Résumé régional Asie-Pacifique
Les turbulences politiques, la répression et les conflits armés ont contribué à dresser un tableau inquiétant de la situation des droits humains dans la région. Néanmoins, en dépit des risques immenses, des défenseur·e·s et des militant·e·s des droits humains ont continué de revendiquer leurs droits et de dénoncer l’oppression.
De nouvelles lois ont encore restreint les droits, notamment le droit à la liberté d’expression. Les manifestations ont régulièrement été réprimées au moyen d’une force illégale, qui a souvent fait des victimes. Des opposant·e·s politiques, des défenseur·e·s des droits humains et des journalistes, entre autres, ont été placés sous surveillance, détenus arbitrairement, soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, ou victimes d’homicides illégaux. Ces violations, ainsi que d’autres, ont été facilitées par l’impunité, même si une décision de justice et les recommandations d’une commission vérité ont offert un espoir de réparations pour des victimes au Japon et en Corée du Sud.
Des événements climatiques extrêmes, la montée du niveau de la mer et d’autres phénomènes à évolution lente ont causé de nouvelles dévastations. Pourtant, cette année encore, des gouvernements n’ont pas pris les mesures urgentes nécessaires en matière de lutte contre le changement climatique et d’adaptation à ses effets négatifs.
L’escalade significative du conflit armé au Myanmar a entraîné de nouvelles violations graves du droit international. Les droits, en particulier ceux des femmes et des filles, ont été encore davantage restreints sous le régime taliban en Afghanistan, et la répression sévère de la dissidence s’est poursuivie en Chine et en Corée du Nord.
Des avancées ont été constatées dans certains pays en matière de reconnaissance des droits des personnes LGBTI. Cependant, la discrimination systématique liée au genre et les violences faites aux femmes, aux filles et aux personnes LGBTI demeuraient très répandues. Les droits des peuples autochtones et des minorités ethniques ou fondées sur l’ascendance étaient couramment ignorés lors de la mise en œuvre de projets d’extraction et de développement. Les violations des droits économiques et sociaux, notamment des droits au logement et à l’éducation, demeuraient nombreuses. Les personnes fuyant des conflits ou la répression étaient trop souvent exposées au risque d’être expulsées de force ou détenues arbitrairement pour une durée illimitée.
Liberté d’expression
L’espace accordé à la liberté d’expression a continué de se réduire dans la région. Dans des pays comme l’Indonésie, le Népal et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, des professionnel·le·s des médias ont été confrontés à des violences et à des actes d’intimidation. En Afghanistan, davantage de médias ont été interdits, dont deux chaînes de télévision privées qui ont été suspendues pour avoir critiqué les talibans. Au Myanmar, des journalistes ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. Au Pakistan, sept journalistes au moins ont été tués dans des attaques ciblées et des dizaines d’autres ont été arrêtés et inculpés au titre de la Loi relative à la prévention de la cybercriminalité.
De nouvelles lois limitant le droit à la liberté d’expression sont entrées en vigueur au Bangladesh, en Malaisie, au Pakistan et au Viêt-Nam. Au Sri Lanka, la nouvelle Loi relative à la sécurité en ligne prévoyait des infractions définies en termes vagues et accordait aux autorités de vastes pouvoirs, ce qui faisait craindre qu’elle soit utilisée pour réduire encore davantage la liberté d’expression. En Inde, de nouvelles lois remplaçant celles de l’époque coloniale étaient elles aussi restrictives et maintenaient le crime de sédition, utilisé pour réduire au silence les personnes qui critiquaient les autorités. Le gouvernement chinois a introduit de nouvelles mesures visant à empêcher les internautes de Chine continentale d’utiliser l’argot et d’autres « expressions obscures » pour contourner la censure en ligne. À Hong Kong, les autorités ont adopté l’Ordonnance sur la sauvegarde de la sécurité nationale, qui introduisait sur ce territoire les définitions excessivement générales de la « sécurité nationale » et des « secrets d’État » déjà appliquées en Chine continentale, tout en renforçant les pouvoirs des autorités en matière d’application des lois et en alourdissant les peines existantes.
Des personnes critiques à l’égard des autorités ont été poursuivies en justice dans de nombreux pays. En Thaïlande, des militant·e·s en faveur de la démocratie ont cette année encore été jugés et emprisonnés en application de la législation relative au crime de lèse-majesté et d’autres lois restrictives. Au Cambodge, un journaliste connu internationalement pour avoir dénoncé des atteintes aux droits humains dans des centres d’escroquerie en ligne a été arrêté et inculpé d’incitation à commettre un crime. À Singapour, des personnes s’étant exprimées contre le gouvernement, parmi lesquelles des opposant·e·s à la peine de mort, ont reçu l’ordre de « rectifier » des « mensonges » qu’elles auraient publiés en ligne. Au Laos, deux artistes ont été placés en détention pour avoir publié sur les réseaux sociaux des contenus satiriques dénonçant le mauvais état des routes, tandis qu’en Chine un artiste de renom a été incarcéré pour des œuvres critiquant la direction du Parti communiste réalisées plusieurs dizaines d’années auparavant.
Le contrôle sévère des communications en ligne et hors ligne dans certains pays a encore limité l’accès à l’information et restreint de façon excessive la liberté d’expression. Le gouvernement de Corée du Nord a continué d’interdire tout contact avec le monde extérieur. Des restrictions arbitraires de l’accès à Internet ont été imposées au Pakistan. Au Bangladesh et en Inde, les autorités ont procédé à des coupures temporaires d’Internet, officiellement dans un but de maintien de l’ordre. Ces coupures ont dans la pratique servi à réprimer la dissidence. En Malaisie, deux réalisateurs d’un film qui avait été interdit ont été inculpés d’« atteinte aux sentiments religieux ».
L’utilisation des technologies de surveillance demeurait une source de préoccupation. En Indonésie, Amnesty International a recueilli des informations sur l’achat et le déploiement à grande échelle de logiciels espions très invasifs par des organismes publics et des entreprises privées. En Thaïlande, un tribunal a débouté un militant prodémocratie qui avait porté plainte contre l’entreprise de cyber-renseignement NSO Group, dont le logiciel espion Pegasus avait été utilisé pour pirater son téléphone.
Certains gouvernements ont multiplié les tentatives de réduire au silence leurs détracteurs et détractrices à l’étranger. Les étudiant·e·s de Chine continentale et de Hong Kong faisant leurs études à l’étranger demeuraient sous surveillance. Les autorités de Hong Kong ont délivré de nouveaux mandats d’arrêt contre des militant·e·s favorables à la démocratie vivant à l’étranger, ont annulé leurs passeports et ont offert des récompenses financières pour toute information qui pourrait conduire à leur arrestation. Un avocat spécialiste des droits humains ayant travaillé sur des dossiers politiquement sensibles, qui avait été renvoyé de force en Chine depuis le Laos en 2023, a été incarcéré dans l’attente de son procès.
Les États doivent abroger ou modifier les lois qui portent atteinte à l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression et prendre des mesures pour protéger l’expression des différentes opinions, qu’elles soient politiques ou autres, ainsi que pour sauvegarder la liberté des médias.
Liberté de réunion et d’association
Plusieurs gouvernements de la région ont répondu à des manifestations par la répression. Au Bangladesh, les autorités ont eu recours à une force illégale contre des manifestations étudiantes déclenchées par le rétablissement d’une loi réservant un quota d’emplois publics aux descendant·e·s de vétérans de la guerre d’indépendance. Face à la multiplication des manifestations antigouvernementales, les forces armées ont été déployées et ont reçu l’ordre de « tirer à vue ». Près d’un millier de personnes ont été tuées et bien plus encore blessées. En Indonésie, la police a utilisé une force excessive et injustifiée contre la foule qui manifestait dans plusieurs provinces contre des modifications de la loi électorale. Bien que les modifications proposées aient ensuite été retirées, de nombreux manifestant·e·s ont été blessés et plusieurs centaines ont fait l’objet d’arrestations arbitraires.
Au Népal, des manifestations ont été dispersées par la force et des manifestant·e·s pacifiques ont été arrêtés. Dans la capitale, Katmandou, la police a fait usage à plusieurs reprises de gaz lacrymogène et de canons à eau pour disperser des manifestations. En Inde, la police a eu recours à une force excessive contre des manifestations d’agriculteurs et agricultrices, faisant au moins un mort. Les autorités de Hong Kong ont déployé la police pour empêcher les commémorations de la répression de la place Tiananmen, en 1989. Comme les années précédentes, plusieurs personnes ont été arrêtées pour avoir participé à ces commémorations. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, plusieurs hommes qui protestaient contre leur expulsion d’un quartier informel de la capitale, Port Moresby, ont été arrêtés par la police et inculpés. Après l’instauration de la loi martiale par le président de la Corée du Sud, des droits fondamentaux, dont le droit à la liberté de réunion, ont été suspendus. Cette décision a rapidement été annulée par l’Assemblée nationale. Le président a par la suite été suspendu de ses fonctions et un mandat d’arrêt a été délivré à son encontre fin décembre.
Des partisan·e·s de la paix à Gaza et des défenseur·e·s des droits du peuple palestinien ont fait l’objet de harcèlement et d’arrestations. Aux Fidji, la police a interdit les drapeaux israéliens et palestiniens dans les manifestations et a procédé à des manœuvres d’intimidation contre des manifestant·e·s pacifiques. Les autorités de Singapour ont ouvert des enquêtes sur plusieurs personnes qui avaient manifesté contre les ventes d’armes à Israël, et en ont inculpé trois autres qui tentaient de se rendre au palais présidentiel pour remettre une pétition contre la guerre. Aux Maldives, deux femmes ont été arrêtées lors de manifestations réclamant un boycott des produits israéliens. La police de Malaisie a arrêté des manifestant·e·s propalestiniens devant l’ambassade des États-Unis à Kuala Lumpur, la capitale.
Le droit à la liberté d’association a aussi subi de nouvelles attaques. En Thaïlande, un tribunal a ordonné la dissolution du parti d’opposition Move Forward (« Aller de l’avant »), qui était arrivé en tête des élections législatives de 2023 en nombre de sièges. Onze des cadres de ce parti se sont aussi vu frapper d’une peine d’inéligibilité. Aux Philippines, les autorités ont continué de s’en prendre aux militant·e·s et aux organisations qualifiés de « rouges », accusés de liens avec des groupes communistes interdits, en les inculpant d’infractions liées au terrorisme. Au Bangladesh, en Inde, au Pakistan et au Sri Lanka, des ouvrières et ouvriers du secteur du textile qui souhaitaient lutter contre la faiblesse des rémunérations et le haut degré d’informalisation du travail ont été empêchés d’exercer leur droit à la liberté syndicale et d’association. Au Bangladesh, au moins un ouvrier de ce secteur a été tué et des dizaines d’autres personnes blessées lorsque la police a tiré sur une manifestation en faveur d’une hausse des salaires.
Les États doivent veiller à ce que les droits à la liberté de réunion et d’association soient protégés. Ils doivent empêcher le recours illégal à la force contre les manifestant·e·s et revoir et modifier les lois, les politiques et les pratiques qui bafouent ces droits.
Droit à un environnement sain
Les événements climatiques extrêmes, les phénomènes à évolution lente et la pollution de l’air exacerbés par le changement climatique ont eu des conséquences dévastatrices dans toute la région, avec des répercussions disproportionnées pour les personnes les plus pauvres et les plus marginalisées. Les pays à revenus élevés de la région, gros émetteurs de carbone, ont collaboré avec d’autres pays riches pour bloquer l’accord de la COP29 sur un financement climatique satisfaisant réclamé par les pays à revenus plus faibles.
L’Asie du Sud a cette année encore été touchée par des chaleurs extrêmes et de graves inondations, qui ont eu des répercussions sur la vie de millions de personnes. Des inondations ont fait au moins 113 morts dans l’État de l’Assam, en Inde. Au Bangladesh, 500 000 personnes ont été déplacées. Des inondations et des glissements de terrain en Afghanistan, au Népal et au Pakistan se sont aussi soldés par la mort de centaines d’habitant·e·s et le déplacement de milliers d’autres. La pollution de l’air a atteint des niveaux record dans la capitale indienne, Delhi, ainsi que dans plusieurs villes du Pakistan, provoquant des décès dans les deux pays, en particulier au sein des populations marginalisées.
Des progrès ont de toute évidence été accomplis en matière de réduction des émissions de carbone et d’amélioration des protections environnementales, mais globalement la réponse au changement climatique et aux dégradations de l’environnement dans la région a été insuffisante. En Chine, la capacité de production d’énergie non fossile a dépassé celle des énergies fossiles pour la première fois. Cependant, le rythme de construction par ce pays de centrales à charbon à l’étranger restait préoccupant. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, 30 % du territoire national a été classé zone de conservation, même si le pays restait très dépendant des énergies fossiles. En Corée du Sud, une décision de justice historique a demandé au gouvernement de revoir ses objectifs d’émissions de gaz à effet de serre afin de protéger les droits des générations futures. Les États insulaires du Pacifique ont soutenu l’ouverture par la Cour internationale de justice d’audiences sur les obligations et responsabilités des États en relation avec le changement climatique.
