Résumé régional Amériques - Rapport annuel 2022

Trois ans après l’apparition du COVID-19, les Amériques subissaient toujours les effets dévastateurs de la pandémie. Faute d’action efficace des autorités, des millions de personnes étaient privées d’accès aux droits fondamentaux à l’alimentation, à l’eau et à la santé. Les systèmes de santé restaient par ailleurs gravement sous-financés. Dans un contexte de ralentissement économique, les autorités de nombreux pays ont utilisé de manière accrue des méthodes répressives pour étouffer la dissidence et de nombreuses formes de protestation. L’état d’urgence a été imposé dans plusieurs pays, donnant lieu à une série de graves violations des droits humains, notamment des arrestations arbitraires, des procès inéquitables et des homicides illégaux. Dans certains cas, la répression s’est traduite par un recours excessif à la force contre des personnes exerçant leur droit de manifester, par la surveillance et le contrôle illégaux de militant·e·s et par des attaques contre des journalistes. Les populations autochtones, les personnes noires et les autres personnes en butte à la discrimination raciale subissaient toujours des violations des droits humains de manière disproportionnée, notamment pour ce qui est des violences policières et des actes de torture et autres mauvais traitements perpétrés dans les centres de détention pour migrant·e·s. D’importants reculs ont été enregistrés en ce qui concerne les droits sexuels et reproductifs. Dans plusieurs pays, les autorités ont adopté des mesures qui remettaient en cause l’accès à l’avortement et interdisaient une éducation complète à la sexualité. Les violences à l’égard des femmes et des filles demeuraient très répandues et les personnes LGBTI étaient toujours menacées. Dans certains pays, le nombre de personnes transgenres tuées a atteint un niveau sans précédent. Dans plusieurs États, les autorités ont pris des initiatives en vue de traduire en justice certains des responsables des crimes commis dans le passé, mais l’impunité pour les violations graves des droits humains restait le plus souvent solidement ancrée. Les gouvernements n’ont pas respecté leurs engagements en matière de changement climatique. Face à un nombre record de personnes en quête d’un refuge ou d’une vie meilleure à l’étranger, les États ont mis en œuvre des politiques rétrogrades qui portaient atteinte aux droits des personnes réfugiées ou migrantes et contrevenaient au droit international.

Droits économiques, sociaux et culturels

Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté est resté supérieur aux niveaux antérieurs à la pandémie. De nombreux États de la région n’ont rien fait pour lever les obstacles structurels responsables de la crise déclenchée par la pandémie : inégalités socioéconomiques, faibles niveaux d’imposition et de dépenses publiques en matière de santé et manque d’accès aux autres déterminants sociaux de la santé, à savoir la sécurité alimentaire, l’eau potable et les infrastructures de base.

L’inflation a aggravé les difficultés économiques. Selon le Fonds monétaire international (FMI), elle a été particulièrement marquée en Argentine, au Chili, en Colombie, en Haïti, au Honduras, au Nicaragua et au Venezuela. Des millions d’habitant·e·s de la région ne jouissaient pas des droits fondamentaux à l’alimentation, à la santé et à l’eau. Au Brésil, plus de la moitié de la population n’avait pas un accès suffisant et sûr à la nourriture ; les personnes noires et les communautés marginalisées étaient touchées de manière disproportionnée. Au Venezuela, la majorité de la population était en situation d’insécurité alimentaire. Selon les chiffres de la Banque mondiale, ce pays était au troisième rang des États affichant en août les taux d’inflation les plus élevés au monde pour les prix des denrées alimentaires. À Cuba, les pénuries alimentaires ont contraint les gens à faire la queue pendant des heures pour obtenir des produits de base, tandis qu’en Haïti, plus de 40 % de la population était en situation d’urgence alimentaire, dans un contexte de réapparition du choléra. Au premier semestre, 36,5 % de la population argentine vivait dans la pauvreté.

Bien que la pandémie ait mis en évidence la nécessité de réformer en profondeur les systèmes de santé, la plupart des États n’ont pris aucune mesure pour renforcer la protection du droit à la santé. Au Brésil, le Congrès a adopté le plus faible budget de la Santé en 10 ans, ce qui risquait de peser sur l’accès à des soins adéquats et l’approvisionnement en médicaments dans le pays.

Au Guatemala, au Honduras et au Paraguay, entre autres, les dépenses publiques de santé sont restées extrêmement faibles et les services se sont trouvés débordés et dans l’incapacité de couvrir les besoins fondamentaux des populations. Au Chili, une large majorité de citoyen·ne·s a rejeté, en septembre, un projet de constitution qui aurait renforcé la protection des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Des projets de réforme en matière de droits à la santé et de droits sexuels et reproductifs restaient par ailleurs en suspens à la fin de l’année.

