Contexte
Le pays est demeuré enlisé dans une crise économique et sociale. En décembre, 40,1 % de la population vivait au-dessous du seuil de la pauvreté et le taux de chômage atteignait 6,2 %. Les élections qui ont eu lieu au niveau national en octobre-novembre ont vu la victoire du parti La Liberté avance, qui a remporté 55,65 % des suffrages.
En décembre, le président a pris un décret de nécessité et d’urgence abrogeant ou modifiant plus de 70 lois. Il a également déposé au Congrès un projet de loi sur « les bases et points de départ pour la liberté des Argentins », qui prévoyait l’instauration d’un état d’urgence publique jusqu’au 31 décembre 2025 et la mise en place de mesures de régression dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement, de la liberté d’expression et de réunion, et du genre, entre autres.
Lors de son EPU, l’Argentine a fait l’objet de 287 recommandations, concernant, entre autres, l’avortement, la Loi d’urgence sur les terres autochtones et la persistance des violences institutionnelles.
Le Comité des disparitions forcées de l’ONU a recommandé la création d’un organisme fédéral chargé de coordonner la recherche de personnes disparues.
Le Congrès n’avait toujours pas nommé de titulaire au poste de médiateur·trice, vacant depuis 2009. La Cour suprême, uniquement composée d’hommes, comportait un siège vacant depuis 2021.
Violences sexuelles ou fondées sur le genre
Selon des chiffres rassemblés par des ONG, 308 homicides fondés sur le genre ont été enregistrés en 2023, dont 62 % dans un cadre domestique. Les dernières données officielles disponibles montraient une augmentation du nombre de victimes de crimes de haine fondés sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle, qui avait atteint 129 personnes en 2022.
L’enquête ouverte sur la disparition et l’éventuel féminicide dont aurait été victime Cecilia Strzyzowski, 28 ans, à Resistencia, une ville de la province du Chaco, n’avait donné que des résultats limités à la fin de l’année[1].
Sofía Inés Fernández, une femme transgenre âgée de 40 ans, a été retrouvée morte dans une cellule d’un commissariat de la ville de Derqui, où elle avait été placée après avoir été arrêtée pour vol. Les fonctionnaires de police mis en cause ont affirmé qu’elle s’était suicidée, mais une première autopsie a conclu à une mort par asphyxie. Aucune inculpation n’avait été prononcée dans cette affaire à la fin de l’année.
Le Congrès a adopté en octobre une proposition de loi faisant entrer les violences commises dans un environnement numérique dans la définition des violences faites aux femmes. La loi prévoyait désormais un certain nombre de mesures conservatoires de protection et habilitait notamment les juges à mettre les plateformes numériques en demeure de supprimer les contenus violents.
Les actions en justice intentées par deux journalistes qui avaient porté plainte pour harcèlement et violences en ligne étaient toujours en instance à la fin de l’année.
Entre 2020 et 2021, 3 219 affaires de sévices sexuels sur enfant ont été enregistrées ; 74,2 % des victimes avaient été agressées par une personne de leur entourage.
Droits sexuels et reproductifs
Malgré la loi de 2020 légalisant l’avortement pratiqué dans les 14 premières semaines de grossesse, d’importants obstacles persistaient dans l’accès aux services d’interruption volontaire de grossesse. Selon le ministère de la Santé, le secteur public a enregistré 245 015 avortements entre le moment où cette loi a été adoptée et le mois d’octobre 2023. On ne disposait pas de chiffres officiels pour le secteur privé, dans un pays où 57 % des habitant·e·s avaient recours à la médecine privée.
Selon des statistiques officielles rendues publiques en 2023, au moins 1 394 personnes de moins de 15 ans ont accouché en 2021. Bien que le nombre de grossesses chez les enfants et les adolescentes de 10 à 19 ans ait diminué entre 2016 et 2021, plus de 46 236 personnes de cette tranche d’âge ont accouché en 2021.
Recours excessif à la force
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale [ONU] a déploré en mai la persistance du profilage ethnique sur fond de recours excessif à la force de la part des forces de sécurité. Les personnes visées étaient en particulier des membres de populations autochtones ou de groupes marginalisés, des migrant·e·s ou des réfugié·e·s.
L’enquête sur la torture et la mort en garde à vue de Mauro Coronel, en 2020, dans la province de Santiago del Estero, n’a guère progressé. Nul n’a été inculpé pour sa responsabilité dans le décès du jeune homme[2].
L’un des six policiers accusés du meurtre de Joaquín Paredes, 16 ans, a été condamné en août à une peine de réclusion à perpétuité par un tribunal de Cruz del Eje, dans la province de Córdoba. La police avait ouvert le feu contre Joaquín et ses amis alors qu’ils fêtaient un anniversaire dans la rue à un moment où des mesures de confinement face au COVID-19 étaient en vigueur.
Droit au respect de la vie privée
TikTok, qui comptait plus de 16,5 millions d’utilisateurs et utilisatrices en Argentine en 2023, ne garantissait pas le droit des enfants à la santé et au respect de leur vie privée. L’extraction des données personnelles n’était pas désactivée sur cette plateforme de réseaux sociaux et la géolocalisation était utilisée en l’absence de toute autorisation par l’usager·ère.
Liberté d’expression et de réunion
Des manifestations organisées pour protester contre la réforme de la Constitution de la province de Jujuy, adoptée le 15 juin, ont été réprimées avec une force excessive et illégale, selon les informations recueillies[3]. Joel Paredes a perdu l’usage de son œil droit après avoir été touché par une balle en caoutchouc tirée par la police locale. La réforme limitait le droit de manifester ainsi que l’exercice par les populations autochtones du droit d’être consultées, de participer aux décisions et d’être propriétaires de leur territoire. Des dizaines de manifestant·e·s ont été arrêtés arbitrairement et poursuivis au pénal. Cela a notamment été le cas de l’avocat défenseur des droits humains Alberto Nallar, qui a été inculpé de sédition et d’autres infractions. Le chef de sédition était invoqué abusivement pour réprimer la dissidence.
Le ministère de la Sécurité a publié le 15 décembre le « Protocole pour le maintien de l’ordre public en cas de barrages routiers » (résolution 943/2023). Le texte disposait que toute manifestation entraînant le blocage d’une rue ou d’une route constituait une « infraction en flagrant délit », ce qui autorisait les forces de sécurité à procéder à l’évacuation ou à la dispersion des manifestants. Il contenait également des dispositions visant à recueillir des informations sur les personnes qui prenaient la tête de manifestations, ou qui y participaient, et à jeter le discrédit sur elles et les poursuivre en justice.
Impunité
Les procès engagés devant des tribunaux civils de droit commun pour juger les crimes contre l’humanité perpétrés sous le régime militaire entre 1976 et 1983 se sont poursuivis. Entre 2006 et septembre 2023, 307 jugements ont été rendus, portant à 1 159 le nombre total de condamnations et à 178 le nombre d’acquittements.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme n’avait toujours pas rendu à la fin de l’année son arrêt concernant l’impunité dont jouissaient les responsables de l’attentat à la bombe perpétré en 1994 contre le centre de l’Association mutuelle israélite en Argentine (AMIA).
Droit à un environnement sain
Bien qu’elle ait pris des mesures visant à réduire ses émissions dans des secteurs tels que les transports et le bâtiment, l’Argentine axait sa stratégie énergétique sur les carburants fossiles, d’où une détérioration de son bilan carbone qui l’empêchait d’atteindre ses objectifs climatiques.
[1]Argentine. Disparition d’une femme peut-être victime d’un féminicide, 3 juillet
[2]“Un muerto, tres años, ningún detenido : no hay justicia para Mauro Coronel”, 1er septembre
[3]« Argentine. Répression violente et poursuites en réponse à l’exercice du droit de manifester dans la province de Jujuy », 5 octobre