Contexte
L’ancien Premier ministre Alain-Guillaume Bunyoni a été déclaré coupable le 8 décembre d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État, d’atteinte au bon fonctionnement de l’économie nationale, de prise illégale d’intérêt, de détention illégale d’armes et d’outrage envers le chef de l’État, entre autres. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité[1].
Conformément à la Constitution de 2018, le Sénat a évalué s’il convenait de maintenir les quotas ethniques au sein des branches exécutive, législative et judiciaire de l’État.
Les autorités ont rejeté de nombreuses recommandations pertinentes qui avaient été formulées lors de l’EPU du Burundi, en mai[2].
En juillet, la délégation burundaise a quitté sa séance d’examen devant le Comité des droits de l’homme [ONU] en signe de protestation contre la présence d’un défenseur des droits humains déclaré coupable en son absence, sur la base de fausses accusations, d’avoir participé à la tentative de coup d’État de 2015.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Burundi a déclaré que les rapports de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme « occult[ai]ent des questions ayant une sensibilité politique ».
Le groupe armé RED-Tabara a revendiqué une attaque menée le 22 décembre dans le secteur de Vugizo, près de la frontière avec la République démocratique du Congo, et a annoncé avoir tué neuf soldats et un policier. Selon les autorités burundaises, cette attaque a fait 20 morts, dont 19 civil·e·s. Le président, Évariste Ndayishimiye, a accusé le voisin rwandais de soutenir ce groupe armé, ce que le Rwanda a contesté.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
La journaliste Floriane Irangabiye a été déclarée coupable d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » le 2 janvier et condamnée à 10 ans d’emprisonnement. Sa condamnation, fondée sur des propos tenus lors d’une émission de radio en ligne, a été confirmée en appel en mai. Souffrant d’une maladie chronique qui s’est aggravée du fait de ses conditions de détention à la prison de Muyinga, elle a demandé son transfert à Bujumbura, où elle avait été arrêtée, afin d’être plus près de sa famille et de pouvoir bénéficier de soins médicaux plus adaptés[3]. En octobre, elle a été transférée à la prison de Bubanza, à 40 kilomètres de Bujumbura.
En juin, le ministre de l’Intérieur a suspendu toutes les activités du principal parti d’opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL), à l’exception des réunions visant à éliminer les tensions internes au mouvement. Les responsables du CNL et d’autres observateurs ont accusé le ministre de s’ingérer dans les affaires internes du parti.
Régulièrement, des membres du CNL ont été arrêtés et inculpés pour avoir organisé des réunions non autorisées.
Défenseur·e·s des droits humains
Le 14 février, les défenseur·e·s des droits humains Sonia Ndikumasabo, Marie Emerusabe, Audace Havyarimana et Sylvana Inamahoro ont été arrêtés à l’aéroport alors qu’ils se rendaient en Ouganda pour une réunion. Un cinquième militant, Prosper Runyange, a été arrêté à Ngozi et transféré à Bujumbura. Ces personnes ont été inculpées de rébellion, d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État et d’atteinte au bon fonctionnement des finances publiques en raison de leurs activités en faveur des droits humains[4]. Fin avril, Sonia Ndikumasabo et Marie Emerusabe ont été mises hors de cause, tandis que les trois autres ont été déclarés coupables de rébellion et condamnés à des peines d’un an d’emprisonnement avec sursis. Tous ont été remis en liberté.
Arrestations et détentions arbitraires
Christophe Sahabo, directeur général du Kira Hospital, à Bujumbura, était toujours détenu à la fin de l’année. Il avait été arrêté en avril 2022, puis inculpé de plusieurs infractions à caractère économique. La procédure judiciaire a accumulé un certain nombre de retards.
Disparitions forcées
Des disparitions forcées ont été signalées tout au long de l’année. Leurs auteurs présumés étaient toujours principalement des agents du Service national de renseignement (SNR) et des membres des Imbonerakure, la branche jeunesse du parti au pouvoir. La plupart des victimes étaient des opposants politiques – membres du CNL ou du Mouvement pour la solidarité et la démocratie. Néanmoins, la disparition de plusieurs membres du parti au pouvoir (le Conseil national pour la défense de la démocratie au Burundi – Forces pour la défense de la démocratie au Burundi) qui étaient en conflit avec la hiérarchie du parti a aussi été signalée.
Le gouvernement a rejeté les recommandations de l’EPU l’invitant à ratifier la Convention internationale contre les disparitions forcées.
Droit à la vie
Des organisations burundaises de défense des droits humains ont cette année encore fait régulièrement état de la découverte de cadavres, portant souvent des traces de violences, dans des cours d’eau ou des zones de brousse sur tout le territoire. Le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi et le Comité des droits de l’homme se sont dits préoccupés par le fait que ces corps étaient souvent enterrés à la hâte, sans que l’identité des personnes soit établie ni que des enquêtes soient menées sur les circonstances de leur mort.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
La Commission vérité et réconciliation a commencé ses auditions publiques en mars. Son président a expliqué aux médias que le rôle de ces auditions était de « renforcer, confirmer la vérité déjà trouvée dans les archives à travers les fosses communes, les témoignages mais aussi dans la doctrine et les ouvrages » et de permettre à davantage de personnes de s’exprimer. Cette année encore, la Commission a été accusée de parti pris, car elle se concentrait sur les massacres de 1972.
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu publique sa décision de 2022 en faveur des victimes de violences commises par la police et le SNR lors des manifestations de 2015. Elle a demandé aux pouvoirs publics d’enquêter sur les responsables présumés et de les traduire en justice, le cas échéant, de présenter des excuses publiques à toutes les victimes et de leur offrir une indemnisation suffisante, une assistance médicale et un soutien psychologique.