Les gouvernements doivent prendre immédiatement des mesures pour faire en sorte que le maximum de ressources disponibles soient utilisées pour garantir le respect de leurs obligations fondamentales minimales en matière de droits économiques, sociaux et culturels.

Détentions arbitraires, homicides illégaux, torture et autres mauvais traitements

Dans de nombreux pays, les autorités ont bafoué cette année encore les droits à la vie, à la liberté, à un procès équitable et à l’intégrité physique des personnes. Ces violations étaient commises le plus souvent lors d’opérations de répression menées par les pouvoirs publics en réponse à des crises politiques ou dans le cadre de l’état d’urgence. Elles pouvaient aussi être liées à des défaillances plus générales des forces de sécurité et des systèmes judiciaires, qui donnaient lieu à des interventions illégales, arbitraires et disproportionnées.

Les cas de recours excessif à la force et d’homicides illégaux imputables aux forces de sécurité étaient monnaie courante dans toute la région. En Argentine, au Brésil, en Colombie, aux États-Unis, au Mexique, en République dominicaine et au Venezuela, les quartiers à faibles revenus et racisés étaient particulièrement concernés. Au Venezuela, les forces de sécurité auraient procédé à 488 exécutions extrajudiciaires dans diverses régions du pays entre janvier et septembre. Au Brésil, des dizaines de personnes sont mortes lors d’opérations de police.

La détention arbitraire restait une pratique très répandue en Colombie, à Cuba, en Équateur, au Mexique, au Nicaragua, au Salvador et au Venezuela. Les personnes détenues étaient souvent torturées ou maltraitées et, dans certains cas, soumises à une disparition forcée. En mars, les autorités salvadoriennes ont décrété l’état d’urgence en réponse à une forte augmentation des homicides attribués à des bandes armées. Cette mesure a donné lieu à des violations massives des droits humains, plus de 60 000 arrestations et un grand nombre de procès inéquitables. En Équateur, au moins 146 personnes privées de liberté ont été tuées dans un contexte de crise du système carcéral. En Équateur et au Mexique, les organes administratifs, judiciaires et législatifs ont adopté des décisions visant à étendre la mission des forces armées à des tâches de sécurité publique.

Répression de la dissidence et de la liberté d’expression

Dans plusieurs pays, des organisations sociales et des militant·e·s sont descendus dans la rue pour réclamer la concrétisation de droits économiques et sociaux fondamentaux, la fin des violences liées au genre, la remise en liberté de personnes injustement détenues et le respect de l’environnement. Dans bien des cas, les autorités sont intervenues en faisant usage d’une force inutile et excessive. En Équateur, six personnes au moins sont mortes après que les organes de sécurité eurent déployé une force excessive lors de manifestations de populations autochtones sur des questions sociales et environnementales. En Colombie, un dirigeant indigène a été tué par balle dans le contexte d’un mouvement de protestation lié à l’environnement et un manifestant a été blessé à l’œil après avoir été touché par un projectile lors d’une autre manifestation, à Bogotá, la capitale. Au Pérou, au moins trois personnes sont mortes au premier semestre à la suite de l’intervention de la police nationale dans des manifestations ; et 22 autres au moins ont été tuées lors des mouvements de protestation dont le pays a été le théâtre au cours des dernières semaines de l’année, dans le contexte de la crise politique qui a suivi la destitution du président Pedro Castillo en décembre.

En Bolivie, les forces de l’ordre ont violemment réprimé des manifestations de producteurs et productrices de feuilles de coca qui protestaient contre les mesures prises pour éradiquer leurs cultures. Certains des contestataires ont été arrêtés arbitrairement. Aux États-Unis, plus de 75 personnes ont été arrêtées après avoir participé à des manifestations en réaction à la mort de Jayland Walker, un homme noir tué en juin à Akron, dans l’Ohio, par des tirs de policiers qui l’ont atteint 46 fois. Au Mexique, le gouvernement a continué de stigmatiser les féministes et les défenseur·e·s des droits humains qui dénonçaient son inaction face aux violences fondées sur le genre. Dans certains États du pays, les forces de sécurité n’ont pas hésité à frapper violemment des manifestant·e·s et à procéder à des arrestations arbitraires. À Porto Rico et à Cuba, plusieurs cas de recours excessif à la force par la police lors de manifestations liées aux coupures d’électricité et à d’autres urgences sociales surgies après le passage de l’ouragan Ian ont été signalés.

