Contexte
En octobre 2022, la présidente de la Tanzanie a signé avec l’émirat de Dubaï (Émirats arabes unis) un accord intergouvernemental de collaboration pour le développement, la gestion et l’exploitation des ports tanzaniens et d’autres infrastructures connexes. Le Parlement tanzanien a approuvé cet accord le 10 juin.
En février, les autorités ont lancé une consultation publique pour orienter une prochaine révision de la Constitution et d’autres lois.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
En janvier, la présidente a levé l’interdiction totale des rassemblements et des autres activités politiques organisés par des partis politiques, qui avait été instaurée à titre punitif par l’ancien chef de l’État en 2016. Des personnalités politiques de l’opposition ayant bravé cette interdiction avaient par le passé fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires. Les autorités ont cependant continué de réprimer des activités politiques, les personnes qui critiquaient les projets du gouvernement et celles qui s’opposaient aux expulsions forcées, en recourant notamment à des arrestations arbitraires, à la détention et à des manœuvres d’intimidation.
Entre les mois de juin et de décembre, au moins 12 personnes ont été arrêtées pour avoir critiqué l’accord conclu entre la Tanzanie et les Émirats arabes unis. Toutes ont été libérées sans condition après avoir passé plusieurs jours en détention. Rugemeleza Nshala, militant et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Tanganyika, qui avait lui aussi critiqué l’accord, a fui le pays au mois de juillet après avoir subi des actes d’intimidation de la part de la police et reçu des menaces de mort d’origine inconnue sur son téléphone.
En juin, le Parlement a adopté des modifications positives de la Loi sur les services de médias. Il a notamment supprimé la responsabilité pénale des journalistes pour leur conduite professionnelle, réduit les amendes et les autres peines prévues pour les personnes jugées coupables de sédition et retiré aux tribunaux le pouvoir de confisquer du matériel de presse.
L’avocat et militant Boniface Mwabukusi et le militant politique Mdude Nyagali ont été arrêtés le 14 juillet, quelques jours après avoir tenu une conférence de presse à Dar es Salaam, au cours de laquelle ils avaient critiqué l’accord entre la Tanzanie et les Émirats arabes unis. La police les a de nouveau arrêtés le 12 août, alors qu’ils se rendaient à Dar es Salaam, et les a emmenés au commissariat central de Mbeya. Le lendemain, la police a arrêté l’ancien député et diplomate Willibrod Slaa chez lui, à Dar es Salaam, et l’a conduit au poste de police de Mbweni. Les trois hommes, qui ont été libérés sous conditions strictes le 18 août, ont été inculpés de trahison.
Le 6 septembre, le chef de la police du district de Ngorongoro (région d’Arusha) a adressé un avertissement au principal parti d’opposition, le Parti pour la démocratie et le développement (CHADEMA), lui enjoignant de déprogrammer une série de rassemblements politiques qui devaient se tenir dans la division de Loliondo les 8 et 9 septembre. Les autorités ont prétexté des questions de sécurité, sans fournir de détails, et ont déclaré que cet avertissement respectait le règlement de la Zone de conservation de Ngorongoro.
Le 10 septembre, la police a arrêté le dirigeant de l’opposition Tundu Lissu, lui reprochant d’avoir organisé « une réunion illégale » après qu’il eut participé à un rassemblement politique dans la division de Loliondo. Il a été arrêté alors qu’il tentait de pénétrer dans la zone de conservation de Ngorongoro pour s’adresser à des Masaïs qui participaient à un autre rassemblement. Il a été remis en liberté le jour même, sans avoir été inculpé.
Expulsions forcées
Au moins 67 Masaïs ont été arrêtés au cours de l’année, principalement dans le village d’Endulen (division de Ngorongoro), pour avoir refusé de quitter leurs terres ancestrales dans le cadre de plans de réinstallation forcée ayant pour objectif de créer une réserve de vie sauvage dans la zone de conservation de Ngorongoro. Certaines de ces personnes ont été maintenues en détention pendant plusieurs heures, d’autres pendant plusieurs jours.
Le 7 août, l’antenne de la Haute Cour de Tanzanie pour la région Mbeya a décidé de révoquer une directive du gouvernement ordonnant l’expulsion d’environ 21 000 personnes de leurs terres dans cinq des 39 villages limitrophes du parc national de Ruaha, dans le district de Mbarali (région de Mbeya). Le gouvernement affirmait vouloir affecter ces terres à la conservation de la vie sauvage dans le parc national. L’affaire avait été portée devant la Haute Cour en janvier par 852 petits exploitant·e·s agricoles de Marili, à la suite d’un avis d’expulsion émis en octobre 2022 par le ministère des Terres et du Développement de l’habitat, qui affirmait que ces villages se trouvaient dans le périmètre du parc national. Juste avant le jugement, le commissaire adjoint aux terres de Mbeya avait dit à la Commission parlementaire permanente des terres, des ressources naturelles et du tourisme que le gouvernement avait, en fait, restitué 744,32 km2 de ce territoire à la communauté de Mbarali.
Le 19 septembre, l’antenne de la Haute Cour pour la région d’Arusha a estimé que la zone de chasse contrôlée de Pololeti (division de Loliondo) avait été établie illégalement. Le 17 juin 2022, le ministre des Ressources naturelles et du Tourisme avait déclaré Pololeti « zone de chasse contrôlée » – c’est-à-dire un secteur voué à la préservation de la vie sauvage – pour justifier l’expulsion forcée des Masaïs de 1 500 kilomètres carrés de leurs terres. La communauté avait formé un recours judiciaire contre cette déclaration en novembre 2022. La Haute Cour a jugé que le gouvernement n’avait pas consulté les habitant·e·s avant sa déclaration, ce qui rendait le processus nul.
À la fin de l’année, une centaine de familles masaïs vivaient toujours dans la pauvreté, avec un accès très restreint aux moyens de subsistance, dans les villages d’Oloolaimutia et d’Olpusimoru, dans le comté de Narok, au Kenya. Ces personnes avaient fui la division de Loliondo avec leur bétail lorsque leurs maisons avaient été détruites, pendant les expulsions forcées de juin 2022.
Droit à un environnement sain
Selon le Fonds monétaire international, la Tanzanie était « très vulnérable au changement climatique », mais « moins préparée que la plupart des autres pays à faire face à ses conséquences ».
Le 24 janvier, le consortium de l’industrie des combustibles fossiles East African Crude Oil Pipeline Ltd (EACOP) a obtenu une licence l’autorisant à entreprendre la construction de l’oléoduc d’Afrique de l’Est, long de 1 443 kilomètres, pour l’acheminement du pétrole brut des gisements pétroliers du lac Albert, dans l’ouest de l’Ouganda, jusqu’au port de Tanga, dans le nord de la Tanzanie, à des fins d’exportation (voir Ouganda). Le projet comprenait la construction d’un pipeline chauffé de 61 centimètres de diamètre.
Le 5 avril, la Cour de justice d’Afrique de l’Est a mis en délibéré l’affaire portée en justice trois ans plus tôt par des organisations de la société civile kenyanes, ougandaises et tanzaniennes pour demander une ordonnance d’injonction provisoire en vue d’empêcher la construction de l’oléoduc. La Cour a entendu le secrétaire général de la Communauté de l’Afrique de l’Est et les gouvernements tanzanien et ougandais, qui ont soutenu, entre autres arguments, que l’affaire n’était pas de son ressort. Les groupes de la société civile avaient intenté cette action parce qu’ils s’inquiétaient des conséquences néfastes que pouvait avoir l’oléoduc sur l’environnement, et s’alarmaient des déplacements de population, notamment de populations autochtones, engendrés par ce projet qui mettait en péril leurs droits à des moyens de subsistance, à l’alimentation et à la santé. Le 29 novembre, la Cour a rejeté cette action en justice, considérant que l’affaire était prescrite et que les parties requérantes auraient dû saisir la justice dès 2017 et non en 2020. Les groupes de la société civile ont formé un recours contre ce jugement le 11 décembre.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
Les autorités ont nié avoir expulsé de force et avec violence des Masaïs de leurs terres dans le district de Ngorongoro, malgré les nombreuses informations faisant état de telles pratiques. Elles ont également rejeté les demandes de plusieurs organisations intergouvernementales qui souhaitaient mener des missions d’établissement des faits dans le Ngorongoro. Le gouvernement a cependant autorisé une délégation de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples à effectuer une mission de promotion du 23 au 28 janvier. La délégation a exprimé ses inquiétudes concernant les expulsions forcées de Masaïs et constaté que les populations locales n’étaient pas suffisamment consultées ni incluses dans les opérations de démarcation des terres qu’elles revendiquaient. Elle s’est également montrée préoccupée par les signalements de recours à la force et de menaces contre des habitant·e·s qui contestaient la démarcation. Le 25 août, le gouvernement a empêché une délégation d’établissement des faits de l’UNESCO de se rendre dans la région. De même, le 2 septembre, une délégation de membres du Parlement européen s’est vu refuser l’accès au district, alors que le gouvernement avait au préalable accepté qu’elle effectue cette visite pour enquêter sur les violations des droits humains commises contre les Masaïs.
Le gouvernement n’a pas donné suite aux annonces faites en 2022 selon lesquelles il prévoyait de revenir sur sa décision de retirer sa déclaration au titre de l’article 34(6) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. En conséquence, les particuliers et les ONG n’ayant pas obtenu justice dans le cadre du système judiciaire national ne pouvaient toujours pas saisir directement la Cour. Le gouvernement avait signé son avis de retrait en 2019.
Droits des femmes et des filles
L’enquête nationale par panel a montré que la qualité de l’offre éducative s’était améliorée, mais que des progrès restaient à faire, en particulier concernant le faible taux de persévérance scolaire des filles. Malgré la levée en février 2022 de l’interdiction faite aux filles enceintes et aux mères adolescentes d’assister aux cours dans le système scolaire ordinaire, le taux de poursuite de la scolarité demeurait faible en raison de la pauvreté, des grossesses précoces et des violences fondées sur le genre commises dans les établissements d’enseignement. Dans l’ensemble, les taux de scolarisation et d’alphabétisation avaient toutefois augmenté et les facteurs qui restreignaient l’accès des enfants à l’école étaient moins nombreux. La Banque mondiale a estimé que les politiques et interventions publiques avaient permis au pays d’avancer vers un meilleur accès à l’éducation, en particulier dans les zones les moins bien desservies.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
En février, le ministre de l’Éducation a interdit les livres comportant des contenus LGBTI dans les écoles publiques et privées, et a demandé à la population de signaler tout livre incluant de tels éléments.
En mars, la responsable de la branche féminine du CHADEMA a engagé le gouvernement à adopter une loi prévoyant la castration de toute personne condamnée pour avoir eu des relations sexuelles consenties avec une autre personne de même sexe. Le 12 avril, un député a lancé un débat au Parlement en soutenant que, si rien n’était fait, la Tanzanie « risquait d’avoir des personnes gays à des postes de pouvoir ou d’autorité ». Un autre député a quant à lui proposé la peine de mort pour les personnes déclarées coupables d’avoir eu des relations sexuelles consenties avec une personne de même sexe.