Ouzbékistan - Rapport annuel 2023

Les personnes jugées pour avoir organisé les manifestations de grande ampleur qui avaient eu lieu en 2022 ont été condamnées sur la base d’accusations motivées par des considérations politiques dans le cadre de procès iniques. Les autorités ont resserré leur étau sur les voix dissidentes, en particulier sur les réseaux sociaux. La torture et d’autres formes de mauvais traitements restaient monnaie courante dans les lieux de détention, et les responsables présumés de ces actes criminels bénéficiaient généralement de l’impunité. Des modifications apportées au Code pénal et au Code administratif ont érigé en infraction la violence domestique. L’exercice du droit à la liberté de religion faisait toujours l’objet d’un contrôle étroit.

Contexte

Les modifications controversées de la Constitution, qui avaient entraîné des manifestations de grande ampleur au Karakalpakistan en 2022, ont été adoptées à la suite d’un référendum en avril.
Le président, Chavkat Mirzioïev, a été réélu sans opposition pour un nouveau mandat de sept ans en juin.

Procès inéquitables

Tout au long de l’année, des dizaines de personnes ayant un lien avec les manifestations massives qui avaient été violemment réprimées dans le Karakalpakistan ont été condamnées à l’issue de procès iniques, sur la base d’accusations motivées par des considérations politiques.
Le 31 janvier, un tribunal de la ville de Boukhara, dans l’est du pays, a condamné l’avocat et rédacteur en chef Daouletmourat Tajimouratov à 16 ans de réclusion pour des crimes violents qu’il aurait commis en lien avec ces manifestations. Les juges n’ont pas tenu compte de ses allégations de torture ni des vidéos filmées pendant les manifestations qui le montraient exhortant la foule à ne pas recourir à la violence. Des défenseur·e·s des droits humains ayant suivi le procès se sont inquiétés du fait que les 21 coaccusé·e·s de Daouletmourat Tajimouratov avaient été contraints de l’incriminer afin de bénéficier d’un allègement de peine. La Cour suprême a confirmé le verdict en appel le 6 juin. Daouletmourat Tajimouratov continuait de clamer son innocence.

Recours excessif à la force

En dépit des nombreuses allégations faisant état d’un recours illégal à la force contre des manifestant·e·s pacifiques au Karakalpakistan, seuls trois membres des forces de sécurité ont eu à rendre des comptes. Selon une déclaration de la Cour suprême en août, deux policiers, dont les noms n’ont pas été révélés, ont été déclarés coupables de torture sur des personnes détenues. Ils ont été condamnés à sept ans de prison. Un troisième s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de trois ans pour non-assistance à une personne mourante.

Liberté d’expression

La diffamation et les insultes, notamment à l’encontre du président, étaient toujours considérées comme des infractions pénales. Les autorités ont resserré leur étau sur les voix dissidentes, en particulier celles qui s’exprimaient sur les réseaux sociaux.
Dix blogueurs au moins ont été condamnés pour avoir publié des critiques en ligne, sur la base d’accusations semble-t-il forgées de toutes pièces et motivées par des considérations politiques.
Le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] a conclu en février que la détention d’Otabek Sattori était arbitraire et a demandé sa libération. Cet homme purgeait une peine de six ans et demi d’emprisonnement après avoir été accusé de diffamation et d’extorsion pour avoir critiqué la corruption de fonctionnaires locaux. Son transfert dans un établissement aux conditions carcérales moins dures lui a été refusé en avril en raison de prétendues infractions au règlement pénitentiaire, mais il a finalement été transféré vers un centre de détention ouvert en décembre.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et d’autres formes de mauvais traitements restaient monnaie courante dans les lieux de détention, et les responsables présumés de tels actes criminels bénéficiaient généralement de l’impunité.
Aucune avancée n’a été réalisée dans la mise en œuvre des recommandations faites en 2021 par le Bureau du procureur général, qui invitait les autorités à lutter contre la pratique de la torture en réformant le Code pénal, en mettant en place des mécanismes indépendants de suivi des plaintes pour torture, en améliorant les conditions carcérales et en proposant des réparations aux victimes de torture.
La commission parlementaire établie en juillet 2022 pour enquêter sur les violences au Karakalpakistan, notamment sur les allégations de torture, n’avait toujours pas publié de ses conclusions à la fin de l’année.
En novembre, un rapporteur spécial et une rapporteuse spéciale des Nations unies ont fait part de leur inquiétude concernant la sécurité et le bien-être de Daouletmourat Tajimouratov (voir Procès inéquitables) après que son avocat eut signalé une forte détérioration de son état de santé mentale et physique en septembre. Il avait été maintenu à l’isolement sans aucun accès à l’information, mal nourri et privé de soins médicaux adéquats.
En octobre, lors de son audience en appel, le blogueur incarcéré Abdoukodir Mouminov a déclaré devant le tribunal que des policiers lui avaient infligé des décharges électriques, donné des coups de pied dans les parties génitales, porté des coups répétés à la jambe au moyen d’une matraque spéciale et cassé une côte pour le contraindre à « avouer ». Le tribunal n’a ordonné aucune enquête sur ses allégations de torture.

Violences fondées sur le genre

En avril, des modifications législatives ont érigé pour la première fois la violence domestique en infraction pénale à part entière et ont offert aux femmes et aux mineur·e·s victimes de violence des mécanismes de protection supplémentaires[1]. Ces nouvelles protections juridiques ont cependant été officiellement présentées comme destinées à « renforcer l’institution qu’est la famille » et leur efficacité a été compromise par le fait que les autorités donnaient la priorité à la réconciliation et la réunification familiales au détriment de la protection des droits des femmes et des enfants.
Le Comité de la famille et des femmes a indiqué en septembre que le ministère de l’Intérieur avait délivré, entre janvier et août, 21 871 ordonnances de protection en faveur de femmes victimes de violences ou d’autres sévices. La plupart de ces affaires, et notamment 84,7 % des ordonnances liées à des cas de violence domestique, se sont conclues par une réconciliation.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Le projet de nouveau Code pénal contenait toujours un article sanctionnant les relations sexuelles entre hommes adultes consentants. Au cours de sa visite en mars, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a appelé les autorités à supprimer cet article.
L’Ouzbékistan a accepté toutes les recommandations émises par les États lors de l’EPU de son bilan en matière de droits humains, qui s’est tenu en novembre, sauf celles sur les droits des personnes LGBTI. Le gouvernement a invoqué des « normes généralement acceptées » pour motiver son refus d’appliquer ces recommandations.

Liberté de religion et de conviction

L’État a continué de restreindre l’exercice de la liberté de religion, en dépit de ses promesses répétées de supprimer ces restrictions et de modifier la Loi de 2021 sur la liberté de conscience et les organisations religieuses.
Les autorités ont persisté à poursuivre en justice des musulmans pratiquants sur la base d’accusations très générales et formulées en termes vagues « liées à l’extrémisme » et n’ont pas mené d’enquête sur leurs allégations de torture et de mauvais traitements. Sardor Rakhmankoulov, étudiant condamné à cinq ans d’emprisonnement en janvier pour avoir partagé un chant religieux islamique sur les réseaux sociaux, a affirmé à l’audience que des policiers l’avaient étouffé avec un sac en plastique et lui avaient donné des coups de pied à tour de rôle. La cour d’appel n’a pas pris en compte ses allégations de torture.

Droits des travailleuses et travailleurs

En août, CEE Bankwatch Network et le Forum ouzbek des droits humains ont saisi le Mécanisme indépendant de responsabilisation dans le cadre des projets de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Ils reprochaient à la BERD d’avoir accordé des financements à Indorama Agro, l’une des plus grandes entreprises privées de production de coton d’Ouzbékistan, sans avoir pris de mesures pour remédier aux préoccupations concernant les confiscations foncières illégales, les contrats abusifs et les licenciements massifs dont elle serait responsable. La direction d’Indorama s’était activement efforcée de démanteler le syndicat des employé·e·s de l’entreprise, seul syndicat indépendant du pays.

Droit à un environnement sain

Le secteur énergétique ouzbek dépendait toujours lourdement des combustibles fossiles et continuait à en subventionner largement l’utilisation. Le gouvernement a signé un accord avec la Banque mondiale en octobre pour financer des politiques nationales de réduction des émissions, notamment sous la forme d’une réforme des subventions et de transactions sur le marché du carbone.
La pollution atmosphérique, principalement due à la combustion de carburants fossiles pour l’énergie et les transports, a régulièrement atteint des niveaux classés comme dangereux dans les principaux centres urbains. Des recherches menées par la Banque mondiale et le ministère du Développement économique et de la Réduction de la pauvreté ont montré que la mortalité imputable à la pollution atmosphérique aux particules, aggravée par la poussière produite par le processus de désertification, avait entraîné une perte économique équivalente à 6 % du PIB.

[1]« Ouzbékistan. Le Parlement adopte enfin une loi pénalisant la violence domestique », 6 avril

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