Au Nicaragua, les autorités ont révoqué le statut juridique d’un millier d’organisations au cours de l’année, fermé au moins 12 universités, emprisonné des journalistes et harcelé des militant·e·s et des opposant·e·s politiques. Au Venezuela, les services du renseignement et d’autres forces de sécurité ont continué, avec l’assentiment du système judiciaire, de détenir arbitrairement et de soumettre à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements des hommes et des femmes considérés comme des opposant·e·s au gouvernement.

Des défenseur·e·s des droits humains ont été tués en raison de leurs activités en Bolivie, au Brésil, en Colombie, au Guatemala, au Honduras, au Mexique, au Pérou et au Venezuela.

Certain·e·s ont aussi été la cible de menaces, d’actes de harcèlement, de poursuites judiciaires ou d’arrestations arbitraires, notamment en Bolivie, au Brésil, au Chili, en Colombie, à Cuba, en Équateur, au Guatemala, au Honduras, au Mexique, au Nicaragua, au Paraguay, au Pérou, au Salvador et au Venezuela. En Colombie, au moins 189 personnalités de la société civile et défenseur·e·s des droits humains ont été tués au cours de l’année. Au Venezuela, 396 défenseur·e·s des droits humains au moins ont subi des menaces, des manœuvres de harcèlement et des actes de stigmatisation. Au Nicaragua, des dizaines de dissident·e·s et de personnes qui critiquaient le régime ont été traduits en justice dans le cadre de procédures qui ne respectaient pas les garanties juridiques fondamentales. Au Paraguay, plusieurs militant·e·s qui avaient participé à des manifestations contre les politiques publiques en matière de santé étaient toujours sous le coup d’accusations forgées de toutes pièces. Au Guatemala, des juges, des procureur·e·s, des défenseur·e·s des droits humains et des manifestant·e·s ont fait l’objet de poursuites pénales infondées. En Bolivie, enfin, les défenseur·e·s des droits humains risquaient d’être poursuivis pour avoir critiqué le gouvernement.

La liberté de la presse restait menacée dans toute la région. Des journalistes ont été tués en Colombie, en Haïti, au Mexique et au Venezuela. Avec au moins 13 journalistes tués, le Mexique a connu son année la plus meurtrière pour la presse. Au Nicaragua et au Venezuela, des médias ont été arbitrairement fermés. Au Guatemala, les journalistes qui enquêtaient sur des affaires de corruption et d’impunité faisaient souvent l’objet de plaintes infondées et de campagnes de diffamation, tandis qu’au Salvador, des dizaines de journalistes ont été agressés.

Les informations recueillies ont permis d’établir que le logiciel espion Pegasus avait été utilisé au Mexique et au Salvador pour surveiller illégalement des militant·e·s et des journalistes.

Les autorités ont également eu recours à des lois rédigées en des termes vagues et excessivement larges pour faire taire les personnes qui exprimaient des critiques. Au Salvador, une modification du Code pénal a été adoptée, qui rendait passible de 10 à 15 ans d’emprisonnement le fait de susciter de l’« angoisse » ou de la « panique » en publiant des informations sur les activités des bandes armées. Au Nicaragua, la Loi générale sur la réglementation et le contrôle des organisations à but non lucratif était le dernier en date d’une série de textes législatifs adoptés depuis la répression de 2018 qui affaiblissaient les organisations de la société civile. À Cuba, le nouveau Code pénal entré en vigueur en décembre risquait d’entériner des restrictions existant depuis longtemps sur le terrain de la liberté d’expression et de réunion pacifique. En Argentine, le gouvernement de la province de Jujuy a présenté un projet de loi visant à modifier la Constitution provinciale de manière à limiter les manifestations en interdisant les barrages routiers et l’« usurpation de l’espace public ».

Les gouvernements doivent respecter et protéger les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique et en faciliter l’exercice. Ils doivent notamment faire en sorte que les journalistes, les défenseur·e·s des droits humains et les personnes considérées comme des opposant·e·s politiques puissent mener à bien leur travail et jouir de leurs droits dans un environnement sûr et favorable, sans subir de harcèlement ni de violences et sans être soumis à une surveillance illégale.

Les gouvernements doivent veiller à ce que les citoyen·ne·s puissent exercer leur droit de manifester pacifiquement et à ce que les services de sécurité n’emploient la force que lorsque cela est nécessaire, de façon proportionnée et dans le respect de la loi.