De nombreux autres gouvernements n’ont pas atteint les objectifs fixés, notamment en matière de réduction des énergies fossiles, même lorsqu’ils s’y étaient engagés. Les investissements du Japon dans des projets de gaz naturel liquéfié à l’étranger ont continué de compromettre les efforts mondiaux de réduction de l’usage des énergies fossiles. L’Australie a elle aussi mis à mal les avancées dans ce domaine avec ses projets d’augmentation, plutôt que de réduction, de la production de charbon et de gaz d’ici 2030. En Nouvelle-Zélande, une nouvelle loi a affaibli les protections environnementales et, en Indonésie, des projets de loi et de règlement ont été critiqués car ils ne favorisaient pas la transition vers la neutralité carbone. Bien que l’Inde ait subi d’importants préjudices liés au climat, ses objectifs en matière de changement climatique ont, comme les années précédentes, été jugés « très insuffisants ».
Des défenseur·e·s de l’environnement ont cette année encore été pris pour cible en raison de leur travail. Un militant de premier plan de la lutte contre le changement climatique emprisonné au Viêt-Nam a notamment entamé une troisième grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention déplorables. Au Cambodge, 10 défenseur·e·s de l’environnement proches du mouvement Mother Nature Cambodia ont été déclarés coupables de « complot » et d’« outrage au roi ».
Les États doivent accroître leurs investissements dans la préparation et l’adaptation aux catastrophes et donner la priorité à la protection des groupes marginalisés et des autres groupes touchés de façon disproportionnée par la crise climatique, y compris en sollicitant, le cas échéant, une aide internationale et des financements climatiques. Les pays à revenus élevés et les autres pays fortement émetteurs doivent montrer la voie en matière d’atténuation du changement climatique, notamment en arrêtant de développer et de subventionner la production de combustibles fossiles, et en veillant à ce que leurs politiques climatiques soient cohérentes avec l’objectif de maintenir le réchauffement de la planète sous la barre de 1,5 °C.
Arrestations et détentions arbitraires, torture et autres mauvais traitements
Des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques et d’autres personnes ont été victimes d’arrestations et de détentions arbitraires dans beaucoup de pays de la région. Les détenu·e·s étaient souvent torturés et maltraités.
Selon certaines informations, plus de 20 000 personnes, dont 1 500 femmes, étaient emprisonnées en Afghanistan. Parmi elles figuraient des opposant·e·s politiques présumés et des personnes accusées de n’avoir pas respecté le code de moralité des talibans. Le risque de torture et d’autres mauvais traitements en détention était élevé. Des exécutions extrajudiciaires de détenu·e·s ont également été signalées. Les autorités de la Corée du Nord détenaient toujours des milliers de personnes dans des camps pénitentiaires politiques, où elles vivaient dans des conditions inhumaines et étaient soumises à la torture et à d’autres mauvais traitements, dont des violences sexuelles.
En Chine, des journalistes citoyen·ne·s et des militant·e·s des droits du travail figuraient parmi les personnes condamnées à des peines d’emprisonnement pour avoir défendu les droits fondamentaux. À Hong Kong, 45 défenseur·e·s de la démocratie ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 10 ans de prison après avoir été déclarés coupables de « complot en vue de commettre un acte de subversion » pour avoir organisé des primaires électorales non officielles.
Des personnes qui purgeaient de longues peines de prison au Viêt-Nam pour s’être opposées au gouvernement se sont vu refuser des soins médicaux malgré leur mauvais état de santé. Au Pakistan, plus de 100 civil·e·s avaient été placés en détention militaire pour avoir participé à des manifestations contre l’arrestation de l’ancien Premier ministre Imran Khan en 2023 ; 85 d’entre eux ont été condamnés à des peines d’emprisonnement par des tribunaux militaires. Plusieurs figures de proue de l’opposition étaient toujours en détention dans l’attente de leur procès. Les autorités sri-lankaises ont poursuivi leur campagne de lutte contre la drogue, extrêmement brutale et fortement critiquée, au titre de laquelle des dizaines de milliers de personnes, principalement issues de groupes socioéconomiques marginalisés, ont été placées en détention arbitraire.
Les autorités ne doivent pas utiliser le système judiciaire de manière abusive contre des opposant·e·s politiques ou d’autres personnes exerçant leurs droits légitimes à la liberté d’expression et de manifestation pacifique, entre autres droits humains. Les États doivent libérer et indemniser celles et ceux qui sont détenus arbitrairement et interdire et réprimer pénalement la torture et les autres formes de mauvais traitements.
Impunité et droit à la vérité, à la justice et à des réparations
Malgré des avancées en faveur de la justice pour les victimes de violations des droits humains dans plusieurs pays, l’impunité est restée la norme dans la région et a alimenté de nouvelles violations.
Au Pakistan et aux Philippines, personne ou presque n’était amené à rendre des comptes pour les disparitions forcées, qui constituaient une pratique courante depuis de nombreuses années. En 2024, plusieurs personnes ont été soumises à une disparition forcée dans ces deux pays, dont des défenseur·e·s des droits du travail et des droits fonciers, des opposant·e·s politiques et des journalistes. Le manque d’accès à la justice en Afghanistan a conforté la culture de l’impunité et favorisé les violations des droits humains. Le gouvernement chinois n’a pris aucune mesure en vue d’établir les responsabilités pour les possibles crimes contre l’humanité commis contre des Ouïghour·e·s et des membres d’autres groupes à dominance musulmane dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Non seulement le gouvernement indien n’est pas intervenu pour faire cesser les violences ethniques dans l’État du Manipur, mais il n’a pas non plus engagé de poursuites contre les membres de milices armées responsables d’atteintes aux droits humains pendant ces épisodes de violence. Des homicides illégaux de civil·e·s ont encore été commis en toute impunité dans la province de Papouasie, en Indonésie, dans le contexte de la lutte séparatiste armée.
L’année a aussi été marquée par quelques moments d’espoir. Au Japon, la Cour suprême a jugé que les victimes d’une ancienne loi « eugénique », au titre de laquelle plus de 16 000 personnes en situation de handicap ou atteintes de maladies chroniques avaient été stérilisées de force, devaient être indemnisées. En Corée du Sud, le rapport d’une commission vérité sur l’adoption contre la volonté de leurs parents de milliers de bébés entre 1961 et 1987 a recommandé d’offrir réparation aux victimes. Au Bangladesh, le nouveau gouvernement par intérim a créé une commission d’enquête sur les disparitions forcées de militant·e·s, d’opposant·e·s politiques et d’autres personnes qui ont eu lieu entre 2009 et 2024.
Dans d’autres pays toutefois, les initiatives en faveur de la justice ont marqué le pas. Au Népal, la nouvelle loi adoptée dans le but de faire avancer la justice concernant les atrocités commises pendant le conflit armé n’était pas pleinement conforme aux normes internationales et pourrait permettre à certains responsables d’échapper aux poursuites. Au Sri Lanka, la société civile a rejeté un projet de loi visant à créer une nouvelle commission de vérité et de réconciliation, notamment parce que les victimes n’avaient pas été véritablement consultées et que le gouvernement n’avait pas mis en œuvre les recommandations des précédentes commissions d’enquête.
Les États doivent redoubler d’efforts pour combattre l’impunité en diligentant sans délai des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces sur les crimes de droit international et les autres graves atteintes aux droits humains, en traduisant en justice les responsables présumés de ces actes et en veillant à ce que les victimes aient accès à un recours effectif.
Violations du droit international humanitaire
Sur fond d’escalade du conflit armé au Myanmar, les forces militaires et certains groupes d’opposition armés ont été accusés d’avoir commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire. La campagne militaire d’attaques aveugles et d’attaques directes contre la population et les infrastructures civiles s’est intensifiée, portant à plus de 6 000 le nombre de morts depuis le coup d’État de 2021. L’armée a continué de recevoir des livraisons de kérosène pour ses avions malgré les mesures internationales visant à y mettre un terme. L’Armée d’Arakan, un groupe d’opposition armé, a été accusée d’avoir incendié des maisons appartenant à des Rohingyas et d’avoir tué des civil·e·s, poussant nombre de membres de cette ethnie à fuir leur région natale, l’État d’Arakan.
En Afghanistan, des attaques de groupes armés (dont l’État islamique-Province du Khorassan) visant principalement les chiites hazaras ont fait de nouvelles victimes parmi la population civile. Des victimes civiles ont aussi été signalées à la suite de bombardements aériens menés par l’armée pakistanaise contre des positions talibanes le long de la frontière.
Toutes les parties aux conflits armés doivent respecter le droit international humanitaire, et notamment mettre fin aux attaques directes contre les populations ou les infrastructures civiles, ainsi qu’aux attaques menées sans discernement.
