Appel au Conseil de sécurité des Nations unies pour qu’il veille à ce que le mandat du Tribunal pénal international pour le Rwanda soit rempli

Déclaration publique

Index AI : IOR 40/045/2006 (Public)
Bulletin n° : 320
12 décembre 2006

Le 15 décembre 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies procèdera à son examen bisannuel de la mise en œuvre de la « stratégie d’achèvement » visant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). La stratégie d’achèvement fixe arbitrairement à 2010 la date à laquelle tous les procès, y compris en appel, devront être terminés, alors que 18 accusés n’ont toujours pas été arrêtés et que les tribunaux rwandais ne peuvent pas, ou ne veulent pas, engager de véritables poursuites pénales qui respectent les normes internationales d’équité et excluent la peine de mort. Amnesty International craint que la stratégie d’achèvement n’empêche la justice d’être rendue aux personnes qui ont été victimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre pendant le génocide de 1994, et qu’elle n’ait pour conséquence que ces crimes resteront impunis.

La procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), dont le mandat est soumis à la même échéance, a indiqué récemment qu’elle prévoyait de demander un délai supplémentaire pour terminer ses affaires, mais le TPIR n’a pas fait de même. Au lieu de cela, dans ses précédents rapports au Conseil de sécurité, le TPIR a proposé pour respecter les échéances de déférer environ 17 affaires aux juridictions nationales, en application de l’article 11 bis du Règlement de procédure et de preuve du TPIR. Dans son rapport au Conseil de sécurité du 1er juin 2006 (S/2006/358), le TPIR déclare qu’il a l’intention de demander le transfert à des juridictions nationales de cinq personnes en instance de jugement et de 12 accusés en fuite. Cette proposition fait craindre qu’à moins que d’autres tribunaux nationaux ne se manifestent, ces affaires ne soient transférées au Rwanda.

L’article 11 bis sur le Renvoi de l’acte d’accusation devant une autre juridiction fixe deux conditions à respecter pour pouvoir effectuer un tel transfert : (1) l’accusé devra être jugé équitablement et (2) la peine de mort ne devra pas être prononcée ni mise à exécution. Bien que le Rwanda ait entamé des démarches pour abolir la peine capitale, Amnesty International s’oppose pour l’instant au renvoi d’actes d’accusation devant les juridictions rwandaises parce qu’elle considère que le gouvernement n’est pas en mesure d’assurer pleinement la sécurité des suspects renvoyés avant, pendant et après leur détention, et que la justice rwandaise ne peut pas garantir le droit des suspects à un procès équitable conforme à la législation et aux normes internationales, telles que :

le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ou d’être remis en liberté. Amnesty International a recensé plusieurs cas de personnes accusées de crimes de génocide et qui sont en détention provisoire depuis plus de douze ans ;

le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres formes de traitement cruel, inhumain et dégradant. Le Rwanda n’a pas ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Amnesty International considère qu’il y a un risque réel que des personnes transférées soient torturées ou soumises à d’autres formes de mauvais traitement ;

le droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi. Au cours des deux dernières années, Amnesty International et d’autres organisations internationales ont rassemblé des informations sur le manque d’indépendance, de compétence et d’impartialité des tribunaux gacaca. Bien que les tribunaux gacaca ne soient pas habilités à juger les suspects transférés par le TPIR, l’existence de ces tribunaux suscite de vives inquiétudes quant à la manière dont la justice rwandaise s’occupe des cas de personnes soupçonnées de participation au génocide.

À cela s’ajoute le fait que les autorités rwandaises ont déjà pris beaucoup de retard dans le jugement de plus de 48 000 autres personnes soupçonnées de participation au génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, et qu’il est donc permis de douter de la capacité de la justice rwandaise à prendre en charge de nouveaux dossiers.

Le transfert de dossiers vers d’autres juridictions nationales a également rencontré des difficulté. En particulier, le 30 août 2006, la chambre d’appel du TPIR a confirmé la décision de la chambre de première instance de ne pas autoriser le renvoi de l’affaire Bagaragaza en Norvège, au motif qu’il n’y avait pas dans ce pays de juridiction en mesure de juger l’accusé pour les violations graves du droit international, dont le génocide, dont il a été inculpé. Il se peut que d’autres pays n’aient pas les mêmes problèmes législatifs que la Norvège, mais le TPIR risque néanmoins d’avoir du mal à trouver des États qui peuvent et veulent mener ces poursuites.

Tant que les autorités du Rwanda ne voudront pas, ou ne pourront pas, mettre fin à l’impunité pour de tels crimes, il reviendra à la communauté internationale de veiller à ce que la justice soit rendue, tant au niveau international que national. En créant le TPIR aux termes de la résolution 955, le Conseil de sécurité s’est engagé à « juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ». C’est pourquoi, Amnesty International exhorte le Conseil de sécurité et les États membres des Nations unies à veiller à ce que les mesures suivantes soient prises :

Prolongation de la stratégie d’achèvement, si elle est demandée. Amnesty International craint que l’échéance de 2010 ne laisse pas le temps de juger en première instance et en appel toutes les personnes inculpées par le TPIR, même si le transfert des 17 personnes vers d’autres juridictions a effectivement lieu. L’organisation appelle le Conseil de sécurité à envisager le prolongation de la stratégie d’achèvement si le TPIR en fait la demande pour traiter ces dossiers jusqu’au bout. Si les actes d’accusation concernant les 17 affaires en question ne peuvent être renvoyés devant des juridictions nationales, le Conseil de sécurité devrait prolonger la stratégie d’achèvement afin de permettre au TPIR d’aller jusqu’au bout de ces procédures.

Renforcement de la décision selon laquelle les 18 personnes en fuite doivent arrêtées et remises au TPIR. Il est impératif que le TPIR engage et conduise des poursuites contre tous ceux qui ont été inculpés, et que personne ne bénéficie de l’impunité en raison de la stratégie d’achèvement. Amnesty International appelle le Conseil de sécurité, qui considère toujours la situation aux termes du chapitre VII de la Charte des Nations unies comme une menace à la paix et la sécurité internationales, à prendre les mesures appropriées pour que les 18 personnes restantes soient arrêtées et remises au TPIR sans plus attendre.

Opposition au transfert de cas vers le Rwanda. Comme expliqué ci-dessus, Amnesty International s’oppose pour l’instant à ce que le TPIR renvoie des actes d’accusation devant les juridictions rwandaises. En particulier, l’organisation considère que la justice rwandaise n’est pas en mesure pour l’instant de faire en sorte que le droit à un procès équitable soit pleinement respecté. Amnesty International appelle le Conseil de sécurité à donner pour instruction au TPIR de ne transférer aucune affaire au Rwanda tant que les problèmes que connaît la justice dans ce pays n’auront pas été résolus.

Appel aux États pour qu’ils appliquent le principe de compétence universelle pour les affaires que le TPIR cherche à transférer. Amnesty International est favorable au renvoi d’actes d’accusation devant des juridictions nationales qui peuvent et souhaitent engager des poursuites pour les violations graves du droit international, dans le respect des normes internationales d’équité et sans avoir recours à la peine capitale. En effet, comme le Conseil de sécurité l’a reconnu depuis sa résolution 978 du 27 février 1995, le recours à la compétence universelle pour juger les infractions au droit international devrait être préconisé comme moyen de lutte efficace contre l’impunité. C’est pourquoi, l’organisation exhorte le Conseil de sécurité à appeler tous les États à apporter leur soutien à une stratégie d’achèvement efficace pour le TPIR, en appliquant le principe de compétence universelle aux cas que celui essaie de transférer à des juridictions nationales. Ce faisant, le Conseil de sécurité devrait également demander aux États de passer en revue leur législation pour s’assurer qu’elle leur permet d’exercer la compétence universelle sur les crimes relevant du TPIR, afin d’éviter les problèmes rencontrés au moment du transfert de l’affaire Bagaragaza en Norvège. Pour encourager les États de tous les continents à accepter les affaires en provenance du TPIR, le Conseil de sécurité devrait demander à l’Assemblée générale de créer un fonds de contribution aux dépenses occasionnées par la prise en charge de ces cas.

Engagement ferme à fournir des ressources suffisantes au TPIR. Pour mener à bien sa mission, le TPIR va avoir besoin continuellement de fonds. Amnesty International appelle le Conseil de sécurité à s’engager à fournir des ressources suffisantes au TPIR jusqu’à ce qu’il ait terminé son travail, et à ne pas modifier le système existant qui permet de payer le TPIR à partir du budget ordinaire des Nations unies. Le fait pour les tribunaux pénaux internationaux pour la Sierra Leone et le Cambodge de dépendre d’un financement volontaire les a gênés dans leur travail et a mis à mal leur indépendance.

Mise en place au Rwanda d’un plan global d’action à long terme pour mettre fin à l’impunité. Amnesty International exhorte le Conseil de sécurité à promouvoir d’autres initiatives pour mettre fin à l’impunité au Rwanda, en prenant notamment des mesures pour que les milliers d’autres violations du droit international sur lesquelles le TPIR n’aura pas été en mesure d’enquêter ou d’engager des poursuites dans le respect des normes internationales fassent néanmoins l’objet d’enquêtes et d’actions en justice. En particulier, l’organisation appelle le Conseil de sécurité à demander à tous les États de fournir au Rwanda le personnel, le matériel et les ressources qui lui permettent d’élaborer un plan global d’action à long terme pour mettre fin à l’impunité en résolvant tous les crimes relevant du droit international qui ont été commis entre 1990 et 1994. Il faudrait qu’il s’acquitte de cette mission en toute transparence et en collaboration étroite avec la société civile.

Amnesty International demande également au Conseil de sécurité d’appeler tous les autres États à coopérer aux enquêtes et aux poursuites pour les violations du droit international commises au Rwanda, et à appliquer le principe de compétence universelle en enquêtant sur ces crimes et en les jugeant devant leurs tribunaux.

Amnesty International demeure vivement préoccupée par le fait que le TPIR et les autorités rwandaises n’ont pas enquêté sur les crimes commis par toutes les parties au Rwanda entre 1990 and 1994, ni engagé de poursuites dans ces affaires. En particulier, l’organisation fait observer que 60 000 civils auraient été tués par les forces du Front patriotique rwandais (FPR) entre avril et juillet 1994. Bien que le TPIR a déclaré qu’il avait « fait fond sur le mandat donné au Tribunal, tel que le rappelle la résolution 1503, pour enquêter sur des informations faisant état de violations commises par le Front patriotique rwandais (FPR) », aucun acte d’inculpation contre le FPR n’a été rendu public. La volonté politique des autorités rwandaises d’enquêter à ce sujet et d’engager des poursuites contre les suspects en cas de preuves suffisantes suscite de sérieux doutes. En 2004, toute référence aux Conventions de Genève et à leurs protocoles additionnels, en particulier à l’article 3 commun aux Quatre Conventions, a été exclue de la législation nationale rwandaise. De ce fait, aucun tribunal rwandais n’est compétent pour intervenir sur les allégations de crimes de guerre et d’autres violations du droit international humanitaire.

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