Droits sexuels et reproductifs

Dans plusieurs pays de la région, les autorités ont pris des mesures portant gravement atteinte aux droits sexuels et reproductifs. Au Salvador, l’avortement demeurait totalement interdit. Deux femmes au moins étaient toujours incarcérées pour des faits liés à des urgences obstétriques, dont l’une purgeait une peine de 50 ans d’emprisonnement, la sanction maximale prévue en pareilles circonstances. En République dominicaine, le Congrès n’avait toujours pas remis à l’ordre du jour une réforme du Code pénal prévoyant la dépénalisation de l’avortement.

En juin, la Cour suprême des États-Unis a mis fin aux protections fédérales du droit à l’interruption de grossesse en cassant l’arrêt Roe c. Wade, revenant ainsi sur près de 50 années de jurisprudence. À la suite de cette décision, les corps législatifs de plusieurs États des États-Unis ont adopté des lois interdisant ou limitant l’accès à l’avortement. Dans plusieurs autres en revanche, la population s’est massivement prononcée en faveur de la protection de ce droit. À Porto Rico, cinq propositions de loi visant à restreindre l’accès à l’avortement ont été rejetées. Au Pérou, une proposition de loi a été soumise au Congrès, qui, si elle était adoptée, remettrait en cause l’accès à l’interruption de grossesse. En Argentine, malgré la loi de 2020 dépénalisant l’avortement, qui autorisait celui-ci dans les 14 premières semaines de grossesse, d’importants obstacles persistaient dans l’accès aux services d’interruption volontaire de grossesse.

Des progrès ont cependant été enregistrés dans le domaine des droits sexuels et reproductifs. La Cour constitutionnelle de Colombie a rendu en février un arrêt par lequel elle a dépénalisé l’avortement pratiqué dans les 24 premières semaines de grossesse. Au Mexique, quatre nouveaux États ont dépénalisé l’avortement, portant à 11 sur 32 le nombre d’États dans lesquels l’interruption volontaire de grossesse était désormais légale. En Équateur, le président a promulgué une loi dépénalisant l’avortement en cas de viol. Le texte contenait néanmoins certains éléments restrictifs qui limitaient les droits reproductifs.

Dans plusieurs pays, les autorités ne protégeaient pas le droit à une éducation complète à la sexualité. Dans la province argentine du Chaco, au Paraguay, au Pérou et dans plusieurs États des États-Unis, les autorités ont réduit cette année encore l’éducation en matière de sexualité et de diversité de genre dispensée dans les établissements d’enseignement.

Les gouvernements doivent garantir l’accès aux droits sexuels et reproductifs, notamment l’accès à des services d’avortement sûrs.

Violences et discrimination à l’égard des femmes, des filles et des personnes LGBTI

Dans un certain nombre de pays, les autorités ont failli à leur obligation de protection des femmes et des filles contre les violences liées au genre et n’ont pas pris de mesures pour remédier à l’impunité des responsables de ces crimes. En Argentine, 233 homicides fondés sur le genre (féminicides) ont été enregistrés, selon des chiffres avancés par des ONG, dont 91 % dans un cadre domestique. Au Mexique, 858 féminicides (favorisés par l’impunité et dont les structures étatiques et juridiques portaient donc la responsabilité) ont été recensés entre janvier et novembre. Au Venezuela, les organisations locales ont signalé un total de 199 féminicides entre janvier et septembre. En Uruguay, un observatoire mis en place par la société civile a enregistré une augmentation des féminicides par rapport à l’année précédente, tandis qu’au Pérou 124 homicides de ce type ont été dénombrés.

Le Congrès des États-Unis a voté et le président Joe Biden a promulgué la remise en vigueur de la Loi relative à la violence contre les femmes, principal mécanisme de financement de la lutte contre les violences faites aux femmes et de la prévention en la matière.

Les personnes LGBTI risquaient toujours d’être victimes d’homicides ou d’agressions, de faire l’objet de discriminations ou d’être visées par des menaces. Dans plusieurs pays de la région, les personnes transgenres se heurtaient en outre à des obstacles pour faire reconnaître leur genre à l’état civil. Le risque de se faire tuer était particulièrement élevé pour ces personnes au Brésil, en Colombie, au Guatemala, au Honduras et au Mexique. Des données publiées en janvier ont montré que le Brésil était, pour la 13e année consécutive, le pays du monde où le plus grand nombre d’homicides de personnes transgenres étaient commis. Pour la première fois dans l’histoire brésilienne, cependant, deux femmes transgenres ont été élues au Congrès fédéral.

