Viêt-Nam - Rapport annuel 2023

La répression de la dissidence s’est poursuivie et des journalistes ainsi que des défenseur·e·s des droits humains ont été emprisonnés en violation de leur droit à la liberté d’expression. Les autorités vietnamiennes ont été impliquées dans l’enlèvement d’un réfugié vietnamien qui vivait en Thaïlande. Des exécutions ont été signalées, mais le recours à la peine de mort demeurait entouré de secret. Le gouvernement exerçait une surveillance généralisée et de nouvelles recherches ont mis en évidence le recours à la technologie des logiciels espions contre des personnes qui critiquaient les autorités ou qui travaillaient sur des questions considérées comme sensibles vis-à-vis des intérêts du gouvernement vietnamien.

Contexte

Le Viêt-Nam a commencé à occuper en janvier le siège qu’il a obtenu au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Pourtant, après l’annonce de sa candidature en février 2021, plusieurs dizaines de journalistes, de dirigeant·e·s d’ONG, de défenseur·e·s des droits humains et d’autres personnes avaient été arbitrairement arrêtés et placés en détention. Võ Văn Thưởng a succédé en mars à Nguyễn Xuân Phúc au poste de président de la République, mais ce changement n’a été suivi d’aucune amélioration de la situation des droits humains.

Liberté d’expression

Des journalistes et des militant·e·s politiques et écologistes, entre autres, ont cette année encore été arrêtés et poursuivis en justice pour avoir exprimé leurs opinions. Le 12 avril, le tribunal populaire de Hanoï, la capitale du pays, a condamné le célèbre militant et journaliste indépendant Nguyễn Lân Thắng à six années d’emprisonnement à l’issue d’un procès qui s’est tenu à huis clos. Il avait été arrêté le 5 juillet 2022 pour « conception, stockage, distribution ou diffusion d’informations, de documents et d’objets hostiles à l’État » au titre de l’article 117 du Code pénal de 2015. Nguyễn Lân Thắng a été détenu au centre de détention no 1 de Hanoï pendant plus de sept mois après son arrestation, et il n’a été autorisé à rencontrer son avocat pour la première fois que le 16 février 2023[1].
En mars, le défenseur des droits humains Trương Văn Dũng a été déclaré coupable de diffusion de « propagande contre le gouvernement » et condamné à six ans d’emprisonnement au titre de l’article 88 de la version de 1999 du Code pénal, qui était en vigueur au moment de son inculpation. Il avait été arrêté le 21 mai 2022 parce qu’il lui était reproché d’avoir accordé des interviews à des médias étrangers et d’être en possession d’exemplaires de deux « livres imprimés illégalement ». Lors de son procès, Trương Văn Dũng a accusé la police de l’avoir frappé, mais à la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été diligentée au sujet de ses allégations[2].
Le 6 avril, l’épouse du militant Bùi Tuấn Lâm a été informée par les autorités du fait que l’enquête le concernant était terminée et qu’il allait être jugé pour « diffusion de propagande contre l’État » au titre de l’article 117 du Code pénal de 2015. Les poursuites engagées contre cet homme étaient liées à plusieurs dizaines de vidéos qu’il avait publiées sur Facebook et YouTube. Bùi Tuấn Lâm, qui était connu pour ses vidéos satiriques portant sur des questions relatives aux droits humains et sur des problèmes sociaux, a tout d’abord été interrogé par la police de la ville de Da Nang en novembre 2021 à la suite de la publication d’une vidéo se moquant du ministre de la Sécurité publique qui avait mangé dans un très coûteux restaurant londonien, vidéo qui était devenue virale sur Facebook. Il a été condamné le 25 mai à cinq ans et demi d’emprisonnement[3].
Le 5 juillet, la police vietnamienne a annoncé que le youtubeur Đường Văn Thái avait été inculpé au titre de l’article 117 du Code pénal de 2015 et placé en détention provisoire. Đường Văn Thái, qui avait obtenu le statut de réfugié en Thaïlande en 2020, a disparu à Bangkok, la capitale thaïlandaise, le 13 avril 2023. Des témoignages et des preuves indirectes incitaient à penser qu’il avait été enlevé en Thaïlande par des agents de l’État vietnamien.
Le tribunal d’Ho Chi Minh-Ville a condamné la militante écologiste Hoàng Thị Minh Hồng à trois ans d’emprisonnement le 28 septembre sur la base d’accusations fallacieuses d’évasion fiscale. Il s’agissait du cinquième cas enregistré depuis 2021 de poursuites pour évasion fiscale engagées contre un ou une militant·e écologiste de premier plan.
Lors d’une visite de membres de sa famille en prison en décembre, le journaliste Lê Hữu Minh Tuấn a déclaré que son état de santé s’était beaucoup dégradé et qu’il craignait de mourir s’il ne recevait pas de soins médicaux appropriés. Lê Hữu Minh Tuấn, qui purgeait une peine de 11 ans d’emprisonnement pour « opposition à l’État », souffrait semble-t-il de colite, d’hépatite et probablement d’autres affections.