Discrimination
Le 22 février, 24 personnes ont été arrêtées à Gitega, la capitale politique, lors d’un atelier sur l’insertion économique. Elles ont été poursuivies pour « homosexualité » et « incitation à la débauche », ainsi que deux autres personnes ajoutées ultérieurement au dossier. Sept ont été déclarées coupables en août. Parmi les personnes mises hors de cause, neuf n’ont pas été libérées immédiatement, et un homme dont la santé s’était détériorée en détention est décédé avant que la procureure n’accepte de signer les papiers pour sa libération.
Le président, Évariste Ndayishimiye, a tenu des propos discriminatoires et homophobes lors d’un petit-déjeuner de prière nationale le 1er mars, parlant de « malédiction » à propos de l’homosexualité. Le 29 décembre, il a déclaré qu’il faudrait « lapider » les personnes LGBTI au Burundi. Le Comité des droits de l’homme s’est dit préoccupé par les allégations faisant état d’incitation à la haine et à la violence à l’égard de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, y compris de la part des autorités et de responsables politiques. Il a appelé l’État à abroger les dispositions juridiques discriminatoires, à enquêter sur les faits de discrimination et de violence, et à engager des poursuites à l’encontre des responsables présumés de ces actes.
Violences faites aux femmes et aux filles
En juillet, lorsqu’il a examiné le rapport du Burundi, le Comité des droits de l’homme s’est dit préoccupé par la persistance des violences faites aux femmes et par le fait qu’elles faisaient rarement l’objet de signalements et de poursuites. Cette situation s’expliquait en grande partie par la stigmatisation et les représailles auxquelles les victimes étaient confrontées, l’impunité dont jouissaient les auteurs, le nombre trop faible de centres d’accueil et l’insuffisance des mesures de protection pour les victimes.
Toujours en juillet, le ministre de l’Intérieur a tenu des propos menaçants et dégradants au sujet des mères célibataires. Avant cela, il avait déjà annoncé vouloir empêcher que des enfants puissent être déclarés de « père inconnu » à l’état civil. Il a appelé les autorités locales de la commune de Busiga (province de Ngozi) à rouer de coups ces mères jusqu’à ce qu’elles avouent le nom du père.
Droits économiques, sociaux et culturels
L’augmentation des prix des denrées alimentaires, des combustibles et d’autres biens et services essentiels a eu un effet délétère sur le droit à un niveau de vie suffisant. Près de 10 % du budget national 2022-2023 a été alloué à la protection sociale. Néanmoins, plus de la moitié de la population vivait sous le seuil de pauvreté et les programmes de protection sociale existants étaient insuffisants. Certaines des mesures prises par les pouvoirs publics n’ont fait qu’aggraver la situation des personnes ayant le moins de ressources. En juin, la banque centrale a annoncé 10 jours avant son entrée en vigueur sa décision de retirer de la circulation et de remplacer tous les billets de 5 000 et de 10 000 francs burundais (environ 1,74 et 3,48 dollars des États-Unis, respectivement) datant de 2018. Les particuliers ont été autorisés à déposer un maximum de 10 millions de francs (environ 3 500 dollars), sachant que cette possibilité ne concernait que les 20 % de la population détenant un compte bancaire. De nombreuses personnes auraient ainsi perdu l’épargne qu’elles conservaient en espèces.
Droit à la santé
La proportion du budget national allouée au secteur de la santé est passée de 13,4 % en 2021-2022 à 9,6 % en 2022-2023. Bien que cette diminution puisse s’expliquer par la forte hausse du budget global imputable aux investissements dans l’agriculture et les infrastructures, l’enveloppe budgétaire était loin de l’objectif des 15 % fixé dans la Déclaration d’Abuja de 2001 sur le VIH/sida, la tuberculose et les autres maladies infectieuses connexes[5].
Lors d’un débat sur la proposition de code de déontologie pour le personnel soignant en août, le Conseil des ministres a recommandé de trouver un hôpital adapté dans lequel il serait possible d’investir pour traiter comme il se doit de « grandes personnalités » afin qu’elles n’aient plus besoin d’aller se faire soigner à l’étranger. Dans un pays où, d’après le ministère de la Santé publique, plus de 50 % des enfants de moins de cinq ans souffraient de malnutrition chronique, cela soulevait des interrogations quant aux priorités budgétaires.
Droit à un environnement sain
Près de 74 000 personnes étaient toujours déplacées à l’intérieur du pays, dont 89 % à la suite de catastrophes naturelles. Le nombre de personnes touchées par des catastrophes naturelles a bondi, passant de 106 698 fin 2022 à 158 939 en août 2023, principalement en raison de pluies torrentielles et d’inondations.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Plus de 25 000 Burundais·e·s réfugiés ou demandeurs d’asile sont rentrés dans leur pays, portant à 233 271 le nombre total de personnes de retour au Burundi depuis 2017. Néanmoins, beaucoup vivaient toujours dans les pays voisins (273 712). Celles et ceux qui regagnaient le Burundi étaient en butte à des manœuvres d’intimidation, des extorsions et des arrestations arbitraires. Le Comité des droits de l’homme a appelé les pouvoirs publics à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’intégration en toute sécurité et dans la dignité des personnes rentrant au pays, et pour enquêter sur les violations commises à leur encontre.
[1]« Burundi. L’arrestation de l’ancien Premier ministre représente une chance de l’amener à rendre des comptes », 26 avril
[2]Burundi : Continued impunity and shrinking civic space, 22 septembre
[3]« Burundi. De nouveaux appels à la libération d’une journaliste, un an après son arrestation », 30 août
[4]« Burundi. Libérez cinq défenseur·e·s des droits humains », 14 mars
[5]« Dette publique, réforme fiscale et droit à la santé au Burundi », 27 juin