Plusieurs dispositions législatives concernant les droits des personnes LGBTI ont été adoptées au cours de l’année. Dans un arrêt qui fera jurisprudence dans les affaires liées à la diversité de genre, la Cour constitutionnelle colombienne a reconnu la légitimité d’un marqueur de genre non binaire sur les papiers d’identité. À Cuba, un nouveau Code de la famille ouvrant aux couples de même sexe la possibilité de se marier et d’adopter des enfants a été approuvé par référendum en septembre. Au Mexique, l’État du Tamaulipas a légalisé en octobre le mariage entre personnes de même sexe, qui était dès lors autorisé dans l’ensemble du pays. Aux États-Unis, la Loi sur le respect du mariage, qui garantissait une certaine protection fédérale des unions entre personnes de même sexe, a été adoptée en décembre. En revanche, la Commission portoricaine des droits humains et du travail a abandonné, en mai, des propositions de loi visant à établir une Charte des droits des personnes LGBTI.

Les gouvernements de toute la région doivent prendre sans attendre des mesures en vue de prévenir les féminicides et les homicides de personnes LGBTI, traduire en justice les responsables présumés de ces crimes et faire en sorte que des garanties soient en place pour que de tels actes ne se reproduisent pas.

Discrimination à l’égard des peuples autochtones et des personnes noires

Les personnes traditionnellement en butte à la discrimination raciale continuaient de subir des violations des droits humains de manière disproportionnée. Des personnalités autochtones ont été tuées dans le cadre de conflits fonciers au Brésil, en Colombie, en Équateur et au Mexique. En Colombie, des responsables et des militant·e·s indigènes ont été attaqués et tués. Dans les zones où des groupes armés d’opposition étaient toujours actifs, des communautés autochtones et afro-colombiennes ont été déplacées de force. Certaines d’entre elles se sont ainsi retrouvées en situation de crise humanitaire. Au Paraguay, les autorités n’ont pas pris les mesures adéquates lorsque des populations autochtones ont été expulsées de leurs terres. Au Nicaragua, des personnes indigènes ont été déplacées de force et ont été soumises à des violences par des individus armés.

Dans plusieurs pays, notamment l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Paraguay, le Pérou et le Venezuela, le gouvernement a mis en œuvre de grands projets d’extraction, d’agriculture et d’infrastructures sans avoir obtenu le consentement préalable, libre et éclairé des populations indigènes concernées. En Argentine, les peuples autochtones ont continué de se heurter à d’importantes difficultés en matière d’accès aux droits fonciers collectifs. En Équateur, des responsables et des militant·e·s indigènes ont cette année encore été la cible d’assassinats et de menaces. Aucune réparation n’avait encore été accordée aux populations autochtones d’Amazonie équatorienne qui ont été touchées en janvier par un important déversement d’hydrocarbures, et qui attendaient déjà une indemnisation pour un incident similaire survenu en 2020.

Aux États-Unis, les femmes autochtones continuaient d’être victimes de manière disproportionnée de viols et de violences sexuelles et n’avaient pas accès aux dispositifs de prise en charge de base en cas de viol. Les taux de disparitions et d’homicides restaient également très élevés parmi cette catégorie de population. Au Canada, les femmes autochtones de plusieurs Premières nations et de communautés inuites du Québec ont fait état de stérilisations forcées et d’autres violences obstétriques.

Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a officiellement reconnu le rôle de l’Église catholique et du gouvernement de son pays dans la création, la gestion et le fonctionnement des pensionnats autochtones, et en octobre la Chambre des communes a qualifié à l’unanimité de génocide les effets de ce système.

Les personnes noires ont continué d’être touchées de manière disproportionnée par la violence d’État dans plusieurs pays de la région. Au Brésil, plusieurs opérations de police ont donné lieu à de multiples homicides, comme celle qui s’est déroulée en mai dans le quartier de Vila Cruzeiro, à Rio de Janeiro, au cours de laquelle 23 personnes ont trouvé la mort. Il ressortait des données recueillies par des organisations de la société civile que 84 % des personnes tuées par la police au Brésil étaient noires. De même, les chiffres des homicides commis par la police à Porto Rico montraient que les personnes vivant dans les quartiers métissés à faibles revenus avaient plus de risque d’être tuées par la police que celles vivant dans les quartiers majoritairement blancs à faibles revenus. Aux États-Unis, les autorités ont soumis des demandeurs et demandeuses d’asile haïtiens noirs à une détention arbitraire et à des traitements discriminatoires et humiliants qui étaient constitutifs d’actes de torture fondés sur l’appartenance raciale. Toujours aux États-Unis, les rares données publiques disponibles indiquaient que le recours à la force meurtrière par la police touchait les personnes noires de manière disproportionnée. Le Sénat des États-Unis n’avait pas encore examiné la proposition de loi George Floyd relative à la justice dans le maintien de l’ordre. Ce texte, qui couvrait un grand nombre de mesures et de problématiques concernant les pratiques de maintien de l’ordre et l’obligation de rendre des comptes au sein des forces de sécurité, avait été adopté par la Chambre des représentants en 2021. Au Canada, les services de police de Toronto ont fait état d’un usage disproportionné de la force et des fouilles au corps contre les groupes racisés, en particulier les personnes noires.

Les autorités doivent respecter le droit à l’autodétermination des peuples autochtones et veiller à ce que tout projet envisagé sur leur territoire soit soumis à l’obtention préalable de leur consentement, donné librement et en toute connaissance de cause. Les homicides commis sur des personnes autochtones doivent faire l’objet dans les meilleurs délais d’une enquête impartiale et efficace.

Les autorités doivent prendre des mesures concrètes pour mettre fin au racisme systémique dans les opérations de police et les systèmes d’immigration et concevoir des mécanismes de collecte de données ventilées par caractéristiques raciales, avec la participation pleine et effective des communautés concernées.

Impunité et obligation de rendre des comptes

Dans plusieurs pays, les autorités ont réalisé des progrès importants – quoique limités – en ce qui concerne l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains commises au cours des décennies précédentes, notamment les crimes de droit international. Dans la plupart des États en revanche, les personnes soupçonnées d’être responsables de crimes de ce type et d’autres violations graves des droits humains perpétrés plus récemment n’étaient pas poursuivies. La culture de l’impunité demeurait le plus souvent profondément enracinée dans les systèmes judiciaires de la région.

En Argentine, en Bolivie, au Chili, en Colombie, au Guatemala et en Uruguay, les autorités ont progressé dans les enquêtes ou les poursuites engagées dans des cas de violations des droits humains commises sous les régimes militaires ou pendant des conflits armés internes. En Colombie, la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) a inculpé des dizaines d’anciens membres de l’armée.

Au Salvador, en revanche, les autorités n’ont pas véritablement avancé sur la question des poursuites judiciaires contre les personnes accusées d’avoir commis des crimes et des violations des droits humains pendant le conflit armé qu’a connu le pays entre 1980 et 1992. Aux États-Unis, personne n’a été traduit en justice en lien avec le programme de détention secrète géré par la CIA, qui, entre 2001 et 2009, a donné lieu à de nombreuses violations des droits humains, notamment des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Au Guatemala, les autorités n’ont pas protégé les juges et les procureur·e·s qui travaillaient sur des affaires liées au conflit armé interne (1960-1996) contre d’incessants actes d’intimidation, manœuvres de harcèlement et poursuites pénales infondées.

En Bolivie, au Chili, en Colombie, au Honduras, au Nicaragua et au Venezuela, l’impunité a persisté pour les violations des droits humains commises par les autorités lors de manifestations violemment réprimées entre 2017 et 2021. Au Mexique, plus de 109 000 personnes au total étaient portées disparues ou avaient été soumises à une disparition forcée depuis les années 1960, dont plus de 90 000 depuis 2006.

La mission d’établissement des faits sur le Venezuela instaurée par l’ONU a recueilli des informations mettant en évidence une manipulation du système judiciaire en vue de soustraire à la justice les policiers et les militaires responsables de violations des droits humains. Elle a aussi identifié la chaîne de commandement, qui reliait directement les auteurs présumés de ces actes au gouvernement de Nicolás Maduro. Le Bureau du procureur de la CPI a ouvert une enquête sur des crimes contre l’humanité qui auraient été commis au Venezuela. Il s’agissait de la première procédure de ce type visant une situation dans la région.

Au Chili, des personnes accusées d’avoir commis certaines infractions pendant les manifestations massives de 2019 se trouvaient toujours derrière les barreaux. Certaines étaient mises en cause sur la base de charges fallacieuses. Par ailleurs, les pouvoirs publics ont déclaré qu’ils allaient mettre en place un nouveau programme visant à indemniser les plus de 400 personnes ayant subi des traumatismes oculaires pendant les manifestations. Au Nicaragua, 225 personnes étaient toujours incarcérées à la fin de l’année pour des motifs liés à la crise des droits humains qui a débuté en 2018.