Peine de mort

Les statistiques sur les exécutions et les condamnations à mort restaient classées secret d’État, ce qui empêchait toute surveillance indépendante dans ce domaine. Cependant, dans deux cas au moins, les familles de condamnés ont été informées de l’exécution ou de l’imminente exécution de leur proche. Ainsi, la famille de Nguyễn Văn Chưởng, qui avait été condamné à mort en juillet 2007, a reçu du tribunal populaire de Haiphong le 4 août 2023 une notification l’informant qu’elle devait prendre les dispositions nécessaires pour recevoir la dépouille mortelle de cet homme[4].
Le 18 septembre, la famille de Lê Văn Mạnh s’est vu notifier la confirmation de la décision d’exécuter ce condamné. Elle a par la suite été informée du fait qu’il avait été exécuté le 22 septembre ; elle n’avait pas été autorisée à lui rendre une dernière visite.
Les deux hommes avaient affirmé que c’était après avoir été torturés par la police qu’ils avaient « avoué » les crimes dont ils étaient accusés[5].

Surveillance illégale

Les recherches menées par Amnesty International ont révélé qu’entre février et juin, une campagne liée au système de cyberattaque utilisant le logiciel espion Predator d’Intellexa a visé au moins 50 comptes sur les réseaux sociaux appartenant à 27 personnes et 23 institutions, dont certaines étaient vietnamiennes. Amnesty International a découvert que des outils d’Intellexa avaient été vendus à des entreprises vietnamiennes ayant des relations commerciales avec le ministère vietnamien de la Sécurité publique. Les informations obtenues permettaient de penser que des agents du gouvernement vietnamiens pourraient avoir été à l’origine de cette campagne d’espionnage numérique[6].

[1]Viet Nam : 10 organisations demand the dropping of charges against journalist Nguyen Lan Thang and the guarantee of the right to a fair trial by admitting the press and public to observe the trial, 11 avril
[2]« Viêt-Nam. Il faut que le militant condamné à six ans d’emprisonnement soit immédiatement libéré et que les charges retenues contre lui soient abandonnées », 12 juillet
[3]« Viêt-Nam. Les accusations fallacieuses retenues contre un militant dans l’affaire de la vidéo satirique sur Salt Bae doivent être abandonnées », 23 mai
[4]“Viet Nam : Open Letter : Halt the arbitrary execution of death row prisoner Nguyen Van Chuong”, 9 août
[5]Viêt-Nam. En quête d’espace civil. Communication d’Amnesty International pour la 46e session du groupe de travail sur l’examen périodique universel, 29 avril – 10 mai 2024, 20 octobre
[6]« Scandale des “Predator files”. La société civile, des personnalités politiques et des responsables ciblés illégalement par un logiciel espion », 9 octobre

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