Albanie. Quinze personnes menacées d’expulsion et de se retrouver à la rue à Korça.

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

EUR 11/001/2007

Quinze personnes devenues orphelines dans leur enfance, des femmes pour la plupart, âgées de vingt à quarante ans, risquent de se retrouver à la rue le 31 mai dans la ville de Korça, dans le sud-est de l’Albanie. La même menace pèse sur une quarantaine d’autres adultes, orphelins depuis l’enfance, à Shkodër, dans le nord de l’Albanie. Si ces expulsions ont lieu sans qu’un hébergement approprié ne soit proposé en échange aux personnes concernées, l’Albanie aura violé ses obligations au regard du droit international et régional relatif aux droits humains, selon Amnesty International.

Les personnes actuellement hébergées dans l’internat (konvikt en albanais) du lycée professionnel Demir Progri de Korça ont, en l’absence de tout soutien familial, été prises en charge par des institutions toute leur vie. Du fait des expulsions, elles risquent de se retrouver à la rue. Les autorités locales, qui ont entrepris de rénover le bâtiment pour y loger des élèves, n’ont pris aucune mesure en vue de reloger les personnes expulsées. Ces 15 personnes vivent depuis plus de dix ans dans six chambres de l’internat. N’ayant pas obtenu de logement à la fin de leur scolarité, elles ont continué d’occuper deux étages du bâtiment, totalement en ruines selon les descriptions qui en sont faites, mais le seul foyer qu’elles aient connu. Au chômage ou employées dans la couture, elles n’auraient pas les moyens de payer un loyer au prix du marché. Depuis 1996, 11 autres personnes devenues orphelines lorsqu’elles étaient enfants (neuf jeunes femmes et deux jeunes hommes), qui vivaient également dans cet internat, sont portées disparues. Selon certaines sources, elles pourraient être tombées entre les mains de trafiquants qui les exploiteraient comme prostituées ou les auraient mêlées à des activités criminelles.

« Des orphelins sont extrêmement vulnérables ; il leur manque le soutien d’une famille, principal voire seul filet de sécurité en période de troubles pour la plupart des Albanais, a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

« Amnesty International déplore le manque de détermination des autorités albanaises à respecter et mettre en œuvre leurs obligations envers les orphelins. En procédant à ces expulsions, les autorités albanaises se déchargeraient dans les faits de leurs responsabilités envers ceux qui ont le plus besoin de leur protection. »

Le droit albanais garantit aux orphelins un accès prioritaire au logement et à l’emploi à la fin de leur scolarité, à l’âge de dix-huit ans, en vue de les protéger et de faciliter leur intégration dans la société. Toutefois, la situation actuelle de plusieurs centaines de personnes orphelines dans leur enfance montre à quel point le droit est éloigné de la réalité. Le droit à un logement convenable est garanti par le droit international, au titre de l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par l’Albanie.

Comme d’autres villes en Albanie, Korça souffre de la pénurie de logements. Même si le maire de Korça a promis récemment de donner la priorité aux orphelins et invalides dans l’attribution des 80 appartements en construction destinés aux sans-abris cette année, les organisations d’orphelins albanais se plaignent du fait que les promesses, faites au niveau national ou local, ne sont généralement pas tenues.

Amnesty International appelle les autorités municipales de Korça à ne pas procéder à des expulsions tant qu’elles ne seront pas en mesure de fournir un logement convenable aux personnes concernées. En outre, l’organisation demande instamment aux autorités centrales et locales et à leurs partenaires internationaux de veiller à ce que l’État respecte ses obligations légales envers les orphelins et prenne en priorité des mesures ciblées et effectives visant à assurer aux orphelins devenus adultes le droit à un logement convenable.

Selon les associations représentant les orphelins albanais, ils seraient en tout plus de 300 orphelins devenus adultes, âgés aujourd’hui pour la plupart de vingt à quarante ans, à vivre dans des conditions de pauvreté similaires dans les bâtiments en ruine d’anciens internats dans les villes albanaises. Comme à Korça, aucun logement ne leur a été attribué à la fin de leur scolarité et les autorités ne se sont pas préoccupées depuis de leur droit à un logement convenable.

« Peu qualifiés, souvent sans emploi ou vivant de petits boulots au jour le jour, les orphelins aujourd’hui adultes risquent de sombrer dans la dépression, de se retrouver marginalisés et isolés du reste de ka société dans ces « ghettos d’orphelins », selon Nicola Duckworth.

« Ces handicaps, doublés d’une stigmatisation sociale liée au fait d’être orphelin, compromettent souvent leur droit à une vie de famille et leur capacité à fonder un foyer chaleureux et stable pour eux-mêmes et leurs enfants. »

Complément d’information

En avril de cette année, les délégués d’Amnesty International se sont rendus à Tirana et Shkodër dans plusieurs internats, où certains étages sont occupés par des adultes placés dans ces institutions depuis leur enfance en tant qu’orphelins. Les délégués ont constaté que certaines chambres étaient occupées par deux, trois ou quatre personnes, parfois des couples avec des enfants. Les conditions d’hygiène déplorables qui y règnent, notamment au niveau des sanitaires hors d’usage, constituent un risque pour la santé, notamment celle des enfants. Dan l’un des internats de Shkodër (konvikt du collège de Safet Spahiu), une organisation de charité a permis d’améliorer les conditions de vie mais aucune solution à long terme n’a été trouvée pour les neuf femmes logées là, de deux à quatre par chambre.

Les konvikts sont destinés à des élèves de collège. La plupart sont surpeuplés et délabrés. Du point de vue d’Amnesty International, les konvikts ne sont pas des logements appropriés pour des adultes. L’Albanie doit en priorité prendre des mesures, en concertation avec les personnes vivant dans ces konvikts, pour faire respecter leur droit à un logement adéquat. Cependant, tant que des solutions alternatives n’auront pas été proposées, les autorités ne devront pas expulser de force les personnes vivant dans ces konvikts.

Amnesty International a tout à fait conscience que l’Albanie ne dispose pas de ressources illimitées et que la grave pénurie de logements sociaux ou à bas prix touche tout le pays. Outre les adultes pris en charge par les institutions depuis leur enfance lorsqu’ils sont devenus orphelins, d’autres groupes en situation de vulnérabilité ont un besoin urgent de logement adéquat. L’organisation sait également que les autorités ont prévu de bâtir des logements sociaux à Tirana et dans plusieurs autres villes. Amnesty International salue ces projets qui faciliteront l’accès à un logement adéquat aux personnes vivant dans de mauvaises conditions. Ceux qui se sont retrouvés orphelins durant leur enfance ne doivent toutefois pas être abandonnés à leurs dix-huit ans et jetés à la rue.

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