Au Brésil, le procureur général a demandé au Tribunal suprême fédéral de classer sept des 10 enquêtes ouvertes contre le président, Jair Bolsonaro, à la suite du rapport d’une commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la pandémie de COVID-19 par le gouvernement, qui avait recommandé d’inculper le chef de l’État de charlatanisme, de prévarication et de crimes contre l’humanité. Les homicides illégaux perpétrés par les forces de sécurité et les fonctionnaires de police brésiliens restaient largement impunis.

Les prisons chiliennes, équatoriennes, salvadoriennes, uruguayennes et vénézuéliennes étaient toujours en proie à une surpopulation chronique.

Trente-cinq musulmans restaient incarcérés arbitrairement et pour une durée indéterminée par l’armée des États-Unis au centre de détention de la base navale américaine de Guantánamo, à Cuba, en violation du droit international.

Les autorités doivent s’attaquer au problème de l’impunité et mener des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces sur tous les crimes de droit international et autres violations des droits humains commis aujourd’hui et dans le passé. Elles doivent engager des poursuites contre les responsables présumés de crimes de droit international et garantir justice, vérité et réparations aux victimes.

Lutte contre la crise climatique et dégradations de l’environnement

Les gouvernements n’ont pas mis en œuvre les mesures suffisantes face à l’ampleur de la crise climatique. Par ailleurs, des militant·e·s et des personnes autochtones impliquées dans la protection de l’environnement ont été attaqués en raison de leurs activités de lutte contre cette crise. De nombreux pays de la région se disaient favorables à la réduction des émissions mondiales, mais ne mettaient pas leurs actes en adéquation avec leurs discours. Global Witness a indiqué dans son rapport 2022 que les trois quarts des homicides de défenseur·e·s des droits fonciers et environnementaux commis en 2021 avaient eu lieu en Amérique latine. De tels homicides ont été recensés en Argentine, en Bolivie, au Brésil, en Colombie, en Équateur, au Guatemala, au Honduras, au Mexique, au Nicaragua, au Pérou et au Venezuela.

L’Amérique latine restait, avec l’Afrique, l’une des régions où le taux de perte nette de la couverture forestière naturelle était le plus élevé, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le taux de déforestation en Amazonie brésilienne a atteint entre janvier et octobre son plus haut niveau depuis 2015. En Bolivie, bien que les autorités se soient engagées à maintenir la couverture forestière et à lutter contre la déforestation illégale, plus d’un million d’hectares de terres ont été brûlés, la plupart du temps pour permettre l’extension d’activités agricoles.

Plusieurs gouvernements ont pris des engagements et adopté des lois en matière de changement climatique, mais aucune de ces initiatives n’était à la hauteur de l’ampleur de la crise à venir. Ni le Canada ni les États-Unis n’ont revu à la hausse leurs objectifs de réduction des émissions pour 2030 lors de la 27e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP27), en novembre.

Le Congrès des États-Unis a adopté le premier ensemble de mesures législatives en matière de changement climatique de l’histoire du pays. Il a en revanche rétabli les ventes de concessions de pétrole et de gaz sur des terres fédérales et dans le golfe du Mexique que le gouvernement de Joe Biden avait tenté d’annuler, obligeant l’administration à organiser de nouvelles ventes aux enchères de concessions ; celles-ci ont commencé en septembre.

Au Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, élu à la présidence en octobre, a annoncé son intention de protéger les biomes du pays, en particulier l’Amazonie, une région que les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ont déclarée très vulnérable à la sécheresse et aux températures élevées. Alors que le président colombien, Gustavo Petro, a annoncé lors de la COP27 un plan de transition énergétique axé sur les sources d’énergie renouvelables non conventionnelles, des organisations telles que Nación Wayuu et l’Institut d’études pour le développement et la paix (INDEPAZ) ont dénoncé des violations du droit des populations autochtones d’être consultées préalablement afin de pouvoir donner un consentement libre et éclairé sur la mise en place de plusieurs parcs éoliens dans le département de La Guajira.

Les autorités de la région n’ont pas respecté les engagements pris auparavant en tant que parties à l’Accord de Paris et, pour certaines, ont apporté un soutien actif à des projets d’exploitation de combustibles fossiles. Les autorités brésiliennes ont soumis une contribution déterminée au niveau national (CDN) insuffisante au regard de l’influence du pays sur le changement climatique. Au 1er juillet, l’organisme Exportation et développement Canada avait versé 3,4 milliards de dollars canadiens (2,5 milliards de dollars des États-Unis) au secteur pétrolier et gazier au Canada et à l’étranger. Le pays a lancé parallèlement un plan visant à mettre fin progressivement au financement public de nouveaux projets liés aux énergies fossiles.

