Les travailleuses et travailleurs migrants, y compris les employé·e·s de maison, continuaient malgré les réformes d’être victimes de nombreuses atteintes à leurs droits, notamment de vol de salaires, de travail forcé, d’exploitation et de violences. Les autorités ont réprimé la liberté d’expression pour réduire les voix critiques au silence. Les femmes étaient toujours en butte à des discriminations, dans la législation et dans la pratique. L’autorisation d’un tuteur de sexe masculin leur était nécessaire pour faire des études, voyager ou se marier. La législation contenait toujours des dispositions discriminatoires envers les personnes LGBTI, les exposant au risque d’être arrêtées et torturées.
Contexte
Du 20 novembre au 18 décembre, le Qatar a accueilli la Coupe du monde de football organisée par la Fédération internationale de football (FIFA).
En novembre, le Parlement européen a appelé la FIFA, organe de gouvernance international du football, et le Qatar à indemniser les travailleuses et travailleurs migrants et à étendre le champ d’application du Fonds qatarien d’assistance et d’assurance des travailleuses et travailleurs afin qu’il couvre tous les décès et les autres atteintes aux droits humains en lien avec les préparatifs de la Coupe du monde.
Droits des personnes migrantes
En dépit des efforts du gouvernement pour réformer l’organisation du travail dans le pays, des milliers de travailleuses et travailleurs migrants continuaient d’être victimes d’atteintes dans le cadre de leur emploi.
En août, le gouvernement a déclaré que, depuis octobre 2020, à la suite d’une réforme de la législation, plus de 300 000 travailleuses et travailleurs migrants avaient été autorisés à changer d’emploi sans avoir à demander l’autorisation de leur employeur ou employeuse. Néanmoins, certaines travailleuses et certains travailleurs migrants ayant fait une demande de changement d’emploi étaient toujours confrontés à des obstacles ou à des mesures de représailles de la part de leurs employeurs ou employeuses, notamment des accusations de « délit de fuite » ou des révocations de leur permis de résidence.
Malgré les tentatives du gouvernement pour trouver une solution au problème du non-versement des salaires, notamment par le renforcement du système de contrôle et la mise en place de comités de travail et d’un fonds visant à accélérer les versements, les travailleuses et travailleurs migrants se voyaient régulièrement voler leur salaire par leurs employeurs ou employeuses. En août, des centaines de travailleurs ont manifesté à Doha, la capitale, contre leurs employeurs, qui leur devaient jusqu’à six mois de salaire. Après avoir fait l’objet d’arrestations en masse le même mois, des centaines d’entre eux ont finalement reçu leurs arriérés, avant d’être expulsés vers leurs pays d’origine. Après des années de fonctionnement lacunaire, le fonds public d’indemnisation aurait versé entre octobre 2020 et septembre 2022 plus de 320 millions de dollars des États-Unis de salaires et de primes impayés. Cependant, nombre de travailleurs·euses qui avaient droit à un versement n’ont rien touché ou n’ont reçu qu’une indemnisation plafonnée.
Les autorités n’enquêtaient toujours pas dûment sur les décès de travailleuses et travailleurs migrants et elles n’obligeaient ni les employeurs·euses ni les pouvoirs publics à rendre des comptes pour ces morts. Cela empêchait d’établir si les décès étaient liés au travail et privait les familles de la possibilité d’être indemnisées par l’employeur·euse ou par les autorités.
Dans le secteur des travaux domestiques, qui employait en majorité des femmes, les travailleuses continuaient d’être exposées aux pires conditions de travail et atteintes, notamment à des agressions verbales, physiques et sexuelles. Les autorités n’ont pas mis en application les mesures introduites en 2017 pour les protéger contre les atteintes dont elles étaient victimes au travail. Les travailleuses domestiques parvenant à échapper à un·e employeur·euse abusif n’avaient pas accès à des refuges sûrs. En octobre, le gouvernement a rouvert le Foyer de soin qatarien pour les victimes de la traite des personnes, qui était resté fermé depuis le début de la pandémie de COVID-19. Si le foyer offrait aux femmes victimes de la traite un refuge plus que nécessaire sur la base de recommandations, il ne semblait pas accessible à celles qui s’y présentaient de leur propre initiative.
Les autorités interdisaient toujours aux travailleuses et travailleurs migrants de monter et rejoindre des syndicats, un droit pourtant accordé aux ressortissant·e·s qatariens.
Nombre de ces travailleuses et travailleurs étaient confrontés à des discriminations fondées sur l’origine ethnique, la nationalité et la langue. Par exemple, d’après des agents de sécurité avec qui Amnesty International s’est entretenue, la direction des sociétés qui les employaient traitait leurs employés différemment en fonction de leur nationalité, de leur origine ethnique et de leur langue, notamment en ce qui concernait la rémunération, les conditions de travail et les lieux d’affectation.
Travail forcé et autres atteintes aux droits humains
Le travail forcé et d’autres atteintes étaient toujours monnaie courante dans le pays, en particulier dans le secteur du travail domestique et dans celui de la sécurité privée.