Droits économiques, sociaux et culturels
La crise humanitaire s’est aggravée en Afghanistan. Selon l’ONU, plus de la moitié de la population avait besoin d’aide humanitaire, et 85 % des habitant·e·s vivaient avec moins d’un dollar des États-Unis par jour. L’accès aux soins médicaux était un problème pour tout le monde, mais plus particulièrement encore pour les femmes et les filles. L’UE a alerté sur le fait que seules 10 % d’entre elles pouvaient bénéficier des services de santé essentiels. En Corée du Nord, 40 % de la population était sous-alimentée, selon les informations disponibles. Les politiques et les actes du gouvernement taliban et du gouvernement nord-coréen étaient en grande partie responsables de ces situations catastrophiques.
Les autorités de plusieurs pays ont cette année encore procédé à des expulsions forcées et des démolitions d’habitations, en violation du droit au logement. En Inde, la Cour suprême a jugé que les démolitions forcées d’habitations étaient illégales, mais seulement après la destruction de milliers de logements au cours des années précédentes dans le cadre d’une campagne continue des autorités visant à « punir » les musulmans pour des violences intercommunautaires intervenues par le passé. En Mongolie, les autorités ont expulsé de force près de 2 000 foyers de terrains situés dans la capitale, Oulan-Bator. Au Népal, des familles, appartenant souvent à des groupes marginalisés comme les dalits (opprimé·e·s) et les Tharus, ont été expulsées de force des quartiers informels où elles vivaient. Au Cambodge, les personnes qui avaient été expulsées de force du site d’Angkor, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, n’ont reçu aucune réparation. De nombreux autres habitant·e·s vivaient toujours sous la menace d’une expulsion.
Des dizaines de millions d’enfants de la région restaient privés de leur droit à l’éducation. Les talibans ont maintenu l’interdiction faite aux filles de poursuivre leurs études au-delà du cycle primaire. Au Myanmar, des millions d’enfants n’étaient pas scolarisés à cause du conflit armé et des attaques délibérées de l’armée contre des établissements scolaires. De nouvelles fermetures d’écoles par les autorités chinoises menaçaient la culture et la langue tibétaines. La diminution des dépenses dans le secteur de l’éducation faisait partie des préoccupations soulevées par le HCDH concernant la baisse des investissements publics dans les services sociaux au Laos.
De la même manière, des informations ont cette année encore fait état de travail forcé et de mauvaises conditions de travail. L’ONU a déclaré que le travail forcé était généralisé et institutionnalisé en Corée du Nord, et que le recours systématique au travail forcé en prison pourrait être constitutif du crime contre l’humanité d’esclavage. Des Tamoul·e·s des Hautes Terres travaillant dans des plantations de thé ont accusé le gouvernement sri-lankais de ne pas protéger les travailleuses et travailleurs contre le travail forcé, la servitude pour dette et d’autres atteintes aux droits humains.
Les États doivent prendre des mesures pour que tout le monde puisse jouir sans aucune discrimination de ses droits économiques, sociaux et culturels, notamment ses droits à l’alimentation, aux soins de santé, au logement et à l’éducation, et pour mettre un terme à la pratique du travail forcé.
Droits des femmes et des filles
La discrimination liée au genre et les violences faites aux femmes et aux filles étaient très répandues dans la région. En Afghanistan, où les femmes et les filles étaient déjà victimes du crime contre l’humanité de persécution liée au genre, les talibans ont encore imposé de nouvelles restrictions, limitant ainsi de fait tous les aspects de leur vie. Beaucoup ont été arrêtées pour ne pas s’être conformées aux codes vestimentaires, et des cas de viol et d’autres formes de violences sexuelles contre des détenues ont été signalés. Les violences fondées sur le genre ont fortement augmenté et, selon des organisations de défense des droits des femmes, plus de 300 femmes et filles ont été tuées durant l’année.
Dans d’autres pays, l’État n’a pas pris de mesures suffisantes pour combattre les taux élevés de viols, de violences et de harcèlement sexuels et d’autres formes de violence contre les femmes et les filles. En Corée du Sud, des groupes de défense des droits des femmes ont qualifié d’« urgence nationale » la multiplication en ligne d’images et de vidéos créées par hypertrucage (« deepfakes ») sans le consentement des victimes. Aux Maldives, le gouvernement n’a pas suivi les recommandations d’un organe de surveillance d’un traité de l’ONU lui demandant d’ériger en infractions spécifiques les mutilations génitales féminines et la violence domestique.
En Inde, le viol et le meurtre d’une médecin stagiaire sur son lieu de travail ont déclenché des manifestations dans tout le pays. La discrimination fondée sur la caste a aussi continué d’alimenter les violences, notamment sexuelles, contre les femmes dalits dans ce pays. Une femme a par exemple été brûlée vive après avoir porté plainte pour harcèlement sexuel dans l’État du Madhya Pradesh. L’impunité pour les violences commises contre des femmes et des filles dalits était aussi toujours la norme au Népal.
Les États doivent prendre des mesures exhaustives pour combattre la discrimination fondée sur le genre et les violences contre les femmes et les filles, notamment en s’attaquant aux causes profondes des discriminations croisées liées au genre, en veillant à ce que les victimes aient accès à la justice et bénéficient d’une protection et d’autres soutiens, et en mettant un terme à l’impunité dont jouissent les responsables de ces actes.
Droits des personnes LGBTI
La Thaïlande est devenue le premier pays d’Asie du Sud-Est à offrir l’égalité devant le mariage aux personnes LGBTI, et des décisions de justice dans plusieurs autres pays ont fait progresser les droits de ces personnes. En Corée du Sud, la Cour suprême a jugé que les couples de même sexe avaient droit aux mêmes prestations de santé que les couples hétérosexuels. En Chine, un tribunal a accordé à une femme un droit de visite pour l’enfant qu’elle avait eue avec une autre femme. Au Japon, deux décisions de justice distinctes ont jugé inconstitutionnelle l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe. Au Népal, la Cour suprême a reconnu le droit d’une femme transgenre de faire inscrire son identité de genre sur ses papiers officiels.
Cependant, cette année encore, des personnes LGBTI ont été victimes de violence et de discrimination et, dans certains pays, de répression pénale. Les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe demeuraient passibles de la peine de mort en Afghanistan. En Chine, les militant·e·s LGBTI risquaient d’être arrêtés arbitrairement. Les personnes transgenres demeuraient particulièrement exposées au risque de violence. Aux Fidji, l’absence d’enquête en bonne et due forme sur la mort d’une travailleuse du sexe transgenre victime d’un enlèvement et d’une violente agression a suscité l’indignation des organisations de défense des droits humains.
Les États doivent renforcer la protection des personnes LGBTI, notamment en dépénalisant les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, en adoptant des lois exhaustives contre la discrimination, et en permettant la reconnaissance du genre à l’état civil. Tous les signalements de violences et d’autres atteintes aux droits humains des personnes LGBTI doivent faire l’objet d’une enquête efficace et les responsables de tels actes doivent être traduits en justice.
Droits des peuples autochtones et discrimination fondée sur l’appartenance ethnique ou l’ascendance
Les droits des peuples autochtones ont reculé dans plusieurs pays et ces peuples, ainsi que des minorités ethniques ou fondées sur l’ascendance, ont continué d’être touchés de manière disproportionnée par la marginalisation et la discrimination dans toute la région.
Une avancée positive a eu lieu à Taiwan, où les personnes autochtones ont obtenu le droit d’utiliser leur nom autochtone, plutôt que sa transcription en mandarin, dans les documents officiels. À l’inverse, le gouvernement néo-zélandais a promulgué ou proposé plusieurs nouvelles lois qui portaient atteinte aux droits des Maoris, déclenchant des manifestations dans tout le pays. Ailleurs, notamment en Indonésie et en Malaisie, des projets de développement sur des terres revendiquées par des peuples autochtones se sont poursuivis sans leur consentement préalable, libre et éclairé. Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a exprimé son inquiétude concernant les effets négatifs des activités minières sur la vie et les moyens de subsistance de groupes vivant de l’élevage en Mongolie.
En Australie et en Nouvelle-Zélande, les peuples autochtones demeuraient fortement surreprésentés dans le système judiciaire. En Australie, le taux d’incarcération des enfants aborigènes et insulaires des îles du détroit de Torrès était particulièrement élevé, et trois mineurs aborigènes seraient morts en détention en Australie-Occidentale. Au Viêt-Nam, les Montagnards (un peuple autochtone) étaient toujours en butte à la discrimination, et plus de 100 d’entre eux ont été déclarés coupables d’infractions liées au terrorisme à l’issue de procès inéquitables, en lien avec des attaques menées contre des postes de police en 2023.
Le gouvernement chinois a poursuivi sa répression des groupes ethniques non hans, notamment en emprisonnant de façon arbitraire des personnalités culturelles et religieuses. Des centaines de crimes de haine ont été signalés contre des musulmans et d’autres minorités religieuses en Inde ; plus de 100 personnes ont été déclarées coupables d’avoir incendié des habitations dalits en 2014.