Les autorités doivent prendre d’urgence des mesures pour réduire leurs émissions de carbone, cesser de financer des projets d’exploitation d’énergies fossiles et faire en sorte que les politiques publiques relatives à l’environnement assurent la protection des populations autochtones et des défenseur·e·s des droits humains. Les pays les plus riches de la région doivent en outre augmenter de toute urgence le financement climatique à destination des pays à faibles revenus et s’engager à fournir des fonds dédiés supplémentaires pour compenser les pertes et dommages subis.

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Dans le contexte des graves crises humanitaires et des droits humains qui touchaient la région, le nombre de personnes qui ont quitté leur pays en quête d’une protection s’est fortement accru. L’UNICEF a déclaré en juin que plus de 5 000 mineur·e·s avaient traversé le « bouchon du Darién » entre la Colombie et le Panama depuis le début de l’année, soit le double du nombre recensé pour la même période en 2021. La Plateforme de coordination pour les personnes réfugiées ou migrantes du Venezuela estimait à la fin de l’année que 7,13 millions de Vénézuéliennes et Vénézuéliens au total avaient quitté leur pays, dont 84 % avaient cherché refuge dans 17 pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Le nombre de personnes fuyant Cuba et Haïti, en forte hausse par rapport aux années précédentes, est venu s’ajouter au flux constant d’hommes et de femmes qui quittaient le Venezuela et les pays d’Amérique centrale. L’absence de système solide de protection internationale laissait toujours sans protection un certain nombre de réfugié·e·s et de migrant·e·s en Argentine, au Canada, au Chili, en Colombie, aux États-Unis, au Mexique, au Pérou et à Trinité-et-Tobago.

Aux États-Unis, des juridictions fédérales ont confirmé l’application des Protocoles de protection des migrants et des dispositions du chapitre 42 du Code des États-Unis, causant un tort irréparable à des dizaines de milliers de demandeurs et demandeuses d’asile expulsés vers le Mexique, où ils étaient exposés à une situation dangereuse. Les autorités mexicaines ont continué de collaborer avec leurs homologues américaines pour mettre en œuvre ces politiques bafouant le principe de « non-refoulement ». Les autorités des États-Unis ont perpétué le système de détention arbitraire généralisée des personnes migrantes et octroyé des financements pour la détention de 34 000 personnes par jour en 2022. Entre septembre 2021 et mai 2022, les États-Unis ont expulsé plus de 25 000 Haïtiennes et Haïtiens sans respecter les garanties d’une procédure régulière, en violation du droit national et international. Les autorités mexicaines ont placé en détention au moins 281 149 personnes dans les centres surpeuplés des services de l’immigration et expulsé au moins 98 299 personnes, venant principalement d’Amérique centrale, dont des milliers de mineur·e·s non accompagnés.

Trinité-et-Tobago restait l’un des quelques pays du continent américain qui ne disposaient d’aucune loi nationale sur l’asile. Les Nations unies ont exprimé leurs vives inquiétudes concernant certaines pratiques des autorités, qui soumettaient les demandeurs et demandeuses d’asile vénézuéliens à des renvois forcés illégaux (pushbacks), des expulsions et des placements en détention dans des conditions inhumaines. Par ailleurs, les réfugiées vénézuéliennes ont continué de subir des violences et des discriminations fondées sur le genre en Colombie, en Équateur, au Pérou, à Trinité-et-Tobago et peut-être dans d’autres pays, où les autorités ne garantissaient pas leurs droits de ne pas être soumises à la violence et à des discriminations. Au Pérou, le système de traitement des demandes d’asile n’avait toujours pas été réactivé.

Au Chili, les autorités ont repris les expulsions immédiates de personnes étrangères sans évaluer leur besoin de protection internationale ni les risques auxquels elles s’exposaient en cas de renvoi forcé. En Argentine, les autorités n’ont pas adopté de réglementation pour améliorer l’accès des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées à des droits fondamentaux tels que l’éducation, le travail ou les soins de santé.

Les autorités doivent de toute urgence mettre un terme aux expulsions illégales, s’abstenir de placer en détention les personnes réfugié·e·s ou migrantes et répondre à leur besoin de protection internationale.

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit