Salvador - Rapport annuel 2023

L’état d’urgence décrété en 2022, toujours en vigueur, a donné lieu à des violations des droits humains généralisées, à une érosion de l’état de droit et à la criminalisation de la dissidence. Les restrictions de la liberté d’association se sont multipliées, le droit de manifester pacifiquement restait entravé et des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains ont cette année encore été stigmatisés. L’interdiction totale de l’avortement demeurait en vigueur. Les pouvoirs publics n’ont pas adopté de loi garantissant les droits des victimes de crimes commis pendant le conflit armé (1980-1992).

Contexte

À la suite d’une proposition du président, Nayib Bukele, l’Assemblée législative a prolongé l’état d’urgence, qui était toujours en vigueur à la fin de l’année. L’Assemblée a adopté de nombreuses lois et modifications législatives portant atteinte au droit à un procès équitable. Des mécanismes internationaux relatifs aux droits humains ont exprimé leurs préoccupations face à cette prolongation dépourvue de caractère exceptionnel et temporaire, deux critères devant être réunis pour invoquer un état d’urgence.

En octobre, Nayib Bukele a officiellement déclaré sa candidature à la présidentielle, ignorant les objections de juristes et d’organisations de la société civile, qui avaient rappelé que la Constitution interdisait de se présenter immédiatement à sa réélection.

Détentions arbitraires et procès inéquitables

Plus de 73 000 placements en détention ont été dénombrés entre le 27 mars 2022, début de l’état d’urgence, et la fin de l’année 2023. La plupart des personnes détenues étaient accusées d’« association illicite », une infraction liée aux activités des bandes armées et à l’appartenance à celles-ci. Dans la majorité des cas, les détentions relevant de l’état d’urgence étaient arbitraires dans la mesure où les garanties de procédure régulières n’étaient pas respectées. Souvent, les incarcérations n’étaient pas clairement justifiées par une décision de justice, les détentions administratives étaient prolongées, les autorités n’informaient pas la famille du lieu précis où leur proche était enfermé ou l’identité des juges saisis des affaires était maintenue secrète. L’état d’urgence pesait particulièrement sur les populations les plus pauvres et marginalisées, rendant leur situation encore plus précaire.

Des mécanismes de protection nationaux, tels que le Bureau de la procureure chargée de la défense des droits humains, ont relevé une hausse significative du nombre de demandes visant à établir le lieu où se trouvaient des détenu·e·s. Cependant, sous l’état d’urgence, le Bureau était moins en mesure de s’acquitter de son mandat et il n’a pas pu accéder à tous les centres de détention. Des organisations de la société civile ont également reproché à Cour suprême son inefficacité dans l’examen des requêtes en habeas corpus, qui mettait les détenu·e·s dans une situation encore plus délicate.

Bien que les autorités aient signalé la libération de plus de 7 000 détenu·e·s, 85 % de ces personnes n’avaient pas été mises hors de cause et étaient toujours sous le coup de poursuites judiciaires pour « association illicite ». Des dispositions réglementaires permettant la tenue de procès sommaires et entravant le droit à une défense efficace exposaient ces personnes à un risque accru de faire l’objet d’une procédure inique.

Torture et autres mauvais traitements

La surpopulation carcérale atteignait une dimension dramatique, avec un taux d’occupation de 300 %, soit plus de 100 000 détenu·e·s. Cela représentait 1,14 % de l’ensemble de la population, faisant du Salvador le pays ayant le taux d’incarcération le plus élevé au monde, selon des organisations locales de la société civile.

De nombreuses personnes détenues ont indiqué avoir été victimes de torture et d’autres mauvais traitements, notamment de restrictions de nourriture, d’eau et d’accès aux installations sanitaires, d’un manque de soins médicaux adaptés et d’un usage excessif de la force par les gardien·ne·s. Les besoins spécifiques des femmes détenues n’étaient pas suffisamment pris en compte, en particulier concernant l’accès à des services de santé reproductive et la protection contre la violence liée au genre. Depuis le début de l’état d’urgence, au moins 190 décès dus à des actes de torture ou à un manque de soins médicaux sont survenus en détention.

Plusieurs organismes, par exemple le Bureau du procureur général et le Bureau de la procureure chargée de la défense des droits humains, n’ont pas mené d’enquêtes efficaces sur ces affaires en temps voulu. Le Bureau du procureur général a ordonné le classement de la majorité des enquêtes. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a demandé à pouvoir se rendre dans les prisons pour réaliser une évaluation indépendante des conditions carcérales, mais les autorités n’ont pas accédé à sa requête.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

Les manifestations se sont multipliées en 2023, alors que la situation dans le pays se dégradait dans le cadre de la prolongation de l’état d’urgence. Des manifestant·e·s ont protesté contre les violations des droits humains commises sous l’état d’urgence, exigé le respect de leurs droits économiques, sociaux et culturels et défendu leurs terres et territoires. En faisant barrage à ces démonstrations légitimes de mécontentement social, les autorités ont bafoué les droits de la population à la liberté d’expression et de réunion pacifique. De hauts responsables de l’État ont dénigré des manifestant·e·s sur les réseaux sociaux et dans des déclarations publiques et remis en cause leur légitimité. Des personnes qui organisaient des manifestations ou y participaient ont été visées par des manœuvres d’intimidation, des menaces et une surveillance excessive. Les pouvoirs publics ont entravé le droit de la population à circuler librement en bloquant des routes et des points d’accès à des zones spécifiques, de manière à empêcher la participation à ces rassemblements. Des manifestant·e·s ont été arrêtés arbitrairement et poursuivis en justice.

Le gouvernement a mis à mal l’autonomie et l’efficacité des syndicats. Le Mouvement des travailleuses et travailleurs licenciés a recensé la dissolution de 10 syndicats en 2023, à la suite de la suppression d’un nombre équivalent d’organismes publics. En outre, le gouvernement a restreint de manière injustifiée l’enregistrement des syndicats et l’accréditation de leurs conseils d’administration. Les autorités sont également passées outre l’immunité des syndicats, n’ont pas respecté les conventions collectives et ont pris des mesures qui ont menacé la sécurité de l’emploi dans le secteur public.

D’après des organisations locales, en 2023, au moins 16 syndicalistes ont été arrêtés et inculpés, par exemple de trouble à l’ordre public et de résistance à l’arrestation pendant des manifestations pacifiques. Sous l’état d’urgence, au moins trois syndicalistes ont été détenus arbitrairement, accusés à tort d’« association illicite ».

Selon une enquête menée en 2022, au Salvador, 35 journalistes et militant·e·s ont été espionnés au moyen du logiciel Pegasus entre 2020 et 2021. L’Association de journalistes du Salvador (APES), qui avait demandé au Bureau du procureur général que ces faits, ainsi que les informations faisant état de comptes WhatsApp piratés, fassent l’objet d’une enquête, a indiqué qu’aucune conclusion n’avait été rendue publique 21 mois plus tard. L’absence d’équipe spécialisée et le manque d’enquêtes efficaces, impartiales et indépendantes menées dans les meilleurs délais ont favorisé l’impunité généralisée et affaibli la confiance accordée par les journalistes indépendants aux pouvoirs publics.

L’APES a présenté un rapport relatif aux répercussions de l’état d’urgence sur la liberté de la presse. Entre mars 2022 et juillet 2023, elle a relevé 222 atteintes à la liberté d’expression et 385 cas de harcèlement de journalistes et d’organes de presse, pour la plupart des attaques en ligne et des propos dénigrants. L’association a signalé six cas de journalistes contraints de fuir le pays au premier semestre 2023 face à la multiplication des menaces, des manœuvres d’intimidation et des agressions, et au risque de poursuites qui planait sur eux. En avril, El Faro, un organe de presse en ligne, a transféré ses activités administratives au Costa Rica en raison du climat hostile à l’égard du journalisme au Salvador.

Défenseur·e·s des droits humains

Les autorités ont continué de dénigrer et de harceler les défenseur·e·s des droits humains sur les réseaux sociaux. Elles ont notamment publié des contenus menaçants, comme des déclarations de hauts fonctionnaires incitant au harcèlement et des atteintes à la réputation de personnes et d’organisations, et diffusé de fausses informations sur des plateformes en ligne afin de discréditer et d’intimider les voix critiques et dissidentes. Cette campagne de harcèlement a nui à l’intégrité, à la sécurité et au bien-être personnel de défenseur·e·s des droits humains et de journalistes, et a limité leur liberté d’expression et d’association.

Les autorités ont utilisé l’état d’urgence pour poursuivre en justice des défenseur·e·s des droits humains, en instrumentalisant la législation contre les bandes armées afin de justifier leur détention arbitraire. Il s’agissait dans la plupart des cas de personnes qui défendaient les terres, le territoire et les ressources naturelles, ainsi que les droits du travail. Des mécanismes internationaux relatifs aux droits humains ont reproché à l’État son manque de clarté et l’absence d’enquêtes concernant ces arrestations, ainsi que le fait que la régularité des procédures ne soit pas garantie.

Droit à l’information

L’accès aux informations publiques manquait de transparence et était soumis à de graves restrictions, et le Salvador a été exclu du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Le gouvernement a entravé l’accès à des données essentielles en imposant des restrictions systématiques à l’information et en soumettant la délivrance de données à des conditions excessives. Des organismes publics tels que la Direction générale des centres pénitentiaires et le ministère de la Défense nationale n’ont pas respecté les normes internationales relatives aux conditions de restriction des informations concernant la sécurité. L’Assemblée législative a accéléré le déroulement de procédures législatives, limitant ainsi la participation publique aux débats relatifs à de nouvelles lois, aux dépens de la transparence.

Droits sexuels et reproductifs

L’interdiction totale de l’avortement, qui exposait des femmes à des peines d’emprisonnement pour des faits liés à des urgences obstétriques, était toujours en vigueur, en violation des droits sexuels et reproductifs. En raison de cette interdiction, au moins 21 femmes étaient visées à la fin de l’année 2023 par des poursuites judiciaires engagées contre elles à la suite d’urgences obstétriques.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

Les autorités n’avaient toujours pas adopté de loi appropriée pour garantir les droits des victimes de crimes de droit international commis pendant la guerre civile (1980-1992). Cette année encore, rien ou presque n’a été fait pour enquêter sur les crimes commis lors du conflit armé et traduire en justice les personnes soupçonnées d’en être pénalement responsables.

« Salvador. Un an après l’instauration de l’état d’urgence, les autorités commettent des violations des droits humains systématiques », 3 avril
« Salvador. Les politiques, pratiques et législations arbitraires et abusives portent atteinte aux droits humains et menacent l’espace civique », 5 décembre

Toutes les infos
Toutes les actions

L’avortement est un droit. Parlementaires, changez la loi !

L’avortement est un droit humain et un soin de santé essentiel pour toute personne pouvant être enceinte. Ceci sonne comme une évidence ? Et bien, ce n’est pourtant pas encore une réalité en (…)

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit