Algérie. S’exprimer, c’est risquer d’être enfermé

Les autorités algériennes ont intensifié la répression contre la dissidence non violente en ligne et hors ligne à travers le pays ces dernières semaines. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à des peines de prison contre un dessinateur à El Meghaïer, dans la wilaya (préfecture) d’El Oued, dans le sud-est de l’Algérie, et poursuivent actuellement un militant pour une publication sur Facebook. Douze manifestants pacifiques d’El Oued et de Tamanrasset ont été condamnés à des peines de prison, et un militant en faveur des droits humains encourt la peine de mort.

Amnesty International demande aux autorités algériennes d’annuler les condamnations prononcées et d’abandonner les charges retenues contre des militants non violents accusés d’avoir pacifiquement exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion. Les législateurs algériens doivent modifier les lois érigeant en infraction l’exercice de libertés civiles et prévoyant des peines de prison contre des dissidents non violents.

Un militant encourt la peine de mort

Le 2 octobre, les forces de sécurité ont effectué une descente au domicile d’Hassan Bouras, journaliste et militant âgé de 48 ans, dans la ville d’El Bayadh (ouest du pays). Elles l’ont arrêté et ont saisi son ordinateur. Après que cet homme a passé deux jours en garde à vue, son cas a été transféré et a donné lieu à une enquête pour « outrage envers un corps constitué », ainsi que pour incitation de « citoyens ou habitants à s’armer contre l’autorité de l’État ou s’armer les uns contre les autres », une infraction plus grave passible de la peine de mort. Les autorités ont refusé sa remise en liberté durant le procès, et il est actuellement incarcéré à la prison d’El Bayadh.

Un voisin qui s’était rendu au domicile familial d’Hassan Bouras durant l’arrestation a lui aussi été appréhendé et déclaré coupable d’« agression » envers les forces de sécurité et d’« outrage au président », et condamné à une peine de deux mois de prison avec sursis.

Hassan Bouras est un membre dirigeant de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, ainsi qu’un journaliste indépendant. Il est également membre du Front du refus, une coalition se prononçant contre le recours à la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz de schiste en Algérie.

Amnesty International craint que les poursuites actuellement engagées contre lui, comme les précédentes, n’aient pour but de le réduire au silence pour ses opinions dissidentes. Il a déjà été poursuivi pour « diffamation », « offense » et « injure » à l’égard d’institutions de l’État en 2003 et 2008, et est connu pour ses efforts visant à dénoncer la corruption et d’autres abus présumés attribués à des représentants de l’État.

En prison pour un dessin

Le 17 novembre, la Cour d’appel d’El Oued a condamné Tahar Djehiche, 54 ans, dessinateur, à six mois de prison et une amende de 500 000 dinars algériens (soit environ 4 300 euros) pour « atteinte » au président Abdelaziz Bouteflika dans un dessin, et « provocation » à une action de protestation contre le gaz de schiste en raison d’un commentaire qu’il avait laissé sur sa page Facebook.

Le tribunal de première instance d’El Meghaïer l’avait acquitté six mois auparavant du chef d’« atteinte au président » et de « provocation à un attroupement non armé ». Le parquet a cependant fait appel de cette décision. En février, le dessinateur avait mis en ligne une caricature du président algérien enseveli sous le sable s’écoulant à l’intérieur d’un sablier, représentation des manifestations sans précédent contre l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique dans la ville d’In Salah (sud du pays) au début de l’année. Il avait également publié sur Facebook, avant une manifestation contre le gaz de schiste organisée à In Salah le 24 février 2015, un commentaire disant « Ne laissez pas tomber In Salah le 24 février ».

Tahar Djehiche reste libre en attendant l’issue de son recours auprès de la Cour suprême algérienne. Si la Cour suprême maintient la condamnation et s’il est par conséquent emprisonné, Amnesty International le considèrera comme un prisonnier d’opinion. Les autorités algériennes doivent annuler sa condamnation, car on lui reproche seulement d’avoir exercé de manière pacifique son droit à la liberté d’expression.

Jugé pour une publication sur Facebook

Le 25 novembre, des policiers ont arrêté Okacha Mehda, 28 ans, militant pour la jeunesse, dans le cybercafé où il travaille à El Oued. Les forces de sécurité ont par ailleurs perquisitionné sa chambre chez ses parents. Des policiers chargés de son interrogatoire auraient fait pression sur lui pour qu’il leur livre ses identifiants Facebook.

Il a été arrêté pour avoir publié la veille au soir sur son profil Facebook des photos montrant des policiers dans un champ chargeant leur voiture de choux-fleurs, avec la légende « Photos circulant sur Internet montrant des policiers à El Hamel [dans le centre de l’Algérie] en train de voler des choux-fleurs ».

Le procureur du tribunal de première instance d’El Oued l’a inculpé d’« outrage envers un corps constitué » et a décidé sa mise en liberté provisoire en attendant son procès, qui doit s’ouvrir le 21 décembre 2015. Amnesty International demande aux autorités algériennes d’abandonner immédiatement toutes les poursuites engagées contre Okacha Mehda.

Un an de prison pour des manifestations pacifiques

Les libertés d'expression de manifester, de critiquer, de se réunir sont considérablement restreintes par des implications toujours plus larges des notions "d'attroupements non armés"

Le 7 octobre, le tribunal de première instance de la ville de Tamanrasset, dans le sud, a condamné sept militants à un an de prison et une amende de 5 000 dinars (près de 43 euros) pour avoir pris part à une manifestation pacifique. Dahmane Zenani, 46 ans, Dahmane Kirami, 35 ans, Abdelali Ghellam, 34 ans, Mohamed Boukhari, 35 ans, Ahmed Benzamit, 35 ans, Fathi Hami, 35 ans, et Mbarek Ramadani, 23 ans, ont été déclarés coupables de « rebellion », de participation à des « attroupements non armés » et de « provocation » à rejoindre des « attroupements non armés », lors de manifestations non violentes en 2014 et 2015.

Les actes dont ces sept manifestants ont été reconnus coupables incluent des manifestations pacifiques visant à défendre les droits de mineurs licenciés par une compagnie exploitant une mine d’or locale, ainsi que des sit-ins dénonçant les répercussions sur l’environnement de l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique dans cette zone, au sein d’un groupe contestataire local nommé « Ma Frat » (signifiant « Ça n’a pas été résolu » en arabe algérien familier). Ces condamnations récentes font écho à l’emprisonnement de manifestants pacifiques dans d’autres secteurs du pays parce qu’ils avaient dénoncé des projets d’exploration par fracturation hydraulique près de la ville d’In Salah, dans le sud du pays, cette année.
Les sept accusés sont actuellement libres en attendant l’issue de leur appel.

La prochaine audience d’appel dans ce cas est prévue pour lundi 7 décembre. Amnesty International demande aux autorités algériennes d’annuler leur condamnation, car on les accuse d’avoir exercé de manière pacifique leur droit à la liberté de réunion. Si la condamnation était confirmée, Amnesty International les considèrerait comme des prisonniers d’opinion.

La solidarité en procès

Dans la ville d’El Oued, cinq hommes condamnés à des peines de prison pour avoir manifesté leur solidarité au militant Rachid Aouine en mars dernier attendent l’issue de leur procès en appel, qui doit avoir lieu mercredi 9 décembre. Les cinq hommes sont actuellement libres, dans l’attente de leur appel, après avoir été déclarés coupables en avril dernier de ne pas avoir obtempéré à un ordre de dispersion lors d’un « attroupement non armé » - une manifestation pacifique devant le tribunal d’El Oued le 3 mars.

Les militants Youssef Soltane et Abdelali Benamr, qui sont membres du Comité national pour la défense des droits des chômeurs, et des militants anti-corruption, ont été condamnés à une peine de quatre mois de prison. Trois membres de la famille de Rachid Aouine ont été condamnés à une peine de trois mois de prison avec sursis.

Les autorités algériennes doivent annuler leurs condamnations, car ils sont accusés d’avoir exercé de manière pacifique leur droit à la liberté de réunion pacifique. Si un seul de ces accusés était emprisonné, Amnesty International le considèrerait comme un prisonnier d’opinion.

Les libertés civiles menacées

La récente série d’arrestations et de poursuites visant des militants pacifiques tend à montrer que les libertés civiles sont de plus en plus menacées en Algérie. Malgré les obligations auxquelles le pays est tenu en matière de droits humains, au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les garanties relatives aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifiques inscrites dans la Constitution algérienne, les autorités algériennes recourent au tribunaux pour réduire les dissidents au silence, invoquant diverses lois répressives.

Les autorités algériennes utilisent des dispositions du Code pénal érigeant en infraction l’« outrage », l’« injure » ou la « diffamation » visant des représentants de l’État et d’autres institutions, afin de restreindre la liberté d’expression, notamment l’humour, l’expression sur Internet et dans la rue.

Le droit à la liberté de réunion pacifique suppose que l’on puisse mener des manifestations non violentes sans autorisation préalable, actuellement considérées comme des « attroupements non armés », qui constituent une infraction aux termes du Code pénal algérien. Les autorités peuvent tout au plus demander à être notifiées à l’avance, et doivent expliquer toute restriction en détail, ce qui permet de former un recours devant un tribunal impartial et indépendant, comme l’a souligné le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association.

Si la loi algérienne 91-19 relative aux réunions et manifestations publiques exige une déclaration préalable, les autorités doivent éclaircir les modalités d’application de la loi afin de garantir que cela n’équivaut pas en pratique à une obligation d’obtenir une autorisation préalable, donnant lieu à des cas où les autorités locales s’abstiennent de donner une confirmation aux manifestations susceptibles d’être critiques à l’égard des autorités.

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