, plusieurs pays ont connu de nouvelles épidémies, comme celle d’Ebola qui s’est déclarée en septembre et a fait 56 morts en Ouganda.
Au Congo, la rougeole a tué 112 enfants dans le département de Pointe-Noire et, au Zimbabwe, plus de 750 enfants de moins de cinq ans sont morts de cette maladie lorsque l’épidémie qui s’était déclarée dans le district de Mutasa s’est propagée à d’autres zones. Au Cameroun, une épidémie de choléra a touché plus de sept régions, faisant 298 morts. À la prison de New Bell, à Douala, au moins 16 personnes détenues sont mortes lors de deux flambées de cette maladie qui se sont déclarées dans l’établissement. Rodrigue Ndagueho Koufet, qui était détenu arbitrairement depuis septembre 2020 pour avoir participé à une manifestation pacifique, en a été l’une des victimes. Au Malawi, une épidémie de choléra a touché 26 des 28 districts et, au 31 décembre, 576 morts avaient été enregistrés.
Dans plusieurs pays, les conditions météorologiques extrêmes ont déclenché des épidémies. Au Nigeria, les inondations ont entraîné une flambée de maladies transmises par l’eau, comme le choléra, qui a tué plus de 320 personnes dans les États de Yobe, de Borno et d’Adamawa. En Somalie, une grave sécheresse a provoqué une résurgence de la malnutrition, tandis que les cas présumés de choléra et de rougeole se sont multipliés par rapport aux années précédentes, selon l’OMS.
Droits en matière de logement
Les expulsions forcées demeuraient une grave source de préoccupation dans la région.
Dans le sud de l’Angola, l’expropriation de pâturages communautaires au profit de l’élevage commercial s’est poursuivie. En octobre, la police a incendié 16 logements et des effets personnels en tentant d’expulser la communauté mucubai de ses terres dans la région de Ndamba, à la périphérie de Moçâmedes (province de Namibe), afin de faciliter le transfert des terrains à un agriculteur commercial.
En Tanzanie, les autorités ont expulsé de force des membres du peuple autochtone masaï de leurs terres ancestrales dans la division de Loliondo (région d’Arusha) pour céder la place à un projet touristique. Elles n’ont pas organisé de véritables consultations avec les personnes concernées avant leur expulsion, ne les ont pas prévenues comme il se devait et ne les ont pas correctement indemnisées.
En ville, les expulsions forcées se concentraient dans les quartiers informels. En juin, par exemple, le Conseil de sécurité régional du Grand Accra (Ghana) a fait démolir des centaines d’habitations situées sur des terres appartenant au Conseil de la recherche scientifique et industrielle à Frafraha, dans la banlieue d’Accra, la capitale du pays. Les habitant·e·s ont été sommés de quitter les lieux dans les 48 heures. Au Nigeria, l’Administration du Territoire de la capitale fédérale et des organes de sécurité ont détruit en août une centaine de bâtiments dans le village de Dubaidna Durumi 3. Pendant la démolition, des agents des forces de sécurité ont agressé physiquement des habitant·e·s et utilisé du gaz lacrymogène, qui a fait perdre connaissance à deux enfants. En Zambie, le conseil municipal de Chingola a fait démolir plus de 300 logements à proximité de la piste d’atterrissage de Kasompe, dans le district de Chingola.
Les États doivent prendre des mesures immédiates pour faire en sorte que les droits à l’alimentation, à la santé et au logement soient garantis, y compris au moyen de la coopération et de l’aide internationales, si nécessaire. Ils doivent aussi veiller à ce que les auteurs présumés de violations des droits humains soient amenés à rendre des comptes.
Répression de la dissidence
Liberté de réunion
La répression du droit à la liberté de réunion pacifique s’est intensifiée, les autorités se servant de la sécurité nationale ou de la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour interdire, étouffer ou disperser violemment des manifestations. Cela n’a pratiquement pas entamé la détermination de la population à revendiquer son droit de manifester. Des rassemblements de grande ampleur en lien avec diverses problématiques, notamment l’explosion des prix des denrées alimentaires, ont eu lieu dans des villes de toute la région.
La mort de nombreux manifestant·e·s attribuée au recours excessif à la force par les forces de sécurité a été signalée en Guinée, au Kenya, au Nigeria, en RDC, au Sénégal, en Sierra Leone, en Somalie, au Soudan et au Tchad, entre autres. Au moins 27 protestataires sont morts en août en Sierra Leone et 50 au Tchad en octobre. Les conclusions des enquêtes officielles sur ces homicides n’étaient pas disponibles à la fin de l’année.
