Cameroun - Rapport annuel 2023

Le droit à la liberté d’expression a été gravement menacé et deux journalistes ont été tués. Les opposant·e·s politiques, ainsi que les anglophones des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ont continué de faire l’objet d’arrestations arbitraires. Dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, l’armée camerounaise et des groupes armés séparatistes ont commis des homicides illégaux et des meurtres. Dans la région de l’Extrême-Nord, des groupes armés issus de Boko Haram ont continué de se rendre coupables d’homicides et d’enlèvements.

Contexte

Neuf des 10 régions camerounaises ont été touchées par trois crises humanitaires majeures : le conflit armé dans le bassin du lac Tchad, impliquant les groupes armés État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) et Jamaatu Ahlis Sunna Liddaawati wal Jihad (JAS) ; la violence armée dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ; et les 335 000 réfugié·e·s venant de République centrafricaine, qui avaient un accès limité à l’emploi, à la nourriture, à l’éducation, à l’eau et aux installations sanitaires et d’hygiène. Dans la région de l’Extrême-Nord, plus de 380 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays ont été touchées par des inondations et une épidémie de choléra. Plus de 630 000 personnes étaient déplacées dans le pays en raison de la violence armée dans les régions anglophones.

Liberté d’expression

Des journalistes ont été victimes d’attaques dans le cadre de leurs activités professionnelles[1].
Martinez Zogo, journaliste et directeur de la station de radio privée Amplitude FM, a été enlevé par des hommes non identifiés le 17 janvier. Son corps mutilé a été retrouvé cinq jours plus tard en périphérie de Yaoundé. Cet homme enquêtait et diffusait des informations sur le détournement présumé de centaines de milliards de francs CFA impliquant des personnalités du monde des affaires et du monde politique proches du gouvernement. Le chef de la Direction générale de la recherche extérieure (le service camerounais de contre-espionnage) et un important homme d’affaires et magnat des médias ont été arrêtés et accusés de complicité dans les actes de torture infligés à Martinez Zogo, et placés en détention provisoire. Le 3 février, le corps de Jean-Jacques Ola Bébé, prêtre orthodoxe et présentateur radio, ancien collègue de Martinez Zogo, a été retrouvé près de son domicile à Mimboman, un quartier de Yaoundé. Peu avant sa mort, il avait évoqué publiquement le meurtre de Martinez Zogo. Aucune communication officielle n’a été faite concernant l’ouverture d’une enquête sur ce meurtre.

Détention arbitraire

En mars, le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] a déclaré que la détention du journaliste anglophone Thomas Awah Junior était arbitraire, et a appelé les autorités camerounaises « à [le] libérer immédiatement et à lui accorder le droit d’obtenir réparation ». Cet homme avait été condamné en mai 2018 par un tribunal militaire à 11 ans d’emprisonnement pour « terrorisme, hostilité à la patrie, sécession, révolution, insurrection, diffusion de fausses nouvelles et outrage à une autorité civile ».
Des dizaines d’autres personnes anglophones, dont Mancho Bibixy, Tsi Conrad et Penn Terence Khan, chefs de file de la contestation, étaient encore détenues arbitrairement. Ces trois hommes avaient été condamnés par un tribunal militaire de Yaoundé à 15 ans d’emprisonnement, après avoir été déclarés coupables en 2017 et 2018 d’« actes de terrorisme », de « sécession », de « diffusion de fausses nouvelles » et d’« outrage à une autorité civile » dans le contexte des violences armées qui sévissaient dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du
Sud-Ouest.
Le militant anglophone Abdul Karim Ali était en détention provisoire depuis son arrestation le 11 août 2022, après être apparu dans une vidéo où il accusait l’armée camerounaise de torture. Il a été inculpé par un tribunal militaire, en même temps que deux de ses collègues, d’« hostilité à l’égard de la patrie », de « non-signalement », de « sécession » et de « rébellion ».
À la fin de l’année, 43 militant·e·s et dirigeants de l’opposition étaient toujours en détention arbitraire après leur condamnation par un tribunal militaire pour leur participation à une manifestation organisée le 22 septembre 2022 par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun, un parti de l’opposition.

Droit à la vie

Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest

Les forces de défense et de sécurité, parfois en collaboration avec des milices locales, et des séparatistes armés ont commis des homicides illégaux et des meurtres dans les deux régions anglophones[2].
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU], au moins 25 personnes ont été tuées, 20 maisons incendiées et 2 500 personnes déplacées dans le contexte de violences armées survenues en juin dans le village de Kedjom Keku, dans la région du Nord-Ouest. Les séparatistes armés ont pris pour cible des personnes qu’ils accusaient de ne pas se ranger de leur côté, de collaborer avec l’armée ou de ne pas payer la « taxe de libération ».
Le 6 août, les autorités ont exhumé les corps de neuf personnes, dont cinq responsables du gouvernement, qui avaient été enlevés par des groupes séparatistes armés en juin 2021.
Le 4 octobre, des séparatistes armés ont rassemblé les habitant·e·s de Guzang, dans la région du Nord-Ouest, et ont abattu deux hommes[3].
Le 6 novembre, 25 personnes auraient été tuées dans le village d’Egbekaw, près de Mamfe, dans la région du Sud-Ouest, par des séparatistes armés présumés.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Région de l’Extrême-Nord

Des groupes armés affiliés à l’ISWAP et au JAS, issus de Boko Haram, ont cette année encore mené des attaques dans plusieurs villages le long de la frontière avec le Nigeria et sur des îles du lac Tchad. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, entre le 1er décembre 2022 et le 30 novembre 2023, plus de 280 civil·e·s ont été tués par des groupes armés, et plus de 210 ont été enlevés.

Droit à l’éducation

Entre janvier et juillet, au moins 13 actes de violence visant des établissements scolaires, commis semble-t-il par des groupes séparatistes armés, ont été signalés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, dont des enlèvements d’élèves et d’enseignant·e·s. D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, en septembre, des séparatistes armés ont forcé des écoles à fermer pendant deux semaines, et ont tué, enlevé ou agressé physiquement plusieurs personnes qui refusaient de se plier à ce verrouillage. Dans ces deux régions, 2 245 écoles étaient toujours fermées à la fin de l’année en raison de la violence armée.

Droit à un environnement sain

Le 9 septembre, un tribunal français a ordonné à la Société financière des Caoutchoucs, spécialisée dans les plantations d’hévéas et de palmiers à huile et société mère de la Société camerounaise des Palmeraies, productrice d’huile de palme, de verser 140 000 euros à 145 villageois·es privés de leurs terres et victimes de la pollution environnementale.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Le 12 juin, le Conseil national de la communication a menacé de suspendre les médias qui continueraient de diffuser des « programmes faisant la promotion des pratiques homosexuelles ». Le même mois, l’ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT+ a annulé sa visite au Cameroun, après que les autorités se sont opposées au programme d’activités prévu.

[1]La lutte contre la corruption en péril. Répression à l’encontre de défenseur·e·s anticorruption en Afrique de l’Ouest et du Centre, 11 juillet
[2]Avec ou contre nous. La population prise en étau entre l’armée, les séparatistes armés et les milices dans la région du Nord-Ouest du Cameroun, 4 juillet
[3]« Cameroun. L’homicide illégal de deux personnes par des séparatistes ne doit pas rester impuni », 6 octobre

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