Amnesty International a recueilli des informations sur les conditions de travail des travailleuses et travailleurs migrants dans l’ensemble du secteur qatarien de la sécurité privée, notamment auprès des gardes déployés dans les stades de la Coupe du monde et lors d’autres compétitions sportives. Les gardes interrogés ont évoqué le large éventail d’atteintes auxquelles ils étaient confrontés, notamment des journées de travail excessivement longues, le non-respect des jours de repos, des sanctions financières arbitraires ou disproportionnées ainsi que des heures supplémentaires sous-payées ; autant de conditions qui s’apparentaient à du travail forcé.
Beaucoup ont aussi mis l’accent sur le danger auquel leurs conditions de travail les exposaient lorsqu’ils étaient déployés à l’extérieur, dans la chaleur brûlante, pendant des heures. Après quoi, ils regagnaient des logements fournis par l’entreprise, souvent insalubres et offrant des conditions de vie médiocres, où ils dormaient la plupart du temps sur des lits superposés, dans des chambres surpeuplées. Les travailleuses et travailleurs ont tous décrit les effets délétères de ces traitements, qui entraînaient notamment un épuisement physique et mental, de la souffrance et de l’angoisse. En août, le Bureau des communications gouvernementales du Qatar a indiqué à Amnesty International qu’il avait recensé 230 cas d’« atteintes relatives à des heures de travail excessives » entre octobre 2021 et août 2022.
Liberté d’expression et de réunion
Les autorités ont continué de restreindre la liberté d’expression au moyen de lois abusives visant à réprimer les voix dissidentes.
Le 10 mai, le tribunal pénal de première instance a condamné à la réclusion à perpétuité deux frères, les avocats Hazza et Rashed bin Ali Abu Shurayda al Marri, déclarés coupables d’avoir contesté des lois ratifiées par l’émir, « menacé » celui-ci sur les réseaux sociaux, compromis l’indépendance de l’État, organisé des réunions publiques non autorisées et « porté atteinte » aux valeurs sociales sur Internet. Deux autres hommes ont été condamnés par contumace sur la base des mêmes accusations, l’un à la réclusion à perpétuité et l’autre à 15 ans de réclusion.
Les autorités ont continué de réprimer la liberté de la presse en imposant des restrictions aux diffuseurs, notamment en interdisant de filmer dans certains lieux tels que les bâtiments gouvernementaux, les hôpitaux, les universités, les centres d’hébergement pour travailleuses et travailleurs migrants et les logements privés.
Pendant la Coupe du monde de football, les supporters qui ont affiché leur soutien au soulèvement populaire en Iran ont été harcelés par les forces de sécurité. On leur a notamment confisqué leurs drapeaux et leurs banderoles.
Droits des femmes
Les femmes étaient toujours en butte à des discriminations, dans la législation et dans la pratique. En vertu du système de tutelle masculine, elles étaient toujours tenues d’obtenir la permission d’un tuteur, généralement leur mari, père, frère, grand-père ou oncle, pour se marier, étudier à l’étranger avec une bourse d’État, occuper de nombreux postes de la fonction publique, voyager à l’étranger (si elles avaient moins de 25 ans) et accéder à des soins de santé reproductive.
Le droit de la famille était discriminatoire à l’égard des femmes. Il était en particulier beaucoup plus difficile de demander le divorce en tant que femme, et les femmes qui le faisaient, ou dont le mari s’en allait, étaient fortement pénalisées du point de vue économique.
En dépit des dispositions de la Loi relative à la famille, selon lesquelles les femmes avaient le droit de ne pas être maltraitées physiquement par leur mari, elles n’étaient toujours pas correctement protégées contre les violences familiales commises par d’autres proches en l’absence de loi spécifique à ce type de violence.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
La législation qatarienne contenait toujours des dispositions discriminatoires à l’encontre des personnes LGBTI. Les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe étaient érigées en infraction par le Code pénal. L’article 296(3) prévoyait une peine d’emprisonnement pour toute personne qui « conduisait ou incitait un homme de quelque façon, y compris par la séduction, à commettre un acte de sodomie ou de débauche ». L’article 296(4) prévoyait une peine d’emprisonnement pour le fait de « provoquer ou séduire un homme ou une femme, de quelque façon, dans le but de commettre des actes contraires à la morale ou à la loi ».
Des militant·e·s ont signalé que six personnes avaient été arrêtées de façon arbitraire par des responsables de la sécurité, et qu’elles avaient subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements en raison de leur orientation sexuelle.
Malgré de vagues déclarations de la part des organisateurs de la Coupe du monde, visant à rassurer sur le fait que tout le monde serait bienvenu au Qatar, les joueurs ont été menacés de sanctions sur le terrain s’ils décidaient de porter des brassards exprimant leur soutien pour les droits des personnes LGBTI. Des fans se sont fait confisquer des objets aux couleurs de l’arc-en-ciel, et des journalistes ont été la cible de harcèlement pour avoir montré leur soutien envers les personnes LGBTI.
Lutte contre la crise climatique
Le gouvernement n’avait toujours pas annoncé de nouvelle contribution déterminée au niveau national pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre à la fin de l’année.