Les autorités doivent prendre des mesures concrètes pour garantir les droits des peuples autochtones et des minorités ethniques ou fondées sur l’ascendance, notamment en abrogeant ou modifiant les lois et les politiques discriminatoires à leur égard, en donnant la priorité aux politiques et aux programmes destinés à éliminer la discrimination structurelle, notamment dans le système judiciaire, et en veillant à ce que ces populations soient véritablement consultées sur les projets, y compris de développement, et les décisions les concernant et y consentent préalablement, librement et en connaissance de cause.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
L’Australie, le Japon, la Malaisie et la Thaïlande figuraient au rang des pays qui continuaient d’autoriser la détention arbitraire pour une durée illimitée des personnes réfugiées ou migrantes. En Malaisie, des inquiétudes ont été soulevées au sujet du maintien en détention de mineur·e·s, et des informations persistantes ont fait état de violences et de mauvaises conditions de vie dans les centres de détention pour migrant·e·s. L’ONU a conclu que les conditions de détention effroyables d’un groupe de plus de 40 demandeurs d’asile ouïghours détenus en Thaïlande depuis plus de 10 ans pouvaient s’apparenter à de la torture ou à d’autres mauvais traitements.
Les personnes fuyant la répression ou des conflits armés couraient le risque d’être renvoyées de force dans leur pays. Au Bangladesh, des gardes-frontières ont repoussé de force des Rohingyas qui fuyaient le conflit armé dans l’État d’Arakan, au Myanmar. Par ailleurs, les Rohingyas réfugiés dans des camps au Bangladesh vivaient toujours dans des conditions épouvantables. Les autorités thaïlandaises ont été soupçonnées d’avoir collaboré avec le gouvernement vietnamien pour arrêter plusieurs réfugiés montagnards ; l’un de ces réfugiés risquait d’être expulsé au Viêt-Nam, où il était susceptible de subir des violations des droits humains. Les autorités pakistanaises ont mené une politique d’expulsions, renvoyant de force plusieurs centaines de milliers de réfugié·e·s en Afghanistan malgré les appels à offrir une protection internationale aux Afghanes et Afghans fuyant les discriminations et l’oppression systématiques dans leur pays.
Les travailleuses et travailleurs migrants vivaient et travaillaient dans des conditions dangereuses dans plusieurs pays. La traite des êtres humains demeurait aussi une source de préoccupation dans la région. En Corée du Sud, 23 personnes, dont une majorité de travailleuses et travailleurs migrants, ont trouvé la mort dans l’incendie d’une usine. À Taiwan, il a été découvert que des Indonésiens avaient travaillé sur un bateau de pêche pendant plus d’un an sans salaire ni contact avec le monde extérieur avant que les autorités n’interviennent. La traite des êtres humains et le travail forcé dans les centres d’escroquerie en ligne restaient des sources de préoccupation au Cambodge, et un organe de surveillance d’un traité de l’ONU s’est inquiété de la traite à des fins d’exploitation sexuelle au Laos.
Les États doivent cesser de placer des personnes demandeuses d’asile en détention uniquement en raison de leur situation au regard de la législation sur l’immigration, et ils doivent leur permettre de solliciter une protection internationale. Ils doivent immédiatement mettre un terme aux expulsions illégales et respecter le principe de « non-refoulement ». Les protections contre la traite des personnes et le travail forcé doivent être renforcées et les victimes de la traite doivent recevoir un soutien, notamment sur le plan juridique.
Peine de mort
La pression en faveur de l’abolition de la peine capitale s’est intensifiée au Japon après l’annulation de la condamnation à mort d’un homme de 88 ans, qui avait passé 45 ans dans le couloir de la mort. Un juge a conclu que les preuves retenues dans le cadre de son premier procès pour meurtre avaient été forgées de toutes pièces. Les exécutions publiques se sont poursuivies en Afghanistan, et des informations ont indiqué que les talibans avaient l’intention de rétablir l’exécution par lapidation des femmes accusées d’« adultère ».
Des personnes déclarées coupables d’infractions liées aux stupéfiants ont cette année encore été exécutées dans plusieurs pays, dont la Chine et Singapour. L’ampleur du recours à la peine de mort en Chine, en Corée du Nord et au Viêt-Nam demeurait inconnue, mais était probablement considérable. En Chine, une nouvelle loi a encore restreint la révélation d’informations sur ce châtiment, et de nouvelles recommandations judiciaires ont encouragé le recours à la peine capitale contre les personnes soutenant l’indépendance de Taiwan.
Les États dans lesquels la peine de mort est toujours en vigueur doivent prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour l’abolir et, en attendant, instaurer un moratoire officiel sur les exécutions.