Les arrestations et les détentions de manifestant·e·s demeuraient fréquentes dans toute la région. De très nombreuses personnes ayant protesté contre la hausse du coût de la vie en ont été victimes au Kenya, en Sierra Leone et au Soudan du Sud. Les forces de sécurité soudanaises ont détenu des centaines de protestataires et en ont soumis de nombreux autres à des disparitions forcées dans le cadre d’une répression plus générale de l’opposition au coup d’État militaire de 2021. En Guinée, en Ouganda et au Sénégal, les autorités ont pris pour cible des responsables de l’opposition ou des organisateurs et organisatrices de manifestations. Kizza Besigye, dirigeant de l’opposition ougandaise, a été arrêté et détenu à trois reprises pour avoir manifesté contre l’inflation et la hausse du coût de la vie. Six femmes ayant protesté contre sa détention ont été arrêtées à leur tour et inculpées d’incitation à la violence et de manifestation illégale. En Guinée, des personnes qui avaient organisé une marche interdite ou y avaient participé ont fait l’objet de poursuites en juillet.
Dans plusieurs pays, dont la Guinée, le Lesotho, le Niger, la RDC, le Sénégal et le Tchad, l’interdiction des manifestations a concrètement entravé le droit de manifester.
Sur une note positive, la Cour de justice de la CEDEAO a statué en mars qu’un arrêté ministériel pris en 2011 au Sénégal, qui interdisait les manifestations de nature politique dans le centre de Dakar, la capitale, violait les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Elle a demandé aux autorités sénégalaises de l’abroger.
Liberté d’expression
Des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des journalistes et des opposant·e·s politiques ont été victimes de harcèlement, de manœuvres d’intimidation et de menaces simplement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression. Au Nigeria, un tribunal de Kano a condamné deux célébrités des réseaux sociaux à une semaine de détention, une peine de flagellation et une amende au motif qu’elles auraient diffamé le gouverneur de l’État dans un sketch. Au Sénégal, un dirigeant de l’opposition et deux militant·e·s figuraient parmi les personnes arrêtées et inculpées de diffamation et de diffusion de fausses informations. Au Soudan, dans le Kordofan du Sud, une femme a été inculpée de plusieurs chefs au titre de la Loi sur la cybercriminalité, notamment de publication de fausses informations en lien avec un contenu mis en ligne sur les réseaux sociaux à propos du recrutement d’enfants dans les forces armées soudanaises. Le militant et écrivain Kakwenza Rukirabashaija a fui l’Ouganda après avoir été placé en détention pour avoir publié sur Twitter des messages qui, selon la police, visaient à troubler la tranquillité du général Muhoozi Kainerugaba, fils du président. En Zambie, deux hommes ont été condamnés à 24 mois d’emprisonnement assortis de travaux forcés pour insulte au président sur TikTok.
Les attaques contre la liberté de la presse demeuraient courantes. Les forces de sécurité ont fait irruption dans les locaux de différents médias en Ouganda et au Soudan. Au Ghana, au Mali, au Nigeria, en Somalie et en Tanzanie, les autorités ont suspendu ou interdit définitivement les activités de plusieurs médias qui avaient publié du contenu jugé critique ou défavorable à l’égard du gouvernement. Dans toute la région, de nombreux journalistes ont aussi été arrêtés et détenus ; d’autres étaient régulièrement harcelés et intimidés. En Éthiopie, les autorités ont arrêté au moins 29 journalistes et professionnel·le·s des médias, dont beaucoup n’ont pas été inculpés officiellement. En Eswatini, Zweli Martin Dlamini, rédacteur en chef de Swaziland News, a été déclaré terroriste au titre de la Loi relative à la répression du terrorisme. Au Ghana, un animateur de radio a été condamné à deux semaines d’emprisonnement assorties d’une amende de 3 000 cedis (environ 377 dollars des États-Unis) pour outrage à magistrat. Il avait publié une vidéo dans laquelle il accusait le président, Nana Akufo-Addo, de collusion avec des juges en vue d’influencer l’élection présidentielle de 2020.
Les droits des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains ont été réprimés au Burundi, à Madagascar, au Malawi, au Mozambique, au Niger, en RDC, au Rwanda, en Somalie et au Zimbabwe. À Madagascar, Henri Rakotoarisoa, militant écologiste de 70 ans, a été poignardé à mort en juin. Au Mozambique, des personnes soupçonnées d’être des agents de l’État se sont introduites par effraction dans le cabinet de l’avocat spécialisé dans les droits humains João Nhampossa et ont volé son ordinateur, ses clés USB, ses téléphones portables ainsi que divers documents. Le défenseur des droits humains Adriano Nuvunga a quant à lui reçu des menaces de mort.
Liberté d’association
Les autorités de plusieurs pays de la région ont resserré leur étau autour de la liberté d’association, ce qui a eu des répercussions sur les organisations de la société civile. Ainsi, à la veille des élections générales en Angola, la police a empêché Omunga et l’Association pour le développement de la culture et des droits humains de tenir une conférence sur la construction de la paix. Les autorités burundaises ont quant à elles mis fin à une conférence de presse en mars. En Guinée, les autorités de transition ont dissous le Front national pour la défense de la Constitution, une coalition d’organisations de la société civile et de partis politiques qui réclamait le retour à l’ordre constitutionnel.
Des lois visant à étouffer et contrôler ces organisations ont aussi été adoptées. Au Niger, un décret promulgué en février exigeait des ONG qu’elles obtiennent l’aval du gouvernement avant d’entreprendre tout programme ou projet. Au Zimbabwe, le projet de modification de la Loi relative aux organisations bénévoles privées, qui contenait des dispositions menaçant le fonctionnement et l’existence même des associations de la société civile, a été soumis au Parlement.
Les États doivent mettre fin au harcèlement et aux actes d’intimidation qui visent les défenseur·e·s des droits humains, les journalistes et les militant·e·s. Ils doivent abandonner toutes les charges retenues contre celles et ceux qui font l’objet de poursuites, libérer immédiatement et sans condition les personnes détenues arbitrairement et veiller à ce que la liberté de la presse soit respectée, notamment en permettant aux médias de fonctionner en toute indépendance.
Droits des personnes déplacées, réfugiées ou migrantes
Le nombre de personnes ayant fui de chez elles en raison d’un conflit ou de la crise climatique était en hausse. En RDC, 600 000 personnes déplacées supplémentaires ont été recensées, ce qui portait leur nombre total à près de six millions, chiffre le plus élevé d’Afrique. Au Mozambique, à mesure que le conflit prenait de l’ampleur, le nombre de personnes déplacées a également augmenté, atteignant 1,5 million. Les conditions de vie de ces personnes étaient marquées par l’insécurité alimentaire et hydrique, la malnutrition, une santé précaire et des logements inadéquats. La Somalie comptait plus de 1,8 million de personnes déplacées à cause de la sécheresse et du conflit.
L’Ouganda est resté le pays d’Afrique qui accueillait le plus grand nombre de personnes réfugiées, soit près de 1,5 million, dont plus de 100 000 étaient arrivées en 2022. Cependant, seuls 45 % des besoins de financement de l’Ouganda avaient été satisfaits en novembre. Les autorités n’étaient donc pas en mesure de répondre comme il se devait aux besoins urgents des personnes réfugiées, notamment en matière de soins de santé, d’accès à l’eau, d’assainissement et d’éducation. Le Soudan a continué d’accueillir de nouvelles personnes réfugiées venant de pays voisins : environ 20 000 du Soudan du Sud et 59 800 d’Éthiopie. Le Programme alimentaire mondial a été contraint de réduire les rations destinées aux personnes réfugiées, en raison d’une grave insuffisance de financements internationaux.
Les personnes migrantes étaient confrontées à des violences particulières et des atteintes spécifiques à leurs droits fondamentaux. Au cours de l’année, des milliers de personnes migrantes (dont 14 000 entre janvier et mai) ont été violemment expulsées d’Algérie vers un lieu appelé le « point zéro », à la frontière nigérienne. En juin, les corps de 10 migrant·e·s ont été retrouvés près de la frontière libyenne. En Guinée équatoriale, plusieurs dizaines de personnes migrantes en situation irrégulière ont été expulsées vers leur pays d’origine en dehors de toute procédure légale et sans pouvoir consulter d’avocat·e.
Les États doivent prendre des mesures pour que les personnes réfugiées, migrantes ou déplacées soient protégées et aient accès sans restriction à l’aide humanitaire, notamment à la nourriture, à l’eau et à un abri. Ils doivent immédiatement mettre fin aux expulsions et aux détentions illégales de personnes migrantes ou réfugiées et veiller à ce que ces personnes bénéficient de la protection à laquelle elles ont droit. La communauté internationale doit résoudre les problèmes de financement en fournissant des fonds durables et prévisibles à long terme, de sorte que les pays d’accueil puissent répondre comme il se doit aux besoins urgents des personnes réfugiées.
Discrimination et marginalisation
Femmes et filles
Les filles enceintes étaient toujours exclues des établissements scolaires en Guinée équatoriale et en Tanzanie. Le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant a estimé en septembre que la politique d’exclusion pratiquée par la Tanzanie violait la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant et a recommandé qu’elle soit revue. En Sierra Leone, 800 mineur·e·s ont été rescolarisés, notamment des filles enceintes et des filles qui avaient abandonné leur scolarité à cause d’une grossesse.
Les violences fondées sur le genre sont restées très fréquentes dans toute la région. En Afrique du Sud, les féminicides ont connu une hausse de 10,3 % : 989 femmes ont été tuées entre juillet et septembre. Les viols et les autres infractions à caractère sexuel ont progressé de 10,8 % et 11 %, respectivement. En Eswatini, le meurtre violent d’une femme par son ancien compagnon a incité les organisations de défense des droits des femmes à intensifier leurs appels en faveur de la déclaration d’un état d’urgence national pour lutter contre les violences fondées sur le genre. En Guinée, les victimes de viol ont continué de souffrir du manque de prévention et de protection contre ce type d’infractions et n’avaient pas suffisamment accès aux soins médicaux, aux services et aux soins de santé sexuelle et reproductive, au soutien psychologique et à l’aide juridique et sociale.
Plusieurs pays ont promulgué des lois progressistes en faveur de l’égalité des genres. Le Parlement congolais a adopté la loi Mouébara sur la lutte contre les violences domestiques et les autres violences faites aux femmes. En Sierra Leone, la Loi relative aux droits fonciers coutumiers a conféré aux femmes les mêmes droits que les hommes en matière de propriété et d’utilisation des terres familiales. En outre, une loi sur l’égalité comprenait une disposition imposant un quota de 30 % de femmes dans la fonction publique. Au Zimbabwe, une loi interdisant le mariage précoce et le mariage d’enfants a été adoptée.
À Madagascar, en revanche, la présidente du Bureau permanent de l’Assemblée nationale a rejeté une proposition de loi portant modification du Code pénal et visant à dépénaliser l’avortement. Au Nigeria, après plusieurs manifestations de groupes de femmes et d’organisations de la société civile, l’Assemblée nationale ne s’est engagée à réexaminer que trois des cinq textes visant à promouvoir l’égalité des genres contre lesquels elle avait voté. Au Rwanda, le Parlement a rejeté un projet de loi qui visait à autoriser la fourniture de contraceptifs aux personnes de plus de 15 ans.
Personnes LGBTI
Dans de nombreux pays, le harcèlement, les arrestations et les poursuites à l’encontre de personnes LGBTI étaient courants. Au Bénin, après avoir été agressée par des voisins et des chauffeurs de mototaxi, une femme transgenre a été conduite à un poste de police, où elle a été rouée de coups, puis dévêtue et photographiée. Elle a passé trois jours en détention, nue et privée de nourriture, avant d’être libérée sans inculpation. En Zambie, des membres du mouvement homophobe #BanNdevupaNdevu #BanHomosexuality ont organisé une manifestation et utilisé WhatsApp pour appeler à la violence contre les hommes soupçonnés d’être gays et inciter à les tuer. En Ouganda, le Bureau des organisations non gouvernementales, une instance officielle, a ordonné la fermeture de Sexual Minorities Uganda, un groupement d’associations œuvrant pour les droits des personnes LGBTI.
Plusieurs pays ont pris ou envisagé de prendre de nouvelles mesures destinées à ériger en infraction les relations librement consenties entre personnes de même sexe. Au Ghana, une proposition de loi renforçant l’incrimination des personnes LGBTI était toujours en instance au Parlement. En Guinée équatoriale, un projet de loi destiné à encadrer leurs droits était en cours de préparation. Au Sénégal, en revanche, l’Assemblée nationale a rejeté une proposition de loi qui visait à les réprimer pénalement.
Les personnes LGBTI étaient très peu protégées face aux tribunaux nationaux. Au Nigeria, trois hommes gays ont été condamnés à mort par un tribunal islamique à Ningi, dans l’État de Bauchi. En Eswatini, la Haute Cour a confirmé le refus du registre des sociétés d’inscrire en tant qu’organisation le groupe Minorités sexuelles et de genre, qui défendait les droits des personnes LGBTI. En Namibie, la Haute Cour a rejeté des demandes de personnes qui cherchaient à régulariser leur statut migratoire en invoquant leur mariage conclu à l’étranger avec un Namibien ou une Namibienne de même sexe. Au niveau régional, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a refusé d’accorder le statut d’observatrice à trois organisations, manifestement parce que celles-ci œuvraient en faveur des droits des personnes LGBTI.
Personnes atteintes d’albinisme
Cette année encore, des personnes atteintes d’albinisme ont été mutilées ou ont subi d’autres types d’agressions violentes en Afrique de l’Est et en Afrique australe, en raison de fausses croyances sur l’albinisme relevant de la superstition. À Madagascar, le nombre d’agressions violentes a doublé et des enlèvements d’enfants atteints d’albinisme ont été signalés en février et août. En mars, le corps mutilé d’un garçon de six ans a été découvert dans la commune de Berano (district d’Amboasary Atsimo). En Zambie, la tombe vandalisée d’un garçon de 12 ans, dont les mains avaient été coupées, a été découverte en janvier dans le village de Mungwalala (district de Chama, province de l’Est). En juin, dans le district de Mkushi (province du Centre), trois hommes ont tranché l’index d’un garçon de 10 ans.
Les États doivent prendre des mesures immédiates pour protéger la population de la discrimination et des violences. Ils doivent garantir les droits des femmes et des filles à l’égalité et à la non-discrimination et leur permettre de vivre sans subir de violences fondées sur le genre, notamment en veillant à ce que les victimes aient pleinement accès à des soins de santé, y compris sexuels et reproductifs, à un soutien psychologique et à une aide juridique et sociale.
Crise climatique et dégradations de l’environnement
Cette année encore, la région Afrique est celle qui a payé le plus lourd tribut aux conditions météorologiques extrêmes, accentuées par le changement climatique. La Corne de l’Afrique a connu sa pire sécheresse des 40 dernières années, tandis que le sud du continent a subi des précipitations extrêmes. Six tempêtes et cyclones tropicaux ont touché Madagascar entre janvier et avril, faisant plus de 200 morts. Dans la province du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud, l’aménagement du territoire peu satisfaisant et le mauvais entretien des infrastructures par les autorités locales ont aggravé les effets des inondations, qui ont détruit des milliers de logements. En Afrique de l’Ouest, les autorités nigérianes n’ont pas pris de mesures suffisantes pour atténuer les conséquences des inondations, qui ont fait au moins 500 morts et ont touché plus de 1,9 million de personnes dans 25 États. Au Sénégal, la montée du niveau de la mer se traduisait par une érosion côtière constante, mettant en péril des villages et quartiers de pêcheurs, comme celui de Guet Ndar, à Saint-Louis. Les moyens de subsistance s’en trouvaient menacés et des habitant·e·s ont été contraints de se retirer vers l’intérieur des terres.
Le risque de dégradations de l’environnement ou de déplacements de populations imputable à des projets d’extraction ou d’infrastructures prévus ou en cours était toujours élevé dans plusieurs pays. En Namibie, la Haute Cour a rejeté une requête urgente présentée par plusieurs organisations lui demandant d’empêcher une entreprise minière canadienne de poursuivre ses activités de prospection dans les régions de Kavango-Ouest et Kavango-Est. L’Ouganda et la Tanzanie sont restés impliqués dans le projet de construction de l’Oléoduc d’Afrique de l’Est, long de 1 443 kilomètres, dont le tracé traversait des zones d’habitat humain, des réserves naturelles, des terres agricoles et des sources d’eau.
Plusieurs pays ont néanmoins pris de nouvelles mesures pour lutter contre la crise climatique ou les dégradations de l’environnement. En Guinée, le Premier ministre a ordonné à une entreprise minière exploitant des gisements de bauxite et accusée de contamination grave de se mettre en conformité avec les normes internationales en matière de lutte contre la pollution. En Somalie, le gouvernement fédéral a créé un ministère de l’Environnement et du Changement climatique et nommé un envoyé spécial du président chargé de l’action face à la sécheresse. En Afrique du Sud, un projet de loi relatif au changement climatique a été présenté au Parlement, mais d’aucuns craignaient qu’il n’aille pas assez loin pour lutter contre la crise climatique. Au Soudan du Sud, le président, Salva Kiir, a ordonné que toutes les activités de dragage menées dans le pays soient suspendues, en attendant les résultats des évaluations relatives à leur impact sur les populations et les écosystèmes environnants.
Les États doivent prendre des mesures immédiates pour protéger les personnes et les populations contre les risques liés au changement climatique et aux conditions météorologiques extrêmes et leurs conséquences, y compris en faisant appel à la solidarité et à la coopération internationales afin de mener une action suffisante en matière d’adaptation et d’atténuation.